WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Les Rendez-vous Québec cinéma 2018 - Longs métrages fictions et documentaires

Par Jean-Marc Limoges


Les arts de la parole – Olivier Godin – 93 minutes – 2016

« Tout a été dit, disait Gilles Vigneault, mais pas par moi. » Voilà un aphorisme qui s’appliquerait bien à l’œuvre inqualifiable d’Olivier Godin. Koroviev. Le Maître (et la Marguerite). Margerie. Couché dans son sang. Connaissance. Total. Rival. Ami. Le Russe. Un flic au cache-œil. Un nuage a tranché. Un regard unique. Il aime les fleurs et les cimetières. Ce qui pousse et qui repose. Et, une fois semaine, les films japonais. Le Québécois. Maître chanteur. Blogueur. Préférant le Portugal à Charlevoix. Jean-Philippe O’byrne (ou Auburn). Chef de section alcoolique et suicidaire. Cours de poésie québécoise aux policiers. Cultivons l’ordre. Boit comme un trou et sacre comme un charretier. La Charrette. Le Saint-Élias. Un bateau qui a échoué. Joual vert. Le capitaine Pierre Maheu (parti pris fondateur) a annoté, avant sa mort, mystérieuse, une Bible. (En)quête de Koroviev. Bon Dieu! Il a créé Adam qui joue du free jazz. Liberté. Disponibilité. Ouverture. Communication. Mais il ne connaît pas son créateur. Le pays ne connait pas son passé. L’homme reste toujours debout. Le pays devrait faire comme lui. Mais non… il plie, il flanche, il rampe. Et il ne se souvient de rien. Un adjuvant enfermé peut mener Koroviev au Livre. Clément dit vrai. Contacte Coriandre. Fraîche. Jeune comédienne rate de bibliothèque. Jeanne-Mance encore vierge à la perle qui susurre Aux jours de Maisonneuve de Laure Conan. Entrecoupé de chants turoldiens et de Cantiques érotiques. Arrière-petit-fils des Anciens Canadiens. Je me souviens. Si l’un récite Loranger, poète oublié, l’autre cite L’Oublié, d’Angers. Félicité. (Pour un Québec) « Plus fort! » Koroviev s’attache et s’entiche. Mais elle chuinte et suicide. Chalut, au passage, qui se crosse, semble-t-il, en pensant au Premier Ministre, charge et change en Clément. Homosexuel revenant voir sa femme qui prend sa tapette en main. Il crèvera, prostré, d’un cancer. Meurt aussi la brigade des policiers poètes. Coupures budgétaires. Le chef se suicide itou. Impact de l’austérité. On retrouve la Bible. Il l’appelle son fils. Et là-dessus, Godin jette une de ces lumières aveuglantes de clarté. Fiat lux. Création d’un monde de sons et d’images et à sa ressemblance. Comme disait Mr Northop (Frye) : « This is not the way I could imagine it ». 




