WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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RIDM 2012 : Le blogue du festival

Par Panorama - cinéma
INDEX

> Brunch-causerie avec la relève féminine
> Photographie et cinéma documentaire

> Charles Bradley: Soul of America  //  Poull Brien (2012)
> Cutting Loose  //  Adrian McDowall et Finlay Prestell (2011)
> The Great Northwest 
//  Matt McCormick (2012)
> Let the Daylight into the Swamp  //  Jeffrey St. Jules (2012)
> Only the Young
 //  Elizabeth Mims et Jason Trippet (2011)

> Room 237  //  Rodney Ascher (2012)
> Wonder Women! The Untold Story of American Superheroines
 //  Kristy Guevara-Flanagan (2012)


>> Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal 2012




2012.11.17
ROOM 237 (2012)
Rodney Ascher  |  États-Unis  |  102 minutes

Room 237
, curieux objet cinématographique ayant déjà énormément fait parler de lui à la suite de passages remarqués à Sundance, Cannes, Toronto et Fantastic Fest n’est pas nécessairement le documentaire cinéphilique de l’année, mais représente néanmoins une fascinante incursion dans le monde des théories de la conspiration telles qu’appliquées à The Shining, l’énigmatique chef-d’œuvre de Stanley Kubrick.

Il y a quelque chose d’éminemment DIY, voir « lo-fi » dans le film qu’offre Rodney Ascher (connu, principalement sur le web, pour le court-métrage amusant The S from Hell, faux-documentaire sur le logo de Screen Gems). Une forme que certains qualifieraient de paresseuse ou maladroite est primordiale à l’expérience de ce documentaire « subjectif » se penchant non seulement sur les théories elles-mêmes, mais sur la fonction circulaire, éparpillée et particulière de la mémoire; la façon que nous dialoguons avec les images et nos impressions de celles-ci. À travers cinq entrevues simplement entendues et non vues, Ascher tisse une toile kaléidoscopique d’images cycliques et répétitives, offrant un montage relevant plus du collage qu’autre chose. Les diverses théories, allant de l’implication de Kubrick dans la mise en scène de l’alunissage d’Apollo 11 aux sous-textes plus convenus explorant l’holocauste et le génocide des premières nations, sont simplement mises en images et explorées sans aucune interférences extérieures. Ascher devient malgré lui le 6e maillon de cette démarche : comme d’innombrables vidéos et hommages amateurs que l’on peut trouver sur le web, Room 237 relate d’une obsession en termes simples et efficaces, faciles à transmettre en laissant transparaître la passion d’un auteur. Offrant un point de rencontre entre cinéphilie, documentation de celle-ci et le désir de la transformer en objet, en successions d’images – en documentaire –, Ascher boucle une boucle dans une forme qui donnera envie au monteur-amateur au fond de votre âme d’aller découper son film favori en morceaux pour mieux le comprendre, pour le célébrer, pour le transformer.

Le film d’Ascher ne se veut pas l’œuvre ultime sur
The Shining, mais bien une exploration d’un certain cinéphilie presque épistémologique. Un intervenant soulève qu'il est prisonnier, au même titre que Jack Torrance, de The Shining, et Room 237 parvient tant bien que mal à rendre cet effet, à ouvrir nos perceptions sur une œuvre archi-connue et discutée en nous la présentant encore et encore et encore…et encore, nous capturant par le fait même. (Ariel Esteban Cayer)

Diffusion : Vendredi 16 novembre à 21h30 (Excentris) et samedi 17 novembre à 19h00 (Excentris)

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2012.11.16
PHOTOGRAPHIE ET CINÉMA DOCUMENTAIRE
 
Passer du médium de l'instantanéité à celui de la temporalité; de l'image témoin d'un événement, à celle qui recrée le spectacle. Cerner les différences, les obstacles, les enjeux d'une forme de représentation à l'autre, d'un langage statique, encadré, figé, au langage en mouvement : c'est ce que nous proposait cette rencontre avec Melanie Shatzky et Brian M. Cassidy (The Patron Saints), Michael Palmieri et Donal Mosher (Off Label), Oskar Alegria (En quête d'Emak Bakia), cinéastes initialement photographes, ou intégrant le médium photographique dans leurs projets filmiques. La programmatrice des RIDM, Charlotte Selb, animait la discussion en anglais.
 
