ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Festival du nouveau cinéma 2016 : Jour 10 + Palmarès

Par Panorama - cinéma



INVISIBLE

Darren Emerson  |  Royaume-Uni  |  2016  |  14 minutes  |  FNC eXPlore
 
Au-delà de son côté novateur et de sa vision panoramique à 360°, la réalité virtuelle renferme la capacité d’amplifier, de rehausser un discours, une idée en nous attribuant une place privilégiée, celle d’être directement au cœur du sujet, captant notre pleine attention comme si nous étions physiquement en ce lieu, à cet endroit précis. À cela s’ajoute, et tout spécialement pour les films documentaires, la science de l’information, le témoignage d’une identité, d’une culture et surtout l’avantage, voire l’exclusivité de vivre la même histoire que le protagoniste en foulant ses pas, ressentant presque ses émotions, en étant confronté à ses questions et à son vécu, nous propulsant dans une situation que nous ne connaîtrons probablement jamais autrement. Et c’est là que Invisible de Darren Emerson entre en jeu en nous proposant de vivre physiquement le parcours qu’entreprennent les arrivants immigrés demandant l’asile au Royaume-Uni. Transportés dans une camionnette blindée pareil à des criminels à qui l’on ne pose aucune question, nous sommes d’abord choqués d’être traités de la sorte puis comprenons au fil de la route que notre sort est désormais sous le joug des autorités policières et que cela ne sera certainement pas une partie de plaisir. Les expatriés du Soudan, de l'Uganda, du Sri Lanka, du Burundi, du Ghana et d'Afrique du Sud venant tout juste de fouler le sol anglais, considérés comme des détenus, nous susurrent leurs impressions à l’oreille et leurs témoignages nous accompagneront tout au long de cette « visite » pénitentiaire des plus alarmantes. Il ne s’agit ni plus ni moins de trafic humain, sous nos yeux ébahis par tant d’inhumanité et de condescendance envers des peuples venus trouver refuge sur une terre qui, loin de les accueillir, les poussent à vivre dans des conditions extrêmes de détention, loin de leurs proches, soumis à des paperasses interminables et labyrinthiques et encore plus décourageantes, enfermés pour un temps indéterminé qui peut aller jusqu’à plusieurs années sans aucune garantie de pouvoir rester sur le territoire. Les autorités les maintiennent dans l’attente, rabaissés à des hommes sans identité, des femmes et des enfants fantômes sombrant dans la dépression, privés de tout. La superficie suffocante des cellules, la hauteur imposante de la porte principale par laquelle on entre mais on ne sort plus, la contiguïté des murs, les fenêtres au ras du plafond et laissant échapper seulement un rai de lumière nous assaillent et créent un malaise qui ne fait qu’amplifier au cours de l’expérience de réalité virtuelle. Les personnages apparaissent et disparaissent continuellement à nos côtés, nous prenant à partie pour nous transmettre leur désespoir, leur colère, leur confusion et frustrations tout autant que leur courage, leur détermination et la ténacité dont ils font preuve, enchevêtrés dans les carcans de la loi anglaise. (Claire-Amélie Martinant)
 
 


MADEMOISELLE
Park Chan-wook  |  Corée du Sud  |  2016  |  144 minutes  |  Les incontournables
 