Radius 
– Caroline Labrèche et Steeve Léonard – 93 minutes – 2017

Radiusest un film qui nous permet de poser plusieurs questions. Pourquoi est-ce l’homme qui est, seul, prisonnier de ce « sort » et non aussi la femme, qui a pourtant subi le même « coup de foudre »? Pourquoi fallait-il que l’éclair donne ce « pouvoir » et retire la mémoire? Pourquoi l’a-t-on laissée repartir de l’hôpital, où elle dit s’être rendue après l’accident, alors qu’elle n’avait manifestement plus toute sa tête? Pourquoi son mari, quand elle le retrouve après avoir disparu, n’a pas de plus fougueux élans vers elle? Pourquoi, pour lui raviver les souvenirs, lui montre-t-il la photo de sa sœur jumelle et non celles, juste à côté, où ils sont ensemble? Pourquoi le mari appelle-t-il la police si c’est pour admettre aussitôt qu’il a fait une erreur? Pourquoi toutes les radios et toutes les télés du monde passent-elles toujours la même nouvelle au moment même où on les allume? Pourquoi, retournant avec l’homme sur les lieux de l’accident, en plein milieu d’une luxuriante forêt, la femme se rappelle-t-elle exactement où elle est tombée? Pourquoi cacher un cahier dans le foyer? Pourquoi attendre d’être à l’hôpital pour mettre fin à ce cauchemar? Et pourquoi les poissons…? Baste! La prémisse était intéressante, mais son traitement, maladroit. On aurait voulu, au-delà du « punch » – pour lequel le récit semble avoir été écrit –, que le film nous permette aussi une lecture métaphorique, voire philosophique, un peu à la façon de ce « Jettatura » (souffrant sensiblement du même mal) si finement peint par Théophile Gautier dans ses Contes fantastiques. Comment peut-on aimer quelqu’un qu’on ne peut regarder sous peine de le tuer du regard? Ou encore : Qu’advient-il quand deux êtres que rien ne rapproche doivent cohabiter pour le reste de leur vie sous peine de voir le monde autour d’eux s’écrouler? À cette question, le film n’apporte pas de réponse, puisqu’il ne nous permet pas – contrairement aux autres – de la poser. Reste toutefois ce très ingénieux plan : le travelling circulaire autour de Liam quand il apprend qu’il est l’épicentre du désastre.

 


La Zone – Syned Sindrajed [sic] – 80 minutes – 2017

Denys Desjardins [sic] ne se prend pas pour n’importe qui. Dédiant son film à Chris Marker, repiquant son titre à Tarkovsky, détournant des phrases reprises à Hiroshima, mon amour, il manifeste sans gêne ni pudeur son désir de passer à la postérité et de reposer parmi les grands. Présentant son film, il nous met paternellement en garde, avec une déconcertante fatuité : « Il y aura des moments où vous serez perdus. C’est voulu. C’est un film expérimental. » Malheureusement pour nous, nous ne nous perdîmes jamais, et sûmes toujours trop bien où nous fûmes : devant son film, démangé par l’envie pressante de sortir de la salle pour aller nous perdre le plus loin possible. Pendant 80 insupportables minutes, l’œuvre de Sindrajed [sic] raboute au hasard des films Super 8 sans doute tournés par son père tout au long de sa vie et englue pesamment l’ensemble dans un dialogue atrocement ampoulé livré par deux comédiens pourtant respectés (Élizabeth Chouvalidzé et Albert Millaire) dont les voix chevrotantes peinent et s’essoufflent à injecter de l’intensité dans des phrases sans profondeur qui étourdissent par leur vacuité (« Elle s’est endormie pendant son sommeil » étant sûrement la plus belle perle de ce vain verbiage). Le cinéaste nomme tout ce qu’il montre et montre tout ce qu’il nomme. Aucun décalage, aucune distorsion, aucun contrepoint qui mettrait notre intelligence ou notre sensibilité à l’épreuve. Il nous prend par la main pour nous montrer un insipide album de famille qu’il présente comme une érudite critique historique. Voici Expo 67. Voici Hiroshima. Voici le 11 septembre. Voici Cuba. Voici la Chine. Voici mon chat. Voici ma suffisance. Sindrajed [sic] prétend faire du cinéma expérimental. Il a raison. Il prétend. Son cinéma est prétentieux. 

