ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Fantasia 2022 : Partie 1

Par Thomas Filteau, Sylvain Lavallée et Olivier Thibodeau


prod. Little Dipper Films

POLARIS
KC Carthew  |  Canada  |  2022  |  89 minutes  |  Compétition Cheval Noir (Film d’ouverture)

La proposition est intéressante sur papier (un film à la Road Warrior [1981], tourné au Yukon avec une distribution entièrement féminine). Elle est intéressante aussi dans la bande-annonce (où on met en évidence ses qualités scénographiques et sa belle mise en scène d’action). La réalité est un peu décevante cependant, puisque Polaris se présente finalement comme un film d’aventure réduit à sa plus simple expression de péripéties enchaînées, où l’émerveillement passager que provoque chaque séquence individuelle devient vite lassant dans l’absence d’enjeux dramatiques globaux, d’une trame narrative solide, d’un véritable souffle épique ou d’une ethnographie diégétique engageante.

Un carton liminaire nous indique que nous sommes quelque part sur la Terre après une catastrophe environnementale nommée simplement « the Freezing », et que la dernière lueur d'espoir provient d'une enfant errante (élevée par une ourse). On nous catapulte ensuite dans un monde enneigé dont on doit inférer tous les mécanismes à partir de cette simple prémisse, de la présence oppressante de guerrières barbares ambulantes et d’ermites hospitalières à la Frankenstein (1931) jusqu’aux pouvoirs magiques que manie l’héroïne de légende, capable d’arracher le cœur des méchantes pour le transplanter dans la poitrine évidée de jolies filles gelées. La quête de la jeune protagoniste consiste en fait à suivre jusqu’à l’accomplissement de son destin l’étoile titulaire, point le plus lumineux de la Petite Ourse. La Petite Ourse, oui… Or, le film nous montre surtout les détours qu’elle prendra pour y arriver, ne lésinant pas sur les saynètes écologiques inconséquentes où les arbres l’enlacent, où elle guérit leurs blessures suintantes avec de la neige, où le corps des poissons exsude une épaisse substance verdâtre… Auréolé d’un mysticisme diffus inspiré par les mythes grecs (celui des Pléiades, notamment, et des Amazones), le film brille surtout par le déploiement des panoramas naturels yukonais, par sa direction artistique artisanale et ses costumes magnifiques à la plus énième mode postapocalyptique, ainsi que par ses expériences de jeu insolites provoquées par l’absence totale de langage réel à l’écran. S’il justifie quelques fulgurances, dont l’idée que la jeune vedette Viva Lee ait pu calquer son interprétation du comportement ursidé, ce choix dramatique rend quelques scènes excessivement laborieuses et caricaturales, alors que les personnages grognent et gesticulent amplement pour se faire comprendre.

On finit finalement par regretter qu’il ne s’agisse pas ici d’un film d’action puisque c’est précisément dans cet art que Carthew semble passée maître et c’est précisément pour cet art que la production semble outillée, avec ses personnages cois, théâtraux, sauvages, sa grosse musique dramatisante, ses effets gore appuyés, ses décors périlleux et tous ses magnifiques gadgets meurtriers (couteaux cruciformes, griffes métalliques dérobées, flèches enflammées, haches géantes). Il y a bien aussi un ours polaire dans la distribution, qui aurait pu s’immiscer dans la danse martiale, mais qui, dans les faits, constitue un atout sous-utilisé, introduit dès le premier plan, puis s’évaporant rapidement jusqu’à devenir une métaphore mystique de plus dans un film qui contient déjà trop de métaphores mystiques, lesquelles ne s’accordent jamais harmonieusement avec le prosaïsme miséreux du film de science-fiction postapocalyptique. (Olivier Thibodeau)

 


prod. Type One Films

THE DIABETIC
Mitchell Stafiej  |  Québec  |  2022  |  94 minutes  |  Section Underground