Park Chan-wook sait raconter des histoires. Comme on dit en anglais : « He’s a great storyteller ». Son court-métrage, Cut (2004), m’avait mis la puce à l’oreille. Le deuxième opus de sa trilogie de la vengeance — Old Boy (2003) — me l’avait confirmé. Il a compris que raconter — que mettre une histoire en récit — repose, d’une part, sur l’ordre dans lequel on présente les événements au spectateur, d’autre part, sur les informations qu’on lui livre… ou qu’on lui cache. Mademoiselle— divisé en trois actes — s’amuse avec la chronologie et les rétentions d’informations plus que tous ses films précédents, si bien qu’il serait même fastidieux, voire vain, de tenter d’en résumer l’intrigue. Tentons tout de même : Le conte Fujiwara (Jung-woo Ha) engage la fille adoptive d’un couple de Coréens, la jeune Sook-Hee (Kim Tae-ri), pour devenir la bonne de Lady Hideko (Min-hee Kim), une riche Japonaise ayant perdu ses parents, laquelle est gardée sous l’emprise d’un oncle bibliophile et amateur de cul(ture), Kouzuki (Jin-woong Jo). Le conte a un plan : marier Hideko puis l’enfermer à l’asile afin de s’approprier sa fortune. C’est sur cette trame assez convenue que Park Chan-wook organise son récit, plein de mensonges et de faux-semblants. Il fallait s’en douter : la jeune bonne a été élevée par des faussaires et la patronne la met d’emblée en garde contre le mensonge. Dès lors, chacun aura au moins deux faces. L’intérêt repose aussi dans la façon dont le cinéaste sème judicieusement ses « implants », effectue ses multiples retours en arrière, adopte le point de vue de différents personnages, nous repasse sous le nez des scènes déjà vues tout en leur donnant un nouvel éclairage. Le tout est raconté grâce à une direction artistique (décors fastueux, costumes somptueux) et une direction photo impeccable (éclairages veloutés, cadrages symétriques, mouvements fluides). S’il y a une leçon à tirer de ce dernier opus : « You think you’re triking me? You’re the one being tricked. » (Jean-Marc Limoges)
 



STEALING ALICE
Marc Séguin  |  Québec  |  2016  |  90 minutes  |  Focus Québec/Canada
 
Alice (polyglotte et multitasks Fanny Mallette), une marchande d’art, née dans la rage et pressée de se venger, fille d’un Québécois et d’une Inuit (déportée à quatre ans), parlant au moins quatre langues (le français, l’anglais, l’inuktitut et l’italien), possédant un hélicoptère et un avion (sans parler d’une île au milieu de l’Adriatique), vole des tableaux dans les plus grands musées du monde (comment ? on l’ignore !) afin de les donner aux membres de sa famille. Disons-le d’emblée : Marc Séguin se fout pas mal du vraisemblable. Et ce n’est pas sous cet angle qu’il faut apprécier son film. En fait, il allait de soi qu’un film portant sur l’art — et notamment sur l’art pictural — nous offre lui-même une époustouflante photographie. Pas un plan qui ne soit soigné. Les images, désaturées, quelquefois baignées de lumière, quelquefois à contre-jour, sont toujours irradiées d’une blancheur nacrée. Apparaissant au rythme de musique blues ou électro, les plans larges qui embrassent le pays sont à couper le souffle. Au reste, Séguin s’amuse aussi avec le montage, passant par exemple, et ce, tout en veillant à la continuité des dialogues, du Grand Nord (canadien) au Grand canal (de Venise) et explore également le potentiel des voix narratives (le personnage semble s’adresser tantôt à lui-même, tantôt au spectateur, tantôt à une voix extradiégétique). Le film, mettant en scène une amatrice d’art, est aussi un film pour amateur d’art : Melville, Turner, Titien, Wagner, Carpaccio, Coppola, Rothko, Leadbelly, Flaubert… Les références — picturales, littéraires, musicales, cinématographiques — sont nombreuses. L’art est partout (une toile dans les toilettes !) et nous apparaît sous toutes ses formes (on nous illustre même l’art d’évider les poissons et les gibiers). Le mépris du vraisemblable au profit de l’art — ici, l’art de la parole — gagne jusqu’aux dialogues qui ne sont, en fait, qu’une suite d’aphorismes (malheureusement quelquefois un peu creux ou redondants) : « L’art est mon seul refuge. », « Le silence contient tant de rage. », « Le silence fait plus de mal que les paroles », « Moins il y a d’antennes, plus on communique. », « C’est dans la solitude que se trouve toute la vie. » Bref, il faut regarder Stealing Alice comme si on feuilletait un superbe livre d’art de même qu’un ensorcelant livre de citations (quelquefois réussies). (Jean-Marc Limoges)
 


 
LE VERTIGE DES AUTRES
Guillaume Perreault Roy  |  Québec  |  2016  |  Durée variable  |  FNC eXPlore
 
