La première journée de la 78e édition du Festival de Cannes appelle des champs-contrechamps comme ceux de sa belle affiche double d’Un homme et une femme (Claude Lelouch, 1966) dédiée à la mémoire d’Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant. Différents points de vue sur une situation, réflexions et réfractions, à la fois pour annoncer une programmation qui semble marquée par des récits pluriels, mais aussi par une affection irrésistible pour les stars et les auteur·rice·s qui font le cinéma, leurs visages, leurs manières de fixer leur existence sur l’écran.
La différence avec la Berlinale et ses implosions politiques vécues plus tôt dans l’année tient dans les proximités qu’entretient Cannes avec le vedettariat le plus prestigieux du monde, mais aussi avec la tectonique trumpienne qui semble avoir reconfiguré la tenue des prises de parole autour du régime américain. Le génocide à Gaza est toujours en cours (le film Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi mettant en scène la photographe palestinienne Fatima Hassouna récemment assassinée est d’ailleurs présenté dans l’ACID), la guerre en Ukraine perdure (et sert de toile de fond commode à des films comme Enzo de Laurent Cantet et Robin Campillo à la Quinzaine), mais le ton de la soirée d’ouverture, avec la Palme honorifique décernée à Robert De Niro, a rapidement fixé le ton du festival. « Ce soir, et pendant les 11 jours à venir, nous allons montrer notre engagement en rendant hommage aux arts », a dit le légendaire acteur pour conclure son discours anti-Trump, avant de prononcer un très senti « Liberté. Égalité. Fraternité. »
Le lendemain a maintenu l’emphase sur la présence américaine au festival, qui s’avère toujours un incontournable entre les murs du Palais des festivals, mais qui cette année semblait être orchestrée en amont par la tenue en ce 14 mai 2025 de discussions avec Tom Cruise, Robert De Niro et Quentin Tarantino, le tout dans le même bâtiment, une à la suite des autres. Difficile d’imaginer plus imposante brochette pour lancer les festivités. Difficile aussi de ne pas y voir une concession crépusculaire face à l’état du cinéma actuel, celui qui suivra dans les jours à venir et qui, à sa manière, avance dans l’ombre de ces ascendants qui semblent encore occuper le sommet de leurs chaînes d’influences.
*
:: Classe de maître de Christopher McQuarrie, en présence de Tom Cruise, animée par Didier Allouch (photo : Mathieu Li-Goyette)
Christopher McQuarrie & Tom Cruise : L’écriture du contrôle
Les sièges laissés vides, les billets encore disponibles (alors que les places pour toutes les projections d’une journée s’épuisent en 30 ou 40 secondes à 7 h tapant chaque matin) ne l’auraient certainement pas été si le festival avait annoncé une classe de maître avec Tom Cruise plutôt qu’avec Christopher McQuarrie. Plongé dans l’ombre de sa star depuis Valkyrie (2008), on en oublie que le cinéaste des quatre derniers Mission: Impossible a débuté sa carrière de manière étincelante, en signant le scénario de Usual Suspects (Bryan Singer, 1995) et en remportant l’Oscar du Meilleur scénario original à l’âge de 27 ans.
La présentation de Thierry Frémaux et de l’intervieweur Didier Allouch a bien mis la table sous l’angle de la tradition auteuriste des Cahiers du cinéma, en avançant l’importance qu’a eu pour le cinéma, dans les années 1950, la critique des œuvres d’Hitchcock et de Hawks afin de réfléchir la manière dont certain·e·s artistes étaient en mesure de tirer le maximum d’une situation prise dans un système industriel, tout en avançant que McQuarrie était l’équivalent contemporain de ces figures, une sorte d’auteur de la machine. La filiation est juste. L’’exagération va de soi.
Visiblement ému et angoissé par la sacralisation que représente la livraison d’une classe de maître à Cannes, McQuarrie n’a pas perdu de temps pour avouer qu’il était surpris d’être invité. Éventuellement, c’est autour de l’écriture qu’a tourné la conversation, notamment au sujet de la caractérisation des personnages de ses films, perçus comme ambivalents, alors qu’il avoue ne pas y voir de zone grise parce qu’il ne se « soucie pas d’écrire ou d’imaginer leur passé ou leur psychologie, mais seulement de les rencontrer tels qu’ils se tiennent devant [lui] ». Allouch en a profité pour le rapprocher (avec justesse) de Don Siegel, des grandes performances d’action de Clint Eastwood des années 1970 et 1980, ce à quoi McQ a acquiescé, avouant avoir grandi sur ces films et avoir été marqué par la façon dont ils mettaient en scène le « professionnalisme » de ses protagonistes. Quand on pense à ses scénarios pour Tom Cruise, on réalise que c’est sans doute ce qui l’a transformé en homme de main attitré : cet intérêt pour l’écriture du geste professionnel venant parfaitement s’agencer avec les vanités d’une star obsédée par cette posture spécialiste.