Prochaine projection : Mercredi 27 juillet à 14 h

Le cinéaste indépendant Mitchell Stafiej, génie du DIY montréalais, nous revient cette année avec une œuvre exquise et hypnotique, aussi frappante visuellement qu’émotionnellement perspicace. Une œuvre qui, dans son amalgame astucieux d’onirisme et de prosaïsme, puise dans la faculté miraculeuse du cinéma de capter l’essence d’un moment passager jusque dans ses moindres ramifications émotionnelles et perceptuelles. Faisant la chronique d’une soirée intensément vécue par deux amis d’enfance réunis ponctuellement dans leur Beaconsfield natal, le film nous convie à leur suite de manière totalement immersive, nous proposant d’habiter leurs peaux fragiles le temps d’une nuit cathartique. C’est avec une générosité inouïe qu’il nous fait donc partager leur spleen existentiel, leurs joies narcotiques ainsi que la puissance rédemptrice d’une amitié abîmée par les années et le désintérêt initial d’un héros bourru. Partageant plusieurs similitudes avec l’auteur, incluant ses parents, qui jouent ici les parents du protagoniste, ce dernier est un réalisateur de film paumé et diabétique qui, durant de la bacchanale diégétique, risque sa vie à de nombreuses reprises en consommant de l’alcool et des psychotropes à outrance, geste de défi lancé à une existence qu’il dévore avec autant de passion qu’il la méprise. Or, la représentation de l’angoisse pathologique vécue par Alek, qui provoque à l’écran le rougeoiement de panoramas banlieusards abstraits, de même que la représentation de sa mort imminente dans des séquences expérimentales envoûtantes, permettent ici à Stafiej de transcender même le réalisme exacerbé de son film et de dédoubler sa métaphysique singulière du handicap par une métaphysique opportune du cafard suburbain.

Comment faire tant avec si peu ? C’est la question qui m’avait obsédé après avoir vu (2016), la précédente fiction du réalisateur, qui parvenait à l’époque à circonscrire le récit éthylique trépidant de son protagoniste entre les quatre murs d’un appartement montréalais. Il ne suffit pas d’écrire un scénario savoureux défendu par des acteurs motivés ni d’effectuer une captation sonore exemplaire, de miser sur un montage fluide ou de multiplier les dialogues délicieusement cyniques (« Man, don’t kill your children », quémande ici l’ami du héros auprès d’un vieux divorcé qui parle avec nostalgie des « martyrs » qui ont assassiné leurs femmes et leurs enfants avant de s’enlever la vie). La mise en scène imaginative et l’esthétique nostalgique que l’auteur déploie contribuent aussi énormément à l’appréciation du film en tant qu’expérience sensible. En effet, si la caméra hyper intime nous immisce très près du réel des personnages, la puissance onirique du support permet simultanément d’actualiser les débordements imaginaires de leurs esprits fiévreux. Tourné en Hi-8, puis transféré sur pellicule 16 mm, le film est doté d’une facture unique parfaitement ad hoc pour abstraire le paysage banlieusard environnant, émuler la perception éméchée des personnages et, en fin de compte, capter la joie désespérée qui auréole leur réunion. Se dégage ainsi un parfum d’apocalypse parmi les pâquerettes des platebandes du West Island. Se créent des moments d’anthologie à partir des dérives banales d’individus désabusés : simples dialogues sur des passerelles surplombant l’autoroute ou dans la piscine hors terre d’inconnus. On touche au sublime par le biais de l’ennui, dans ce qui constitue certainement l’un des meilleurs films de l’année. (Olivier Thibodeau)

 


prod. AOI Pro., Bandai Namco Arts

MY SMALL LAND
Emma Kawawada  |  Japon/France  |  2022  |  114 minutes  |  Sélection 2022