S’apparentant aux lunettes simulant l’état d’ivresse dans le cadre de la prévention des dangers de l’alcool au volant, Le vertige des autres interroge et examine la peur, le malaise, ressentis au-dessus du vide qui nous aspire imperceptiblement vers son épicentre et provoque des pertes d’équilibre, des nausées ou encore une sensation de panique légère ou extrême. Au-delà de son caractère ludique et sensationnel, la simulation du vertige recèle en son sein un pouvoir thérapeutique, celui de pouvoir contrecarrer les effets néfastes des phobies humaines. Si tel n’est pas la vocation première de l’œuvre de Guillaume Perreault Roy, il n’en est pas moins fascinant de ressentir l’effet du vide les deux pieds bien ancrés sur la terre ferme. Au terme de quelques instructions : suivre la corde blanche, ne pas dépasser le cadre bleu, se diriger vers les personnages, nous évoluons sur une plateforme composée de cubes blancs fluorescents empruntant son architecture et sa logique au fameux cube Rubik tout en étant suspendu dans le cosmos. À l’effet d’ascenseur particulièrement saisissant, se supplée la tension, l’hésitation due à une surface verticale abrupte à laquelle nous ne pouvons adhérer ou encore la réticence et le flottement tels que ressentis par Indiana Jones dans sa dernière croisade en traversant un pont invisible au-dessus d’un précipice. Enjolivée par l’animation des dessins de Jeannette Perreault qui révèlent peu à peu leur contour, cette expérimentation aux sensations fortes émoustille notre adrénaline et nous éveille à une meilleure compréhension du déplacement spatial. (Claire-Amélie Martinant)
 


 
YOURSELF AND YOURS
Hong Sang-soo  |  Corée du Sud  |  2016  |  86 minutes  |  Les incontournables
 
Il ne serait que trop facile d’accuser Hong Sang-soo de faire toujours le même film — non seulement de film en film, mais aussi à l’intérieur d’un même film. Peut-être alors faudrait-il lire la prémisse de Yourself and Yours comme un clin d’œil amusé aux critiques paresseux qui comptaient s’en sortir en accusant le cinéaste de faire encore une fois ce même film : ce film que vous croyez connaître, le connaissez-vous vraiment, nous demanderait Hong par cette Minjung qui n’est jamais celle que les personnages croient connaître. C’est que le double, chez Hong, n’est pas un clone, mais une variante, il est toujours à la fois le même (une actrice, Lee You-yong) et différent (pour interpréter plusieurs sosies d’un personnage), de la même manière que le cinéma ne fait pas que répéter le monde mais révèle ce qui s’y terre en puissance (le cinéma révèle ce que peut être Minjung, ou plutôt son actrice, Lee). La mise en scène se doit donc de répéter les mêmes plans dans les mêmes lieux pour bien mettre en valeur ce qui change, ce qui n’est jamais le même, c’est-à-dire l’humain. L’œuvre de Hong se gorge ainsi de sens à chaque nouveau film, chaque nouvelle variation implique toujours la précédente : dans Our Sunhi, la mystérieuse Sunhi du titre attirait à elle trois hommes qui défendaient trois interprétations différentes de son caractère ; dans Right Now, Wrong Then, les deux parties du film représentaient plus ou moins les mêmes événements, le personnage principal effectuant des choix différents à chaque fois ; et dans Yourself and Yours, l’identité insaisissable de Minjung (ou des personnages interprétés par Lee) permet surtout de soulever l’impossibilité, pour les hommes autour d’elle, de lui faire confiance, de croire en qui elle affirme être. Et quelque part, cette énième variation est la plus limpide expression du cinéma de Hong, car si nous ne sommes jamais qui nous sommes, encore moins cet être que les autres croient (voudraient) que nous sommes, il n’y a rien de plus difficile que de faire confiance en ces autres que nous ne pouvons jamais vraiment connaître. La dernière scène, d’une rare émotion, nous le rappelle bien : il faut aimer comme si c’était toujours la première fois — mais redonner le monde à notre amour, n’est-ce pas, justement, le propre du cinéma ? Celui de Hong, en tout cas, sait à chaque fois le renouveler, notre amour. (Sylvain Lavallée)


LE PALMARÈS DE LA RÉDACTION

 
Ariel Esteban Cayer
1- Big Trouble in Little China (John Carpenter, États-Unis, 1986)  /  Aquarius (Kleber Mendonça Filho, Brésil, 2016)
2- After the Storm (Hirokazu Kore-eda, Japon, 2016)
3- Les arts de la parole (Olivier Godin, Québec, 2016)
4- Yamato (California) (Daisuke Miyazaki, Japon, 2016)
5- A Lullaby to the Sorrowful Mystery (Lav Diaz, Philippines, 2016)
 
