ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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RVQC 2022 : Liste d'épicerie (1)

Par Mathieu Li-Goyette, Olivier Thibodeau et Maude Trottier


La 40e édition des Rendez-vous Québec Cinéma se déroulera du 20 au 30 avril 2022. Outre le traditionnel survol de la production québécoise de l'année, on y présentera quelques premières dont le Noémie dit oui de Geneviève Albert (où Kelly Depeault tient un autre rôle casse-gueule après le décevant La déesse des mouches à feu, 2020). Très belle journée de Patrice Laliberté, Les tricheurs de Louis Godbout, mais surtout Inès de Renée Beaulieu, réalisatrice du controversé Les salopes ou le sucre naturel de la peau (2018), qui a profondément divisé notre équipe, seront également présentés en primeur. Dans le camp du documentaire, ce sont les Humus de Carole Poliquin, Fuir de Carole Laganière, Boisbouscache de Jean-Claude Coulbois, Je pleure dans ma tête de Hélène Magny, Greyland de Alexandra Sicotte-Lévesque, Le monde après nous de Nicolas Lachapelle et Hommage au sénateur Murray Sinclair, le tout dernier Alanis Obomsawin dont le festival accueillera les premières.

Pour ce qui est des hommages, notons la présence au programme du classique de Pierre Perrault, La bête lumineuse (1982), mais aussi de projections spéciales dédiées aux regrettés Danic Champoux (Conte du Centre-Sud, 2016), Rock Demers (La grenouille et la baleine, 1988) et Jean-Claude Lauzon, qui fera l'objet d'une rétrospective de quatre films : Super maire : l'homme de $3 milliards (1979), Piwi (1981), Un zoo la nuit (1987) et Léolo (1992), présentés en parallèle du documentaire Lauzon Lauzone (2000) de Louis Bélanger. Le réalisateur Denis Côté fera également l'objet d'une rétrospective organisée par Panorama-cinéma, qui présentera une sélection de courts métrages restaurés; les longs métrages Hygiène sociale (2021) et Renegade Breakdown (2021) seront également projetés.

Pour vous aider à naviguer parmi le reste de la programmation, voici un court guide, une liste d'épicerie pour ainsi dire, qui contient l'ensemble des critiques publiées par la revue sur les différents films qui prennent l'affiche durant le festival. Rendez-vous en salle pour les voir, et retrouver le plaisir perdu du recueillement cinéphile, ou visionnez-les sur la plateforme numérique.

Pour consultez nos critiques longues, cliquez sur les images :





Vous pouvez également consulter notre dossier sur Ève Lamont, dont le film La coop de ma mère (2021) sera présenté :


Pour quelques suggestions inédites, on vous conseille de jeter un coup d'oeil à la super-production documentaire Comme une vague de même qu'au pertinent récit d'anticipation ethnographique Le meilleur pays du monde. Côté court, on aimerait souligner le travail de Loïc Darses et de sa distribution cinq étoiles dans Cercueil, tabarnak!, qui propose d'exhumer le cadavre dans le placard du premier échec référendaire. On vous propose de rire du Dracula Sex Tape de l'ami Olivier Godin, d'apprécier les magnifiques Lolos et les Mauvaises herbes animées de Marie Valade et de Claude Cloutier, de savourer la justesse de ton de Love-moi, le jusqu'au-boutisme de Mimine, l'imaginaire débridé de Pickel, la touchante quétainerie de La soeur de Margot, le féminisme feutré de Tout roule et la bonne humeur du Vendeur de Broadway, qui nous ramène dans la plus pure tradition du cinéma direct.

