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Kingston Canadian Film Festival 2023

Par Olivier Thibodeau

Au début du mois de février, nous recevons une invitation de Téléfilm Canada pour le Kingston Canadian Film Festival, qui se déroule du 2 au 5 mars, alors je saute sur l’occasion. C’est mon troisième festival cette année, et je suis avide de poursuivre sur ma lancée de découvertes cinéphiles amorcée aux Pays-Bas et en Allemagne. Il ne s’agit pas ici d’une sélection internationale cependant, mais d’une programmation très typiquement canadienne, axée avant tout sur le réalisme social et la promotion de la diversité culturelle. Et bien que ça sente un peu le réchauffé (on présente Viking [2022], Norbourg [2022], Geographies of Solitude [2022], Soft [2022], Relax, I’m From the Future [2022], tous des films qui ont déjà pris l’affiche à Montréal, ainsi que Riceboy Sleeps [2022], Rosie [2022], I Like Movies [2022] et North of Normal [2022], qu’on a pu voir au TIFF), ça reste l’occasion pour moi de faire du rattrapage, et d’éclairer certains recoins obscurs de la filmographie pancanadienne de l’an passé. Je me procure donc des billets pour un maximum de projections dans cette ville universitaire plutôt sympathique, située à l’embouchure du lac Ontario près de la frontière états-unienne, à l’ombre du collège militaire que je peux apercevoir du haut de ma chambre d’hôtel payée par la princesse.

 

Jour 1

En débarquant du train, moi et mes adorables collègues Justine Smith (de Cult MTL) et Bruno Dequen (de 24 images) sommes convié·e·s à la soirée d’ouverture, où l’on présente Riceboy Sleeps (2022), lauréat du prix Platform au dernier TIFF, mais aussi du prix Jean-Marc Vallée décerné par le Directors Guild of Canada. Deuxième long métrage du réalisateur et acteur vancouvérois d’origine coréenne Anthony Shim, il s’agit d’un drame d’immigration fort sincère mené par deux interprètes surprenants (Choi Seung-yoon et Ethan Hwang), un film qui aurait pourtant gagné à expliciter certaines de ses idées de mise en scène. On pense notamment à l’utilisation d’une caméra mobile aux mouvements de flottement hyper complexes, censés représenter l’âme errante du père décédé, mais dont la raison d’être reste diffuse à l’intérieur de la diégèse, contribuant à une première moitié étrangement irréelle, malgré le réalisme social du récit.


:: Dohyun Noel Hwang et Choi Seung-yoon dans Riceboy Sleeps [A Lasting Dose Productions]

C’est une œuvre schizoïde que Shim nous propose en fait, où l’enfance et l’adolescence du jeune Dong-hyun en banlieue britanno-colombienne évoquent l’idée d’une existence carcérale, appuyée par un format 1.33:1 étouffant, une photographie avide de clairs obscurs domestiques et une caméra étrangement distanciée. Cette esthétique contraste d’ailleurs volontairement avec celle de la dernière partie, tournée dans un format large qui respire beaucoup plus, et où de vastes paysages lumineux succèdent aux intérieurs exigus du début. Cette partie correspond d’ailleurs de façon révélatrice à la visite des protagonistes dans leur Corée natale, où la recherche de leurs racines perdues, initiée de façon prémonitoire par un devoir d’école de Dong-hyun sur le thème de la généalogie, permet à ceux-ci, et au cadre, d’accéder finalement à la liberté.

 

Jour 2

Le deuxième jour, on commence avec un programme de courts métrages assez généreux, où pas moins de neuf titres nous sont présentés. Parmi ceux-ci, je retiens le très canadien Mother’s Skin (2022) de Leah Johnston, tourné sur la côte terre-neuvienne dans un 16 mm auquel le transfert numérique donne un aspect trouble presque appréciable. Il s’agit d’un drame familial terrifiant tourné à hauteur d’une petite fille dont le père, hirsute et bourru, a maille à partir avec sa mère alitée, affligée par une maladie mentale qui la rendra dangereuse pour sa progéniture. La mise en scène très intimiste, qui nous place dans la position délicate de l’enfant grâce à des plans obliques où des travellings anxiogènes sur le plafond du salon que font vibrer les pas empressés de son père, mais aussi les plans symboliques sur les mouches mortes et les araignées évoquent un climat de terreur sobre et sourd parfaitement adapté au récit. On s’imagine un cauchemar à peine onirique, dont la texture est liée intrinsèquement au sens d’isolation très prosaïque associée aux décors côtiers isolés qui servent d’arrière-plan.