La Salle Fernand-Séguin était comble, à mon arrivée. Pourtant, avant la période de questions des 15 dernières minutes, au moins la moitié des spectateurs avaient délaissé l'assemblée. Que s'est-il donc passé pour que l'on perde autant de joueurs?
 
Plusieurs problématiques intéressantes ont pourtant été soulevées durant l'entretien : la découverte et l'expérimentation par le son, notamment pour les cinéastes de The Patron Saints; l'intérêt pour le cadre, le recul, la délimitation de l'image, la main qui tient la photo pour Oskar Alegria; la possibilité de nuancer le propos par la dimension narrative du film, pour Donal Mosher, qui craignait qu'un portrait photographique de sa famille ne la dépeigne que comme une autre « white trash American family ». 
 
Sauf que l'échange, au sens propre du terme, n'a définitivement pas levé. Était-ce une question de barrière linguistique ou d'animation? De rhétorique, de préparation, de manque d'intérêt des cinéastes pour les projets des autres? Je ne saurais dire. Toutes ces réponses, probablement. Mais chaque intervention se limitait au projet de l'interlocuteur, sans trouver écho dans le travail de l'autre, sans pousser la réflexion au-delà du convenu, sans apporter un regard spécialiste à une audience amatrice.
 
Des extraits de leurs films respectifs, quelques rares photos de certains des cinéastes présents, ont ponctué la discussion, l'empêchant peut-être de prendre son élan. On faisait difficilement le pont entre le travail du photographe et celui du cinéaste. Une belle initiative qui n'a malheureusement pas moussé. Dommage. (Laurence Lejour-Perras)
 
La discussion a eu lieu le jeudi 15 novembre à la Salle Fernand-Séguin de la Cinémathèque québécoise. Elle était organisée par les RIDM en collaboration avec le département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l'Université de Montréal.

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2012.11.15
WONDER WOMEN! THE UNTOLD STORY OF AMERICAN SUPERHEROINES (2012)
Kristy Guevara-Flanagan  |  États-Unis  |  79 minutes

Ellen Ripley. Sarah Connor. Xena. Supergirl. Wonder Woman. She-Hulk même. La figure de la super-héroïne américaine, ô combien plus captivante que son penchant masculin, n'a pas eu la vie facile. Créée par la main de l'homme, cette icône qui a d'abord représenté la prise de pouvoir des suffragettes sous les traits d'une princesse amazone munie d'un lasso doré est rapidement redevenue la docile femme du foyer américain. D'héroïne à ménagère, l'histoire de Wonder Woman n'est au fond qu'un alibi, le thermomètre d'une condition féminine outrageante qui déposséda la femme d'après-guerre aussi vite qu'on lui demanda, au tournant des années 40, de mettre gants et casques pour servir dans les usines de l'effort militaire national.

La vision de Kristy Guevara-Flanagan, qui signe un deuxième long-métrage documentaire après Going on 13 (coming of age de quatre adolescentes apparemment anodin), n'est pas dénuée de lenteurs ou d'égarements faisant du féminisme de tout bois : la figure du super-héros, doublement lourde au cinéma depuis qu'elle envahit les salles, passe près de nuire à la posture didactique du film. La forme, toujours dynamique, sait toutefois accumuler les images d'archive, les discours de la militante Gloria Steinem, les témoignages de Lynda Carter (la Wonder Woman télévisée des années 70) ou encore Lindsay Wagner (The Bionic Woman) qui se rappellent l'importance des figures héroïques féminines de leurs jeunesses, mais aussi la manière dont leurs valeurs symboliques a plus d'une fois été en proie à des producteurs et artistes masculins.
 
