WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival Fantasia 2017 : Jours 6-7

Par La rédaction





BITCH

Marianna Palka  |  États-Unis  |  2017  |  96 minutes
 
Voici un brûlot sur la condition de la femme au foyer qui est tout — désopilant, effrayant, touchant… – sauf larmoyant (Dieu merci !). Féroce et drôle à la fois, mordant tout en étant allégorique, impitoyable sans être castrateur, chaotique mais juste, le film de Palka nous conduit à travers ses violentes et incessantes ruptures de ton — sans jamais nous ennuyer ni nous faire décrocher — tout en suscitant (étonnant tour de force !) une profonde réflexion. Bitch assume sa poésie et son propos. Et on en accepte sa prémisse parce que la réalisatrice sait bien qu’il est vain de l’expliquer. Si la mère de ces quatre enfants, cocufiée par son mari, se transforme en chien — que l’on enferme à la cave et qui se couvre d’excréments —, c’est parce qu’on l’a réduite à l’état animal et que, humiliée, éreintée, exaspérée, elle a décidé de grogner et de montrer les dents.
 
Du coup, quand la femme disparaît du paysage, c’est le chaos (lumineux) qui s’empare de la maison, lequel est capté par une caméra à l’épaule digne des « téléréalités », tandis que, dans la cave (d’un glauque terrifiant), elle se tient rivée au visage de Jill (stupéfiante Marianne Palka dont le regard est troublant d’animosité et de mélancolie). Tout se déglingue et se brise dans cette baraque, à l’instar de ce lustre auquel maman a voulu se pendre, dans la première scène, et qui, ne supportant sans doute pas le poids qui écrasait ses épaules, s’est décroché pour éclater en mille morceaux sur le carrelage de la cuisine. Le père, habitué à tout contrôler sans jamais rien faire de concret, se trouve soudainement démuni et impuissant devant cet abrupt retour à la réalité. Au reste, plutôt que de s’étonner de voir sa femme japper, il lance, consterné et colérique, des « Elle ne peut pas me faire ça ! », « Elle est dans la cave, en train de prendre une pause ! », « Je ne le lui pardonnerai jamais ! ». Mais puisque Jason Ritter joue comme dans une sitcom (influence de papa ?), on se surprend à aimer ce beau salaud. Et tous ces changements de tonalité sont ficelés par une inventive trame musicale peuplée de claves, de güiros et autres guimbardes s’amusant à passer du free dixie au lullaby expérimental, une trame musicale toujours chaotique, en somme, mais toujours dans une tonalité faisant contrepoint aux images, preuve s’il en est, du détachement salutaire avec lequel la réalisatrice aborde et relativise son propos. La femme se transforme en chien, mais la bête, c’est le mari, lequel tire la langue et remue la queue devant son patron. La femme est réduite à l’état animal, mais c’est le mari qui a l’air bête, la promenant en laisse dans le parc.
 
Du coup, c’est l’histoire de Bill plus que celle de Jill qui nous est racontée. Faut-il se choquer ou s’attendrir des premiers pas qu’il fait quand, après avoir confessé, en larme, dans une scène d’une sidérante justesse, qu’il ne lui a jamais acheté de cadeaux (elle les achetait elle-même et les signait de son nom), on le voit condescendre à se rendre à l’animalerie du coin chercher des jouets pour l’amuser ? Faut-il s’assurer de sa sincérité quand on le voit foutre sa maîtresse (qui rapplique) à la porte ? Faut-il être convaincu de la transformation qui s’opère quand, enfin, on ramasse le lustre dont les éclats parsemaient encore le plancher ? Jusqu’où Bill sera-t-il prêt à aller pour redonner à sa femme la dignité qu’il lui a volée ? Mais c’est quand il se met, dans une des dernières scènes du film, à se rouler joyeusement par terre en public pour l’amuser qu’il en (re)devient attendrissant et qu’on est prêt à tout lui pardonner. (Jean-Marc Limoges)


 