J’ai aussi apprécié le Overgrown (2022) de Cailleah Scott-Grimes, où, similairement, la touche de fantastique qui s’immisce dans son récit d’expropriation très terre-à-terre permet de nous soustraire à un triste réalisme à travers une série d’images magiques, qui évoquent le pouvoir de l’imagination de se libérer du carcan néolibéral. Le cadrage dérobé des cloisons fendues dans lesquelles s’immiscent les mains de la protagoniste, les séquences d’animation et les chants de gorge (le film ayant été majoritairement produit par SING! The Toronto International Vocal Arts Festival) contribuent à la représentation d’un monde fabuleux tramé juste sous la surface du nôtre, transformant l’héroïne en figure mystique, proche de la sorcière, dont le triste sort domiciliaire n’évoque pas complètement un adieu.

Côté québécois, j’ai revu avec grand plaisir le Belle River (2022) de Fournier, Matteau et Nolin, que j’ai apprécié encore plus qu’au premier visionnage, et dont les plans à vol d’oiseaux liquoreux, quasi abstraits m’ont absolument sidéré. J’ai aussi pu voir l’adorable À quoi tu rêves Léon ? (2022) de Roger Gariépy, un film conceptuel parfaitement adapté au format court où l’on épouse le point de vue subjectif d’un chien. Initiée de façon inattendue, par un cadre statique à hauteur du sol qui se transforme soudain en cadre mobile, cette astuce de mise en scène se décline de diverses façons amusantes: dans les courses-poursuites spontanées derrière les cyclistes, les élans brisés par l’action contraignante de la laisse, les cadres bordés par les collerettes vétérinaires, et les fantasmes carnivores, qui culminent à l’occasion d’une ode savoureuse à la viande sous toutes ses formes. Une vraie gâterie!


:: Eternal Spring [Lofty Sky Pictures]

On quitte ensuite le domaine du court pour un long métrage pas tout à fait conventionnel, mais prisé par les institutions, qui en ont fait la sélection canadienne pour la course aux Oscars. Il s’agit d’Eternal Spring (2022) de Jason Loftus, un documentaire d’animation hautement hybridé sur les événements entourant la prise de contrôle des ondes télévisuelles de Changchun par les membres du Falun Gong en mars 2002. Construit autour des expériences du célèbre illustrateur Daxiong, lui-même natif de Changchun et praticien des enseignements de Li Hongzhi, qu’on voit subséquemment mener une enquête auprès des survivants du mouvement de Séoul à New York, le film mélange entrevues et recréation d’époque animées, au gré d’images foisonnantes où le trait de crayon fabuleux de l’artiste s’allie à des personnages 3D modélisés à partir de statues de glaise. Le processus donne lieu à certaines séquences particulièrement impressionnantes, incluant un plan séquence liminaire de cinq minutes inspiré par le Breaking News (2004) de Johnnie To, de même qu’un climax d’action hyper excitant, rondement monté, correspondant au déroulement de l’action de piratage. Ces séquences constituent d’ailleurs l’âme du film, transcendant de manière flamboyante le caractère banal des entrevues tout en concrétisant le foisonnant discours sous-jacent à propos du pouvoir incantatoire de la bande dessinée. Malheureusement, même s’il s’attaque à une cible pertinente, soit la répression systématique subie par les membres du Falun Gong aux mains du gouvernement chinois, le film effectue sa critique d’une façon manichéenne assez problématique, qui dissimule complètement les politiques arriérées de cette secte, ouvertement raciste et homophobe…

