prod. Steiner
DR. CALIGARI
Stephen Sayadian | États-Unis | 1989 | 80 minutes | Underground
Dr. Caligari est l’un de ces films qui invitent le critique à multiplier les références disparates dans le but, un peu vain, de tenter de décrire cet objet étrange : pseudo-suite new wave du classique de l’expressionnisme allemand The Cabinet of Dr. Caligari (1920); vidéoclip surréaliste réalisé par un cinéaste jusque-là connu pour des films pornographiques expérimentaux (le post-apocalyptique Café Flesh [1982], entre autres); variation libidinale autour du Videodrome (1983) de David Cronenberg; proche cousin du Forbidden Zone (1982) de Richard Elfman, et de son esthétique basée sur le théâtre musical d’avant-garde des Mystic Knights of Oingo Boingo (alors dirigé par son frère, le compositeur Danny Elfman); etc. L’accumulation de telles références montre bien à quel point ce Dr. Caligari, loin de se laisser circonscrire par celles-ci, demeure pour le moins singulier, insaisissable, fascinant par la pure excentricité de l’expérience convoquée.
On parle ici de décors en angles aigus et en perspectives déformées, découpés sur un fond noir faisant ressortir les couleurs criantes, toutes droites sorties d’un clip de Devo ou des B-52s, d’un scénario éclaté accumulant, sans souci de cohérence ni de développement narratif, une série de visions parfois horrifiantes, parfois humoristiques, axées autour du thème de la sexualité refoulée, d’un mélange plutôt paradoxal entre l’horreur corporelle, viscérale, et une forme d’abstraction, de distanciation. Sans doute pouvons-nous lire dans ce délire visuel une satire sociale, un désir de faire éclater toutes les normes, esthétiques comme hétéronormatives, mais le plaisir du film réside avant tout dans cette forme rebelle, dans ces dialogues absurdes rehaussés par une mise en scène statique et des performances théâtrales, pleines d’une ironie savoureuse. Longtemps resté dans l’obscurité (après avoir été présenté au TIFF en 1989, il a à peine été distribué), Dr. Caligari bénéficie aujourd’hui d’une restauration, présentée dans le cadre du festival. Les cinéphiles les plus curieux en seront reconnaissants : ce film culte mérite amplement d’être (re)découvert. (Sylvain Lavallée)
prod. Puppetcore Films
FRANK & ZED
Jesse Blanchard | États-Unis | 2020 | 90 minutes | Underground
Malgré ses quelques défauts techniques, ses éclairages parfois inadaptés, son humour un peu ringard et son récit légèrement bordélique, Frank & Zed brille par la qualité incroyable de son artisanat, la beauté somptueuse de ses marionnettes et de ses décors, la minutie monastique qui entre en jeu dans leur confection, mais aussi dans leur mise en scène au sein d’une diégèse complètement déjantée. Au-delà de mon affection personnelle pour l’adorable homme-orchestre Jesse Blanchard (également acteur, monteur et marionnettiste, un artiste passionné qui a consacré six ans de sa vie au projet), force est de constater que son film s’immisce parfaitement dans le paysage fantasien par son caractère irrévérencieux et sa prédilection pour le gore décadent. Ce n’est pas le latex dégoulinant du cinéma d’horreur classique qui revole partout ici, par contre, mais des bouts de feutre, aussi généreusement détachés des personnages qu’ils y ont été greffés a priori.
La prémisse du film tient du méli-mélo postmoderne entre récit gothique et heroic fantasy. Elle repose sur une malédiction qui plane au-dessus d’une communauté villageoise moyenâgeuse après que ses chefs aient conclu un pacte avec un démon afin d’obtenir les armes nécessaires pour combattre un sombre seigneur et ses sbires. Elle implique aussi deux reclus monstrueux, mais attachants : Frank, ostensiblement inspiré de la créature de Frankenstein, et Zed, sorte de zombie aux grandes dents. Ensemble, ils devront lutter contre un noble local, avide d’asseoir son pouvoir à même la croyance aveugle des villageois envers le mythe.