:: The Way of the Gun (2000) [Artisan Entertainment / Aqaba Productions]
En s’étirant un peu sur The Way of the Gun (2000), la première réalisation de McQuarrie qu’il a qualifié de film frustré, écrit pour dynamiter de l’intérieur la violence des néo-noirs qui étaient si populaires à l’époque (Usual Suspects, Se7en [1995], L.A. Confidential [1997]), la classe de maître révèle rapidement la minceur de sa feuille de route lorsqu’on fait disparaître les collaborations avec Tom Cruise. Il n’empêche que cette première moitié de discussion participait justement à accomplir le programme hitchcocko-hawskien annoncé en ouverture, permettant à l’auteur d’exister un instant en dehors de son habituelle subordination, tout en lui permettant de partager son point de vue particulier sur l’état actuel du cinéma hollywoodien. « Aujourd’hui, si vous avez le malheur de faire votre premier film indépendant avec cinq millions, d’avoir un peu de succès et d’en amasser quinze au box-office, un studio va vous repérer et transposer cette multiplication sur un budget de 200 millions en espérant que vous leur rapportiez un milliard. » Il poursuit : « Le problème, c’est non seulement que ces jeunes cinéastes indépendant·e·s ne peuvent pas intégrer si facilement un système de production qui n’a rien à voir avec ce qu’ils ont connu jusqu’à présent, mais aussi que les opportunités d’apprentissage à cette échelle sont inexistantes, et ça finit par détruire ces cinéastes. »
Il raconte ensuite comment la scénarisation lui a permis d’échapper à ce broyage, qu’il n’a jamais été dédaigneux de travailler sur les scénarios des autres ni même sur leurs idées, et qu’il a surtout profité de la pause forcée de réalisation qu’il a prise entre The Way of the Gun et Jack Reacher (2012) pour observer de près des metteurs en scène au travail sur des projets d’envergure et de réaliser à quel point « la scénarisation, c’est travailler très longtemps à hisser un rocher jusqu’en haut de la montagne ; la réalisation, c’est lorsque vous êtes arrivé de l’autre côté et qu’il déboule à vos trousses ».
Arrivé à Valkyrie, à la fatidique rencontre avec Tom Cruise alors qu’il était sur le point de plier bagage et de quitter l’industrie, son interlocuteur Allouch a surpris la salle Debussy en introduisant la star elle-même. L’euphorie.
La foule, comme toute bonne foule, s’est affolée, tout le monde s’est levé, les sièges inoccupés se sont remplis par les gens qui se pressaient à l’avant, cherchant bientôt à attraper un selfie, éventuellement à faire signer quoi que ce soit. Outre le grand coup de théâtre, l’heure qui a suivi, avec un Tom Cruise survolté, convaincu que lui et son collaborateur étaient tenus de « faire tout ce qui est possible pour maintenir la machine du cinéma en marche », collait bien à l’image qu’on se fait de celui qui adore se voir courir et qui voit ses films comme des « montres suisses que nous assemblons ». Son attention maniaque à la technique a même fait dire à McQ que sa vedette, qui étudie les lentilles et les caméras autant que la géographie des endroits où il tourne, est systématiquement capable de reconnaître l’objectif de caméra utilisé, d’estimer la distance qui le sépare de la lentille et de très exactement tracer le contour du cadre que forme la caméra braquée sur lui. « Je ne connais aucun acteur, ajoute McQuarrie, qui soit aussi talentueux à incarner un personnage tout en incarnant le public ; il sait exactement ce que le public verra, en tout temps. »
(photo : Mathieu Li-Goyette)
La classe de maître est alors devenue plus frontalement une opération promotionnelle pour le dernier film de la saga, Mission: Impossible, Final Reckoning (2025), dont la première mondiale allait suivre le soir même, un exercice de marketing que nous nous épargnerons ici sinon pour une anecdote assez emblématique de la trajectoire d’acteur de Tom Cruise. À bord du biplan qu’on reconnaît sur l’affiche du film, suspendu au-dessus d’un désert africain avec une caméra raquée au cockpit, l’acteur maniait son avion lui-même d’une main, l’orientant par rapport aux nuages et au soleil afin de contrôler la direction photographique — la manière précise dont son visage allait être éclairé —, tout en utilisant son autre main pour faire le point grâce à un mécanisme caché dans le hors champ. Une sorte de moment de grâce, aux dires du cinéaste, où « Tom Cruise était une équipe à lui seul ». Il fallait d’ailleurs remarquer la différence de contexte dans les interventions de McQuarrie entre « Tom » et « Tom Cruise » pour noter quand il parlait de son ami et quand il parlait d’un mythe qu’il participe fièrement à construire, comme un scribe ou un secrétaire le ferait d’un personnage historique, une position de dépendance que la classe de maître a affirmée à chaque détour, chaque fois que la star répondait avant son cinéaste (même quand les questions lui étaient adressées), chaque fois qu’il faisait bien comprendre, dans sa gestuelle, dans sa manière de le complimenter, qui était bien le seul patron à bord.