Notre parcours de la première journée se termine avec le sympathique Relax, I’m From the Future (2022) de Luke Higginson, que j’avais manqué à la dernière édition de Fantasia. Il s’agit d’une comédie de science-fiction sans prétention dotée d’une vedette improbable en la personne de l’acteur néo-zélandais Rhys Darby, qui reprend presque intégralement les idiosyncrasies de son personnage de Murray de Flight of the Conchords, assumant timidement le rôle central avec l’aide inestimable de la charismatique Gabrielle Graham dans le second rôle. Darby interprète ici un homme du futur, dont le parcours pour « sauver le monde » se dirige finalement vers une sorte d’impasse narrative, au gré d’un scénario qui déborde néanmoins de touches savoureuses, et qui s’avère surtout très au fait des problèmes philosophiques et logistiques inhérents au récit de voyage temporel. Celui-ci propose même quelques trouvailles réjouissantes relatives à ce thème suranné, notamment en ce qui a trait à la « sémiotique nucléaire »…

 

Jour 3

Ça commence bien samedi matin, avec la présentation du Brother (2022) de Clement Virgo, réalisateur canadien d’origine jamaïcaine dont le Rude avait été présenté à Un certain regard en 1995, et dont la mise en scène parfaitement maîtrisée se met ici au service d’une adaptation à la fois touchante et personnelle du roman éponyme de David Chariandy. Drame familial très prenant doublé d’une étude de milieu perspicace des ghettos ethniques de Scarborough, le film mise en outre sur des performances de premier plans livrées par une distribution extraordinaire que domine le charismatique Aaron Pierre dans le rôle de Francis, le grand frère titulaire. Il ne suffit d’ailleurs que d’une scène pour asseoir sa présence, une scène mémorable tournée sous un pylône électrique dans une sorte de no man’s land suburbain, monolithe que son personnage intime à son frère Michael de grimper à sa suite. Malgré le danger, malgré le crépitement lancinant des isolateurs gorgés de courant, on l’aurait suivi nous aussi.

Construit d’une façon particulièrement astucieuse, le récit du film est tissé de temporalités tressées, incluant plusieurs ellipses subreptices, qui contribuent à la fois à une sorte de concrétisation des processus mémoriels de Michael, mais aussi à un déploiement romanesque du mystère entourant la disparition de Francis, dont on comprend tranquillement le mal-être, au gré de ses heurts avec l’institution policière, l’institution scolaire, les gangs de truands qui patrouillent les rues et les représentants des compagnies de disques, responsables d’avoir brisé ses rêves musicaux. Il s’agit aussi d’une façon de démontrer que, dans le ghetto, plus ça change, plus c’est pareil… Brother prendra l’affiche le 17 mars au Québec, pour le bonheur de tous les amateurs de bons drames sociaux.


:: Lamar Johnson et Aaron Pierre dans Brother [Hawkeye Pictures]


:: Isaiah Lehtinen dans
 I Like Movies [VHS Forever]

Nous avons aussi eu la chance de voir I Like Movies de Chandler Levack, un autre chouchou du TIFF, intronisé dans le Canada’s Top Ten de 2022, et une sensation festivalière inattendue, sans doute pour sa capacité à puiser si perspicacement dans l’imaginaire nostalgique des cinéphiles de la fin de l’époque VHS. On nous plonge d’ailleurs d’emblée dans cette période douce-amère d’insouciance juvénile grâce à un délicieux film dans un film intitulé Rejects’ Night, où se déploient ludiquement les idiosyncrasies et la passion cinéphile du héros, l’excentrique et verbomoteur Lawrence, dont le meilleur ami Matt apparaît alors comme un languissant sous-fifre. Dédiée à l’exploration de l’ennui et du désir d’évasion qui caractérise la vie à Burlington au tournant du siècle, Levack suit le parcours de Lawrence durant son emploi au service de Sequels Video, où il souffre les inventaires nocturnes, le stockage contre-instinctif des boissons et le port d’écharpes promotionnelles pour accumuler les 90,000 $ nécessaires pour les frais de scolarité au fameux NYU, qu’il souhaite désespérément rejoindre.

