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Le meilleur du Thessaloniki Documentary Film Festival (3/3)

Par Guilhem Caillard
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KATINOULA de Myrna Tsapa

DE KATINOULA À SAYOME

Myrna Tsapa a fait une rencontre exceptionnelle, inattendue. Elle la raconte dans un film court. Katinoula nous fait toucher du doigt le plus grand bonheur du documentariste qui, cherchant une direction, tombe par hasard - ou après bien des efforts - sur le sujet en or. Ici, la réalisatrice grecque a croisé son personnage dans les rues du Caire. Et quel personnage! Katinoula incarne à elle seule un heureux mélange de malice, d'affectivité, de bravoure et d'humanité. Le film lui est pleinement consacré.

Tout commence par sa démarche, trahissant un terrible inconfort physique - peut-être plus pour nous que pour elle en définitive. Car le spectateur est déconcerté à la vue de cette femme cambrée, cabossée par les efforts du temps et le passage des années. Lorsqu'elle la suit dans les rues foisonnantes, Myrna Tsapa place révérencieusement sa caméra juste derrière Katinoula, à hauteur d'épaules, suivant le rythme des gestes malhabiles, mais serreins, effectués par la vieille femme. Car Katinoula est reine en son royaume et tout le monde dans son quartier est habitué à ses allers-retours entre sa demeure et le marché. Entre les passants agités et les véhicules, elle occupe sa place, balise son chemin. Le film nous invite au bal atypique de ses sorties. Cependant, jamais la vieille dame, a priori gâteuse, n'est présentée autrement que sous un angle admiratif,  nous faisant comprendre qu'il en a toujours été ainsi dans la vie de Katinoula : une femme lucide à sa manière, mais surtout déterminée à poursuivre son bout de chemin dans un univers qui, bien qu'imposé, est et demeurera sien. Voilà qui est déjà beaucoup à raconter en si peu d'images.

Depuis des années, Katinoula est au service d'une égyptienne d'origine grecque. Mais c'est une boniche pour le moins têtue : elle seule détient les clefs de cet art consistant à dicter à sa patronne ce qui doit être fait ou ce qui peut attendre. Evidement moins efficace qu'autrefois, elle est encore en service parce qu'elle n'a jamais su ou pu rien faire d'autre, faisant partie des meubles. Or, le film va plus loin que la peinture admirative de ce qui fait la force de ce personnage singulier : après avoir suivi les gestes de la vieille femme pendant des jours, Myrna Tsapa est aussi parvenue à gagner sa confiance. Peut-être comme elle ne l'avait jamais fait auparavant, Katinoula finit par nous parler d'elle, nous permettant de comprendre pourquoi elle en est toujours restée là dans sa vie. Ce que le spectateur perçevait d'abord comme les symptomes d'un Alzheimer déjà bien avancé sont en fait des doutes et des hésitations tels que Katinoula en a souvent connus. La cinéaste, manifestement abasourdie, est témoin de ce qui, plus que de la nostalgie, s'apparente à de la mélancolie, voire même à des regrets à peine voilés. Or, tout cela se fait dans une grande discrétion, sans avoir à formuler exactement les faits. Inutile de chercher à creuser davantage, à en savoir plus sur ce que fut la vie de Katinoula, les opportunités et rêves qu'elle a laissés passer. Car tout est déjà là. Peut-on espérer meilleur enseignement?

SAYOME de Nikos Dayandas

Si le film de Myrna Tsapa ne fait qu'effleurer timidement la question, nous savons que Katinoula est d'origine grecque. Se devine sur son visage l'expression d'un éloignement pas toujours heureux vis-à-vis de ses premières racines. Certains y trouveront aussi le constat amer de la crise, ce sentiment de non-retour partagé par des milliers de Grecs. Réalisé par Nikos Dayandas, Sayome ne passe pas par quatre chemins et aborde la question de l'identité culturelle à travers l'un des sous-thèmes majeurs de la crise grecque : l'immigration.

Comme Katinoula, Sayome est une immigrante. La soixantaine passée, d'origine japonaise, elle a quitté son pays très jeune pour ne jamais y retourner. Jusqu'à aujourd'hui. C'est le sujet du film : le repositionnement d'une Grecque d'adoption vis-à-vis sa terre natale. Depuis peu, Sayome s'y est rendue deux fois. Enfant, elle avait été traumatisée par la séparation de ses parents. Comme nouveau foyer, Sayome a choisi une région du monde et une culture se situant à des années lumières du Japon : la Crète, où elle a épousé un marin. Une partie du film revient sur les difficultées autrefois rencontrées par la jeune femme pour s'intégrer aux habitants de l'île. Mais pour raconter le passé éloigné de Sayome, Nikos Dayandas développe une idée originale qui réhausse son discours : des scènes d'animation reprenant tous les clichés que peut se faire un étranger de la culture nippone. C'est comme si le spectateur se trouvait à la place des Crétois qui ont vu débarquer quarante ans plus tôt cette drôle de jeune fille intimidée par les coutumes locales. Les scènes d'animation rejoignent en partie l'esthétique manga et la tradition des ombres japonaises et ont le mérite de servir comme autant de vecteurs pour passer d'une culture à l'autre.

Or, pour Nikos Dayandas, il n'a jamais été question de tomber dans une accumulation comparative de symboles culturels : Sayome se dit avant tout Grecque, et le réalisateur illustre l'entrée dans une nouvelle ère pour elle et les siens alors qu'elle renoue avec ses racines. C'est en majeure partie ce sens du discernement qui a valu au film le Prix Fipresci du Meilleur film grec présenté à Thessalonique. Mais il y a plus encore. Le fils de Sayome, âgé de vingt ans, l'accompagne lors d'un voyage au Japon. C'est une première, et le jeune métisse n'a jamais appris la langue. Penaud, il s'interroge. Sayome a cette finesse de ne lui accorder que quelques minutes à l'écran, et déjà bien des promesses.
 
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Article publié le 10 avril 2012.
 

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