prod. Brouhaha Entertainment / LD Entertainment / et al.
DANGEROUS ANIMALS
Sean Byrne | Australie / États-Unis / Canada | 2025 | 93 minutes | Quinzaine des cinéastes
Le « film de requins » de la Quinzaine des cinéastes face auquel tout le monde était bien dubitatif au début du marathon est arrivé au milieu du festival comme une bouffée d’air frais, nous mettant à l’abri durant 93 minutes des prétentions d’usage et des visées auteuristes. Voici une comédie d’horreur très drôle dans sa manière d’être très sanguinolente, le genre de film qui aurait fait exploser le Theatre Hall cet été à Fantasia n’eut été de sa sortie prévue en juin.
Sean Byrn (The Loved Ones [2009], The Devil’s Candy [2015]), réalisateur tasmanien qu’on avait oublié depuis le temps, revient en grande forme après une pause de dix ans, avec un scénario stupide, mais extrêmement efficace : une brute des plages australiennes (Jai Courtney, en tueur parfaitement exécrable qui aurait trop regardé Shark Week) kidnappe des bourgeois en vacances à travers son entreprise d’observation de requins en haute mer afin de les livrer en pâture à ces prédateurs du Jurassique et de filmer leur repas sur VHS pour l’ajouter à sa collection de snuff personnelle.
Sur la terre ferme, Zephyr (Hassie Harrison) et Moses (Joshua Heuston) se rencontrent lors d’un rencard d’un soir, sans attente ni engagement. Elle cherche l’air du large avec sa planche de surf, il cherche à la « sauver », jouant le rôle du garçon gentil dont on n’espérerait rien de bien impressionnant sinon qu’il lui fasse de bons pancakes à l’aube. De fil en aiguille, le couple finira dans le sous-sol lugubre du navire-studio, Byrne démontrant un malin plaisir à multiplier les folles péripéties, à jouer avec l’idée visuelle de l’hameçonnage, les scènes se terminant souvent par un protagoniste tentant de prendre la fuite avant de se faire rattraper brutalement par le tueur qui les ramène sadiquement vers sa tanière. Le motif du corps retenu, du corps ligoté, du corps livré, reste simple comme la pêche, mais à force d’être décliné de façon croustillante à toutes les sauces (tartare), il procure ce jouissif effet de montagnes russes qui pourrait bien faire de Dangerous Animals l’une des surprises les plus plaisantes de l’été.
Outre son efficacité à toute épreuve, l’originalité du film de Byrne tient dans le tournant antispéciste que finit par prendre le récit, lorsqu’on réalise avec une insistance bien comique (quel champ-contrechamp entre l’héroïne et l’œil bienveillant de ce grand requin blanc !) que les animaux dangereux du titre ce ne sont pas les requins, mais bien les humains. Heureusement Dangerous Animals ne se complaît pas plus dans un quelconque discours revendicateur ou platement opportuniste, mais utilise plutôt la comparaison entre un tueur délibéré et un animal simplement dangereux pour créer un monde hostile où les péripéties déboulent de façon imprévisible, maintenant un sens du slapstick assez remarquable pour l’époque, et qui participe à en faire un objet de cinéma bien plus intéressant que sa prémisse ne l’aurait laissé croire.
prod. Les Films Pelléas / Bidibul Productions
UN SIMPLE ACCIDENT
Jafar Panahi | Iran / France / Luxembourg | 2025 | 105 minutes | Compétition officielle
Sur une route de campagne roule une voiture avec, à bord, une fillette surexcitée, une mère enceinte et un père de famille qui garde les yeux sur la route. Un simple accident survient, la voiture percute un chien et le choc finira par faire étouffer le moteur. La famille doit s’arrêter, mais rien ne semble très grave pour autant, ni là ni quand le père demande de l’aide du garagiste Vahid (Vahid Mobasseri), qui fait du mieux qu’il peut pour réparer la voiture tout en remarquant un bruit qu’il n’avait pas entendu depuis des années : la prothèse que porte le père à la jambe émet un grincement qu’il reconnait d’entre mille. Du bruit du moteur au bruit de la jambe, Panahi retrace le chemin familier de la répression politique.
