WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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TIFF 2012 : Le blogue du festival

Par Guilhem Caillard
L'INDEX

ROMANIAN DAYS

8TH OF MARCH de Alexandru Belc (2012)
A DREAM'S MERCHANT de Bogdan Ilie-Micu (2012)
KILLING TIME de Florin Piersic Jr. (2012)
OF SNAILS AND MEN de Tudor Giurgiu (2012)
THREE DAYS TILL CHRISTMAS... de Radu Gabrea (2012)

SÉLECTION INTERNATIONALE

KEEP THE LIGHTS ON d'Ira Sachs (2012)

>> TRANSILVANIA INTERNATIONAL FILM FESTIVAL 2012



8TH OF MARCH (8 Martie)

Alexandru Belc  |  Roumanie  |  2012
 
8th of March est le premier long métrage documentaire réalisé par Alexandru Belc, qui part d’une idée maintes fois rencontrée dans les territoires du genre. Il s’agit d’abord de retenir une journée – le 8 mars – jadis destinée à saluer le travail des femmes dans les pays soviétiques. C’est à cette date également que débuta la Révolution russe de 1917. Ironie du sort, c’est cette même date qui a été sélectionnée par les Nations Unies pour célébrer la Journée internationale de la Femme.
 
Fort de ce jeu sur les parallèles historiques, Belc promène sa caméra dans plusieurs villes roumaines au passé industriel fort, symboles désormais dépassés de l’âge d’or communiste. À un troisième niveau, nous suivons des ouvrières dans l’accomplissement de leurs tâches quotidiennes. Mais, décidément, l’ambiance et les conditions de travail n’ont plus rien à voir avec les emblèmes du passé, aussi condamnables soient-ils. Ce sont des usines lugubres dans lesquelles le spectateur est plongé, la force du film étant d’ailleurs de ne jamais faire dans le grand angle : les bâtiments ou les salles d’œuvres ne sont que très peu présentées dans leur globalité, préférant à cela une sélection parcimonieuse de certains éléments de la chaîne, comme la table de travail d’une couturière chargée de la conception de cols de chemise. Le montage saute ainsi d’un petit bout de décor à un autre, sans prévenir, laissant au spectateur le soin de faire le lien.
 
Voilà qui fonctionne un temps. Les plans sur la couturière sont très forts, puisque concentrés sur elle tandis que sa responsable erre inlassablement autour, scrutant le moindre mauvais pas. La contremaîtresse exerce une pression certaine sur la travailleuse, et ses apparitions en arrière-plan, sans que jamais Belc ne lui offre un plein cadre, en disent en effet long sur la condition difficile subie par l’ouvrière. Mais une fois cela exposé, Alexandru Belc se contente de changer d’univers, puis d'y revenir plus tard… Or, chaque segment a tout son intérêt. Comme ce groupe de femmes machinistes dans un fourneau qui semble enfoui dans les limbes : la chaleur y est insoutenable tandis que leurs discussions sont dictées par une grande contenance. Belc est admirablement parvenu à saisir leur étrange mélange de fierté, modestie et lassitude. De la même façon, les merveilleux segments consacrés à une conductrice de tramway qui rêvait d’être chanteuse auraient suffirait à un seul court métrage. Au final, tandis que 8th of March se présentait comme un film tourné en vingt-quatre heures, il est assez décevant de réaliser que tout n’a pas été capté en une seule journée – le 8 mars, justement – mais bien en deux années de tournage et de quotidien partagé avec ces femmes…

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A DREAM'S MERCHANT (Un gând, un vis, Doyle... şi-un pix)
Bogdan Ilie-Micu  |  Roumanie  |  2012

2012 TIFF Romanian Days Award for Best Debut

Assurément singulier et modeste. Construit sur une proposition honnête, parfois trop bien intentionnée, ce qui en fait aussi sa force : sous couvert de banalité, A Dream’s Merchant fait vraiment la différence. Pourtant, son concept a tout pour effrayer. D'une durée de trois heures, il s’agit d’un montage de photographies de voyage. Signé par le jeune cinéaste Bogdan Ilie-Micu, voilà un ovni répondant difficilement à la définition de documentaire et qui, tout en s’en approchant, demeure surtout un journal de voyage ne cédant à aucune concession. Le réalisateur-monteur-producteur, motivé par un profond respect des intentions de son personnage principal et unique, Mihai Barbu, fait fi du moindre obstacle et semble, à l’image du héros, ne pas avoir de limites.