 


Taming the Horse – Tao Gu – 124 minutes – 2017
 
Dong est un loser. Le cinéaste, son ami d’enfance, le retrouve en 2011 – tel qu’il le lui avait promis 10 ans plus tôt – afin de retourner sur les lieux où il a grandi. À l’époque, Dong voulait être une rock star. Il n’est plus aujourd’hui qu’une épave désabusée en quête d’une quête et à qui sa vieille mère, exaspérée, criera : « Tu as besoin d’un but dans la vie, d’un idéal. Trouve ton chemin! ». Son ami le filme dans son lit, dans les rues, dans les bars, il le filme quand il boit, quand il mange, quand il fume, quand il fait sa toilette. Les plans ne sont jamais soignés, toujours asymétriques, tout croches, bancals : comme sa vie, quoi! Nous ne saurions être plus près de son désarroi. Et pourtant sa vie nous indiffère. Il a 30 ans. Il ne réussit dans rien, et rien ne lui réussit. Sa mère l’engueule, sa blonde le trompe, son patron le roule. Dans tous ses rapports, il n’est question que d’argent. Il parle d’argent avec sa mère, il parle d’argent avec sa blonde, il parle d’argent avec son patron. N’ayant rien en poche, il est malheureux en famille, malheureux en amour, malheureux en affaires. Il le dit lui-même : sans femme, ni enfant, ni voiture, il ne saurait être un « membre valable de la société ». Les mêmes valeurs seront, tout au long de ce portait, ressassées. La mère, dont le poignet est plâtré, continue vaillamment de découper les tissus, dans sa modeste mercerie. Le père explique que le commerce est une guerre, qu’il doit regorger d’inventivité pour vendre ses cochonneries afin que son voisin ne vende pas les siennes. Si tu ne fais rien, tu n’es rien. Son père l’énumère posément : « Tu dois être responsable… envers ton pays, envers ta famille, envers toi-même. » Or, tranche-t-il, « Dong n’est pas un homme parce qu’il n’est pas responsable. » Et il ne trouve sa place, ni dans la société, ni dans le système de valeurs qui est fixé dans le film. Comme dans les meilleures familles, son frère, plus vieux, plus beau, plus riche, plus aimé aussi, a réussi. Il lui lancera, avec sarcasme, lors d’une engueulade devant les parents : « Nous sommes nés pour nous compléter. » Comprendre : j’ai réussi, tu as échoué. Est-ce parce qu’il n’a pas de rêves que Dong parle plus souvent de sa mort que de sa vie? Au mitan de cette débâcle, il assiste à un concert rock. Les paroles résonnent comme un message : « Are you working like a dog for meal? Are you dreaming of drowning in diamonds? Are you looking for love, but only finding sex? » À table, complètement aviné, il laissera choir, à un ami : « L’argent semble la seule chose qu’il faut avoir. Mais je pense que nous vivons pour rien d’autre que l’amour. » Plus tôt, réfléchissant à voix haute – « Je ne pense pas que nous avons besoin d’argent pour trouver l’amour. On peut trouver l’amour sans argent et être heureux. » –, il semblait déjà avoir trouvé le réel objet de sa quête : il irait en Mongolie, dompterait les chevaux sauvages (d’où le titre) et se trouverait une belle petite Mongolienne afin de vivre une vie paisible. Mais il envisagera tout de même – sans doute pour se prouver aux yeux de ses parents – de se prendre en main : il vendra du jade. Il rencontrera un jeune receleur qui lui apprendra comment rouler les clients et qui lui vendra à prix fort une pièce qui lui servira d’étalon. Seul, chez lui, à poil sur sa chaise, il déclarera entre deux sanglots qu’il s’est lui-même fait rouler par un ado de 20 ans, qu’il ne veut plus vendre de jade, qu’il n’est pas fait pour le commerce, qu’il ne veut pas rouler les autres. S’il ne sait toujours pas pourquoi il est fait, Dong apprend au moins pourquoi il n’est pas fait. Dans cette société, conclut-il amèrement en se rappelant peut-être cette autre chanson du groupe rock – « If everyone in this world is selling out, there is no fucking escape. » –, tout le monde veut rouler tout le monde. Pas moi. Dong est-il vraiment un loser? Ou un marginal? Peut-être que le cheval du titre, celui qu’on ne pourra jamais apprivoiser, c’était lui.
 