Il n’y a rien de transcendant dans la narration, quoique l’usage de tactiques expressionnistes nimbe la production d’un air de noblesse. La caractérisation des personnages n’est pas mémorable non plus, s’apparentant surtout à un travail de typage. Qu’à cela ne tienne, la personnalité des êtres transparaît parfaitement dans leur design, tandis que le génie des créateurs se révèle surtout dans les interstices du récit, dans l’habileté technique requise pour la mise en image de ses mécanismes les plus anodins, élevés constamment au niveau de spectacle. Ainsi donc, le simple lancer d’une hache devient un événement; la défibrillation quotidienne de Frank, un ballet mystique. C’est dans chaque scène individuelle que réside en somme la splendeur de l’œuvre, plus que dans son ensemble. La scène finale constitue même un moment d’anthologie, une grand-messe de l’excès sanguinolent, de la complaisance horrifique, de l’hystérie cinéphile. Rappelant l’énergie maniaque d’un autre archevêque du gore, le grand Peter Jackson qui, dans Dead Alive (1992) cadrait un massacre à peine plus dantesque, cette scène déploie une cavalcade de personnages dont les corps sont mutilés d’une multitude de façons amusantes et inventives. Elle est surtout caractérisée par un rythme endiablé que peu de scènes d’action hollywoodiennes, même les plus onéreuses, pourraient parvenir à répliquer. Il ne s’agit pas simplement de la cerise sur le sundae, mais du Graal au fond du canyon au croissant de lune. (Olivier Thibodeau)
prod. Pipeline
IT'S A SUMMER FILM! (SUMMER FILM NI NOTTE)
Sôshi Matsumoto | Japon | 2020 | 97 minutes | Sélection 2021
Tout est dans le titre ! Pourtant, il ne s’agit pas que d’un seul film : c’est tout un festival d’été auquel on assiste ici, un mélange de comédie romantique, de chanbara et de science-fiction sur fond de récit de tournage à la Nuit américaine (1973). La finale est particulièrement magique, constituant l’apogée du généreux travail d’hybridation amorcé en amont, avec ces adolescents romantiques qui s’improvisent Zatoïchi au balai dans le gymnase de l’école. Le scénario n’est pas frappant d’originalité, par contre, mais le charme grisant de sa jeune distribution, son dynamisme, sa passion, et surtout son idéalisme inébranlable sont source d’une joie de tous les instants. Il s’agit surtout ici d’une belle lettre d’amour au pouvoir rassembleur du cinéma de genre, assortie d’une mise en garde quasi macluhanesque contre sa disparition future. Les procédés réflexifs sont un peu grossiers, certes, mais ils dénotent néanmoins une rare déférence pour un art généralement mis à mal par sa production estivale.
Le cinéma populaire est produit ici avec une passion exempte d’un technicisme exacerbé. Il est fait par ceux qui l’aiment, soit les membres du club de cinéma parascolaire de l’école secondaire que fréquentent Karin et Hadachi, dite « Barefoot » (délicieusement boudeuse Marika Itô, utilisée ici dans un contre-emploi). Le seul problème, c’est que les membres en question ont voté pour la mise en œuvre du projet de Karin, muse du groupe et amatrice de comédies romantiques, au grand dam de Barefoot qui aurait préféré tourner un drame d’époque ou, encore mieux, un chanbara. Qu’à cela ne tienne puisque, sous l’impulsion de ses amies, la belle et grande Blue Hawaii, membre du club de kendo, et la pauvre Kickboard, membre du club d’astronomie, elle décidera malgré tout de mettre à terme son projet, l’impressionnant Samurai Spring, avec l’aide de Rintaro, un garçon du futur dont elle et Kickboard tomberont amoureuses. Armée seulement d’une perche, d’une batterie de lumières accrochées à un vélo, d’un stabilisateur pour téléphone intelligent ainsi que d’une vision créative extrêmement mûrie, elle parviendra à ses fins, mais non sans devoir affronter les écueils d’usage de ce type de récit.
