ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Les sommets du cinéma d'animation 2016 (2e partie)

Par Jean-Marc Limoges et Olivier Thibodeau

Partie 1
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Compétition étudiante internationale 1

Malgré l’éclectisme des techniques déployées par les artistes en lice pour triompher de la compétition internationale étudiante, on y dénote un fort leitmotiv animalier, voire même spécifiquement canin. Les figures de proue respectives des deux programmes à l’affiche prouvent d’ailleurs très bien cette tendance puisqu’ils mettent en scène des protagonistes étrangement semblables, des hommes non pas transgenres, mais transespèces, tour à tour désireux et forcés de sacrifier leur humanité pour la caninité.

Du côté humoristique du spectre, nous découvrons d’abord The Wrong End of the Stick (Terri Matthews, 2016), une charmante fable identitaire britannique rappelant simultanément le travail de Simon Tofield et l’héritage du kitchen sink realism. Superposant des personnages animés sur fond tangible de cottages prolétaires, le film introduit un protagoniste légèrement décalé du réel, obsédé par la gente canine au point de s’y identifier corps et âme, passion qui le poussera à s’égarer loin de sa femme languissante dans les tristes partouses transespèces. Or, c’est là que s’échoueront ses fantasmes pastoraux de Bambi pornographique, confrontés au spectacle grotesque de gros humains forniquant, vêtus pour seuls vêtements de minces loups. Heureusement, l’homme égaré trouvera finalement réconfort dans le regard compatissant de son épouse, qui lui fera la plus belle preuve d’amour en l’acceptant tel qu’il est.

Contrepartie dramatique de Wrong End, Le client (Augustin Guichot, 2016) est un angoissant thriller claustrophobe où de tragiques personnages à la mine plymptonienne se complaisent dans une vibrante noirceur expressionniste. Sans être particulièrement innovatrice d’un point de vue technique, l’œuvre démontre de nombreuses qualités cinématographiques, somptueux pseudo-travellings et effets dramatiques de montage. Le mystère est épais, et la narration est prenante, si bien qu’on s’y noie comme dans un gros suspense hollywoodien, formule certes générique, mais néanmoins irrésistible.

Après les chiens, ce sont les chats qui sont à l’honneur. On les retrouve d’abord dans 99a, Frankfurt Street (Evgenia Gostrer, 2016), portrait impressionniste d’un éboueur allemand au travail, où la succession hypnotique de coups de pinceau évanescents évoque aussi bien le mouvement sensuel de son ami félin que l’allure effrénée de l’existence urbaine. Puis, dans Hypertrain, où la forme féline plonge dans la science-fiction, s’étirant à l’infini à la manière de fastes trains sur fond laiteux, impliqués tous dans un trépidant ballet électronique de figures longiformes.




:: Homeland (Alisi Telengut, 2016)


Plus proches des chats huileux de 99a, Frankfurt Street que des chats liquides de Hypertrain les chevaux de Homeland (Alisi Telengut, 2016) errent à la manière des déportés Kalmouks de l’URSS des années 50 dans un flou impressionniste à la fois pertinent et précis, pris dans une mouvance cruelle ponctuée par le mouvement inexorable des rails. Privilégiant une palette sombre, l’artiste montréalaise Alisi Telengut, parvient ainsi à cerner toute la mélancolie de l’exode forcé, puisant dans son for intérieur l’expression épique des plus poignants drames historiques.

Fort du réalisme saisissant de ses images, Garden Party (Vincent Bayou et al., 2016) use quant à lui de techniques d’animation 3D standardisées dans son évocation d’une révolte batracienne au cœur d’un manoir ruiné. À mi-chemin entre la comédie bon enfant de type Pixar, et le thriller de gangster à la Brian De Palma, Bayou et ses collègues nous livrent ainsi un film beau, mais impersonnel, digne sans doute des louanges de quelques artificiers hollywoodiens. On lui préférera d’ailleurs le Résistance (2016) de Quention Foulon et compagnie, dont l’ennuyeuse animation 3D est agrémentée par les traits caricaturaux des personnages et la nature révolutionnaire de sa prémisse, laquelle oppose les employés revendicateurs d’un restaurant de luxe à une décadente bourgeoisie insectoïde, incarnation presque littérale des richards incultes issus du monde de la finance.