C'est ici que Guevara-Flanagan touche la cible : plus de 90% des gens œuvrant au sein l'industrie des médias et du divertissement étant sous la botte du mâle, même Wonder Woman n'est pas à l'abri des pièges et subterfuges qui la rendirent un jour simple vendeuse de vêtements, voire une chasseuse de prime sans vergogne. La femme comme mère ou catin, mais jamais comme femme, tel est le dur constat du film Guevara-Flanagan qui devrait en charmer plus d'un. En maniant aussi bien la culture populaire qu'un montage efficace, Wonder Women! The Untold Story of American Superheroines a assez de charme pour marquer le spectateur qui saura y trouver matière à réflexion. (Mathieu Li-Goyette)

Diffusion : Vendredi 9 novembre à 21h00 (Excentris) et dimanche 11 novembre à 20h00 (Excentris)




2012.11.13
CHARLES BRADLEY: SOUL OF AMERICA (2012)
Poull Brien | États-Unis | 74 minutes

D'emblée, le titre donne une bonne idée de l'intention « mythologisante » qui anime ce documentaire sur le chanteur Charles Bradley. Soul of America : l'expression peut paraître forte, un brin grandiloquente, mais n'est somme toute pas totalement fausse. Car Bradley, devenu célèbre à l'âge de 62 ans grâce aux bons soins de l'étiquette Daptone Records après avoir passé des années à imiter son idole James Brown dans des bars miteux d'un bout à l'autre du pays, s'avère une autre de ces incarnations triomphantes du rêve américain auxquelles le cinéma aime tant rendre hommage.

Le film de Poull Brien s'avère en ce sens un habile véhicule promotionnel, construisant soigneusement un contexte idéal dans lequel entendre les chansons de Bradley - qui gagnent une résonance nouvelle à la lumière de « la réalité » que nous révèle le film. L'exercice, quoique convenu, s'avère soigné : la mise en scène, lorsqu'elle ne se rabat pas sur des reconstitutions dramatiques un brin maladroites, trouve un bel équilibre entre un certain naturalisme et une facture visuelle soignée.

Mais il ne faut pas espérer autre chose qu'un autre joli portrait bien propre d'un musicien de talent, la « version officielle » des faits livrée sans anicroche… Brien, qui avait précédemment réalisé un vidéo pour la chanson The World (Is Going Up In Flames), a tourné un documentaire qui respecte au fond la même logique publicitaire que le clip… celle d'une mise en images flatteuse, séductrice, dont le but est de mettre en valeur un sujet en le plaçant sous son meilleur jour, dans son élément.

Voilà donc un autre exemple de beau boulot bien fait auquel on ne reprochera rien, sinon un léger manque d'ambition. Il faut dire que Bradley, personnage atypique dont le parcours de carrière singulier a de quoi intriguer, semble avoir plus d'histoires à raconter que celles auxquelles s'en tient le film de Poull Brien. Qu'à cela ne tienne. Il aura toujours, pour se faire, la musique - véritable raison d'être de ce joli produit dérivé qui saura sans contredit plaire au public auquel il est destiné, sans pour autant dépasser ses attentes. (Alexandre Fontaine Rousseau)

Diffusion : Samedi 10 novembre à 21h00 (Grande Bibliothèque) et lundi 12 novembre à 19h30 (Cinémathèque québécoise)

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2012.11.13
LET THE DAYLIGHT INTO THE SWAMP (2012)
Jeffrey St. Jules  |  Canada  |  37 minutes

Énième film canado-québécois sur la mémoire produit par l'Office national du film, celui de Jeffrey St. Jules a la particularité d'être une œuvre d'un jeune Anglophone se penchant sur ses racines francophones du Nord de l'Ontario. Retraçant les mémoires de son père, traquant à travers images et archives ses grands-parents qu'il n'a jamais connus, il s'imagine même les interviewer et met en scène la vie bûcheronne de la première moitié du siècle.

St. Jules divise son film en trois parties de manière didactique – des intertitres séparent l'ensemble en trois segments de douze minutes – et c'est ce ton un peu trop classique, un peu trop propret, qui empêchera le spectateur de percer le verni de l'objet. Bien qu'on puisse trouver sympathique ses reconstitutions en studio et ses bricolages de série B, l'artisanat cinématographique dont il fait preuve est aussitôt saboté par une volonté tout à fait mal placée d'avoir recours à d'envahissants trucages numériques qui déchirent littéralement le cadre, qui tente de créer des effets 3D sans qu'on puisse croire que c'était bien l'intention première de l'auteur; qui voudrait filmer les mémoires de sa famille en 3D? Sous quel prétexte?