*
:: Classe de maître de Robert De Niro, animée par le photographe JR (photo : Mathieu Li-Goyette)
Robert De Niro : Un cinéma d’objets
Cette apologie totale de l’efficacité à tout prix, de la fascination pour la machine spectaculaire et kinétique du cinéma, ne pouvait qu’être fortement contrastée par la classe de maître de Robert De Niro, un moment de calme avec « Bob », tranquille, doux, animé par le photographe et cinéaste JR.
Le bruit sur la Croisette crie à l’échec monumental, mais c’est mal comprendre le rôle de cette conversation (ou de l’artiste qu’est De Niro) que d’espérer qu’il allait être question des anecdotes de tournage avec Martin Scorsese ou Sergio Leone. Bien plus réservé, bien moins tourné vers le fétichisme de ces interactions, l’acteur a plutôt voulu présenter le projet secret qu’il mène depuis plusieurs années avec JR : un film sur son père, l’artiste peintre Robert De Niro Sr., éclipsé par la réputation de son fils. Décédé il y a quarante ans, il a laissé derrière lui des journaux intimes et des correspondances avec la mère de l’acteur, et surtout un atelier que De Niro a laissé totalement intact, sans même en vider les cendriers. Après McQuarrie, c’était l’histoire d’un autre artisan de l’ombre, sujet qui colle parfaitement au scintillement aveuglant de Cannes.
Le film, dont on a regardé une dizaine de minutes et qui finira par aboutir même si l’acteur a répété qu’il n’était pas pressé de le terminer, semble se destiner à devenir le Visages Villages (Agnès Varda et JR, 2017) de Robert De Niro. On y a reconnu bien évidemment Martin Scorsese, mais aussi une mise en scène des souvenirs qui implique, comme à l’habitude de JR, des photographies en format géant, en plus d’une plongée dans l’intimité familiale de l’acteur, qui n’a jamais semblé aussi fragile et timide devant une caméra, partageant les œuvres de son père mais aussi de sa mère Virginia Admiral, peintre et poétesse, ainsi que l’histoire trouble qui s’est figée dans les objets précieusement gardés par l’acteur.
(photo : Mathieu Li-Goyette)
Ces confidences ont laissé place à un autre discours sur la méthode, bien différent de celui du duo Cruise-McQuarrie, qui refusait toute forme de vie intérieure. De Niro a expliqué, de manière plutôt timide et émouvante, toute l’attention qu’il portait à conserver de ses rôles le moindre costume, le moindre accessoire et le moindre scénario de travail, que c’est en trouvant les objets qui faisaient partie de la vie de ses personnages qu’il apprenait à les construire et à leur inventer une nostalgie qui leur était propre. Cette matière, selon lui, permet de s’inventer des histoires et d’en raconter à son tour, plus que n’importe quelle méthode qu’il ait pu éprouver : « Je n’ai aucune idée ni vraiment d’opinion quand il est question de discourir sur le cinéma. Je sais que j’aime raconter des histoires, que j’aime travailler avec les gens que j’aime. Et que j’aime regarder des films dans une salle avec des inconnu·e·s. Je sais aussi que j’aime me lever tôt. » Le court Q&A qui a suivi lui a fait dire à quel point Montgomery Cliff, Marlon Brando et Laurence Olivier étaient ses acteurs préférés en grandissant, ou comment il a eu le goût de faire du cinéma en découvrant Splendor in the Grass d’Elia Kazan (1961), mais nous avions déjà entendu ce que nous avions besoin d’entendre en venant écouter ce que le grand De Niro, du haut de ses 81 ans, avait encore à partager, avec cette moue inimitable et cette brièveté qui, autrefois terrifiantes, étaient désormais devenues trop douces pour les attentes d’un public qui a toujours préféré célébrer sa colère.