Bien qu’il évoque la vie animale plus littéralement que tous ses colistiers, ''llusory '' Birds (2016) de Ao Chen constitue en fait un film sur le pouvoir transcendantal de la lecture, tel que démontré par l’apparition diégétique de chimères littéraires, invoquées ici au gré du défilement des pages d’un livre. Or bien qu’on puisse lui apposer l’étiquette surannée de l’intertextualité, la vérité du film est en fait intratextuelle, puisque circonscrite entièrement par l’imaginaire littéraire du jeune protagoniste, prisonnier volontaire d’un angoissant univers livresque fait chair grâce aux créatures austères et monstrueuses imaginées par Chen.

Fox Fears (Miyo Saro, 2015) évoque également le monde animalier, mais cette fois d’une façon poétique et subtile, digne de la fine calligraphie japonaise dont il est l’héritier. Fort d’un usage savant du canevas écranique, où se profilent des fragments de récit épars au gré du boniment hypnotique d’un jeune narrateur candide, le film évoque dans son atmosphère éthérée les meilleurs contes de fées mondiaux, cristallisant en outre l’essence des peurs infantiles de façon sensible et réjouissante. 

Succèdent ensuite aux récits animaliers ceux de tristes amours humaines. Dans A Man Called Man (Guy Charnaux, 2015), œuvre schématique dans sa narration, son trait, et la dénomination de ses personnages, nous découvrons sans surprise la nature prédatrice de la séduction, occasion pour l’auteur de livrer une célébration ironique du cycle infini de l’hétéronormativité. Wilfried & Maria (Sofie De Cleene, 2016) tend également vers l’universel, mais d’un point de vue spécifiquement belge, troquant dans son arène dépouillée les canettes écrasées de Budweiser pour des cannettes de Jupiler. Figés dans diverses expressions mélancoliques, les amants titulaires, ces icônes de plâtre roses et poilues évoquant le plus gras des prolétariats, s’accouplent ici dans un maelström de désespoir alcoolique, colportant par leurs seules tribulations une vision certes déprimante, mais brutalement lucide du couple comme purgatoire de l’âme.

La mélancolie de la vie de couple n’est pourtant jamais aussi éloquemment exprimée que dans Once Upon A Line (Alicja Jasina, 2016), drame universel d’un col blanc binoclard empêtré dans le cycle monotone du travail, un homme qui évolue dans l’espace comme dans un électrocardiogramme, incarnant dans sa progression cyclique les battements élusifs d’un cœur uniquement affairé à la routine. Puis, vient la rencontre avec une femme, dont la rougeur déteindra sur l’univers sombre du protagoniste, égayant d’abord sa vie pour mieux la parasiter complètement. Poindra ensuite la déprime de la rupture, plongée dans le noir charbonnier de la langueur post-amoureuse, cette inexplicable phase où l’homme cède corps et âme à la nostalgie masochiste d’une autocrate idéalisée. Ainsi le film constitue une illustration parfaite des mécanismes d’attraction et de répression inhérente au désir amoureux, ce poison écarlate qui exalte l’être rien que pour mieux l’emprisonner.



 
:: Throttled (JiHyeon Kim, 2016)


L’amour prend finalement une teinte d’encre noire dans Throttled (2016) du Sud-Coréen JiHyeon Kim, œuvre aux allures éminemment japonaises dans son iconographie et dans ses thèmes, dans sa perversion surtout, et sa prédilection pour les sombres panoramas côtiers et les cœurs plus sombres encore. Évoquant l’imaginaire terrifiant d’Hideshi Hino, où se mêlent visages grotesques et couleurs vomissantes, le film relate la rencontre malheureuse entre un jeune pêcheur et une sirène grisonnante, dont la culotte tentaculaire constitue une variation ad hoc de la queue de poisson traditionnelle. Obsédé par sa plus récente trouvaille, le pêcheur la mettra en captivité, l’engrossera, et la découpera en pièces, conjurant ainsi les rêves voluptueux de la femme du pêcheur (Hokusai, 1814) au profit des rêves tyranniques de son mari.

À ce point-ci, il me semble superflu de poursuivre mon analyse thématique du vaste programme étudiant, mais il m’apparaît néanmoins essentiel de faire quelques mentions. D’abord, pour les artisans locaux : Lori Malépart-Traversy, dont Le Clitoris (2016) fournit une essentielle historiographie anti-hégémonique de cet organe négligé, usant d’un animisme didactique digne des plus habiles dentistes, et Daniel Sterlin-Altman, qui nous livre avec Hi, It’s Your Mother (2016) une variation sanglante et sexy de Wallace and Gromit, capitalisant sur l’immense pouvoir théâtral de la matriarche juive pour véhiculer son savoureux humour noir.

