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Vues d'Afrique 2021 : Partie 1

Par Claire-Amélie Martinant, Anthony Morin-Hébert et Olivier Thibodeau

Le festival Vues d'Afrique bat son plein. Comme à chaque année, notre comité de rédaction en profite pour vous suggérer quelques titres parmi l'offre foisonnante de films panafricains à l'affiche. Dans cette première partie, nous nous penchons sur deux gros succès festivaliers, mais aussi sur quelques trouvailles pittoresques, incluant le surprenant documentaire centrafricain Boyi biyo, l'édifiant Taxi - Kiltivatè et le tatiesque Sukar. Bon festival !
 


Les Ateliers Varan, Alliance française de Bangui


BOYI BIYO – DOUBLE POUMON

Anne-Bertille Ndeysseit Vopiande  |  République centrafricaine / France  |  2020  |  28 minutes  |  Documentaires courts métrages

* Disponible du 9 au 18 avril *

Il y a quelque chose d’irrésistible dans ce petit film centrafricain, vainqueur du Meilleur documentaire étudiant au dernier IDFA. Quelque chose qui rappelle les belles années du direct québécois, mais surtout l’irrévérence prolétarienne des premiers tapes de Robert Morin. L’introduction est classique, avec un beau plan large suivi par une plongée intime vers le plancher d’un abattoir extérieur où un groupe d’hommes font tomber, puis dépècent un gros ruminant comme dans les films de chasse de notre enfance. Le sol est cramoisi et la lame précise, maniée dans un geste rituel banalisé par les impératifs du commerce. En effet, ce n’est pas tant l’abattage de la bête qui constitue ici le point focal de la scène que l’acheminement empressé de sa carcasse par un « pousseur de viande », Shilo, surnommé Boyi biyo (Double poumon), dont le film se met dès lors à narrer le récit d’ennui domestique.

Double poumon est pousseur de viande par obligation, question de subvenir aux besoins bassement pécuniaires de sa famille, mais il rêve en fait de devenir marathonien, au grand dam de sa conjointe, qui déplore son manque de pragmatisme. « On ne fait pas d’argent » avec le marathon, déclare-t-elle prosaïquement, malgré les objections de son compagnon. Double poumon est un pousseur de viande-marathonien pour ainsi dire, un peu comme Mario, le rembourreur-cascadeur de Ma vie, c’est pour le restant de mes jours (1980). Les frictions domestiques que vit Shilo auprès de sa femme évoquent d’ailleurs celles que vivait Mario auprès de Brigitte au sein d’une œuvre dotée d’une sensibilité similaire, constituée elle aussi d’une tranche de vie savoureuse, croquée sur le vif pour mieux satisfaire un certain exhibitionnisme plébéien, révélateur des us méconnus d’une partie majoritaire, mais néanmoins méprisée de la population terrestre.

Le film est parfaitement pittoresque en ce sens qu’il n’a de cesse que d’enchaîner des scènes quotidiennes cocasses et truculentes, des moments d’anthologie qui, par introspection intime, permettent en fait de révéler des réalités sociologiques plus larges. La scène de beuverie sur un banc de parc rappelle notamment le cinéma de Pierre Falardeau, qui grâce au malt aspirait déjà à cerner la vérité des hommes via l’expression d’une parlure et d’une posture libérée par désinhibition éthylique. On discute ici de succès matériel, mais aussi de religion, alors que point une asymétrie spirituelle révélatrice entre le protagoniste, fervent chrétien, et son ami, qui lui suggère plutôt d’aller voir un marabout pour lui porter conseil. La scène suivante est étrange et complémentaire, puisque c’est un Jésus blanc comme neige auquel Shilo quémande bénédiction pour le bon déroulement de sa prochaine course, au cœur d’une petite chapelle qui détone dans l’espace comme une métastase du colonialisme français. La scène de circoncision finalement, où se bute un jeune garçon naïf à un médecin alcoolique, constitue la cerise sur le sundae d’un film qui pourrait très bien, grâce à son approche candide et intimiste d’un sujet infiniment pittoresque, devenir l’un de mes films cultes. (Olivier Thibodeau)



Momento Film


BUDDHA IN AFRICA

Nicole Schafer  |  Suède / Afrique du Sud  |  2019  |  90 minutes  |  Documentaires longs métrages