*
:: Classe de maître de Quentin Tarantino (photo : Mathieu Li-Goyette)
Quentin Tarantino : Hommage à George Sherman, l’efficace
En me levant de l’hommage à De Niro, en réalisant que Tarantino occupait le siège pile en arrière de moi et en croisant ensuite Claude Lelouch au détour des toilettes, je dois dire que l’effet du festival commençait à faire son œuvre. Il s’agissait peut-être moins de voir « en vrai de vrai » des monstres sacrés que de constater leur fidélité au cinéma, leur apparent plaisir d’être là, parmi la foule, à écouter quelqu’un qu’ils admiraient eux aussi.
J’allais revoir Tarantino quinze minutes plus tard, quatre étages au-dessus, dans la salle Buñuel, à regarder plein d’énergie les cinéphiles dans les yeux alors qu’ielles entraient, s’installaient, et avant qu’il ne présente un programme double consacré à George Sherman, incroyable faiseur hollywoodien des années 1940 et 1950, avec Red Canyon (1949) en première partie et Comanche Territory (1950) en deuxième. On pourrait longtemps parler de ces deux excellents westerns de série B, de la façon dont Ann Blyth est aux commandes du premier, une magnifique adaptation de Zane Grey (The Thundering Herd [Henry Hathaway, 1933], Western Union [Fritz Lang, 1941]). Ou encore la manière dont le film, qui porte sur une jeune cavalière capable de monter l’indomptable et interdit mustang noir (joué avec fougue par l’excellent cheval Diamond), est introduite avec cette chemise à carreaux, à recevoir en cadeau un corset, et à voir un type manier une ratière ; l’imaginaire un brin carcéral contraste parfaitement avec les chevauchées extérieures, avec le rêve de voir Diamond rester libre avec les autres chevaux de son troupeau. D’ailleurs, il faudrait bien un jour écrire ou programmer quelque chose en suivant la carrière des animaux plutôt que celle des humains…
Le fait est que la plastique de Sherman nous fait réaliser tout le talent d’un cinéaste méconnu à construire des films autour de désirs contraints, de pulsions en travers desquelles la masculinité s’érige comme quelque chose à soumettre. C’est donc Ann Blyth qui, contredisant les règles imposées par son père, s’acharne à vouloir monter le mustang, à montrer qu’elle est meilleure que les hommes, pendant que son prétendant s’efforce de prouver que son nom de famille honteux ne devrait pas l’empêcher d’être amoureux de la cavalière. Red Canyon est un western assez différent de ce qu’on retient aujourd’hui du genre, tout en s’alignant pile sur la psychologisation qui marque son tournant dans les années 1950, le drame se centralisant ici autour de l’oppression du père, gardien d’une nature qu’il faudrait se réapproprier. Il n’y a donc pas de grandes poursuites dans le désert, pas de trains, pas d’autochtones dégradés. C’est un « film de cheval » qui démontre un talent impressionnant pour la mise en scène de l’action, en particulier dans les scènes de course, hallucinantes.
:: Ann Blyth (Lucy) et le mustang noir Diamond dans Red Canyon (George Sherman, 1949) [Universal Pictures]
:: (De gauche à droite) Gilbert Roland, George Sherman, Shelley Winters et Edmund Grainger, sur le tournage de The Treasure of Pancho Villa (1955) [ Edmund Grainger Productions]
Dans l’entracte entre les deux films, Tarantino, qui était resté au milieu de la salle pour profiter de Red Canyon sur un grand écran pour la première fois, s’est pointé sur la scène pour expliquer durant une trentaine de minutes son affection sans demi-mesure pour Sherman, cinéaste qu’il a surtout découvert dans les dernières années et qu’il considère maintenant comme le meilleur cinéaste américain d’action des années 1950. On préférera encore Delmer Daves, André De Toth ou Anthony Mann pour l’élégance et l’intensité dramatique de leurs séquences parfaitement composées, tout en comprenant ce que Tarantino peut bien préférer dans l’approche carrée, rugueuse, exempte d’intériorité, qu’on retrouve chez Sherman, qui fait preuve d’une certaine « pureté » rafraichissante.