Pour évoquer les couches d'oignon de l'histoire familiale, direz-vous. Que nenni. Let the Daylight into the Swamp est tout à fait symptomatique de la ligne éditoriale de l'ONF qui souhaite mettre de l'avant sa toute-puissante technique numérique en dépit de la plus sincère fibre émotive qui constitue, au fond, les meilleures images documentaires. Preuve en est, le film sera projeté aux RIDM en 2D, mais disponible sur plate-forme numérique en 3D. En d'autres mots, la troisième dimension n'étant pas nécessaire à l'expérience en salles, elle le serait au visionnement sur tablette numérique?

Avalé par le monstre protocolaire, Let the Daylight into the Swamp ne fait pas honneur à son titre éloquent, organique et vivace : ce n'est pas de la lumière du jour dont il est question, ni d'un marécage mnésique, mais bien d'une froide intensité au néon et d'un fade plancher flottant. Tout est faux et ce qui est vrai demeure tellement maquillé, tellement entourloupé dans une mise en scène manipulatrice (au niveau de l'éclairage, mais aussi du son et du montage), qu'on peine à y trouver plus qu'une prouesse esthétique, qu'une succession de gadgets dont l'alibi est une histoire familiale (et non l'inverse). Dommage, car le fond de St. Jules reste franc, ses histoires touchantes et son talent indéniable. (Mathieu Li-Goyette)

Diffusion : Lundi 12 novembre à 17h45 (Excentris) et mercredi 14 novembre à 17h15 (Excentris)

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2012.11.12
ONLY THE YOUNG (2011)
Elizabeth Mims et Jason Trippet  |  États-Unis  |  72 minutes
 
Rares sont les films qui réussissent à nous réconcilier avec le concept de l'adolescence. Que l'on pense aux films de Gus Van Sant, Yves-Christian Fournier, ou Maxime Giroux, on tend plus souvent vers le portrait glauque et triste d'une étape qui semble interminable, que vers la représentation d'une phase somme toute effervescente et riche en expériences. 
 
Jason Trippet semble avoir un faible pour ce passage à l'âge adulte, époque où les bras sont trop longs, les gestes pas très fluides, et les passe-temps souvent douteux. Après avoir réalisé le court métrage Thompson en 2009, il revient en force pour approfondir le sujet chéri avec Only the Young, coréalisé par Elizabeth Mims. On y suit Kevin, Garrison, et Skye, trois amis habitant une petite ville du sud de la Californie, à travers les skateparks improvisés, les repères secrets et les après-midis à ne rien faire.
 
Les cinéastes réussissent à s'imbriquer dans l'univers des trois protagonistes, lesquels se confient dans une sincérité candide et spontanée : premiers amours, amitiés, malaises et maladresses sociales, rêves, réflexions sur l'avenir. En émane des hésitations à la fois typiques et fondatrices de l'adolescence, entre liberté et dépendance, plaisir et autodestruction, sensibilité et impertinence. Au fil des coupes de cheveux et des tranches de vie, Trippet et Mims captent avec brio la fraîcheur de ces grands enfants qui apprennent tout doucement à devenir des adultes.
 
Une réalisation lumineuse, une formule bien rythmée qui laisse place aux conversations comme aux silences, une esthétique soignée; Only the Young est un film séduisant qui saura remettre les pendules à l'heure quant à cette sacro-sainte jeunesse en détresse. (Laurence Lejour-Perras)
 
Diffusion : Dimanche 11 novembre à 16h15 (Cinémathèque québécoise) et mardi 13 novembre à 21h15 (Excentris)



2012.11.12
CUTTING LOOSE (2011)

Adrian McDowall et Finlay Prestell  |  Royaume-Uni  |  29 minutes

Dans une prison d'Écosse, un miracle humain se joue chaque année : des taulards se rassemblent, ciseaux en mains, se coupent les cheveux et se coiffent. « Être coiffeur c'est gai, mais être barbier, c'est viril », dit le prisonnier de 33 ans. Lui, plus que les autres, semble voir ce nouveau métier qu'il a tout appris en prison comme sa plus belle porte de sortie. Et comme de fait, la prochaine compétition de coiffure carcérale de la région sera sa dernière : déjà champion l'an dernier, il tentera de répéter l'exploit une deuxième année de suite. Ses crimes n'importent plus, seul son talent l'intéresse. Lui, ses compatriotes et leurs cobayes s'inscrivent dans un système carcéral revu à la hausse, dans une prison qui accompagne ses détenus vers une réhabilitation en douceur.

