WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival du nouveau cinéma 2016 : Jour 6

Par Panorama - cinéma



A DECENT WOMAN

Lukas Valenta Rinner  |  Argentine |  2016  |  100 minutes  |  Compétition internationale
 
Quintessence de la satire sociale, A Decent Woman dévoile de façon subtile et incisive les nombreux tics de la bourgeoisie argentine, faisant preuve à son égard d’une finesse d’observation inouïe. À l’exception de sa scène finale, explosion jouissive de violence revendicatrice, il demeure d’ailleurs tout en retenue, laissant aux personnages du récit le soin de se parodier eux-mêmes, cultivant quant à lui un humour pince-sans-rire parfaitement adapté à la réalité tragicomique de la lutte des classes. Sélectionnée après un rigoureux processus d’élimination, Belén devient la nouvelle bonne d’une riche famille de Buenos Aires. Quittant son quartier prolétaire pour le confort d’une communauté fermée ceinte d’une barrière électrique, elle découvre rapidement l’absurdité de l’étiquette bourgeoise. Logée dans un insultant réduit au sein d’un richissime bungalow, elle passe sa journée à satisfaire les caprices de son irritante patronne, appariant ses tasses et ses soucoupes propres, et nettoyant ses précieux planchers à l’aide d’un liquide spécifiquement adapté. Or, ces tâches déshumanisantes la forcent finalement à aller chercher sa liberté ailleurs, parmi les hippies nudistes d’une communauté voisine, hostile à l’enclave bourgeoise qui leur sert de voisin. Utilisant l’espace scénique avec une maîtrise hors du commun, le jeune réalisateur Rinner multiplie ici les gags visuels à la manière d’un vétéran. Usant toujours de plans larges, il y inclut sans cesse des éléments incongrus (glands en bronze et perroquets abattus), dont le spectacle inattendu frappe notre imagination et nous garde en état constant d’expectative. Usant également de la durée comme recours comique, il exacerbe le malaise régnant entre Belén et son plus acharné prétendant, gardien de sécurité ridicule avec lequel elle se promène en voiturette, mange des biscuits soda, et « s’amuse » dans une foire foraine déserte. Le hors-champ est également exploité de manière efficace par le réalisateur, lui permettant de circonscrire la relation de subordination que Belén entretient avec Juanchi, fils de sa patronne et caricature essentielle de l’enfant gâté, sportif colérique qui n’est pas sans rappeler la reine westmountaise de la raquette brisée, Eugenie Bouchard. Rinner prouve finalement sa maîtrise totale de son arsenal technique grâce à d’hilarants raccords, lesquels constituent peut-être les plus saillantes manifestations de son génie comique, lui permettant de suppléer à la durée des malaises scéniques une durée inattendue, l’érigeant du coup en champion de l’inconfort humoristique, contrepartie cinématographique de l’icône britannique Ricky Gervais. (Olivier Thibodeau)
 



BELGICA
Felix Van Groeningen  |  Belgique  |  2016  |  126 minutes  |  Histoire(s) du cinéma