Voici maintenant l'ensemble des courtes critiques publiées lors de notre tournée festivalière de l'an passé :


prod. Wapikoni Mobile

L’INNU DU FUTUR
Stéphane Nepton  |  Canada (Territoires non cédés)  |  2021  |  5 minutes  |  Programme : Nos trajectoires

Attirant notre attention sur une autre facette de la mémoire entravée des descendants autochtones, Stéphane Nepton met en scène « une santé culturelle absente » et le fait de porter en soi un « maillon brisé » dans la chaîne de l’héritage personnel et communautaire. Comment agir et vivre dedans et dehors des racines qui n’ont pas pu tout à fait arriver jusqu’à soi, à cause de mesures coercitives d’effacement identitaire ? Que faire de ce trou mémoriel alors que l’on vit en ville, loin d’une nature qui encercle et forme le sens spirituel de là d’où l’on vient ? Le cinéaste situe sa propre figure postée dans différents coins de Montréal avec en guise de visage une percée paysagère qui tout à la fois indique l’effacement et l’enfouissement d’une mémoire à retrouver. Le mouvement des choses qui défilent dans la rue est également pris à rebours, extériorisant la posture de la personne en quête de « cette rivière sous la rivière » tel que Nepton le formule bellement. Avec l’apparition de mots innu qui ponctuent les images, la voix off explique humblement le sens de la quête, la façon dont cela procède, voire la potentielle impossibilité de satisfaire une réappropriation entière. Lorsque les traits du visage du cinéaste se révèlent, on saisit que le sens s’est toutefois trouvé à travers l’épreuve féconde, à même d’envisager un passé devenant de plus en plus un présent simplement parce que l’on tend vers une plus grande écoute de la rivière. Chapeauté par le studio d’apprentissage du Wakiponi, L’Innu du futur offre un témoignage sensible qui taille sa place à l’aide d’idées et de paroles dont l’efficacité repose sur la franchise, la douceur et l’ingéniosité. (Maude Trottier)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du festival Regard 2022

 


prod. Miryam Charles, Coop vidéo - Karine Bélanger

CHANSON POUR LE NOUVEAU MONDE
Miryam Charles  |  Québec  |  2021  |  9 minutes  |  Programme : Nos trajectoires

On avait hâte de voir le nouveau film de la réalisatrice expérimentale Miryam Charles, qui, avant la projection, décrivait ce dernier comme « une lettre d’amour à l’Écosse » et aux gens si accueillants qu’elle a rencontrés là-bas. La cinéaste a aussi profité de l’occasion pour nous  raconter comment elle s’est rendue en Alba pour capturer une poignée d’images, à partir desquelles elle a imaginé un scénario où une famille haïtienne achète et s’installe dans le château d’Édimbourg. Or, la prémisse de sa Chanson est beaucoup plus élusive, moins romancée, plus rituelle et thaumaturgique que sa proposition initiale. Il s’agit néanmoins d’une œuvre parfaitement digne de la tradition de cinéma artisanal instaurée par la Coop vidéo et son fondateur, le Saint Robert Morin qui, à partir d’images anodines du quotidien, parvenait toujours à élaborer des œuvres fascinantes. Ici, Charles crée le portrait impressionniste et doucereux d’une âme voyageuse, d’une âme mixte, écartelée entre la côte haïtienne (d’où elle tire moult images exquises) et les châteaux européens (plus sobres, mais cruciaux à l’intrigante dialectique identitaire qui constitue le cœur de l’œuvre). C’est pourtant le son et la voix qui élaborent les assises poétiques du propos ; c’est le son et la voix qui nous servent de fil d’Ariane parmi les images diverses du film, et dont la douce étreinte nous enlace gentiment jusqu’au rêve.

« Je rentre à la maison », déclare une voix caressante en créole haïtien. Mais où exactement se trouve cette maison ? Il est dur de s’en faire une idée précise puisque le film s’efforce sciemment de créer un espace diégétique ambigu alors que la réalisatrice (et monteuse) fait alterner subrepticement, presque jusqu’à l’indifférenciation, les paysages écossais et haïtiens collectionnés pour l’occasion. « Jamais je ne retournerai », conclut finalement cette voix qui, embrassant le rythme anesthésiant d’une comptine pour enfants, en adopte également les références allégoriques opaques. On nous parle aussi de « la maison du père » et d’un « palais de cristal », références probables à l’Haïti de ses parents et au château d’Édimbourg de son fantasme. Mais il pourrait également s’agir de métaphores neuves, fidèles à l’idée du nouveau monde titulaire. On doute en effet que ce dernier renvoie à l’univers des conquérants européens, sans doute plus à un univers en devenir, libre des catégories imposées par l’ordre colonialiste, un monde utopique où le soi deviendrait une entité proprement fluctuante. Les réponses ne viennent pas facilement ici, et c’est aussi pour cela que le film est si distinctif, plaçant les réponses à ses questions dans un entre-deux de la pensée qui évoque un flou dans la logique identitaire dualiste propre à la mentalité colonialiste. Cela dit, le film s’apprécie surtout comme une expérience assez pure de cinéma, une oasis de calme et de sérénité au sein d’une existence journalière beaucoup trop anxiogène. Et c’est pour cela que nous sommes vraiment reconnaissants. (Olivier Thibodeau)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du festival Regard 2022