Sans toutefois nous familiariser aux origines de cette compétition ou au protocole de sécurité devant être mis en place par les gardiens pour éviter que les prisonniers ne puissent tirer profit de la lame de leurs rasoirs et de leurs ciseaux autrement que pour réussir un tour d'oreilles, Cutting Loose se dédie plutôt à humaniser au possible ses principaux sujets. McDowall et Prestell prennent pour acquis que la somme des films donnant une mauvaise image du milieu carcéral en ont assez fait pour ce qui est de la claustrophobie et de la douleur humaine. Selon eux, il semble grand temps d'extirper un autre sentiment de ces murs hermétiques, soit l'idée tout à fait sociologique qui nous ferait envisager ces lieux comme un cadre punitif, certes, mais pas cruel.

Les détenus filmés ne se plaignent pas, ne gémissent pas pour leur liberté : la présence de la caméra des cinéastes renforcent leur résilience et la force mentale qui les habite. Une fois le concours achevé, les menottes reviennent, les hommes retournent en cellule tandis que l'ex-champion quitte ce monde de barreaux, cheveux pleins de gel, tout en style, et s'apprête à affronter le monde extérieur. « J'ai 33 ans, ce n'est pas si vieux », dit-il avant d'annoncer qu'il aimerait bien tout refaire. En un peu moins de 30 minutes, Cutting Loose nous convainc que ce ne sont pas là des promesses en l'air, mais bien l'aboutissement d'un voyage aussi intime que violent. McDowall et Prestell se sont contentés d'être là, faisant le pied de grue au fil d'arrivée, observant chaleureusement une réhabilitation, mais aussi toutes celles qui se préparent tranquillement à l'arrière-plan. (Mathieu Li-Goyette)

Diffusion : Samedi 10 novembre à 18h30 (Excentris) et lundi 12 novembre à 20h00 (Excentris)

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2012.11.12
BRUNCH-CAUSERIE AVEC LA RELÈVE FÉMININE
 
(Malgré la présence de quelques hommes, nous avons préféré employer le féminin afin d'alléger le texte. Pour une fois.)
 
Il est beaucoup trop rare qu'on ait l'occasion de discuter avec les artisans de notre cinématographie contemporaine. On attend peut-être trop souvent que nos réalisateurs deviennent monuments avant de leur donner la parole en public. Mais qu'en est-il des réalités actuelles du milieu? Le milieu du documentaire étant connu pour être beaucoup moins lucratif que celui de la fiction, comment font-ils pour vivre/survivre? Et oui, très certainement, être une femme dans cette petite industrie peut-il être problématique, en 2012, au Québec?
 
Nous étions une quarantaine à débuter la journée en compagnie de ces réalisatrices. Quelques mâles courageux s'étaient également glissés dans le lot, public attentif où s'agençaient Anglos, Francos, amatrices, cinéastes, étudiantes, productrices, féministes, curieuses. Une certaine fébrilité émanait du café-bar, plus habitué aux fêtards de fin de soirée qu'aux matinées de jasette. Les productrices Sarah Spring et Karine Dubois animaient la discussion, alors que Shannon Walsh (Jeppe on a Friday), Amy Miller (The Carbon Rush), Caroline Martel (Le chant des ondes), Sarah Edoyan (Figure d'Armen), et Nadine Gomez (Le Horse Palace) figuraient au banc des fières représentantes féminines de la relève documentaire au Québec.

Si le milieu québécois est relativement équitable en termes de genre (on parle d'un généreux ratio 50/50 femmes/hommes en réalisation de documentaire, comparativement à un 10/90 en fiction), la lutte pour acquérir une certaine crédibilité n'en est pas moins féroce pour les femmes. Les réalisatrices ont évoqué avec beaucoup d'humour l'effort constant pour obtenir du financement (« Tu sais que c'est un projet très ambitieux pour une jeune femme comme toi? »), mais aussi pour se faire valoir à titre de réalisatrice à l'étranger. Amy Miller, qui tourne en Afrique et en Asie, affirme s'être habitué à tout expliquer cinq fois, « because for the first four times, they genuinely don't think you are the director ».
 