Sous ses dehors colorés et festifs, Belgica est un film qui pose la question des limites. À partir de quand le plaisir devient-il une descente aux enfers ? À partir de quand les responsabilités nous encagent-elles dans une prison ? Jo (Stef Aerts), un jeune borgne (pourquoi borgne ? parce qu’au royaume des aveugles… ?), tient un bar à Gand : Le Belgica. Frank (Tom Vermeir), son aîné, s’emmerde dans un concessionnaire de voitures usagées. Celui-ci renoue avec celui-là et lui propose de but en blanc son aide. Le bar marche bien, mais il peut marcher mieux. Ils sont alors soudés par une passion commune : transformer ce boui-boui en Arche de Noé afin d’y recevoir tous les junkies, marginaux et tripeux du coin pour des orgies de 40 jours et 40 nuits. C’est alors une joyeuse enfilade de spectacles musicaux, offerts par des artistes tous plus talentueux les uns que les autres et dont chacun reçoit un éclairage et un rythme qui lui est propre. Bienvenue au Belgica ! La musique joue sans cesse, l’alcool coule à flots, la coke rentre à fond, les femmes se dénudent et les hommes s’ébaudissent. Alors que tous perdent les pédales, Van Groeningen parvient, lui, et contre toutes attentes, à garder le cap : armé d’une caméra à l’épaule nerveuse à laquelle il soude une petite profondeur de champ, il filme la débauche de long en large, sans jamais s’essouffler. Et quand le jour se lève, quand on sort dehors, nous sommes nous-mêmes aveuglés par ces ciels trop clairs et toujours trop gris. La vie, en dehors du Belgica, semble bien terne. Puis, la fête reprend et les groupes se succèdent. Mais tout ne pourra pas toujours aller aussi bien. Quand l’amour entre les deux frères s’effritera-t-il ? Quand les problèmes commenceront-ils ? Quand le bar dégringolera-t-il ? Arrive donc le moment où on tente de prendre les choses en main, d’endiguer l’anarchie, d’augmenter la sécurité, de flanquer la porte de bouncers, de trier les clients sur le volet, d’en refuser certains, d’en faire entrer d’autres, d’augmenter les prix, de remplir les verres de glace pour diminuer les rations, d’offrir des pinottes pour augmenter la soif et engranger de substantiels profits. Pourquoi ce soudain sérieux ? L’anarchie vous allait si bien ! Le temps des responsabilités est venu. Tandis que la copine de Jo, enceinte (mais de qui ?), décide de se faire avorter, la femme de Frank, qui se plaint de ses absences et de son mode de vie débridé, accouche de son deuxième enfant. Les frères se disputent, s’entre-déchirent, se séparent. Jo reprendra son bar en main, Frank regagnera le nid familial. Après deux heures de bombance, de délire et de liesse, on se demande où Van Groeningen voulait en venir. Mais là ! Regardez la tronche des deux frères. Les dernières images du film sont gonflées d’une telle charge émotive. Jo, prenant place derrière son bureau, tel le nouveau parrain, fait défiler les images des multiples caméras de surveillance se terrant dans tous les racoins de son maintenant très select débit de boisson, avec l’air d’un gars que l’on dirait atrocement désillusionné. Frank, après une dure journée de travail physique lors de laquelle il a construit sa terrasse, regarde ses deux jolis bambins lui envoyant de craquants sourires par la fenêtre de son salon, avec dans l’œil, toutefois, le palpable et déchirant regret d’avoir laissé sa vie d’ado derrière lui. Alors que nous aurons nous-mêmes eu l’impression d’avoir fait la bringue avec la foule bigarrée du Belgica, nous repartons chez nous avec un goût amer et une petite nostalgie dans le fond de la gorge. Jusqu’où serions-nous prêts à nous éclater sans tomber dans la dépravation ? Jusqu’où serions-nous prêts à prendre nos responsabilités sans devenir pantouflards ? Voilà les questions que pose cet enivrant vidéoclip de deux heures. (Jean-Marc Limoges)
 



LILY LANE
Bence Fliegauf  |  Hongrie  |  2016  |  91 minutes  |  Les nouveaux alchimistes
 
Lily Lane est un film foncièrement sombre, un film dur et suffocant qui ne laisse aucune place à l’espoir, présupposant l’inéluctabilité des modèles mentaux acquis durant l’enfance. Il fait nuit noire dans un quartier résidentiel de Budapest, et il est bientôt l’heure de dormir pour le jeune Dani, occasion parfaite pour sa mère Rebeka de lui raconter un conte sordide. Procédant par épisodes, cette dernière lui narre ainsi l’histoire tragique de Honey, malmené(e) par des parents névrosés qui lui offrent un terrifiant renard empaillé, et l’enferment des mois durant dans un caveau humide. Le récit est certes romancé, mettant en scène des personnages comme la Fée et le Chasseur, mais se pourrait-il qu’il soit autobiographique ? Alternant entre l’univers sombre du récit et d’angoissantes vignettes nocturnes (plans de crapauds, de corbeaux, d’arbres tordus, de vieilles dames ridées et du bébé Dani), le film prend des allures de puzzle, livrant les pistes de résolution de l’intrigue. Débutant sur un plan subjectif troublant où l’on devine un enfant jouant avec ses legos dans l’obscurité, le film évoque d’emblée la sensibilité infantile, récipient des peurs les plus intrinsèques et des enseignements les plus dommageables, lesquels se mêlent malheureusement ici pour condamner le jeune Dani avant même qu’il n’entreprenne sa vie d’adulte. De sa mère seule, laquelle se réserve le droit de l’éduquer à sa manière malgré les réticences d’un père complètement absent de la diégèse (n’existant ici que par messages textes), elle reproduit avec lui les schèmes de sa propre victimisation, entreprenant à ses côtés un long chemin de croix visant à détruire par le feu ses traumatisants souvenirs. Filmé presque exclusivement dans la pénombre, le film semble étouffer toute propension à l’espoir, cultivant une atmosphère d’étrangeté même dans les plus joyeuses scènes diurnes. L’exemple le plus éloquent de cette tactique représentationnelle est la séquence où Dani se retrouve dans une piscine publique avec Rebeka. Filmée à moitié sous l’eau, et à moitié en surface, celle-ci évoque le décalage entre le rêve lumineux du bonheur familial et l’angoissante réalité psychologique qui se trame au-dessous, suggérant en outre l’espace utérin que mère et fils partagent de façon symbiotique, restreignant ainsi l’univers de Dani à une suffocante cellule familiale, source d’un amour toxique et carcéral dont on doute qu’il ne puisse jamais s’émanciper. (Olivier Thibodeau)
 
