WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Cinemania 2012 : Le blogue du festival

Par Panorama - cinéma
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Berlin Telegram  //  Leila Albayaty (2012)
Dead Man Talking  //  Patrick Ridremont (2012)
Dernière Séance  //  Laurent Achard (2011)
Louise Wimmer  //  Cyril Mennegun (2011)
Madame Solario
 //  René Féret (2012)


>> Cinemania 2012



2012.11.11
LOUISE WIMMER (2011)
Cyril Mennegun  |  France  |  80 minutes
 
Une vieille voiture. Une nomade y vit. Nina Simone résonne. Une énergie contagieuse habite Louise (Corinne Masiero) et ce premier long-métrage de fiction de Cyril Mennegun. Ensemble, ils s’apprêtent à nous noyer dans les difficultés quotidiennes d’une femme qui a eu le malheur de quitter son salaud de mari. Sans le sou, elle fait le ménage de chambres d’hôtel, elle emprunte à droite et à gauche, se cherche du crédit, vend ses effets personnels pour quelques euros et se sert deux fois plutôt qu’une à la cantine du coin. Prise dans cette situation, Louise fait du mieux qu’elle peut pour conserver ce qui lui reste de dignité et d’autonomie.
 
Louise Wimmer base l’essentiel de son intensité dramatique sur le camouflage d’une situation précaire, sur la manière dont une femme tente de demeurer droite (physiquement comme mentalement) en dépit des drames qui l’accablent. La mise en scène soignée, ainsi que la performance digne de mention de Masiero commandent le respect et la vraisemblance. Ici, rien n’est plus tragique qu’une femme devant piger dans l’allocation de sa fille unique, rien ne trouble plus que Louise, le corps meurtri par la tristesse, faisant l’amour pour passer le temps plutôt que par passion. Sans jamais l’expliciter, Mennegun avance que le problème de Wimmer, en plus d’être d’ordre financier, est psychologique. Il y a là un cercle vicieux qui se met lentement en marche et qui, à force d’humiliations et de déceptions, s’accélère en nivelant constamment vers le bas une situation qui ne semble pas pouvoir se redresser.
 
Documentariste avant tout, Mennegun trouve une solution aussi simple que réaliste aux tourments de Louise : la rencontre d’un homme qui la tirera de sa condition, qui la sauvera de ses propres angoisses. Ce nouveau flirt s’ajoute à une odyssée intime culminant dans une danse en solo, seule devant un panorama – celui de la France ouvrière – qui encadre le corps convulsé de Masiero. Le boléro des malheurs se module progressivement vers un bonheur d’occasion. Bientôt, nous dit le dernier plan, Wimmer sera heureuse. Nous aussi. (Mathieu Li-Goyette)  
 
Diffusion : Samedi 3 novembre à 21h15 (Impérial) et jeudi 8 novembre à 9h00 (Impérial)
 
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2012.11.10
MADAME SOLARIO (2012)
René Féret  |  France  |  93 minutes
 
Bien que René Féret peine encore à s'établir à sa juste valeur d'auteur, le vétéran du cinéma français poursuit toujours son travail dans le nord de la France, entouré, comme lors de ses derniers films, par une famille qui le soutient dans ses ambitions de metteur en scène. Son 16e long-métrage est néanmoins oubliable, rempli de gouffres ennuyants où l'on aura tôt fait de se perdre. Il faut savoir que Féret adapte le célèbre roman éponyme de Gladys Huntington et que cette histoire, voguant dans un monde littéraire français où furent célébrés André Gide et François Mauriac avait probablement trop de classe pour la vision minimaliste de Féret. Le fil conducteur de Madame Solario (ici incarnée par Marie Féret, fille du réalisateur) est une critique sans pitié de la bourgeoisie, de ses manières, de son hypocrisie sans limites et si le synopsis nous fait rêver d'une adaptation flamboyante, décadente, le film n'a finalement que peu de qualités, à commencer par la vraisemblances des corps et des objets qu'on croirait sortis d'une photographie d'époque.
 