 


prod. François Harvey

RENCONTRE AVEC ROBERT DOLE
François Harvey | Canada  |  2021  |  16 minutes  |  Programme : Nos trajectoires

Comment voir comme un schizophrène ? Cette question est évidemment rarement posée, dans la mesure où toute maladie mentale est presque inévitablement perçue sous son jour négatif, à quelques exceptions près telles Nietzsche, qui fait de la maladie un point de vue inédit sur la santé et sur la subjectivité, et Jean Dubuffet de l’« art des fous » l’« art brut ». Originaire de Baltimore et maintenant installé à Chicoutimi où il enseigne la littérature anglaise à l’UCAQ, Robert Dole souffre depuis l’âge de 17 ans de schizophrénie, une maladie dont il a néanmoins vécu le premier épisode d’hallucination à la manière d’une « vision béatifique », une sortie d’âme du corps, une « extase parfaite » lors de laquelle Dieu se révèle à lui. À l’instar du philosophe mais à la différence près que c’est la religion qui informe le sens de ses questions, Dole, par une forme de prédisposition impressionnante, aura appris à mettre au travail son mal, à en faire peut-être moins une posture d’observation qu’une approche étonnamment constructive de sa condition et qui plus est de l’histoire et de la pensée.

Mais avant qu’il ne reçoive son diagnostic, le professeur de littérature n’en était pas pour autant à sa première prise ou crise de conscience religieuse. Très tôt avide lecteur de la Bible, il a cru trahir Dieu lorsque son homosexualité s’est révélée à lui et « victime d’une grande injustice ». « On lit la Bible pour plaire à Dieu » affirme Dole, comment dès lors lui plaire si sa propre vie s’éloigne des Écritures ? Cette question, à la fois existentielle et interprétative, est à l’image de toutes celles auxquelles nous expose cette figure fascinante, dont le caractère posé et souriant bat en brèche l’image aliénante que l’on se fait de la schizophrénie. Le développement de ses idées, d’une sincérité dans la quête de la vérité inspirante et d’une limpidité de langue saisissante, fait l’effet d’une réconciliation inespérée entre les domaines des émotions, du corps et de l’intellect, et de façon étendue de la religion et de la rationalité.

Comment montrer comment voir comme un schizophrène ? Le cinéaste François Harvey répond quant à lui à cette question exigeante de manière archi-convaincante, construisant son approche à travers la double lunette du documentaire et du cinéma expérimental. Le cadre fixe de l’entretien alterne avec le passage en boucle d’images de pellicule mordue par l’acide, par moment superposées sur des plans de Dole, insufflant de la sorte un imaginaire de la vision schizophrénique d’une richesse esthétique inouïe. Fortifiés par une trame sonore extrêmement soignée, les effets de rythme de défilement et les coloris vivaces de la pellicule entamée viennent tantôt mettre l’accent sur certains moments particulièrement révélateurs du témoignage ou former des zones d’intensification contemplative qui prolongent toute l’ouverture qu’exercent sur la conscience les étapes racontées d’une expérience aussi terrifiante que fabuleuse. Ainsi, de la même façon que Dole fait mutuellement s’éclairer mysticisme et schizophrénie dans une pratique de l’anachronisme qui permet de mettre en perspective le problème des ruptures discursives, Harvey fait co-exister documentaire et expérimentation et façonne une expérience cinématographique immensément organique, idoine à l’élargissement de la sphère du sujet contenu dans le propos du penseur inédit qui fait l’objet de son intérêt. (Maude Trottier)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du festival Regard 2022

 


prod. Rémi St-Michel et al.