A Dream's Merchant raconte les étapes fondamentales d'un grand aller-retour initié par un jeune roumain en quête de nouveaux paysages. C'est aussi simple que cela : un homme qui, au volant d'une moto ayant déjà bien vécue (affectueusement surnommée Doyle), décide de relier Bucharest à Olan-Bator, avec en tête le rêve des steppes mongoles et les étendues surréalistes du désert de Gobi. 26 000 kilomètres sont ainsi parcourus, ponctués de rencontres incongrues et gravées dans la mémoire de Mihai avec ce grand quelque chose qui les rendra à jamais uniques. Treize pays différents, pour une multitude d'ambiances, scènes et substances, jamais décrites autrement qu'au travers de la sommaire émotion d'être racontées. La grande philosophie de voyage initiatique, ou  le petit existentialisme d'humeur, n'ont pas leur place ici. Fasciné par l'initiative de Mihai, Bogdan Ilie-Micu lui a simplement demandé de commenter les clichés rapportés à l'issue de son périple. Le cinéaste respecte scrupuleusement la règle : ne jamais s'autoriser une intrusion inopportune en lien avec sa propre réflexion artistique, à l'exception, peut-être, de cette citation de Marco Polo venant clôturer le récit avec justesse.

Russes, Kazakhs, Bouriates; éphémères compagnons de route et hôtes d'un soir... C'est un récit à la fois long et qui ne laisse aucune place à l'ennui. Car dès les trente premières minutes, le spectateur se laisse bercer par cet étrange montage Photoshop de la plus modeste réalité. On sent que le travail de sélection a été laborieux et que le film aurait pu ainsi s'étendre à l'infini. Mais ce système qui ne tenait qu'à un fil fait ses preuves. Subsiste alors le souvenir d'émotions vaporeuses et positives récompensé cette année à Cluj par le prix du Meilleur premier long métrage roumain. Constat amer s'il en est un, voilà encore un de ces films qui aura bien du mal à s'imposer en dehors d'un certain milieu festivalier.

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KEEP THE LIGHTS ON

Ira Sachs  |  États-Unis  |  2012
 
La scène confère au film toute sa saveur, confirme une fois de plus son traitement subtil, la beauté de son propos, son optimisme : après une longue période d'incertitudes sentimentales, Erik et Paul se retrouvent nus dans un même lit, prêts à donner une nouvelle chance à leur couple. Confus et incertain, même après dix ans de vie commune, Paul demande à son amant de laisser la lumière allumée, pour ne pas précipiter les choses et traverser comme il se doit les étapes délicates de la réconciliation.
 
Keep the Lights On est l'histoire d'un couple homosexuel en éternel état de reconstruction. Psychologiquement faible, Paul a surtout de graves problèmes de dépendance à la drogue. L'essence de sa relation avec Erik passe par une demande de soutien à toute épreuve, même s'il a peur de le reconnaître ouvertement et cherche à démontrer son indépendance. De l'autre côté, Erik demeure disponible face aux aléas de son compagnon, prêt à accepter les épreuves les plus difficiles, dont l'infidélité le faisant souffrir intensément. Le cinquième long métrage du réalisateur américain Ira Sachs raconte cette grande histoire d'amour faite, dès les premiers instants, pour durer à l'infini. Chaque image du film unissant les deux hommes cherche à illustrer cette complicité qui, en particulier dans les moments les plus difficiles, survit : voilà l'intérêt majeur de Keeps the Lights On.
 
Ira Sachs maîtrise son récit avec délicatesse, et opte pour un ton délibérément serein qui élève le discours. La mise en scène, calme, cimente les séquences en apportant un sens de la certitude qui place le spectateur dans un drôle d'état de confiance, à l'opposé des personnages. Autour de Paul et Erik, tout paraît pourtant paisible – les rues de New York, en toile de fond, ont rarement été aussi réconfortantes. Ira Sachs, qui aurait pu tomber dans le piège d'une énième illustration de la scène gaie new-yorkaise à la fin des années 1990 (le film se passe entre 1998 et 2008), préfère tout miser sur les moments les plus intimes du couple, et en faire un microcosme unique. 
 
Keep the Lights On, c'est aussi le choix de comédiens particulièrement pertinents : Thure Lindhardt qui interprète Erik (acteur dannois vu dans Eddie : the Sleepwalking Cannibal) et Zachary Booth (Damages) dans la peau de Paul. Le premier échange sexuel entre les deux personnages atteste déjà d'une complicité travaillée avec détail et précaution jusqu'aux derniers instants. D'abord présenté à Sundance, où le film a remporté le Grand prix du jury, puis à Berlin (récipiendaire du Teddy Award), Keep the Lights On est incontestablement un rendez-vous à ne pas manquer parmi les belles réussites du cinéma américain indépendant de 2012. 