Misant sur un scénario légèrement schizoïde, alternativement hilarant et déchirant, le film profite de performances ad hoc de la part de ses deux vedettes. D’un côté, nous avons Isaiah Lehtinen, qui excelle organiquement dans le registre comique de l’adolescent décomplexé et imbu de lui-même, un peu à la façon Jonah Hill — les échos de Superbad (2007) se ressentent particulièrement dans sa relation asymétrique avec Matt. De l’autre, il y a Romina D’Ugo, qui se transforme tranquillement de patronne cocasse à figure tragique, contrepoids nécessaire au narcissisme nonchalant de sa contrepartie adolescente. Et bien que le film constitue une façon brillante de confronter les « toxic film bros » que représente Lawrence à la perspective féminine essentielle à leur évolution, force est de déplorer la personnalité excessivement abrasive de Lawrence, dont le parcours initiatique se résout malheureusement de manière précipitée en route vers un happy end improbable. I Like Movies ne manquera pourtant pas de délecter les cinéphiles montréalais·e·s lors de sa sortie du 10 mars.   

Notons finalement le visionnage du chaleureux Shelter (2022) de Tess Girard, ersatz de Geographies of Solitude qui s’attache à la géographie d’un lieu dans une perspective à la fois intime, ethnographique et archivistique. C’est un film éclectique en somme, où les errances poétiques de la réalisatrice en voix off viennent injecter du sens à des images superbes, mais anecdotiques, glanées dans sa région natale de Horning's Mills à l’occasion d’une visite de ressourcement artistique. Les métaphores abondent dans sa narration liquoreuse, de même que les raccords allégoriques, question de développer une trame semi-consistante sur le thème de la mémoire qui pourrait permettre de lier les images de grain moulu, de flot aqueux, de maisons ruinées et de surfaces vermoulues. Ça marche assez bien, pour peu qu’on s’abandonne à la simplicité et à l’humilité de la démarche, même si l’éclectisme constitutif de l’œuvre nous convie lui-même à l’errance… Le titre est par ailleurs excellement choisi, référant simultanément à la chaleur que Girard ressent pour ce lieu, qui sert de sanctuaire à la fois à sa propre famille et à celle de son amie Jocelyn, mais aussi au sentiment de menace omniprésent que représente le ciel tempétueux, dont elle garde des souvenirs traumatiques de tornades dévastatrices. L’abri (« shelter ») titulaire réfère donc simultanément à l’espace domiciliaire où son couple d’ami·e·s est en train de faire son nid (dans un magasin général reconverti) et au célèbre abri nucléaire Ark Two Shelter bâti par un excentrique homme local nommé Bruce Beach. Or, malgré mon appréciation pour les raccords entre le grain et les gouttelettes de pluie, c’est sans doute la visite guidée de celui-ci (par son créateur paranoïaque) qui constitue le point fort de l’œuvre, constituant peut-être le plus vibrant témoignage du désir individuel de préservation dans un film qui en déborde…  

 

Jour 4

Un autre programme de courts métrages nous attend dimanche matin, après un déjeuner chez Tommy’s, un diner où l’on sert des biscuits chinois avec notre deux œufs-bacon-saucisse. Intitulé Northern Exposure, cette sélection démontre un penchant distinct pour le cinéma de genre, évident dans le Rebecca’s Room (2022) de Gillian Mckercher, un récit de fantôme sobre et dépouillé, misant sur un air jazz mystérieux, des clairs-obscurs verdâtres et autres plans vaguement poétiques pour asseoir son récit cathartique de suicide adolescent. On pense aussi au Diaspora (2022) de Tyler Mckenzie Evans, qui use des codes classiques du genre, à commencer par l’image du double, pour créer un objet rare et pertinent, soit un film sur l’horreur de l’embourgeoisement.

Ce fut aussi l’occasion de voir deux autres titres sur la liste du Canada’s Top Ten que j’avais manqué plus tôt en festival: le Nanitic (2022) de Carol Nguyen, un conte initiatique funeste à hauteur d’enfants d’une douce amertume qui frise presque la fadeur, mais surtout le Municipal Relaxation Module (2022) de Matthew Rankin, certainement le faîte du programme, dont la désarmante simplicité — on recouvre une poignée d’images argentiques de deux voix off — cache un récit antibureaucratique hilarant à propos des bancs de parcs… et des brillantes idées stupides d’un fonctionnaire névrotique.