Prochaine projection : Lundi 18 juillet à 12 h 30

Au Japon, ce n’est qu’une infime quantité de demandeurs d’asile qui chaque année se voient accordés un statut légal de réfugié. En 2018, pour plus d’une dizaine de milliers de requérants, une quarantaine seulement avaient été tributaires d’une réponse positive. Mais derrière ces statistiques se dissimule aussi les rouages d’un système lent et éreintant qui place pendant de longues années ses usagers dans un état statique entre l’espoir incertain d’un accueil et la menace d’une déportation ou d’un enfermement en centre de détention. Avec My Small Land, Emma Kawawada signe un premier long métrage qui explore ces rouages transitoires par le biais de Sarya (Lina Arashi), jeune réfugiée kurde de 17 ans ayant grandi au Japon depuis ses cinq ans. D’une légèreté distante et tendue, la jeune fille cloisonne les sphères de son quotidien de frontières bien étanches, à coups de modestes secrets et de fragiles dissimulations : il y à l’école secondaire qui s’achève, où Sarya se fait passer pour une immigrante allemande; le konbini où elle travaille depuis peu, sans l’avoir révélé à son père, et où elle se lie avec le neveu du propriétaire; puis la maison, où elle sert d’interprète pour d’autres familles kurdes moins habiles en japonais, et où le père tente de faire perdurer des traditions dont il voit les traces s’estomper. Mais la limite entre ces espaces distincts se délite rapidement lorsque sa famille voit sa demande d’asile refusée. Pour tous ses membres : interdiction de travailler ou de quitter la préfecture sans autorisation préalable. Le père de Sarya compte amener la décision en appel, mais combien d’années encore peut durer l’attente ? Et comment subsister alors dans un espace qui emprunte l’allure d’une prison ?

Portée par un processus d’entrevues entrepris durant près de deux ans, Kawawada pose un regard empathique et délicat à l’endroit de sa protagoniste, qui conserve tout au long son caractère complexe et composite. Les attachements culturels et les langues multiples qui se mêlent autour de Sarya n’apparaissent jamais comme les tiraillements contradictoires qui dicteraient la courbe dramatique d’un scénario. Au contraire, ses quelques élans vers le mélodrame s’affaissent rapidement, et les meilleurs moments se retrouvent lorsque le film refuse de marchander avec un cadre dramatique consensuel, telle la scène d’une douceur mémorable qui suit l’annonce du refus de statut, alors que naît une dispute culturelle familiale autour de la bonne façon de manger un ramen : avec ou sans bruit ? Rappelant par moments le cinéma de Kore-eda (pour qui Kawawada avait été assistante-réalisatrice), My Small Land parvient à fendre la vision cinématographique d’une homogénéité sociale du Japon et justifie ainsi tout à fait sa place dans la programmation de Fantasia, qui continue année après année à développer une programmation autrement oblique, au-delà des négociations explicites avec l’idée du cinéma de genre. (Thomas Filteau)

 


prod. Alix Brenneur

THE TALES OF THE PARTY POOPER MONSTER
Alix Brenneur  |  Québec  |  2022  |  2 minutes  |  Les fantastiques week-ends du cinéma québécois (L’extraordinaire ouverture)

Alix Brenneur est une scénographe de métier et cela transparaît dans sa mise en scène, qui est avant tout une mise en scène de décors — décors chatoyants de sa propre création, rendus dans le style naïf des fêtes pour enfants, avec cette douceur pastel qui implore le massacre. Et massacre il y a, lorsque la petite Léa, en soufflant ses bougies, fait le vœu de « ne plus voir » ses amis railleurs, invoquant par là le « Party Pooper Monster » qui vient ensuite tuer brutalement tous ses invités d’âge préscolaire. Héritier de la série B tromaïenne (on trucidait déjà les petits dans Beware! Children at Play [1989]), le film compense pour son jeu d’acteurs lacunaire avec des images excentriques et colorées, à mi-chemin entre l’horreur dantesque et la ringardise consommée d’un film de Charles Band, fort d’une créature complètement ridicule qui se dandine à l’écran comme le Monster of Piedras Blancas (1959) avec une tête en gâteau. Le visionnage est surtout hilarant, de cette façon tordue et politically incorrect qui est celle des blagues de bébés morts, chose que confirme l’excellente chanson-thème interprétée au générique par Les Pirates de la Mort sur fond de dessins d’enfants ensanglantés. Vainqueur du prix du public au Party Pooper Spectacular Trash Film Competition organisée par la Cabane à sang, il s’agit bien ici d’un fix tout fantasien. (Olivier Thibodeau)