 


MES NUITS FERONT ÉCHO
Sophie Goyette  |  Québec  |  2016  |  98 minutes  |  Focus Québec/Canada
 
Mes nuits feront écho est un beau recueil de poésie qui laisse au final légèrement indifférent, une œuvre sensible et sincère portée par le « fatalisme apaisant » d’une mise en scène posée aux images soignées. Le premier long métrage de Sophie Goyette souffre essentiellement du fait qu’il ne sait exprimer la douceur que doucement ; il se dégage de l’ensemble une certaine monotonie, même si sa forme raffinée évolue élégamment au gré des scènes. L’urgence de vivre ainsi revendiquée semble estompée par une espèce de lyrisme modéré, l’émotion convoquée se dissipe dans une sorte de surenchère mesurée — tant et si bien que tout paraît au final un peu figé. Certaines des scènes les plus vivantes servent, paradoxalement, à témoigner de l’aliénation d’Éliane : celle où elle joue le rôle d’une princesse, lors d’une fête d’enfants, est habitée par une énergie imprévisible qui disparaît dès que le ton devient plus solennel. Ailleurs, l’austérité exquise impose non seulement une certaine idée arrêtée de ce qui constitue la beauté — mais détermine aussi un peu trop fermement une « bonne » manière (sobre mais léchée) de la filmer. Il n’en demeure pas moins que le film de Goyette est beau, parfois même très beau : cette volonté d’arrêter, ou à tout le moins de ralentir momentanément l’écoulement du temps donne lieu à des plans superbes où l’image cherche de toutes ses forces à emmagasiner le ressenti. Dans ces instants où son propre murmure s’accorde à la musique mélancolique du monde, Mes nuits feront écho touche réellement. (Alexandre Fontaine Rousseau)
 


 
NOTES ON BLINDNESS : A VR JOURNEY INTO A WORLD BEYOND SIGHT
France/Royaume-Uni  |  2016  |  Durée variable  |  eXPlore
 
« Sitting in the park with children, I feel the footsteps of people walking pass me, rustling of the newspaper, murmur of conversations. The myriad of voices and sounds create a panorama of music and information. Where there is no activity, there is no sound. And then that part of the world dies. » D’une sensibilité lumineuse infiltrant habilement notre monde sensoriel, Notes On Blindness : A Vr Journey Into a World Beyond Sight, est la version en réalité virtuelle du récit authentique de John Hull, Australien d’origine qui enseigna la théologie et l’éducation religieuse en Angleterre et dont la vie fut bouleversée par la perte progressive de sa vue. Documentant vocalement durant 3 années sa descente aux enfers, ses ressentiments et tentatives désespérées de combler sa déperdition, puis sa compréhension du monde malvoyant, son renouveau et ses réjouissances, son témoignage hors du commun a la force et la beauté d’offrir une passerelle tangible entre deux mondes qui ne peuvent se comprendre. Autour de 6 chapitres, John Hull nous livre d’une voix pénétrante et apaisante ses pensées, ses peurs, ses victoires avec une humanité insolite faisant de nous son meilleur compagnon. Si l’on ferme les yeux, le noir apparaît. Pourtant il reste teinté de points lumineux. Cette vision si bien retranscrite par la réalité virtuelle, pareil à un ciel nocturne parsemé de lucioles phosphorescentes et constellé de corps en mouvements furtifs, nous donne à voir ce qui ne se voit pas. Les différents espaces habités par l’auteur, s’illuminent au travers de ses humeurs, que ce soit avec douceur et légèreté ou encore flou et vitesse, pour nous révéler les dimensions spatiales d’un parc, la chaleur d’une maison ou encore la grandeur architecturale d’une cathédrale. Les environnements sonores subjuguent : aux gouttes d’eau se confondant en une mélodie, s’ajoute la pureté des voix d’un chœur d’enfants ou encore le souffle du vent, le bruissement d’un journal, etc. faisant de ce parcours initiatique et didactique une approche sensorielle qui ne laisse pas indifférent. (Claire-Amélie Martinant)
 