Durant ce qui étaient sans doute les manifestations de 2017 et 2018 en Iran, Vahid a été emprisonné pour ses opinions anti-régime, puis torturé longtemps par des geôliers dont il n’a jamais vu le visage. Depuis, il est accablé par un terrible mal de dos qu’il essaie de compenser avec son bras, ce qui lui vaut le surnom « d’amphore ». Or de son bourreau il aura surtout retenu un détail marquant : le bruit que faisait la prothèse de sa jambe qu’il avait fièrement perdue pendant la guerre opposant l’Iran à la Syrie. Pourrait-il s’agir du même homme ?
Un simple accident montre Jafar Panahi revenir vers la fiction en bonne et due forme, avec des acteurs non professionnels, un scénario parfait et une mise en scène qui l’est tout autant. Lui qui est accablé par la justice iranienne depuis une quinzaine d’années, cumulant les emprisonnements, les assignations à résidence et les interdictions de tourner livre ici une charge frontale et admirable contre le régime en place. Son récit de vengeance, qui s’emballe lorsque Vahid kidnappe le père de famille et le fait passer en revue par différentes personnes qui ont souffert sous sa botte, vient mêler des situations teintées d’humour noir à un authentique réquisitoire contre la torture et la complicité individuelle avec la violence idéologique qui gouverne le pays.
Pendant que Panahi repousse les limites de l’affront en enlevant même le hijab à ses actrices (depuis l’automne 2023, les femmes risquent jusqu’à 10 ans d’incarcération si elles ne s’en accoutrent pas), son film déploie patiemment un dialogue moral autour de la torture et de cet homme qu’on ne parvient toujours pas à identifier avec certitude. Avouerait-il à son tour sous la torture être l’homme que ses anciennes victimes espèrent qu’il soit ? La vengeance que ces dernières recherchent suffirait-elle vraiment à apaiser le traumatisme qui les hante encore ? À guérir le dos endolori de Vahid ? Panahi nous tient habilement entre ses mains philosophes, prenant soin d’être délicat avec ces questions sensibles, c’est-à-dire sans jamais céder à la colère qui pourrait légitimement l’habiter. Un simple accident poursuit aussi cette série de films vus à Cannes cette année qui semblent se construire autour d’un détail qui se mue en catastrophe, la programmation alignant les effets papillon. Les précisions de l’attentat qui ouvre La mort n’existe pas, l’accident de Miroirs No. 3, le numéro de téléphone d’Amour apocalypse, le corps retrouvé de Reedland, les petits tours malicieux de Sound of Falling qui chutent à travers le siècle, comme si l’un des courants souterrains de cette édition portait sur ces simples accidents que le cinéma sait transformer en révélateurs d’une condition politique qui sommeille en dessous des histoires.
prod. Métafilms
AMOUR APOCALYPSE
Anne Émond | Québec | 2025 | 100 minutes | Quinzaine des cinéastes
Difficile d’écrire l’apocalypse sans nous y engouffrer ou d’écrire la dépression sans la rendre misérable ou ridicule, d’autant plus que le film manie tellement d’éléments (l’environnement, l’amour, l’humeur) sous la forme de tellement de personnages (le propriétaire de chenil abattu, la petite Gen Z obsédée, le père démissionnaire, l’ami réconfortant comme son macaroni, la téléphoniste mystérieuse…) qu’on aurait facilement pu sombrer dans la prétention d’une sorte d’éditorial bourré de ces arcan(d)nismes tardifs que l’on fuit comme la peste. Heureusement, la galerie de personnages portraiturés le sont avec la rapidité, la finesse nécessaires à ce que le film demeure une comédie sans jamais basculer dans quelque chose de plus lourd et il faut dire en cela qu’il s’agit du film le plus souple, peut-être le plus enthousiasmant qu’ait signé Anne Émond.