 


prod. China Entertainment Film Production, Paka Hill Productions

THE HEROIC TRIO (DUNG FONG SAM HAP)
Johnnie To  |  Hong Kong  |  1993  |  87 minutes  |  Fantasia Rétro

Prochaines projections : Samedi 16 juillet à 16 h et Jeudi le 28 juillet à 16 h 45

Il y a d’abord Michelle Yeoh, avec son habit lui permettant de se rendre invisible; ensuite Anita Mui, secrètement Wonder Woman, une super-héroïne masquée combattant le crime; et enfin Maggie Cheung, bien loin de son image formée chez Wong Kar-wai, en mercenaire habillée de cuir noir, une dure à cuire paradant avec son fusil à pompe et sa moto. Elles formeront le trio héroïque, combattant un maître maléfique vivant dans les égouts, volant des bébés aux hôpitaux (comme le montrait déjà Hard Boiled [John Woo, 1992] : il ne faut jamais se fier aux pouponnières de Hong Kong) pour former des assassins invisibles et trouver le nouvel empereur de Chine. Enfin, il s’agit de la prémisse, mais entre les péripéties gratuites et les revirements faisant fi de toute cohérence, les excès mélodramatiques et la comédie saugrenue, il est difficile de résumer un tel film. Peu importe : The Heroic Trio se révèle à la hauteur de son casting extraordinaire, le récit enchaînant sur un rythme survolté les séquences d’arts martiaux aussi spectaculaires que délirantes, maximalistes au point de flirter avec le slapstick. Le tout dans une esthétique quasi surréaliste, emplie d’explosions de couleurs et de décors improbables, menée par un Johnnie To qui faisait alors ses preuves dans le cinéma d’action. Épaulé par Ching Siu-tung à la production et aux chorégraphies, le film porte la marque des deux auteurs, le wuxia déjanté d’A Chinese Ghost Story (1987) rejoignant la camaraderie propre au cinéma de To, jouée ici au féminin. Alors que Marvel et DC accaparent tous nos écrans, ce récit d’origine pour le moins singulier détonne dans le paysage des films de super-héros, chose qui rend ce pur plaisir cinéphile d’autant plus jouissif. (Sylvain Lavallée)

 


INTRO

PARTIE 1
(Polaris, The Diabetic, My Small Land,
The Tales of the Party Pooper Monster, The Heroic Trio)

Face/Off

PARTIE 2
(Aspirational Slut, Coupez !, The Fish Tale,
All Jacked Up and Full of Worms, Popran)

PARTIE 3
(Lynch/Oz, L'employée du mois,
The Cow Who Sang a Song Into the Future, From.Beyond)

Entrevue : John Woo

PARTIE 4
(Les pas d'allure, One and Four, Sissy, The Harbinger)

PARTIE 5
(Detective Vs. Sleuths, The Fifth Thoracic Vertebra, Give Me Pity!,
The Pez Outlaw, Megalomaniac, My Grandfather's Demons)

PARTIE 6
(Chorokbam, Vesper, Happer's Comet, The Breach, Skinamarink, Shari)

PARTIE 7
(We Might as Well Be Dead, Opal, Resurrection,
Inu-Oh, Freaks Out, Monsieur Magie)

PARTIE 8
(Speak No Evil, Island of Lost Girls, Deshabitada, Ring Wandering)

Il demonio

PARTIE 9
(Country Gold, Whether the Weather Is Fine, Cult Hero,
Incroyable mais vrai, Compulsus, Next Sohee)

 Entrevue : Shinji Higuchi

Maigret

Topology of Sirens

Shin Ultraman

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Article publié le 16 juillet 2022.
 

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