Malheureusement, Féret semble plutôt s'intéresser au charme des personnages, au labyrinthe amoureux s'érigeant tout autour de Solario qui, si elle alterne d'amant en amant pour subsister, retourne toujours dans les bras de son frère. Entre l'inceste et la manipulation, cette femme fatale avant la lettre ne recule devant rien pour se donner la belle vie; le cinéaste se concentrant un peu trop sur cet aspect en oublie le monde autour du lac de Côme et de son hôtel prestigieux. Si le film échoue à revêtir ses origines critiques, c'est qu'il n'est pas assez excessif, dans ses amours comme dans son opulence. La mise en scène met de l'avant ses costumes et ses décors avant l'émotion qui bouillonne sous les corsets. Madame Solario est un film froid, coupable d'une retenue empruntée à l'adaptation de l'Histoire d'O de Rohmer, mais avec la maîtrise du dialogue et la ferveur des comédiens en moins. Tous cabotinent, se laissent emporter dans un décor enchanteur comme s'il n'y avait là qu'une grossière reconstitution d'époque et non pas toute la pensée esthétique qui l'accompagne. 
 
C'est-à-dire qu'à représenter une période aussi faste des arts littéraires et picturaux, qu'à inscrire son récit de chassés-croisés dans un monde si huppé et sophistiqué, l'on s'attendrait à un peu plus qu'une succession de plans de caméras à épaule et de violons classiques badigeonnés sur les ellipses du montage dans l'espoir d'en faire un style. Ces facilités ne s'effacent pas, ces décisions ne se dressent pas comme des éléments du discours de Féret qui se contente de trop peu. Ni naturaliste, ni élégant, Madame Solario est encore pire que raté – quand on rate, c'est qu'on essaie –, il est insipide. (Mathieu Li-Goyette)
 
Diffusion : Dimanche 4 novembre à 21h30 (Impérial) et vendredi 9 novembre à 8h45 (Impérial)
 



2012.11.07
DERNIÈRE SÉANCE (2011)
Laurent Achard  |  France  |  81 minutes
 
Mort et cinéma font bon ménage. Mort au cinéma, davantage. Présentant la cinéphilie comme exercice de vénération des morts – acteurs et actrices n’existant plus que sur la pellicule, on les garde vivant par le biais du rituel cinéphilique, celui du cinéma répertoire et de la beauté de ses petites salles – Achard présente avec Dernière Séance une vibrante et tragique lettre d’amour destinée au grand cinéma d’horreur (le giallo, l’euro-trash, mais aussi celui d’Hitchcock et De Palma), dans laquelle il allégorise le phénomène déplorable d’un certain déclin de la cinéphilie, un déclin accumulant dans son sillage d’innombrables petites salles obligées de fermer leurs portes pour faire place à des clubs, des bars, ou autres substituts sociaux plus « convenus », plus acceptables. Achard lamente la fin du cinéma de répertoire, de la pellicule, qu’il juxtapose avec la névrose d’un tueur assassin. Car un amour si intense qu’il le pousse à revoir le même film à plusieurs reprises, jusqu’à en connaître les lignes par cœur, ne serait-il pas, si l'on creuse suffisamment l’âme humaine, un peu le même que celui qui pousse un homme à tuer?
 