:: To Kill a Tiger [AC Films/ONF/Notice Pictures]

To Kill a Tiger (2022) de Nisha Pahuja, qui suit en début d’après-midi est un autre de ces films au « sujet d’importance » qui se décline dans un format documentaire assez standard, où c’est surtout le caractère anodin des aberrations sociales débitées par les sujets qui vient nous marquer. Axé sur le récit d’un fermier du Jharkand, dans l’est de l’Inde, qui décide, contre vents et marées, d’intenter une poursuite criminelle contre les trois jeunes hommes responsables du viol de sa fille de 13 ans, le film se déploie simultanément comme un thriller judiciaire et un document ethnographique. On note à ce titre l’accès privilégié de la réalisatrice à la populace et aux autorités villageoises, cadrées avec une candeur désarmante qui permet l’épanchement tranquille de leur philosophie arriérée entourant le viol. Pour ces gens, il importe en effet principalement de « ramener la paix au village », et cela passe par le mariage de la jeune victime, souillée de façon indélébile, à son agresseur. C’est le dogme impensable d’une société pour qui les femmes perdent leur valeur d’échange en même temps que leur virginité, et pour qui les agressions sexuelles sont toujours partiellement méritées — c’est d’ailleurs le point de vue que partage l’avocate de la défense…

Le film se révèle simultanément didactique et interventionniste, notamment grâce à la participation de la fondation Srijan, dont on voit les membres organiser des rencontres avec des groupes d’hommes et de femmes du village, auxquels on tente de faire adopter la perspective de la victime dans ces circonstances atroces. L’entreprise tout entière constitue en fait un effort de visibilisation de ce fléau typiquement indien que sont les viols collectifs, de même qu’une exaltation héroïque de l’acte de dénonciation, qu’on suit de ses balbutiements, du témoignage déchirant d’un père meurtri et d’une jeune femme qui tente de continuer à vivre malgré le trauma, jusqu’à la condamnation exemplaire des trois bourreaux. C’est un parcours courageux qu’effectuent d’ailleurs l’ensemble des personnes impliquées, confrontées aux menaces parfois funestes d’une gens locale pour qui le crime ne justifie pas de condamnation au vu de la « repentance » des garçons. « Have you been threatened? », demande l’une des spectatrice lors du Q&A; « Yes », répond sans détour Pahuja, comme le démontre l’une des scènes du film où un homme contrarié entre dans la maison familiale, lieu de tournage privilégié par l’équipe, pour mettre en garde cette dernière…


:: Braeden Clarke et Elle-Máijá Tailfeathers dans Stellar [Baswewe Films/Nice Picture/Devonshire Productions]

Le dernier film au programme sera pour moi le surprenant et magnifique Stellar (2022) de la réalisatrice anichinabée Darlene Naponse. Doté d’une narration diffuse, typiquement anticolonialiste, où l’abstraction expérimentale contribue à une incursion précieuse de la subjectivité autochtone dans un univers de science-fiction dystopique aux allures de noir contemporain, Stellar est une virée sensuelle envoutante dans un monde déchéant à l’aube d’un grand changement que ses deux protagonistes autochtones (les sulfureux Elle-Máijá Tailfeathers et Braeden Clarke) voient pourtant d’un œil serein.

À l’instar de sa protagoniste sans nom, que la caméra accompagne dans ses errances urbaines sous la chanson Bush Woman, écrite et interprétée par Alanis Obomsawin, l’iconographie du film est écartelée entre la nature sauvage (représentée dans des plans immersifs, hypnotiques, abstraits avec flair où s’immiscent de façon dantesque les monolithes de l’industrie pétrolière) et des paysages citadins intemporels. Se déroulant physiquement dans une sorte de « bar de la fin du monde », dont les intérieurs feutrés sont cadrés avec la même sensualité à fleur de peau que la personne statuesque de Tailfeathers, le film s’épanche ainsi constamment dans les images naturelles correspondant à l’intériorité des personnages. Cloîtrés dans cet espace, ces derniers devront alors questionner leur place au sein d’un monde déliquescent dont divers représentants symboliques viennent les visiter sporadiquement, au sein d’un petit théâtre où le mysticisme autochtone semble toujours en voie de transcender la culture anthropophage des Blancs…  

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Article publié le 11 mars 2023.
 

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