THE LITTLE HOURS
Jeff Baena  |  Canada, États-Unis  |  2017  |  90 minutes
 
The Little Hours est l’adaptation libre — voire libertine — du premier conte de la troisième journée du Décaméron de Boccace, journée consacrée aux contes « Où l’on parle de ceux qui, par leur ingéniosité, ont obtenu ce qu’ils voulaient, ou ont retrouvé ce qu’ils avaient perdu. » Ainsi en est-il de ce jeune Masseto qui contrefait le sourd-muet (comprendre : l’idiot) pour mieux pénétrer dans un couvent, y cultiver son jardin, y planter sa graine et se taper quelques nonnes. Nous sommes en 1347, dans cette Italie bucolique sise en bordure des Alpes, et les religieuses du film n’ont que des « Fuck » et des « Bitch » à la bouche. On pourrait s’en étonner, voire s’en offusquer, mais ces anachronismes lexicaux et autres décalages sémantiques, redonnent la fraîcheur et la truculence à ces fabliaux médiévaux, lesquels, peuplés de prêtres paillards, de femmes vicieuses et de maris cocus, tendaient avant tout à faire rire tout en offrant accessoirement une morale à deux sous en forme d’antimétabole (« [Si] un coq suffit bien pour dix poules, […] dix hommes peuvent mal satisfaire une seule femme ») ou à désédimenter quelques idées bien ancrées (« il y en a beaucoup de ces hommes et de ces femmes assez sots pour croire que dès qu’on a posé sur la tête d’une jeune fille le bandeau blanc et sur son dos la robe noire, elle n’est plus femme et ne se sent plus d’appétits féminins, comme si, en la faisant nonne, on l’avait tait devenir de pierre »). Boccace savait être drôle, obscène, irrévérencieux, mais aussi galant, courtois, philosophe. Or, le film de Baena, quoique comique, demeure néanmoins pudique (on n’aura qu’à voir l’adaptation de Pasolini pour s’en convaincre) et bien moins philosophique que les contes du Florentin. Partant, si Boccace se faisait également le critique des mœurs de son temps, le film de Baena se fera timidement (et encore, si on force un peu) le critique des mœurs du sien : soumission à l’autorité, obscurantisme religieux, sort réservé aux femmes (et aux hommes !), intolérance, mensonge, corruption, cafardage… Enfin, si Boccace savait aller droit au but, on peut douter que Baena ait su tirer leçon de cette économie : son film multiplie les récits secondaires inutiles et se perd dans d’obscures messes noires qui, bien que lui permettant d’alimenter un joli feu autour duquel ses nonnes nues danseront, n’alimenteront aucunement son propos. Bref, comique, érotique, philosophique, économique et critique, le film l’est, sans toutefois aller plus loin dans l’une ou l’autre de ces directions que les contes satiriques du grand Boccace. (Jean-Marc Limoges)

 


 
ORIGAMI
Patrick Demers  |  Canada  |  2017  |  95 minutes  |  Les fantastiques week-ends du cinéma québécois
 
L’origami est un art japonais complexe et raffiné qui consiste à plier des feuilles de papier pour leur imprimer diverses formes et leur insuffler la vie. L’observateur est alors stupéfié : comment peut-on parvenir à créer d’aussi beaux objets à partir d’une simple feuille ? Devant le film de Demers, le spectateur sera habité par un sentiment tout semblable. Médusé par la beauté formelle du film et l’ingéniosité de ses pliures, il sera consterné par la platitude de la feuille qu’il aura, au terme de son visionnement, dépliée. Car ce scénario bicéphale a beau être joliment plissé, il demeure très peu tordu (malgré ce qu’on veut nous faire croire). On aime bien être dupe, mais on déteste se faire rouler.
 
David — un artiste spécialisé dans la reproduction d’estampes orientales — reçoit la visite de Yamane, un étrange savant japonais, qui lui offre son livre (une plaquette de quelques feuillets !), lequel contient la complexe équation révélant les secrets des voyages temporels (on sursaute derechef). Le jeune artiste pose ses pinceaux et le spectateur prend son crayon. On écoute l’explication du Nippon : le temps est une flèche (le savant dessine une flèche) que l’on peut plier (le savant plie la feuille) de façon à nous permettre d’effectuer des sauts dans le temps (le savant fait un trou dans sa feuille) — pour ce faire, il suffit de « se concentrer profondément » (David se concentre profondément). Bien que se voulant chargée d’intensité, l’explication demeure sommaire, laconique et lacunaire. Mais le spectateur profite de son crayon pour signer le contrat narratif et explorer mentalement toutes les possibilités qu’offre une telle prémisse.
 