KILLING TIME
Florin Piersic Jr.  |  Roumanie  |  2012
 
La première séquence de Killing Time promet bien des choses au spectateur s'étant aventuré sur ce film à petit budget, signé par le jeune comédien et réalisateur Florin Piersic. L'ouverture mise sur une certaine audace : un homme, modeste, la soixantaine, attablé dans la cuisine de son appartement miteux, fait face à la caméra. Il entame un monologue au travers duquel transpire progressivement une immense panique. C'est bien écrit. L'homme a peur et tente de s'en cacher. On comprend vite que la caméra de Piersic endosse le regard d'un second personnage invisible. La victime fait face à son assassin. Lorsque la caméra pivote enfin à 180 degrés pour laisser entrevoir son visage, le tueur est d'une justesse exemplaire. Il plisse à peine son oeil gauche lorsque la balle est tirée, plaçant le récit sur les rails de l'humour noir. Or, le mouvement de caméra marque aussi l'entrée dans une doctrine qui s'avérera de moins en moins intéressante, et terriblement infructueuse. 
 
Il est amusant de remarquer à quel point Piersic a voulu se distancier des ambiances typiques de la nouvelle vague roumaine. Par exemple, il emprunte à Tarantino (Jackie Brown, Reservoir Dogs). Mais, pour une énième fois dans le cinéma national des dernières années, l'unité de lieu et le décor intérieur sont privilégiés : un appartement où deux tueurs attendent leur nouvelle victime. De plus, l'action est concentrée sur une journée, et des indications temporelles marquent les séquences : 11 AM, 4 PM, etc. Comme si, pour faire du cinéma « moderne » aujourd'hui en Roumanie, l'usage de ces codes formels était un passage obligé, et qu'il fallait reproduire ce qui a su en son temps servir les films de Cristian Mungui et Cristi Puiu. Dans le cas présent, un tel procédé paraît gratuit et lasse bien vite, jusqu'à franchement devenir insupportable.
 
Killing Time raconte l'état troublé dans lequel se trouve l'un des deux tueurs, ayant du mal à assumer l'horreur de sa condition professionnelle. On ne croit pas une seule seconde à ses malaises, surtout lorsque grossièrement confrontés à son collègue fanatique, qui n'hésitera pas à commettre le pire. Se voulant faussement imprévisible, voilà un scénario qui justifie mal ses effluves de sang et autres atrocités. Le pire, avec un tel film, c'est aussi qu'il voudrait nous faire croire en la qualité de ses interprètes. En somme : une bien belle perte de temps.

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OF SNAILS AND MEN (Despre oameni și melci)
Tudor Giurgiu  |  Roumanie, France  |  2012
 
1992. George (Andi Vasluianu) est à la tête du syndicat de son usine. Jonglant entre sa vie familiale et des maîtresses plutôt régulières qu'occasionnelles, l'ouvrier fait face à un dilemme majeur : le patron de l'usine (Dorel Vișan, parmi les acteurs phares du cinéma roumain) a décidé de mettre la clé sous la porte pour revendre à des hommes d'affaires français, spécialisés dans les conserves d'escargot et interprétés par Jean-François et Robinson Stévenin. Les travailleurs menacés s'insurgent aussitôt, tandis que George leur propose une solution inusitée...
 
Voilà qui devrait remettre en place tous ceux qui pensent encore que cinéma roumain rime forcément avec ciels lourds et ambiances moroses. Sans être porteuse de grandes innovations, mais sans jamais oeuvrer dans le banal, cette comédie présente tous les grands attraits d'un Full Monty à la roumaine. La forme comique y est pleinement assumée. Of Snails and Men a été conçu, on le sent bien, pour rester ouvert au grand public et semble être en mesure d'atteindre ses objectifs – fait encore rare dans la réception du cinéma roumain contemporain par les Roumains eux-mêmes.
 