Intéressante et inquiétante réflexion, dans la mesure où le cinéma, lorsque poussé à l'extrême, c’est d’abord l’exercice d’une expérience profondément solitaire, voire vulnérable. À l’image de celle-ci, Achard nous présente un récit stylisé autour de Sylvain (Pascal Cervo), seul gérant, caissier, concierge, programmateur et projectionniste d’une petite salle en province. Version proprette du protagoniste misogyne du Maniac (1980) de Lustig, Cervo calque sa performance sur le Norman Bates d’Anthony Perkins de Psycho (1960) – sur lequel Achard calque plus que des éléments clés de sa trame narrative, empruntant à Hitchcock quelques plans et fondus fondamentaux.  Projetant French Cancan de Jean Renoir plusieurs fois par semaine, Sylvain sert semaine après semaine, fidèles au poste, les mêmes adeptes du 7e art, les rassurant que les rumeurs de fermeture imminente du cinéma sont fausses. Le soir, il sort dans les rues pour tuer arbitrairement des femmes et ainsi enrichir sa collection de trophées humains, une collection trouvant racine dans une névrose d’enfance gravitant autour de sa mère. Encore une fois, Achard semble fidèle au maître du suspense (et à la panoplie de slashers et gialli lui faisant suite).
 
Telle l’affiche du Playtime de Jacques Tati garnissant la porte de l’antre dans laquelle il garde ses trophées (une autre référence mineure : Blue Velvet de Lynch), Dernière Séance est, vous l’aurez déjà deviné, rempli d’allusions. Enfilant les souliers « post » de De Palma, le film d’Achard est un amalgame d’inspirations référentielles ne faisant pas nécessairement dans la réflexion, mais ne tombant cependant jamais dans  la facilité du collage. Sans révolutionner ses codes, Achard transforme un exercice d’emprunt, d’hommage, en exercice stylistique sympathique, réussi et capable d'évoluer au fil de ses propres images. À travers des jeux de miroirs et des raccords visuels abondant dans une mise en scène réfléchie, portée par un cadrage obsessif aux oppositions de couleurs ravissantes de rouges et de bleu,  le cinéaste tisse un hommage soigné, rappelant Bava, Argento et Powell aux plus attentifs, mais présentant assez de qualités visuelles (plus que narratives, tenez-vous le pour dit) pour en valoir le détour. (Ariel Esteban Cayer)
 
Diffusion : Mercredi 7 novembre à 21h45 (Impérial) et vendredi 9 novembre à 22h10 (Impérial)

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2012.11.06
DEAD MAN TALKING (2012)
Patrick Ridremont  |  Belgique  |  101 minutes

Plaidoyer aux accents ésotériques sur la peine de mort, le sens de la vie, du jugement et des lois de l'Homme jouant les Créateurs, Dead Man Talking jouit d'un dispositif qui n'est pas sans rappeler celui de La pendaison de Nagisa Oshima : un homme est condamné, mais sans trop le vouloir, il tombera dans un flou juridique chanceux, une situation étonnante qui lui laissera la vie sauve au moins jusqu'au lendemain. Ce qu'il faut savoir, c'est que ce condamné, violent depuis l'enfance (on le dit battu par sa mère), a du remord sur le cœur et se met à raconter sa vie de dépossédé. Sa psychanalyse personnelle étalée ainsi au grand jour, le gardien de la prison, l'aumônier (Christian Marin, camarade de Louis de Funès, ici dans son dernier rôle) et le directeur de l'établissement (l'excellent François Berléand) ne savent pas quoi en faire, mais plus encore, ils ne savent pas comment le faire taire...
 
En effet, la survie du prisonnier (incarné par Ridremont lui-même) passe par ce droit farfelu qu'il a de pouvoir parler autant de temps qu'il le souhaite avant de mourir. Si jamais il s'arrête, un technicien lui injectera sa dose mortelle de poison. Ne sachant que faire de ce cas exceptionnel, le directeur en appelle au gouverneur qui lui, attend sagement d'être réélu. Sur fond de campagne électorale, la farce macabre de Ridremont perd ses allures de discours cynique à l'encontre de la peine de mort pour ne devenir qu'une bizarre extrapolation de la télé-réalité; persuadé qu'il en tirera quelques précieux votes, le gouverneur promet finalement de laisser la vie sauve au condamné qui raconte sa vie, 30 jours durant. Caméras, journalistes et photographes s'affairent alors autour de la salle aux rideaux noirs, mais rien n'y fait, l'accusé reste de glace, s'enterre dans ses souvenirs et décidera enfin de lâcher prise en sabotant les plans de l'homme politique qui souhaitait tirer profit de la situation. Dead Man Talking, en mélangeant autant de thématiques fortes de l'ère du temps, en souhaitant réunir autant de problèmes sous le même toit, s'ébruite de toutes parts et laisse s'échapper le potentiel dramatique dont il pouvait s'enorgueillir au départ.
 