* Disponible du 11 au 12 avril *

Sélectionnée pour les Hot Docs 2019, Buddha in Africa est une œuvre méticuleusement fabriquée, complexe et terrifiante, tournée sur plusieurs années afin d’obtenir la confiance des missionnaires bouddhistes du Fo Guang Shan et de détailler le parcours initiatique cahoteux de son protagoniste malawite. Basée à Taïwan, mais éminemment sinophile, la secte de la « montagne lumineuse » (1) est profondément implantée en Afrique, au Malawi notamment, où elle opère un OBNL nommé Amitofo Care Center, qui recueille des enfants orphelins pour en faire des amuseurs guerriers, éduqués à la chinoise du primaire à l’université. Enock Bello, rebaptisé Alu (le perturbateur) est l’un de ces enfants, devenu adulte aujourd’hui. Malgré son apparente docilité et son implication assidue dans le travail des maîtres, celui-ci finit pourtant par remettre en question leurs enseignements, ouvrant la voie à une discussion urgente avec le spectateur sur les thèmes de l’acculturation missionnaire, du post-colonialisme, de l’endoctrinement institutionnel et du mérite de la discipline comme vecteur et objet d’apprentissage chez les jeunes.

C’est dans l’observation du rituel matinal prévalant au centre que le film lui-même s’éveille, révélant d’emblée une posture ambiguë face à son sujet. Il existe en effet une certaine beauté dans la représentation élégante que fait Schafer de la quiétude subtilement perturbée de l’aube monastique. Idem pour la discipline rigoureuse des orphelins, qui dès 4 h 30 se lèvent et font leur lit, se lavent, s’habillent, font leurs katas et s’agglutinent dans la salle du temple sous le battement des tambours, question de s’agenouiller à la gloire de Bouddha. Belle et mortelle, cette discipline donne froid dans le dos tellement elle évoque l’instruction militaire. Malheureusement, il ne s’agit pas là de la seule horreur que révèle la séquence d’ouverture puisque ce sont les tambours chinois qui remplacent ici les tambours bantous, comme si de rien n’était, dans un processus d’acculturation didactique qui s’apparente à celui des « pensionnats indiens » du Canada. La violence larvée du Vénérable W. (2017) nous explose également à la figure lorsqu’on assiste à l’entraînement subséquent des jeunes au combat, sous l’égide d’un maître de kung-fu intransigeant qui n’hésite pas à frapper pour qu’on lui obéisse. Il existe en effet dans le film une tension similaire à celle développée chez Barbet Schroeder entre le pacifisme doctrinal du Bouddhisme et le potentiel de violence tapie qui découle de son enseignement, culminant à l’écran dans une confrontation sanglante entre maîtres et disciples qui voit disparaître l’un des intervenants.

Le processus d’acculturation est évoqué maintes fois en cours de récit, particulièrement lors d’un voyage effectué par le protagoniste vers son village natal. Les excès de l’enseignement disciplinaire, envisagé comme une forme d’endoctrinement sont également soulevés de façon récurrente, lorsqu’une intervenante affirme par exemple « enseigner aux jeunes la reconnaissance ». Or, c’est dans la représentation d’une culture chinoise tentaculaire que le film touche une corde inusitée. En ce sens, il s’apparente au Days of Cannibalism (2020) de Teboho Edkins, tourné au Lesotho, mais témoignant d’efforts post-colonialistes semblables effectués par la Chine en Afrique. Raison de plus pour trembler face à un film qui, derrière les vertus du progrès technologique et de l’aide humanitaire étrangère, dévoile en fait le visage écumant d’un Moloch. (Olivier Thibodeau)

(1) La traduction exacte est : « Montagne de la lumière du Bouddha ».

 


Kiripifilms, Les Films de l'oeil sauvage, Neon Rouge Production


EN ROUTE POUR LE MILLIARD

Dieudo Hamadi  |  République démocratique du Congo / France / Belgique  |  2020  |  90 minutes  |  Documentaires longs métrages

* Disponible du 13 au 14 avril *

Pour ceux et celles qui l’auraient manqué aux RIDM, à Cannes ou au TIFF, voici désormais votre chance de revoir cet opportun et inestimable portrait des luttes minoritaires à l’heure du Mal mondialisé, un film qui, en s’attardant au récit spécifique des victimes de la guerre des Six Jours, traite en fait du combat désespéré d’un hémisphère tout entier dans sa quête de réparation pour les crimes perpétrés à son égard. La guerre des Six Jours (ainsi nommée en référence au conflit israélo-arabe éponyme) s’est déroulée du 5 au 10 juin 2000 dans la ville congolaise de Kisangani, opposant l’armée rwandaise à sa contrepartie ougandaise, intimée en 2005 par le Cour internationale de justice à verser compensation aux victimes mutilées du conflit. Constatant l’absence de résultats tangibles après 13 ans d’attente, un groupe d’estropiés décide de prendre les choses en main et de se rendre à Kinshasa pour exiger leur dû.