GRAND FRÈRE
Rémi St-Michel  |  Québec  |  2021  |  17 minutes  |  Programme : Paradis artificiels

Grand frère est l’envers mature mais pas trop de Petit frère (2014), qui préfigurait à l’époque des longs métrages à venir comme Prank (Vincent Biron, 2016) ou Avant qu’on explose (Rémi St-Michel, 2019), avec le même Étienne Galloy encadré par l’écriture jackass du même Éric K. Boulianne. Le premier film se terminait sur les adieux des deux lurons (Galloy et Boulianne en acteur-scénariste), une fin douce-amère venant clôturer une journée rythmée à coup de pranks et de dares, le plus jeune s’éloignant dans les entrailles du métro montréalais pendant que le plus vieux s’apprêtait à partir vers Moscou et un destin encore inconnu. Accomplissant un dernier tour sur la piste des conneries d’usage, Petit frère était un film sur cette immaturité qu’on ne veut pas abandonner derrière soi, ce cœur d’enfant trash à préserver par peur de devenir trop sérieux. En cela, Grand frère constitue une suite assez brillante, alors qu’il reprend la structure du précédent comme pour mieux la subvertir, dans un effet dialectique où les niaiseries d’autrefois ont dégénéré et où les habitudes se sont transformées jusqu’à s’étioler sous les effets du temps et de la distance. Dans cet écho dualisé, St-Michel et Boulianne retournent la blague, faisant passer dans un premier temps Grand frère comme la simple évolution vécue du film précédent – façon Boyhood de Linklater (2014) – alors qu’il s’agit plutôt d’actualiser le fond, de réquisitionner des personnages et d’aborder les dérives conspirationnistes – le petit frère est devenu un flat-earther antivax – en épluchant en couches successives et subtiles les effets qu’on eut l’éloignement, voire la migration, sur le duo autrefois inséparable. À peine un film de bros, Grand frère est surtout un film d’écoute et de compassion, qui réitère au passage l’originalité comique de ses auteurs et confirme leur évolution probante depuis Petit frère, en particulier dans l’aménagement bataillé mais mérité, parmi les coups de tête et les engueulades de ruelle, de cette tendresse qui n’a plus rien d’une petite écriture. (Mathieu Li-Goyette)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du festival Regard 2022

 


prod. Thomas Corriveau

ILS DANSENT AVEC LEURS TÊTES
Thomas Corriveau  |  Québec  |  2021  |  8 minutes  |  Programme : Paradis artificiels

Clair favori de la foule réunie au Centre d’expérimentation musicale (par-delà le très venteux pont de Saint-Anne) pour le programme du jeudi, Ils dansent avec leurs têtes est une œuvre magnifique de part en part, écrite avec un humour charmant et rendu dans un style d’animation protéiforme incroyablement dynamique. Le tout commence avec un « zoom » vers une tête tranchée qu’embête un corbeau sur une île de roches déserte fouettée par les flots. Partant d’un canevas statique dont le contenu s’anime tranquillement, l’auteur donne vie à un monde palpitant. Constitués de traits de peinture métamorphiques, constamment changeants, tous les décors possèdent une apparence organique, transcendant ainsi d’emblée le potentiel d’expressivité traditionnellement associé aux arrière-plans dans le cinéma (d’animation) classique. Tout chatoie ici, et nous attire inexorablement. Une fois cadrée en gros plan, les yeux de la tête tranchée s’ouvrent et elle commence à nous parler à la manière du narrateur d’un récit fantastique. « Ah ! You’ve come to see me, my friend », déclare-t-elle du tac au tac, « it’s good to see you ». L’effet surréaliste est amusant de prime abord, mais c’est finalement la façon anodine que la tête a de nous entretenir qui garantit le comique de la situation. La voix de cette tête appartient à l’acteur, danseur et metteur en scène Marc Béland, qui commence dès lors raconter des bribes de sa propre vie. « I used to be a dancer », affirme-t-il, faisant marrer la foule, « but now, I’m a choreographer », entraînant avec cette déclaration stoïque une salve de rires supplémentaires.