THE UNTAMED (LA REGIÓN SALVAJE)
Amat Escalante  |  Mexique/Allemagne/France  |  2016  |  100 minutes  |  Les incontournables
 
Film hommage au Possession (1981) d’Andrzej Zulawski, The Untamed (La région sauvage) utilise les codes du cinéma d’horreur et du tentacle porn afin d’approfondir la psychanalyse de ses personnages, cristallisant ainsi le faîte du malaise sexuel masculin. Misant sur une angoissante bande sonore orchestrale, ainsi qu’un vaste et mystérieux hors-champ, il évoque sans cesse la présence élusive d’une bête affamée, incarnation du désir sexuel inassouvi de la gent féminine. Le film débute sur l’image sereine d’un météore parmi les étoiles, morceau de rocher millénaire prêt à livrer un enseignement primordial aux humains. Nous retournons ensuite sur Terre, où l’on voit une jeune femme nue en proie à l’extase, adossée contre la charpente d’une remise en bois. La caméra effectue alors un lent panoramique vers le bas, et nous apercevons un tentacule furtif fuyant son giron, réintégrant la masse de tentacules qui constitue le corps de son amant extraterrestre. Or, voilà. Le voile est ainsi levé sur le cauchemar manifeste d’une phallocratie en déroute, se blottissant dans l’obscurité où il attendra patiemment Alejandra, jeune femme malheureuse en ménage dont le mari homophobe est en fait l’amant de son frère. De tous les temps, la sexualité féminine aura terrorisé les hommes, dont la quête insensée de puissance phallique et l’érection fébrile d’institutions normatives ne sont finalement que l’expression de la peur du yoni. Ici, elle est source de frictions insolvables entre Alejandra et son mari Ángel, dont les crises de jalousie et les tares sexuelles la pousseront tout droit vers la bête, seul être capable de satisfaire ses pulsions primaires. Usant d’une savante caméra mobile, Escalante cultive ici un hors-champ mystérieux où se cache une force insaisissable, multipliant les plans subjectifs sans sujet et les zooms. Servant une variété de fonctions, dont la préservation du mystère par absence d’objet, ceux-ci évoquent souvent la pénétration, rapprochant l’objectif de divers vagins, imaginés et réels, attirant ainsi notre attention vers une réalité usitée, mais tristement négligée, celle de l’origine du monde, à laquelle l’homme doit pourtant une éternelle déférence. (Olivier Thibodeau)
 

PRÉSENTATION
OUVERTURE : TWO LOVERS AND A BEAR
JOUR 1
(Alipato, Death in Sarajevo, Diamond Island, Je me tue à le dire,
Safari, Sixty Six, The Death of J. P. Cuenca, Welcome to Iceland)

JOUR 2
(Déserts, Late Shift, Lost and Beautiful,
Maquinaria Panamerica, The Last Family)

JOUR 3
(Daguerrotype, Director's Cut, Sur les nouveaux alchimistes,
Happy Times Will Come, Life After Life, Pacifico)
JOUR 4
(A Quiet Passion, Apnée, Aquarius, Autre part,
Fallow, Sadako vs. Kayako, Sunrise, Werewolf)

JOUR 5
(A Lullaby to the Sorrowful Mystery, Bitter Money,
La Chasse au collet, Lampedusa, Sand Storm, We Make Couple)
ENTREVUE
Xavier Seron et Julie Naas (Je me tue à le dire)

JOUR 6
(A Decent Woman, Belgica, Lily Lane,
Mes nuits feront écho, Notes on Blindness, The Untamed)
JOUR 7
(Les arts de la parole, Dogs, L'effet aquatique,
I Had Nowhere to Go, The Ornithologist, Spark)

JOUR 8 
(The End, Évolution, The Giant, Yamato (California), X Quinientos)

JOUR 9
(Maudite poutine, One Week and a Day, Prank,
La tortue rouge, Weirdos)

ENTREVUE
Felix Van Groeningen (Belgica)

JOUR 10 + PALMARÈS DE LA RÉDACTION
(Invisible, Mademoiselle, Stealing Alice,
Le vertige des autres, Yourself and Yours)

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Article publié le 12 octobre 2016.
 

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