Ensuite, pour les quelques perles qui demeurent jusqu’ici négligées. I felt like destroying something beautiful (Katrin Jucker, 2016), variation contemporaine du cinétisme décomposé de Muybridge, Velodrool (Sander Joon, 2015), petit précis de motion animée sis dans l’arène toute désignée du vélodrome, et le sublime In Inertia (Takuto Katayama, 2016), réflexion personnelle sur l’anxiété post-Fukushima doublée d’une impressionnante métaphysique des fluides. Finalement, Lifeless (Max Van Der Ree et al, 2016), alarmant portrait du créationnisme cybernétique, où les zygotes Macintosh naissent et meurt selon les diktats tyranniques de la sérialité et de l’obsolescence planifiée, et I, the Animal (Michalina Musialik, 2015), effort lancinant de remémoration collective où l’utilisation d’une tranchante palette trichrome (noir, blanc, rouge) évoque une humanité tout aussi sinistre que son histoire. (Olivier Thibodeau)

 



Le Programme 3 de la Compétition internationale était sûrement le sommet des Sommets. Ici encore, certains films relèguent au second plan leur trame narrative pour être profondément poétiques – Jukai (un pantin de bois enceinte marche dans une luxuriante forêt peuplée de pendus, tissant laborieusement pour l’enfant à naître, avec des fils de laine de couleurs, un berceau en forme de cœur que révélera une plongée-extrême finale), Chatear-me-ia morrer tão joveeeeem... (sur un champ de bataille grassement crayonné, des soldats casqués de masque à gaz s’engluent jusqu’à la mort dans la boue des tranchées sur les émouvants chants de Monte Canino), Slovo (un attendrissant laideron se remémore, au fil des gouttes d’eau s’écoulant dans son insalubre baignoire, une champêtre partie de pêche avec son grand-père) – tandis que d’autres sont résolument expérimentaux, prêtant des formes et des couleurs à différentes pièces musicales — Age of Obscure (kaléidoscopique carnaval de couleurs évoquant, tantôt Miro, tantôt Pellan), Casino (délire coloré dont un nerveux grattage nous laisse deviner des dés, des cartes et des roulettes se démultipliant à l’envi sur l’entraînant Something’s Coming d’Oscar Peterson), Primal Flux (incessantes métamorphoses en glaise peinte dont les formes précises nous glissent entre les yeux), Wall Dust (hallucinant déploiement surréaliste étant à l’animation ce qu’est l’écriture automatique à la littérature) — et que d’autres, enfin, s’ingénient à soigner leur montée dramatique et à multiplier leurs péripéties : The Tearaway (de sympathiques animaux de la forêt en carton découpé, après avoir mis la main sur le coupable recherché, se lient d’amitié avec celui-ci dans une finale rose bonbon), There’s Too Many Of These Crows (des animaux incomparablement plus méchants et menaçants dessinés au feutre noir prennent leur revanche sur les hommes et nous conduisent sans rémission à la fin de l’humanité dans une finale teintée d’une sombre blancheur), Die Brücke über den Fluss (un homme, tout de gouache animée, qui veut sauter d’un pont, regarde, pantois, sur un pont parallèle, une foule apeurée qui, en l’encourageant à ne pas sauter, ironiquement sombrera), Lak Boh Ki (une autre histoire de personnage — un bébé cette fois — qui menace de tomber du haut d’un immeuble en tâchant de récupérer son toutou… aventure qui aura plus d’une fois fait frémir la salle) et No Offense (un hilarant film sur la liberté d’expression contenant plus de gags qu’il ne contenait de secondes pour les dégainer).
 