Bref, le producteur Tudor Giurgiu, attendu derrière la caméra depuis quelque temps, reprend du service à la réalisation et affiche une fascination enthousiaste pour les années 1990. Giurgiu observe cette période avec une certaine nostalgie et un beau sens de l'autodérision quand il s'agit de représenter l'idéalisme alors naissant. George et sa bande ont connu les derniers soubresauts de la période Ceauşescu, mais sont encore trop jeunes pour savoir comment bâtir la nouvelle société qui se présente à eux. Ils sont comme des enfants que l'on aurait empêchés de grandir et qui se trouvent soudain libérés : adultes, mais surtout, et pour notre plus grand plaisir, adolescents impulsifs, immatures, naïfs et innocents. Of Snails and Men raconte leur déception, et revient sur ce beau souvenir d'une période qui semblait n'obéir à aucune règle. Gags et coups de théâtre s'enchaînent au rythme de cette petite fresque riche en sentiments forts utiles à la compréhension de l'histoire de la Roumanie contemporaine. Sans jamais évoquer directement la grande Histoire, Of Snails and Men cultive l'astuce, notamment lorsqu'il rappelle un événement médiatique majeur (sans aucun doute le plus signifiant de l'époque) : la visite de Michael Jackson en octobre 1992, subventionnée par la marque Pespi. Le film répète en boucle les images de la star planétaire créant des quasi-émeutes de fans dans les rues de Bucarest. Jackson est alors accompagné de Ion Iliescu, premier Président de Roumanie. Of Snails and Men en dit plus que ce qu'il n'y paraît, et cela fonctionne plutôt très bien. 

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THREE DAYS TILL CHRISTMAS (LAST DAYS IN THE LIFE OF ELENA AND NICOLAE CEAUSESCU)
Radu Gabrea  |  Roumanie  |  2012

Romanian Days - Mention spéciale pour les acteurs Constantin Cojocaru et Victoria Cocias

Il y a deux ans, The Autobiography of Nicolae Ceauşescu de Andrei Ujică marquait les esprits. Ce documentaire est monté à partir d'images d'archives utilisées par le dictateur roumain pour sa propagande. Jacques Mandelbaum qualifiat le film de «  précieux viatique pour qui voudrait comprendre de quel roman des origines part l'extraordinaire nouvelle génération du cinéma roumain » (Le Monde). L'ère Ceauşescu s'illustre en effet par une imagerie traumatique que le cinéaste Radu Gabrea a cependant puisé plus loin encore.
 
Gabrea fait une distinction fondalentale entre les images de la vie et la carrière du « Conducător » (celles de l'autobiographie de Ujică) et ce que l'on sait sur son exécution et celle de son épouse le 25 décembre 1989 suite à un procès expéditif. Avec Three Days till Christmas, Radu Gabrea revient sur la période la moins documentée de la vie de Ceauşescu : les trois jours précédant sa mort alors qu'il fuyait les soulèvements populaires. Il ne s'agit pourtant pas de faire la lumière sur la vérité des faits (tant de théories du complot s'y sont essayées). Three Days reproduit plutôt les vidéos ayant depuis survécu – dont les très populaires images du procès –  et imagine la fuite du couple dictatorial à travers les campagnes roumaines selon plusieurs témoignages réels d'habitants (tirés d'un précieux ouvrage de l'historien Grigore Cartianu). Fiction avouée, le film s'autorise cependant l'intrusion pertinente de quelques interviews face caméra donnant la parole aux militaires à l'époque chargés de la protection du couple. Encore une fois, si cette alternance entre deux modes narratifs pourtant risquée, fonctionne ici à merveille, c'est parce qu'elle rejoint le souvenir immuable d'images fortes connues de tous les Roumains. Le film a cependant l'intelligence de ne jamais présenter des archives du véritable Ceauşescu, préférant tout investir dans son interprète, l'excellent Constantin Cojocaru.
 
Three Days rappelle une qualité dont le monde du spectacle roumain peut être fier : le haut niveau de sa formation théâtrale. Les films produits en 2012 réitèrent ce grand atout pour le cinéma national où se retrouvent des comédiens formés sur les planches, qui circulent continuellement entre les deux pratiques. Gabrea s'est d'ailleurs basé sur une pièce lancée en 2009, The Last Hours of Ceauşescu. Le couple dictatorial y était déjà interprété par Cojocaru et Victoria Cocias qui jouent également dans le film. Non seulement la ressemblance avec les personnages réels est exemplaire, mais ils composent tous deux une gestuelle scrupuleusement en adéquation avec les personnalités des deux dirigeants. L'actrice Cocias réitère le souvenir frappant d'une Elena Ceauşescu livide et inerte restée sur la défensive jusqu'aux derniers instants, soutien acharné au dictateur. La dynamique du couple est le premier intérêt du film, faisant des Ceauşescu deux marionnettes, dépassées par les événements. Voilà une composition faisant oublier les rares faiblesses de la mise en scène, et vaut à elle seule le déplacement. 
 

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Article publié le 22 juin 2012.
 

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