La légèreté n’est pas ici synonyme de médiocrité ni de facilité. On peut imaginer qu’au contraire, pour une cinéaste bien plus habituée aux trajectoires tragiques et aux réflexes de survie, que de pointer tant de sujets à la volée tout en maintenant cette unité de ton et ce plaisir de l’aventure est en soi un risque que prennent peu de cinéastes québécois — au même rayon cette année, il faudra regarder en direction des Deux femmes en or de Chloé Robichaud. Dans le cas d’Émond, non seulement son film se confronte au risque, elle parvient aussi à le dompter pour se l’approprier. On s’étonne ainsi de voir les thèmes sérieux de ses films précédents (l’amour évanescent de Nuit #1 [2011], le deuil des Êtres chers [2015], l’isolation de Nelly [2016], le conspirationnisme de Lucy Grizzli Sophie [2024]) servir de bougie d’allumage pour Amour Apocalypse, un film qui cumule les symptômes dépressifs pour mieux délirer le monde et le sentiment de perdition qui l’accompagne.
C’est du moins comme ça qu’on retrouve Adam (excellent Patrick Hivon), en type esseulé qui un beau matin reçoit une lampe de luminothérapie par la poste. Dans la boîte se trouve une garantie du consommateur avec un numéro d’assistance technique, ce genre de papier habituellement aussitôt recyclé mais qui frappe Adam en plein cœur de sa détresse ordinaire. Une ligne d’aide c’est une ligne d’aide, après tout, non ? À l’autre bout du fil, la téléphoniste à la voix empathique, Tina (touchante Piper Perabo), jouera un temps le jeu de l’oreille attentive, même si son mandat s’arrête généralement à écouter les doléances concernant des lampes brisées.
En racontant l’histoire fantasmatique de cet homme gentil et de cette femme à la voix tendre, qui emprunte un temps au Her de Spike Jonze son affection pour les solitaires et qui cherche à trouver pour ses personnages un paradis terrestre où ils pourraient vivre en paix, Émond signe un film complètement au diapason de son époque, avec une caméra maniaque qui se distrait à souligner des détails déglingués, à construire avec beaucoup de rigueur une mise en scène des objets qui détonnent parfaitement avec cet homme aux habitudes monastiques qui survit dans un monde où le consumérisme finit de se retourner sur lui-même dans l’enfer de la dépense matérielle comme énergétique. Dans le cadre cannois on sourira même à penser à l’autre film très amusant de la Quinzaine, Dangerous Animals, avec son autre couple un peu improbable (ailleurs c’était Moses et ici c’est Adam), signe de cinéastes qui trouvent une manière de rire en regardant la nature apocalyptique reprendre ses droits.
prod. Les films du Bal / Chi-Fou-Mi Productions / et al.
YES!
Nadav Lapid | France / Israël / Chypre / Allemagne | 2025 | 150 minutes | Quinzaine des cinéastes
Applaudi comme le film tant attendu d’un cinéaste israélien osant enfin filmer fièrement contre le régime sioniste de Netanyahou, Yes! a secoué le Festival de Cannes dans une charge revendicatrice tonitruante, pétaradante. « Oui ! », c’est ce que les artistes du film, Y. (Ariel Bronz) et Yasmin (Efrat Dor) répondent constamment à la classe dirigeante de Tel-Aviv qui les emploie. Pendant qu’ils prostituent leur corps, leur âme et leur talent pour distraire les militaristes, Gaza brûle, souffre et hurle, mais encore faudrait-il que le couple puisse les entendre, alors qu’ils font la fête dans les gratte-ciels, à danser contre des rabbins endiablés sous l’éclairage stroboscopique d’une étoile de David fluorescente. Y. sera éventuellement mandaté par ces ignobles personnages qui rient grassement et qui se déhanchent grossièrement pour écrire un nouvel hymne israélien, un qui puisse chanter, sur fond de chorale d’enfants, la disparition souhaitée des Palestinien·ne·s d’ici la prochaine année.
On aura deviné que Yes! ne fait pas dans la subtilité et qu’à force de pousser la note du reniement, à coup de métaphores sur le léchage (littéral) de bottes fascistes, Nadav Lapid réalise un film de divorce, le genre d’œuvre qui proclame haut et fort son reniement de l’état israélien. Son protagoniste Y., pianiste de renom, fait la fête pour s’anesthésier la conscience pendant que son épouse Yasmin tente d’élever leur enfant innocent, né le 8 octobre 2023. À travers ces deux heures et demie qui se complaisent dans une critique outrancière de crimes contre l’humanité, on comprend que Lapid cherche à se vautrer dans l’ignominie afin de s’en dissocier, exprimant son message de reniement avec aussi peu de délicatesse que ces maîtres contemporains du cynisme et de la cruauté auxquels on pourrait facilement l’associer, comme Ruben Östlund et Yorgos Lanthimos, à la différence que les sujets de ces derniers jouent habituellement le jeu d’une satire sur les classes ou sur les genres qui demeure infiniment moins indécent.