Wall Dust avait tous les airs d’une animation surréaliste au sens où l’entendait André Breton dans son Manifeste de 1924 : « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Cette dictée dessinée à la craie laissait surgir sur du papier charbon une femme nue à la tête velue puis un homme moustachu frenchant un cochon dont l’anus se transformait en pomme grenade contenant des humains se métamorphosant en lézards passant devant des étagères sur lesquelles reposaient des têtes de gorilles à côté desquelles un cube se forme et pénètre dans les narines de l’homme préalablement transformé en cheval rose quand il fut avalé par le porcin et gagne son cerveau où il se fait pomper par un moustique qui le liquéfie en étang d’où surgit une trompe crachant des yeux et un tube vert qui s’insérant dans le trou laissé vacant par une tête de daim coupée fera pousser une tête d’homme toujours le même de la bouche duquel sortira un autre moustique qui après avoir sucé les taches blanches du cervidé décapité éclatera en chiffres divers au moment où une main réelle armée d’une seringue réelle pénètre dans ce crayeux univers et succionne la peau du cochon par le bout de son aiguille pour l’injecter dans des boulettes de chair afin d’en faire des culs humains qui déféqueront des œufs qui deviendront des dents une fois qu’ils auront passé dans une pluvieuse forêt de conifères et qui redeviendront des œufs qui se transformeront en pustules qui couvriront le visage de l’homme moustachu toujours lui et desquels on expulsera des globes oculaires chapeautés d’hélices passant devant un derrière de tête s’ouvrant au moyen d’une fermeture éclair qui laissera se mouvoir une langue visqueuse et devant laquelle une opulente poitrine reluquée par cinq mêmes mecs moustachus nous ramène grâce aux mamelons qui se transforment en boules blanches à l’étang visité plus haut et dont la trompe au bout de laquelle clignait un œil se métamorphose en pénis appartenant à un homme non identifiable mais probablement moustachu dans la tête duquel prennent vie deux enfants qui seront portés dans le ventre du daim arborant maintenant une tête de femme chauve qui laissera pousser ses bois jusqu’à l’embryon germant en elle et sur la membrane duquel ils frapperont comme à une porte afin de les réveiller et de leur permettre de devenir des hommes moustachus aux oreilles proéminentes desquelles sortiront des sexes et dont le coït particulier donnera naissance à une figure digne d’Arcimboldo de laquelle s’écoulera un insecte à tête de barbu souffrant de calvitie voletant puis se posant sur un monument de pierre et parvenant en insérant dans ses fissures une longue et mince langue rouge à le faire éclater pour faire surgir de ce décor une tête de gorille en glaise. Un déboîtement final nous conduit dans l’atelier de l’artiste, à poil, mais arborant la tête de l’homme moustachu peuplant son univers, se marquant le torse à la main de craie reprise à l’un de ses dessins affichés au mur. Rarement nous aura-t-on tenus en haleine avec si peu de cohésion. 




:: No Offense (Kris Borghs, 2016)
 

Dans un tout autre registre, No Offense— dont la jovialité du dessin n’avait d’égal que la rigueur du montage — s’ouvrait par une citation de Kurt Westergaard (dessinateur danois notamment connu pour avoir caricaturé Mahomet) : « There is always a risk that your work is taken seriously! » Sur une marche militaire sans prétention, la première image nous dévoile des banderoles sur lesquelles, dans un cercle blanc, deux crayons de plomb brisés forment un X évoquant comiquement le swastika nazi. Le ton est immédiatement donné. La suite nous montre, régulièrement rythmée sur ces tambours, toujours cadrés frontalement, des dizaines de caricaturistes à la bouille ronde, vêtus en prisonniers, suspendus à la queuleuleu sur des crochets métalliques, un carnet à dessins dans les mains, attendant de recevoir leur jugement dernier. Ont-ils, oui ou non, par leur gribouillage, brouillé quelque despote ? Le problème, c’est que le jury est composé de visages bien connus : Adolf Hitler, Mouammar Kadhafi, Joseph-Désiré Mobutu, Kim Jong-il, George W. Bush, Vladimir Poutine, Fidel Castro, le Pape ainsi que des représentants de diverses communautés auxquelles il vaut mieux ne pas s’attaquer (un juif, une femme voilée, une militante de Femen et un motard des Hells Angels). Tour à tour, arrivés au-dessus du trou qui les mènera aux enfers (s’ils sont reconnus coupables), ils exhiberont, inquiets et tendus, leur caricature. Dès qu’un juré se sentira gaussé, il ordonnera qu’on passe le coupable à la trappe. La liberté d’expression ne tient qu’à un fil. Le brio de ce court-métrage, c’est que le réalisateur réussit tout de même, de façon à peine retorse, à nous passer sous le nez toutes ses caricatures (que découvrent, chaque fois, les dessinateurs) et à caricaturer, dans l’estrade, les représentants qu’il vaut mieux ne pas caricaturer (sans parler des caricatures qu’il nous servira, en troisième lieu, dans le générique final). Faut-il vraiment se réjouir quand juifs, chrétiens et musulmans, quand communistes et capitalistes, quand oppresseurs et opprimés, quand représentants de la loi et hors-la-loi, chantent d’une seule voix et rient tous en cœur ? La chute, plutôt simplement rigolote que franchement politique, permet d’en douter. (Jean-Marc Limoges)



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Article publié le 8 décembre 2016.
 

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