Alexandre Fontaine Rousseau
1- Les arts de la parole (Olivier Godin, Québec, 2016)
2- A Lullaby to the Sorrowful Mystery (Lav Diaz, Philippines, 2016)
3- Yamato (California) (Daisuke Miyazaki, Japon, 2016)
4- Sixty Six (Lewis Klahr, États-Unis, 2015)
5- Wet Woman in the Wind (Akihiko Shiota, Japon, 2016)
 
Claire-Amélie Martinant
1- Aquarius (Kleber Mendonça Filho, Brésil, 2016)
2- Le fils de Joseph (Eugène Green, France, 2016)
3- A Decent Woman (Lukas Valenta Rinner, Argentine, 2016)
4- Sand Storm (Elite Zexer, Israël, 2016)
5- Le Parc (Damien Manivel, France, 2016)
 
Jean-Marc Limoges
1- L’Aurore (F.W. Murnau, États-Unis, 1927, en ciné-concert avec Olivier Mellano à la guitare)
2- Les nouveaux alchimistes (Bloc 3)
3- Belgica (Felix Van Groeningen, Belgique 2016)
4- Maudite poutine (Karl Lemieux, Québec, 2016)
5- The Giant (Johannes Nyholm, 2016)
 
Sylvain Lavallée
1- A Quiet Passion (Terence Davies, Royaume-Uni, 2016)
2- Yourself and Yours (Hong Sang-soo, Corée du Sud, 2016)
3- Les arts de la parole (Olivier Godin, Québec, 2016)
4- Bitter Money (Wang Bing, Chine, 2016)
5- Évolution (Johannes Nyholm, 2016)
 
Anne Marie Piette
1- Toni Erdmann (Maren Ade, Allemagne, 2016)
2- Aquarius (Kleber Mendonça Filho, Brésil, 2016)
3- Happy Times Will Come Soon (Alessandro Comodin, Italie, 2016)
4- Yourself and Yours (Hong Sang-soo, Corée du Sud, 2016)
5- Le Parc (Damien Manivel, France, 2016)
 
Olivier Thibodeau
1- A Decent Woman (Lukas Valenta Rinner, Argentine, 2016)
2- I Had Nowhere to Go (Douglas Gordon, Allemagne, 2016)
3- Life After Life (Hanyi Zhang, Chine, 2016)
4- The Untamed (Amat Escalante, Mexique, 2016)
5- Maquinaria Panamericana (Joaquin del Paso, Mexique, 2016)


PRÉSENTATION
OUVERTURE : TWO LOVERS AND A BEAR
JOUR 1
(Alipato, Death in Sarajevo, Diamond Island, Je me tue à le dire,
Safari, Sixty Six, The Death of J. P. Cuenca, Welcome to Iceland)

JOUR 2
(Déserts, Late Shift, Lost and Beautiful,
Maquinaria Panamerica, The Last Family)

JOUR 3
(Daguerrotype, Director's Cut, Sur les nouveaux alchimistes,
Happy Times Will Come, Life After Life, Pacifico)
JOUR 4
(A Quiet Passion, Apnée, Aquarius, Autre part,
Fallow, Sadako vs. Kayako, Sunrise, Werewolf)

JOUR 5
(A Lullaby to the Sorrowful Mystery, Bitter Money,
La Chasse au collet, Lampedusa, Sand Storm, We Make Couple)
ENTREVUE
Xavier Seron et Julie Naas (Je me tue à le dire)

JOUR 6
(A Decent Woman, Belgica, Lily Lane,
Mes nuits feront écho, Notes on Blindness, The Untamed)

JOUR 7
(Les arts de la parole, Dogs, L'effet aquatique,
I Had Nowhere to Go, The Ornithologist, Spark)
JOUR 8
(The End, Évolution, The Giant, Yamato (California), X Quinientos)

JOUR 9
(Maudite poutine, One Week and a Day, Prank,
La tortue rouge, Weirdos)

ENTREVUE
Felix Van Groeningen (Belgica)

JOUR 10 + PALMARÈS DE LA RÉDACTION
(Invisible, Mademoiselle, Stealing Alice,
Le vertige des autres, Yourself and Yours)

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Article publié le 17 octobre 2016.
 

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