Mais les problèmes de Dead Man Talking ne s'arrêtent malheureusement pas a son discours disparate, mal équilibré et, finalement, un peu vain, car si ce n'était qu'une question d'idée, Ridremont s'en tirerait facilement avec les honneurs de la bonne volonté, mais sa manière de forcer le pathos, de transformer le protagoniste en victime au fil d'une série de réminiscence est non seulement racoleuse, mais infiniment maladroite. La direction photo jaunâtre, les flashbacks filmés comme du Malick des pauvres, les dialogues prenant des tournures beaucoup trop écrites et le dernier plan, clou final de la bouillie métaphysique de Ridremont, transforment rapidement cette première œuvre en mauvaise expérience auteuriste, curieusement couillue, mais dénuée de tout autre intérêt. (Mathieu Li-Goyette)

Diffusion: Lundi 5 novembre à 17h00 (Impérial)

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2012.11.03
BERLIN TELEGRAM (2012)
Leila Albayaty | Belgique | 76 minutes

Leila vit sa rupture avec Antoine dans un exil allemand. Là-bas, elle écrira l'album Berlin Telegram et réalisera le film Berlin Telegram, film dans lequel elle joue son propre rôle et qui, hors de tous doutes, pige allègrement dans une expérience aussi intime que laborieuse. Énième récit de séparation et d'errance à travers l'Europe, ses routes et ses rails, Berlin Telegram nous parvient par morceaux fragmentés, par une succession d'impressions de langueur et de moments de frénésie où la vie de la chanteuse qui pleure reprend de sa vigueur d'autrefois. Comme son titre l'indique, Berlin Telegram communique par code une détresse, un S.O.S de l'Allemagne à la Belgique, point de départ de l'aller-retour. Entourée de son groupe en plus d'autres satellites en déroute, Leila compose une oeuvre sentie, tombant parfois dans les clichés d'usage (plans de nuque, musique underground remplaçant le son synchrone d'une danse où l'on suinte autant que l'on pleure - c'est l'expiation de la nouvelle génération d'artistes qui se déchaînent pour créer) qui ne sont pas sans rappeler les frasques adolescentes de Xavier Dolan ici ou le très beau premier film de l'Irlandaise Kirsten Sheridan, Disco Pigs, l'aspect new age en moins.

Albayaty est néanmoins aussi bonne cinéaste que compositrice, voire interprète, car son film ne manque pas de courage, ni de sincérité. Elle qui s'y met à nue émotionnellement, seules quelques séquences lui permettent de retrouver ses repères. Entourée de voyageurs, d'Européens dont le sujet de conversation principal se révèle être des anecdotes douanières et d'autres histoires qu'ils emballent dans leur baluchon, le calme qu'elle parvient à trouver, elle le déniche sur la route, lors de magnifiques plans où le temps semble se dilater, où la stabilité du cadre et le glissement des paysages les uns sur les autres s'apparentent à une certaine bouffée d'air frais que l'on attendait depuis la première scène, touchante, où nous avions découvert une chanteuse avalant ses larmes en murmurant dans le micro.

Pendant que d'autres filment leurs tournées, Albayaty poétise ses chansons en films. Belle manière de faire se rejoindre ses admirateurs entre deux médiums, deux formes d'expression qui travaillent rarement d'égal à égal, cette ambidextrie révèle surtout le potentiel d'une artiste des plus prometteuse. (Mathieu Li-Goyette)

Diffusion : Lundi 5 novembre à 21h05 (Impérial)

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Article publié le 4 novembre 2012.
 

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