Or, le sujet du film de Lapid n’est pas seulement la bourgeoisie déconnectée du réel, il s’agit bien aussi de la classe dirigeante actuellement coupable de crimes génocidaires, chose que le cinéaste s’approprie comme il s’emparerait de n’importe quel autre contexte au nom d’une barbarie qu’il fait bon de pointer pour en ridiculiser les poncifs propagandistes. Ainsi Yes! contient des scènes où Y. et son ex-conjointe se tiennent sur une colline dont la vue donne sur Gaza (on nous dit que des familles israéliennes vont y piqueniquer pour regarder les bombes tomber sur la Palestine) et, alors qu’un mouvement de caméra panoramique nous montre des colonnes de fumée noire s’élever au loin, le montage coupe pour nous ramener à l’ancien couple en train de s’embrasser, leur réconciliation culminant là face à l’horreur, au terme d’un petit road trip enfumé de cannabis, énième signe d’une modernité israélienne dont se revêt le film pour appuyer son désarroi fièrement contemporain.
Que Lapid désavoue le régime qu’une part trop importante du monde occidental continue de défendre est une chose, certainement fort louable sur le fond, mais qu’il agglomère autant d’effets de style, qu’il instrumentalise en plus l’horreur véritable, largement maintenue hors champ, afin de poursuivre son ascension auteuriste en est une autre. Aucune outrance que commet son film ne peut échapper à la capitalisation artistique qu’il entreprend sur le dos d’un massacre, aucun tour de passe-passe discursif ne peut excuser une charge critique qui demeure menée avec les armes clinquantes de l’oppresseur (le film est aussi, il faut le dire, financé par le Israel Film Fund), tout comme aucune trajectoire présentée par ses personnages ne finit réellement par dynamiter le système d’oppression (alors que le film est bourré d’images fantasmées) ni par montrer une voie de sortie qui fasse preuve d’une quelconque vaillance. Au contraire, le dernier acte pleure surtout le destin de l’enfant du couple, condamné à grandir dans un état monstrueux et qu’il faudra donc exiler en Europe, chose promise dans une scène tournée dans un train (devenu train de vie plutôt que train de mort), avec le luxe de pouvoir dire que cet enfant-là, contrairement à ceux de Gaza, pourra oublier ses origines tandis que tout ce massacre en est justement un déclaré au nom des origines.
Yes! est un film cruellement maîtrisé, un objet ouvertement problématique et fier de l’être, à un point tel qu’il sabote constamment sa propre critique au profit d’une autopromotion dont il ne peut s’arracher. Pressé qu’il était de le faire savoir, Nadav Lapid est du bon côté de la clôture et son film n’est intéressé à rien d’autre qu’à cela : racheter sa conscience privilégiée aux yeux de l’Histoire.
prod. Rosa Filmes / Andergraun Films / BlackCap Pictures
MAGELLAN
Lav Diaz | Portugal | 2025 | 156 minutes | Cannes Première
D’une rive à l’autre, Magellan commence comme il se termine. D’un massacre à l’autre, Magellan porte sur l’histoire coloniale, sa pulsion de territorialisation, son extractivisme matériel et humain. D’une jungle à l’autre, nous voilà bien chez Lav Diaz, qui pour la première fois tourne avec les moyens ambitieux que lui prête Albert Serra à travers sa compagnie de production et son habituel directeur de la photographie et monteur, Artur Tort, là pour aider le maître philippin, abonné aux tournages de pauvreté où il tient lui-même sa caméra et monte seul ses innombrables heures de métrage. Dans Magellan, Diaz tourne donc avec des moyens ambitieux un film qui porte précisément sur cela, les moyens des ambitions.