Contrairement au cinéma états-unien, le film résiste admirablement au manichéisme, cessant d’opposer Barefoot à Karin dès lors que les deux adolescentes reconnaissent le caractère partagé de leur passion commune. À la fin, elles se trouvent même réunies main dans la main sous la bannière glorieuse de la cinéphilie, dans un paroxysme réjouissant qu’on pourrait presque qualifier d’orgie de bons sentiments. Le film dans le film est extrêmement impressionnant, du moins comme on l’entrevoit à la projection finale : un drame de samouraïs qui évoque brillamment les classiques des années 60, rendu dans un noir et blanc savoureusement contrasté. Ma plus grande réserve concerne le fait que les éléments de science-fiction s’intègrent mal au récit a priori, étant donné que le film propose une vision si tendre, voire nostalgique, de l’importance de vivre le moment présent. Ils trouvent éventuellement une place qui leur sied, particulièrement comme amplificateur dramatique lors du ballet final, mais ils ne cessent d’exsuder un sentiment d’étrangeté nocif pour le potentiel réaliste de l’œuvre. (Olivier Thibodeau)
prod. Ahab and the Dark
WHEN I CONSUME YOU
Perry Blackshear | États-Unis | 2021 | 92 minutes | Sélection 2021
Après They Look Like People (2015), le réalisateur et scénariste indépendant Perry Blackshear récidive aujourd’hui avec une autre variation intime sur les grands thèmes du cinéma d’horreur où la maladie mentale sert de canevas. Or, s’il évoquait précédemment une version paranoïaque du film d’invasion extraterrestre à la Invasion of the Body Snatchers (1956) ou They Live (1988), il rappelle ici une version désespérée du film de traque démoniaque (on pense un peu à une version adulte de Babadook [2014] ou de Before I Wake [2016]). Sa mise en scène, créative et économe, produit des effets qui, s’ils sont parfois peu spectaculaires, s’avèrent toujours évocateurs d’une certaine angoisse prolétaire. C’est peut-être là d’ailleurs que se distingue son cinéma de celui des grands studios de production : dans sa conception anti-bourgeoise de l’expérience humaine, comprise non pas comme le propre des jeunes couples professionnels ou des petites familles, mais comme celle de la douleur constante vécue par les paumés de la vie, par ces gens qui ne font pas que croiser par hasard les forces du Mal, mais qui vivent tous les jours à ses côtés.
Les images liminaires (les diagrammes sanguinolents sur le bras de la protagoniste et les silhouettes démoniaques aux yeux ambrés qui siéent patiemment dans les garde-robes) ont beau revêtir une allure familière, la mise en contexte des protagonistes n’en est pas moins hors du commun. Plutôt que de mettre en scène une situation initiale rosie, que le Mal doit venir souiller comme une forme de corruption, l’auteur choisit plutôt d’introduire des personnages en crise, des individus à deux doigts de basculer dans l’abysse, proies idéales pour les forces obscures. À preuve : cette plongée superbe sur Daphne, debout contre le garde-corps de son balcon, semblant vouloir être happée par le vaste espace en contrebas. Daphne est un personnage tragique, une ex-junkie en voie de rétablissement dont les rêves de maternité sont jugulés par la résurgence de son passé auprès des agents des services d’adoption. Or, c’est aussi un monstre issu de son passé, un démon mangeur d’âmes, qui viendra mettre fin à ses jours, créature que devra alors combattre un frère fragilissime, en apprenant l’amour de soi.
Usant de vieux mythes et de vieux symboles, Blackshear s’efforce de démontrer le pouvoir anesthésiant de la peur, du doute et du sentiment d’impuissance lancinant qui pourrit le quotidien des laissés-pour-compte pullulant dans les bas-quartiers des grandes villes. En cela, son film est tout aussi intime qu’il est politique. Il est surtout très tangible dans son maniement de l’horreur, usant d’images concrètes de violence urbaine pour asseoir son message — les coups de poing vicieux que reçoivent les héros aux mains du mangeur d’âme, ponctués des bruits de chair écœurants qu’amplifie sournoisement la bande sonore, causent les mêmes contusions et les mêmes dents cassées que ceux décochés par les prédateurs ordinaires. When I Consume You est aussi très tangible dans sa tendresse, dans cette humanité, dans ce regard empathique qu’il offre à ses personnages imparfaits, mais aussi dans cette touchante candeur qu’il leur consent. Il s’agit surtout d’un film parfaitement lucide qui ancre l’épouvante au niveau où elle se situe véritablement dans la vie : au niveau de la rue. (Olivier Thibodeau)
PARTIE 1
(Hold Me Back, King Car, Lost Boys, Midnight in a Perfect World)
Septet: The Story of Hong Kong
Beyond the Infinite Two Minutes
PARTIE 3
(Baby, Don't Cry, Opération Luchador, The Slug, Under the Open Sky)
PARTIE 4
(Agnes, Fils de plouc, Ora, Ora Be Going Home,
The Righteous, The Story of Southern Islet)
PARTIE 5
(Dr. Caligari, Frank & Zed, It's a Summer Film!, When I Consume You)
PARTIE 6
(L'inconnu de Shandigor, Midnight, The Sadness, Sexual Drive)
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