S’il vise d’abord à mettre en lumière les détails d’un conflit méconnu, ignoré par la communauté locale et internationale, s’il fait poindre un visage humain sur ses statistiques funestes, le film de Dieudo Hamadi se distingue surtout grâce à sa représentation frappante de l’iniquité des luttes, exemplifiée par la quête vaine et pathétique qui sert de trame narrative. Portant sur une association de victimes créatrices de spectacles autobiographiques, le film bénéficie d’emblée d’une mise en scène gigogne des intervenants, que la caméra mire d’un regard infiniment empathique et dignifiant, cherchant à établir un pathos décent qui seule peut traduire pleinement l’ampleur de leur candeur et de leur vulnérabilité face aux puissants. Ce sont de beaux personnages qu’on essaime ainsi en vue d’un grand récit migratoire d’inspiration morale qui, dans l’absence de catharsis, se mue tristement en récit d’impuissance.

Le style direct adopté ici permet de communier davantage avec les personnages, dont nous pénétrons subrepticement l’intimité, mais il sert aussi à exacerber le caractère homérique du voyage, particulièrement lors de cette scène emblématique (immortalisée sur l’affiche) où les sujets effectuent un voyage de plusieurs jours sur un rafiot bondé. Les images glanées pour l’occasion semblent sorties tout droit du cinéma d’aventure tant les corps agglutinés paraissent vulnérables aux intempéries, tant leur proximité est étouffante. La scène en soi est saisissante et instructive, mais elle est surtout parfaitement symbolique du caractère ardu et périlleux de l’initiative entreprise par le groupe. En effet, si le film s’enorgueillit d’un traitement naturaliste de son sujet, les images qu’ils véhiculent demeurent fortes en teneur métaphorique. C’est le cas de la hasardeuse traversée, mais aussi des déboires vécus par la troupe une fois rendue dans la capitale. Notons à cet égard ce plan surdéterminé de marche triomphale dans les rues accidentées de l’endroit, durant laquelle l’un des comparses trébuche sur sa béquille et s’affaisse au sol. Ce que nous constatons alors, c’est que l’iconographie triomphaliste du héros occidental ne cadre pas avec les laissés-pour-compte africains, dont la voix se heurte à l’indifférence d’un appareil gouvernemental et judiciaire qui, devant leur petitesse politique, a le beau jeu de faire la sourde oreille à leurs récriminations. (Olivier Thibodeau)



Barney Production, Mont Fleuri Production


SUKAR

Ilias el Faris  |  Maroc / France  |  2019  |  9 minutes  |  Fiction courts métrages

* Disponible du 15 au 16 avril *

Une journée débute à la plage de Casablanca – une tasse de thé bien sucrée, des policiers qui amorcent leur patrouille, un sauveteur roulant des mécaniques, des enfants, un vendeur de beignets, le soleil. Sukar, troisième œuvre d'Ilias el Faris, brille par sa simplicité; un petit film où l'on parle très peu, qui juxtapose une série de doux instants survenant en bordure de l'océan Atlantique et rappelle à plus d'un égard le voyage à la plage d'un certain Monsieur Hulot. Au cœur de ces vignettes se trouve un couple d'adolescents s'adonnant à des amusettes que vient sporadiquement déranger une bande de gamins ricaneurs. Elle lui vole sa sucette et la croque lascivement, ils se partagent la même gomme à mâcher, leurs mains dansent dans le sable; un lot de pulsions à peine retenues, l'apanage des premières amours gonflées d'innocence.

Enveloppé de candeur, le court métrage se donne des airs de film de vacances amateur : les coupures franches du montage segmentent la durée en tranches de moment privilégiés, les images captées sur pellicule 16mm sont délavées et bardées de légères imperfections, la spontanéité est accentuée par l'authenticité du jeu des acteurs non professionnels ainsi que la quantité très limitée de pellicule, qui a restreint le nombre de prises possibles lors du tournage. L'œuvre reste pourtant maîtrisée, la beauté des images et du paysage casablancais fait rêver à la plage, transmet efficacement la pureté et la force des sentiments de l'enfance.

Sous sa légèreté, Sukar dissimule cependant un message politique, porté contre la répression et la censure puritaines qui sévissent présentement au Maroc. S'appuyant sur un article de son code pénal qui criminalise les relations sexuelles hors mariage, la justice marocaine a défrayé les manchettes à plusieurs reprises au cours des dernières années en condamnant avortements et libertés amoureuses. Le collectif des Hors-la-loi s'est formé et un manifeste a été rédigé pour dénoncer la situation. C'est à ce mouvement qu'on peut associer l'œuvre d'Ilias el Faris, l'interdit étant franchi lorsque, profitant du tumulte d'une empoignade survenant non loin, les deux adolescents finissent par s'embrasser. La police se pointe le nez et ce ne sont pas les bagarreurs qu'ils embarquent, mais les amoureux. Le ridicule de la situation est marqué par l'aspect pompeux de ces bonshommes bedonnants qui arrivent tranquillement à cheval pour faire triompher la Loi face à ce « crime » inoffensif. Les deux jeunes, menottés et placés à l'arrière des chevaux tels des bandits de western, sont amenés vers l'horizon orangé du soleil couchant. Mais ce sont des regards complices et hilares qu'ils se lancent – l'absurdité de la situation et de leur monde n'a pas eu raison de leur passion, le bonheur de cette journée triomphe. (Anthony Morin-Hébert)