Conséquemment, le cinéaste fait reposer son film sur une star, Gael García Bernal, la première vedette internationale de son cinéma, qu’il se refuse pourtant à filmer comme telle. L’unique gros plan qui lui est dédié vient d’ailleurs briser brillamment l’esthétique picturale, faite d’éloignements, de corps éparpillés, que l’ensemble du film travaille dans une sorte d’état de fait à démontrer dans toute sa splendeur morbide. Dans cet unique gros plan, Diaz vient en quelque sorte parachever le pari de sa mise en scène, qui peinture sur ces rives inconnues comme un tableau grotesque de cuirasses européennes ensanglantées, entraperçues à travers l’écume des vagues, reconnaissables à travers des dépouilles autochtones, des lances, des étoffes déchirées, de la matière et de la vie gaspillées.
Car si la survie dans un monde hostile a toujours été au cœur du cinéma de Diaz, jamais un de ses films n’a semblé aussi obsédé par la survie, celle ici en haute mer de ces marins qui prient pour leurs péchés, à espérer voir une terre en vue avant leur dernier souffle. Magellan porte sur les voyages du navigateur d’abord mandaté par les Portugais puis par les Espagnols pour trouver une nouvelle route des épices qui ne soit pas déjà surveillée. Le tour de Magellan sera la première circumnavigation, en passant par la pointe méridionale de l’Amérique du Sud avant d’aboutir aux actuelles Philippines, sur l’île de Mactan. Entre les intérieurs sobres, éclairés comme des toiles hollandaises de natures mortes, où la richesse vaniteuse du clergé scintille et vient capter le regard qui parcourt des compositions épurées, et l’extérieur luxuriant des Philippines, avec ses peuples revêtant leurs bijoux dorés, leurs étoffes aux motifs complexes et protégeant leurs idoles religieuses, Diaz signe un très grand film sur la matière coloniale de l’histoire, c’est-à-dire non seulement sur ce sujet critique mais aussi sur tout l’univers esthétique d’où il est issu (la quête des épices, des textiles, de l’emprise ecclésiale) et qu’il a ensuite engendré (l’exploitation transversale et totale des peuples rencontrés).
Magellan représente ainsi un film majeur dans une filmographie incontournable, une sorte d’œuvre charnière car le cinéaste, avec les moyens de tourner sur une caraque et de le faire avec un acteur adulé (et extraordinaire en Magellan convaincu de sa voie) n’a certainement jamais été aussi accessible, tout en n’ayant jamais été aussi près du cœur noir de tous ses films précédents, avec une clarté d’expression, une plasticité quasi didactique qui procure un authentique souffle épique à toute cette entreprise sans pour autant que son cinéma ne se perde dans ses ressources. La culpabilité des personnages, la luxure dans laquelle baignent les ordures, la lecture du roman historique philippin comme une série de traumas à exorciser, rien n’est absent de cette œuvre plutôt courte (pour Diaz) et qui sonde la folie à travers un voyage pourtant bien long, comme si le cinéaste souhaitait aussi enlever aux colons la gloire de l’insistance interminable (qui est toujours chez lui un hommage à la résilience philippine), n’en gardant que l’autodestruction, celle d’une bande d’hommes avides, prisonniers d’un navire trop petit pour leur appétence insatiable.
Quand l’équipage arrive à destination et que la matière coloniale (les drapeaux, la coque, les armures) se frotte à la culture native et ses rites, c’est comme si nous savions qu’ils étaient débarqués chez Lav Diaz et qu’à partir de cet instant nous pouvions lui faire confiance pour qu’il referme inexorablement son piège sur eux. Voilà, enfin, 127 ans après les premières actualités des Lumière tournées en terres colonisées (par l’Espagnol Antonio Ramos), la vengeance du cinéaste asservi, empêtré par cet art trop coûteux qu’est le cinéma, là à brandir sa force, à raconter le contrechamp de ces histoires qui ont fondé le cinéma et qu’il refonde à son tour, en présentant le point de vue des « ténèbres » de Joseph Conrad, la caméra sise à l’intérieure de la gueule du monstre dévoreur de colons.
Partie 1
(L'Engloutie, Reedland
La mort n'existe pas,
La Couleuvre noire)
Partie 2
(Sound of Falling, Miroirs No.3,
Put Your Soul On Your Hand,
The Chronology of Water)
Partie 3
(Dangerous Animals, Un simple accident,
Amour apocalypse, Yes!,
Magellan)
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