Pourquoi David est-il l’élu ? Parce qu’il a commis une grave faute qu’il voudrait réparer (mais que fait-on des fautes commises par tous ses congénères ?), à l’instar du samouraï Kumagai (1141–1208), dont il s’ingénie à reproduire les traits tout au long du film et sur lequel la caméra insiste (vieux truc nommé « mise en abyme » permettant de redoubler et de rendre tangible le propos du film). Ne pouvant se satisfaire de ce récit (déjà cousu de fils blancs), les scénaristes ajoutent une autre trame : c’est David lui-même qui, pouvant voyager dans le temps avant même que Yamane en théorise la possibilité, aurait remis le livre au savant. Le film laisse alors miroiter de troublants vertiges spéculaires ponctués de brouillages causaux de toutes sortes. Mais il n’en sera rien. David est fou, c’est tout. En somme, le saut, c’est nous qui le faisons quand nous apprenons qu’il est incapable d’en faire, sanglé sur le lit où il est réduit à le devenir.
 
Le spectateur, déçu, cessera alors d’explorer mentalement les possibilités que le film l’avait pourtant invité à imaginer, laissera tomber son cahier non sans en avoir arraché la feuille sur laquelle il avait pris des notes afin d’en faire une petite boulette qu’il lancera violemment. On aime bien être dupe, mais on déteste se faire rouler. (Jean-Marc Limoges)
 

 


RADIUS
Caroline Labrèche et Steeve Léonard  |  Canada  |  2017  |  87 minutes  |  Les fantastiques week-ends du cinéma québécois
 
Radius est un film qui nous permet de poser plusieurs questions. Pourquoi est-ce l’homme qui est, seul, prisonnier de ce « sort » et non aussi la femme, qui a pourtant subi le même « coup de foudre » ? Pourquoi fallait-il que l’éclair donne ce « pouvoir » et retire la mémoire ? Pourquoi l’a-t-on laissée repartir de l’hôpital, où elle dit s’être rendue après l’accident, alors qu’elle n’avait manifestement plus toute sa tête ? Pourquoi son mari, quand elle le retrouve après avoir disparu, n’a pas de plus fougueux élans vers elle ? Pourquoi, pour lui raviver les souvenirs, lui montre-t-il la photo de sa sœur jumelle et non celles, juste à côté, où ils sont ensemble ? Pourquoi le mari appelle-t-il la police si c’est pour admettre aussitôt qu’il a fait une erreur ? Pourquoi toutes les radios et toutes les télés du monde passent-elles toujours la même nouvelle au moment même où on les allume ? Pourquoi, retournant avec l’homme sur les lieux de l’accident, en plein milieu d’une luxuriante forêt, la femme se rappelle-t-elle exactement où elle est tombée ? Pourquoi cacher un cahier dans le foyer ? Pourquoi attendre d’être à l’hôpital pour mettre fin à ce cauchemar ? Et pourquoi les poissons… ? Baste ! La prémisse était intéressante, mais son traitement, maladroit. On aurait voulu, au-delà du « punch » — pour lequel le récit semble avoir été écrit —, que le film nous permette aussi une lecture métaphorique, voire philosophique, un peu à la façon de ce « Jettatura » (souffrant sensiblement du même mal) si finement peint par Théophile Gautier dans ses Contes fantastiques. Comment peut-on aimer quelqu’un qu’on ne peut regarder sous peine de le tuer du regard ? Ou encore : Qu’advient-il quand deux êtres que rien ne rapproche doivent cohabiter pour le reste de leur vie sous peine de voir le monde autour d’eux s’écrouler ? À cette question, le film n’apporte pas de réponse, puisqu’il ne nous permet pas — contrairement aux autres — de la poser. Reste toutefois ce très ingénieux plan : le travelling circulaire autour de Liam quand il apprend qu’il est l’épicentre du désastre. (Jean-Marc Limoges)

 



POOR AGNES
Navin Ramaswaran  |  Canada   |   2017   |  98 minutes
 
Pauvre scénario. Pauvre cinématographie. Pauvre mise en scène. Pauvre sono. Pauvre colo. Pauvre montage. Pauvre direction d’acteurs. Pauvre direction photo. Pauvre direction  artistique. Pauvres dialogues. Pauvre trame sonore. Pauvre Agnes. (Jean-Marc Limoges)