Productions Bonsaï


TAXIMAN - CULTIVATEUR (TAXIMAN - KILTIVATÈ)

André Vanasse  |  Haïti / Canada  |  2019  |  6 minutes  |  Regards d'ici courts métrages

* Disponible du 9 au 18 avril *

Doté d’une positivité éloquente et d’un didactisme perspicace, Taximan Kiltivatè, nous initie à l’agroécologie pratiquée par les chauffeurs de taxi-moto dans le sud-est d'Haïti. En quelques minutes seulement, nous apprenons énormément sur ce système et comment il peut aisément s’implanter là où les habitants se déplacent à moto. « La moto-taxi et l’agroécologie sont des activités complémentaires qui se soutiennent l’une et l’autre » relate Jean Michel Jean, un des paysans chauffeurs qui fait la navette entre Jacmel et le Haut Cap-Rouge.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et la l’agriculture : « l'agroécologie consiste à appliquer des concepts et principes écologiques de manière à optimiser les interactions entre les végétaux, les animaux, les humains et l'environnement, sans oublier les aspects sociaux dont il convient de tenir compte pour que le système alimentaire soit durable et équitable. » Autrement dit, l’agroécologie repose sur un ensemble de pratiques et de connaissances liées à l’écologie, l’agronomie et l’agriculture qui privilégient les interactions biologiques et s’appuient sur les fonctionnalités apportées par les écosystèmes déjà en place. Dans le cas du présent court métrage, elle vise un retour à la terre en offrant un emploi avec des revenus stables et prône l’agriculture biologique tout en constituant un frein à l’exode rural.

Celestin Jacques nous conte le déroulement d’une journée de labeur. Tous les matins et soirs, il part nourrir ses quelques bêtes qui fertilisent le sol de sa bananeraie. Nul besoin d’un troupeau... « Le sol de Cap-Rouge est si pauvre, que si on ne fait pas l’effort de le fertiliser avec du fumier naturel, on ne peut rien produire... Il faut mettre du fumier pour que les plantes se développent bien. »

Parfois, les taximen peuvent attendre des heures avant qu’un nouveau client se présente. Celestin Jacques préfère utiliser son temps d’attente à travailler dans son jardin et apporter à la terre des nutriments en l’aidant à la faire revivre. Il sarcle, coupe et entretient ses plantations tout en nourrissant ses animaux de végétaux. Les excréments des cochons, âne ou cheval qui pâturent sur les parcelles viennent nourrir la terre et s’ajoutent à la couche de végétaux déjà présents au sol. Puis ce fumier, un excellent engrais naturel, est épandu aux pieds des bananiers qui restent très verts malgré 4-5 mois de plein soleil. Ils deviennent très résistants à la chaleur et attendent littéralement que la pluie vienne pour profiter de l’eau à nouveau.

Planification et polyculture sont de mise : tout est calculé d’avance. Les piments nécessitent 3 mois pour atteindre leur maturité et être vendus, les ignames 6 ou 7 mois, le malanga est prêt en 12 mois et enfin la banane en 15 mois. Par leur association et chevauchement, ces cultures produisent fruits et légumes et procurent des revenus tout au long de l’année. Pareilles à la technique ancestrale des 3 soeurs développée par les peuples autochtones en Amérique du nord (le maïs sert de tuteur aux haricots, et les courges s’étalent au sol), ces cultures donnent le meilleur d’elle-même si elles se complètent et se soutiennent. La rotation des cultures favorise ainsi la biodiversité et une interdépendance saine qui vient reconstituer les sols, soigner la terre tout en contribuant à la santé environnementale, sociale et éthique. Alors, à quand le changement ? (Claire Martinant)

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PARTIE 1
(Boyi biyo, Buddha in Africa, En route pour le milliard,
Sukar, Taximan - Cultivateur)

PARTIE 2
 (2 avril, Le chemin du paradis, De terres à terre,
Envers et contre tout, Vas-y voir)


PARTIE 3
 (Le fou gentil, Lucie, Paysages d'automne, Terre des braves)

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Article publié le 11 avril 2021.
 

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