Rares, voire singuliers, sont les textes biographiques aussi particuliers, aussi enlevants, aussi évocateurs d’une puissance créatrice qui émane des artistes créateurs à la manière d’un éther enivrant. En effet, si la fluidité extrême et la facture métamorphique des surfaces, des matériaux et des gestes à l’écran contribuent à stimuler sans cesse le spectateur, elles permettent aussi au réalisateur d’émuler le flot chaotique des pensées de Béland. Après avoir vu sa tête chipée par le corbeau, puis échappée dans la mer, le sujet se remémore les gymnatstiques liquoreuses de ses danseurs, dont les corps somptueusement détaillés, dessinés au crayon, se tordent, se décomposent et flottent en apesanteur à l’écran à l’occasion d’un énième ballet de formes, incarnation sensuelle d’un art corporel du mouvement sublimé dans un art graphique du mouvement. Le processus de dissociation, d’abstraction et de reformation des objets dans l’espace évoque en outre l’un des grands thèmes du cinéma d’animation, soit le rapport continu entre la vie et la mort, que rappelle également l’idée d’une tête morte-vivante. Avec une œuvre qui s’échelonne sur plus de 40 ans, l’artiste visuel et animateur Thomas Corriveau est visiblement passé maître de son art, parvenant parfaitement ici à allier la maestria technique à une appréciation analytique du médium animé, témoignant ainsi d’une intelligence hors pair qui ne saurait en rien faire obstacle à l’appréciation populaire de son travail. (Olivier Thibodeau)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du festival Regard 2022

 


prod. Les Films de l'Autre

DES VOISINS DANS MA COUR
Eli Jean Tahchi  |  Québec  |  2021  |  15 minutes  |  Programme : Seuls (en ouverture du film de Paul Tom)

C’est en cultivant l’art de la juxtaposition qu'Eli Jean Tahchi déploie son histoire de schizophrénie canadienne, comprise comme la simultanéité de deux vérités, de deux peuples, mineur et majeur, colonisateur et dépossédé, un peu partout sur le territoire. Usant de tactiques simples, mais efficaces, l'auteur évoquent un clivage systémique au sein d’une courtepointe culturelle nationale où les gens vivent côte à côte, mais dans des cases rigoureusement délimitées par des clôtures et par des discours.

Le récit du film se déroule près de chez nous. Il concerne l’histoire de la barrière dressée entre le chemin Selwood et le boulevard de l’Acadie, qui « protège » les bourgeois de la ville de Mont-Royal des populations multiethniques du quartier Parc-Extension. Des voisins dans ma cour retrace la genèse de cette barrière vers la fin des années 50, grâce à des procès-verbaux d’assemblées citoyennes monteroises où d’éminents échevins discutent de la hauteur et de la longueur de la barrière à construire pour « protéger les enfants » contre les pauvres. Si ces seuls extraits suffisent à nous exposer l’absurdité et l’égoïsme historique des habitants de cette ville, qui imposent aujourd’hui unilatéralement l’abject Royalmount à toute la population nord-américaine, le réalisateur en rajoute une couche par le biais de la grossière — quoiqu’éloquente — technique de l’écran divisé (split screen).

Renforçant la barrière physique que constitue la clôture grâce à la barrière symbolique d’un cadre qui partage l’écran entre deux univers étrangers, l’auteur expose les distinctions urbanistiques et sociales qui règnent entre ceux-ci, opposant de façon systémique l’une et l’autre de ces deux solitudes irréconciliables. Il juxtapose des Indiens qui jouent au cricket et des joueurs de tennis monterois, des jeunes Noirs qui s’amusent sous les jeux d’eau dans des parcs asphaltés et des enfants qui nagent dans les belles piscines du royaume d’à-côté, les restos de la rue Jean-Talon et les restos du boulevard Graham, les jeunes qui traversent la voie ferrée au niveau du sol et ceux, plus fortunés, qui traversent la passerelle entre le chemin Canora et le chemin Dunkirk. Il oppose en somme le vain esthétisme banlieusard à l’urbanité crasse des quartiers populaires, le conformisme à la diversité, la fortune à la pauvreté. Fidèlement au souhait exprimé par les partisans de la ségrégation. (Olivier Thibodeau)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture des RIDM 2021


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Article publié le 20 avril 2022.
 

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