 



VALERIAN AND THE CITY OF A THOUSAND PLANETS
Luc Besson  |  France  |  2017  |  137 minutes
 
Vingt ans après The Fifth Element, Valerian and the City of a Thousand Planets démontre tout le savoir faire du cinéma d’images de synthèse au 21e siècle, avec des espaces-temps plus sophistiqués que jamais où les multiples dimensions d’une réalité possible sont définies à travers des outils de navigation extravagants. Le nouveau film de Luc Besson est librement adapté de la série de bandes dessinées des 70’s Valérian et Laureline, — plus spécifiquement de l’histoire du sixième album L’Ambassadeur des Ombres dont l’univers et ses personnages semblent faits sur mesure pour le cinéaste. Après Milla Jovovich, on retrouve sans surprise un autre top modèle, Cara Delevingne, cette fois pour incarner la vision fantasmée d’une Laureline combative, à l’assurance débridée, pourtant trop grossièrement réduite à cette seule apparence physique proche de la perfection, capable de rivaliser avec les autres créatures sublimes exobiologiques imaginées par le cinéaste. Valérian (Dane DeHaan ; Chronicle), incarne le pendant masculin de Lauréline. Leur dynamique  est encadrée dans les coutumières tendances « paternalistes bienveillantes » des personnages de Besson, sur fond d’humour sarcastique, où l’héroïne, toujours puissante et impressionnante, doit tout de même minauder ou pleurer pour espérer avoir gain de cause; ici, c’est pour sauver une espèce du génocide et réparer les erreurs passées du commandant despotique et lâche Arün Filitt (Clive Owen) que l’on verra briller les yeux de la belle. Depuis Le Grand Bleu, cette constante est sans équivoque. L’univers des films de Besson en revient à des histoires d’amour quétaines, imbriquées dans des mises en scène viriles, fantastiques, hors du commun, et spectaculaires. On ne changera pas Luc Besson ; Valerian and the City of a Thousand Planets ne fait pas exception : les stripteases langoureux et affriolants sont chorégraphiés avec grâce et un peu trop de complaisance, mais que serait un Luc Besson sans soubrette extraterrestre ? Ce qui débute comme un pur divertissement, au rythme effréné, aura tôt fait de s’enliser dans les changements de ton de scènes aux dialogues simplistes et bavardages superflus. Face à l’action hyperactive à laquelle le spectateur est constamment soumis, ces interruptions sentimentales, et cette sous-histoire romantique vécue par les deux protagonistes, bien que dans l’esprit des bandes-dessinées duquel le film est tiré,  ne fait pas le poids et projette vers le « happy end » que l’on voit venir de loin. Une expérience en 3D qui nous vaut quelques bons moments d’action, de suspense et de sensualité; rappelons que les effets spéciaux ont été, en grande partie, réalisés à Montréal par Rodeo FX. Il semble que l’on puisse en attendre une suite, en cours d’écriture… (Anne Marie Piette)

 

PRÉSENTATION
JOUR 1
(The Vilainess, JoJo's Bizarre Adventure: Diamond is Unbreakable – Chapter 1,
Super Dark Times)

JOURS 2-3
(A Ghost Story, The Honor Farm, Museum)

JOURS 4-5
(Animals, Brigsby Bear, Confidential Assignment, Liberation Day, My Friend Dahmer)

JOURS 6-7
(Bitch, The Little Hours, Origami, Radius, Poor Agnes,
Valerian and the City of a Thousand Planets)
JOURS 8-10
(78 / 52, The H-Man, House of the Disappeared,
The Night of the Virgin, The Senior Class)

JOURS 11-12
(A Day, Cold Hell, Have a Nice Day,
Ron Goosens, Low-Budget Stuntman)
JOURS 13-15
(Good Time, King Cohen, The Laplace's Demon, 
Most Beautiful Island)

JOURS 16-19
(68 Kill,  L'ange et la femme, Fabricated City, Mayhem,
The Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue, Tiger Girl)

ENTREVUE AVEC LARRY COHEN
JOURS 20-21
(Bushwick, Fritz Lang, Geek Girls, Tragedy Girls)

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Article publié le 22 juillet 2017.
 

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