 
Ta peau si lisse – Denis Côté – 93 minutes – 2017
 
L’univers des body builders est à des kilogrammes du mien. Il ne me serait même jamais venu à l’esprit de m’intéresser à leurs corps. Ils cultivent leurs muscles, j’alimente mon gras. Ils soulèvent des poids, je traine le mien. Ils pèsent leur bouffe, et moi mes mots. Ils empilent leurs livres, je les dévore. Ils se donnent en spectacle, je préfère les salles obscures. Ils ont des gueules patibulaires, j’ai une bouille de chérubin. Ils arborent leurs tatous, j’abhorre les aiguilles. Ils ont des maisons en banlieue, je ne pourrais pas y vivre plus de 15 minutes. Ils ont des chiens à leur ressemblance, je ne les supporte pas en image. Ils conduisent de gros camions, j’ai jeté mon permis. Ils aiment la discipline, je déteste l’autorité. Ils s’épient avec jalousie, je me fous pas mal du voisin. Voilà deux mondes. Et pourtant, j’ai subi le leur, lourd et dur et suintant sans trop revoir mes positions. Certes Côté s’attarde à ses sujets et les ausculte dans leurs moindres détails comme chacun d’eux balance sa poudre, mesure sa taille, surveille son poids, compte ses poussées. Sa caméra saisit chaque muscle qui se contracte, chaque veine qui saille, chaque pore qui s’ouvre, chaque poil qui pointe, reste rivée à leurs visages même quand, hors champ, éclatent des feux d’artifice qu’on préférait regarder péter. Son micro capte l’expiration que causent leurs efforts, le ronflement qu’appelle leur réfection, le cliquetis que créent leurs haltères, le clapotis que produit leur huile, le frottement qu’enfantent leurs chairs. Nous sommes au plus près de leur intimité et pourtant, on continuera de les juger de loin, de les regarder comme nous les regardions, avec des yeux chargés d’incompréhension dans lesquels percent même un peu de moquerie. Nos idées ne seront pas ébranlées. Nos consciences ne seront pas décloisonnées. Ils continueront d’évoluer dans cet univers comme nous continuerons de le trouver factice, loin du nôtre, même si, dans le deuxième tiers, Côté égraine les points que nous aurions en commun : vie de famille, chicane de couple, gestion de temps, fatigue, faiblesse, effort, stress, etc. Mais cette incursion arrive trop tard et demeure trop lacunaire pour nous permettre de tisser quelque lien et susciter quelque sympathie. Au reste, que font-ils (d’autre) dans la vie? Qu’est-ce qui les a poussés à se muscler ainsi? Ont-ils d’autres trips que leur triceps? Quels sont leurs rêves? Que pensent-ils du monde? De l’art? De la politique? Quelle est leur philosophie du muscle? Voilà des questions qui auraient suscité des réponses grâce auxquelles on nous les aurait peut-être rendus plus humains, voire plus attachants. Le dernier tiers nous les montre – selon le récit narratif classique –, recevoir la sanction pour laquelle ils ont peiné. Avant la montée sur un ring où ils feront semblant de faire de la lutte et recevoir des applaudissements pour vrai ou sur une scène où ils feront reluirent leurs muscles pour éblouir la galerie, on les voit se faire maquiller, sécher, coiffer, exfolier, jouxtés de coachs attentifs à des détails qui échappent à l’œil du vulgaire : pas assez d’estrogène, hémisphère droit trop faible… Et voilà qu’on se dit derechef que nous eussions aimé au moins comprendre ce qui nous échappait ainsi. Après une curieuse finale, lors de laquelle nos montagnes se reposent au creux d’une vallée, on est contraint d’admettre, en se regardant dans le miroir à notre tour, qu’il faut bien, sans rien n’y comprendre, dépenser son énergie quelque part, que ce soit en levant des poids, en réalisant des films ou en rédigeant des critiques.
 
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Article publié le 28 février 2018.
 

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