C’est-à-dire que le cinéaste, qui a débuté comme assistant sur les tournages du père du slapstick Mack Sennett, a toujours été un capteur de cascades, de mouvements rapides, intéressé à filmer en toute efficacité l’action, sans fanfare, sans aucune emphase sinon celle qu’il serait lui-même parvenu à créer jusque-là grâce à la mise en place patiente de son récit. Tarantino pointe bien dans quelle mesure Sherman, qui a longtemps su maintenir ses contrats actifs à la Columbia et ensuite à la Universal, a toujours pu travailler avec des scénarios efficaces, ce qui lui fait croire qu’il avait un certain contrôle sur les unités de production dans lesquelles il travaillait, et que c’était le cas parce que Sherman était considéré comme un « speed director », capable de tourner un long métrage en 4 semaines alors que le cinéaste moyen mettait à l’époque plutôt 6 à 8 semaines pour compléter un projet.
Parmi les nombreux scénaristes attitrés de Sherman, Tarantino en pointe deux pour le public qu’il considère comme ses scénaristes préférés du cinéma classique hollywoodien : Gerald Drayson Adams (The Golden Horde, George Sherman, 1951 ; « le meilleur film américain jamais tourné sur Gengis Khan ») et Robert Buckner (Sword in the Desert, George Sherman, 1951 ; « le premier film sur la Nakba et la révolte contre le colonisateur britannique de 1947-48 »). Il poursuit en encourageant la salle à creuser plus loin dans l’œuvre du cinéaste, en particulier vers The Treasure of Pancho Villa (1955), puis pointera, avec beaucoup de justesse, que même si les jeunes turcs des Cahiers du cinéma des années 1950 avaient bien peu de respect pour l’auteur, leurs homologues italiens, en particulier Sergio Corbucci le considéraient comme le réalisateur par excellence du western et, a fortiori, des scènes d’action équestres.
Inépuisable, sans aucune note à la main, avec le débit de voix inimitable qu’on lui connaît, Tarantino poursuit et s’étire, creusant dans des histoires de westerns tournés pour la télévision dans les années 1960, avec une cascade de noms débités à une vitesse bien rendue par les illisibles gribouillis de mon carnet.
Le second film Comanche Territory se passera d’analyse, là-bas comme ici. Cet excellent western sur Jim Bowie (soi-disant inventeur du couteau éponyme), mêlant les traités mensongers des Blancs à la fierté des Comanches, est plus progressiste, plus enlevant que la grande majorité des westerns de la même époque, se terminant sur un baiser désarmant, signalant que l’honneur est sauf, qu’une collaboration entre les peuples est possible. Au même moment, on entend Tarantino s’exclamer d’un « Fuck yeah » bien senti. Il se lève, se place à côté de la sortie et remercie l’ensemble de la salle de s’être pointée.
Cannes, ses paillettes, sa première mondiale de Mission: Impossible qui avait lieu au même moment quelques étages plus bas, tout ça était tout à coup bien loin. Nous étions au cinéclub de Quentin Tarantino, à constater ensemble la sincérité de son amour pour le cinéma, et à y reconnaître là un autre discours sur la méthode. Non seulement celle des cascades que Sherman affectionnait, mais aussi celle de la cinéphilie méthodique, qui creuse et creuse encore, peut-être davantage comme De Niro le fait avec ses objets chétifs, un peu plus éloignée de l’approche technocrate du duo McQuarrie-Cruise qui carbure tout de même aussi aux cascades ; la méthode du pilotage du biplan, celle pour monter Diamond ou pour forger un Bowie, un cinéma des savoir-faire nous rappelant finalement qu’à travers les époques, Hollywood et sa cinéphilie sont à leur meilleur quand ils forment des discours sur la méthode.
:: Macdonald Carey (Jim Bowie) et Maureen O'Hara (Katie) dans Commanche Territory (1950) [Universal Pictures]
Discours sur la méthode
Partie 1
(L'Engloutie, Reedland
La mort n'existe pas,
La Couleuvre noire)
Partie 2
(Sound of Falling, Miroirs No.3,
Put Your Soul On Your Hand,
The Chronology of Water)
Partie 3
(Dangerous Animals, Un simple accident,
Amour apocalypse, Yes!,
Magellan)
![]() |
envoyer par courriel | ![]() | imprimer | Tweet |