Il y a bien sûr la question de l'autorité qui joue pour beaucoup dans l'observation des genres. L'expression « féministe » tend à prendre, avouons-le, une connotation péjorative au Québec, entre autres. Donner l'impression que l'on sait où l'on s'en va dans une équipe de tournage peut aller jusqu'à créer des complexes. « On a peur de passer pour une folle, une radicale, une intense, alors qu'il y en a des hommes intenses qui réalisent des films... et ils vont à Cannes, ils n'ont pas de problème! », remarque Nadine Gomez.
 
L'un des enjeux majeurs de l'idéologie féministe demeure finalement la maternité. On peut être égaux sur tous les plans, il reste que la femme est « biologiquement désavantagée » à cet effet. Précarité financière, interruption forcée du projet, et évènements mondains, primordiaux à la promotion du film, qui finissent au petit matin : on s'entend pour dire que c'est un milieu davantage « childless friendly » que « maman friendly ». Plusieurs femmes présentes dans l'assistance ont toutefois soulevé qu'avoir un enfant ne fut qu'un obstacle de plus dans l'épopée de la réalisation d'un documentaire. Une réalisatrice, présente bébé en main, a noté avec sérénité: « Mais il faut que les femmes qui ont des enfants continuent à faire des films. Sinon, il manque une voix. » (Laurence Lejour-Perras)

Le brunch-causerie a eu lieu le samedi 10 novembre au café-bar de la Cinémathèque québécoise. Il était organisé par les RIDM en collaboration avec les Femmes du Cinéma, de la Télévision, et des Nouveaux Médias (FCTNM/WIFT). 




2012.11.11
THE GREAT NORTHWEST (2012)
Matt McCormick | États-Unis | 70 minutes

Dans une librairie d'occasion, Matt McCormick a trouvé un scrapbook, souvenir du road-trip dans le nord-ouest des États-Unis effectué par quatre femmes en 1958. On connaît bien peu de choses sur les voyageuses, mis à part qu'elles ont minutieusement documenté leur périple, cartes postales, photos, dépliants, menus, napperons, et descriptions dactylographiées à l'appui. S'intéressant à l'impact de l'homme sur son territoire, McCormick refera le même trajet que ces dames pour en capturer le paysage et le comparer avec celui d'autrefois.

Road-movie muet, orné exclusivement de sons ambiants, The Great Northwest a définitivement de quoi séduire. Le réalisateur nous emmène avec lui dans l'Amérique profonde, celle des saloon, des villes minières, des cowboys, mais aussi celle des espaces qui n'en finissent plus, des buffles et des sombres forêts de conifères. McCormick sait magnifier le panorama qui s'expose à lui, en faire une carte postale kitsch ou grandiose à son tour. Témoignant d'une sensibilité tangible face au patrimoine, il dresse le portrait d'un territoire étasunien tantôt figé dans le temps, tantôt modelé à la merci des désirs souvent futiles de l'homme moderne.

Si le dialogue entre les reliques et le présent s'effectue assez fluidement, il n'en reste pas moins que le film entame certaines réflexions qu'il n'exploite malheureusement pas à son plein potentiel. Comme s'il n'avait pu assumer la totale intention de contemplation de son film, McCormick le ponctue d'intertitres informatifs, sans qu'ils ne soient entièrement cohérents au contexte; on lance quelques faits historiques et environnementaux, sans offrir une structure d'ensemble pour les soutenir, entre autres maladresses. On aurait plutôt apprécié qu'il assume sa fascination pour la culture du tourisme, ses hôtels bas de gamme, ses diners d'autoroute, et ses photographes compulsifs qu'il filme assidument, visiblement amusé.

Si The Great Northwest ne rassasie pas complètement, il demeure un document d'archives visuellement appréciable qui questionne les effets de la culture sur notre habitat, et offre un peu d'exotisme à qui n'a pas les moyens de prendre la route. (Laurence Lejour-Perras)

Diffusion : Vendredi 9 novembre à 19h15 (Excentris) et dimanche 11 novembre à 18h00 (Excentris)

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Article publié le 12 novembre 2012.
 

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