WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival Fantasia 2018 : Jour 1-3

Par La rédaction

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BEING NATURAL

Tadashi Nagayama  |  Japon  |  2018  |  96 minutes  |  Camera Lucida
 
Deuxième film de Tadashi Nagayama (Journey of the Tortoise, Grand Prix à Yubari en 2017), Being Natural est une satire radioactive sur l’embourgeoisement au Japon. En suivant Taka, chômeur adepte du bongo dont l’oncle décède à la suite d’une longue agonie, Nagayama organise autour du défunt une petite galerie de personnages à la bonhomie douce et rassurante aux confins de la campagne. Aux côtés de Taka : un ami épicier, lourdaud mais joyeux, puis son cousin endeuillé, récemment divorcé, qui revient au bercail pour reprendre en main l’affaire familiale (un étang artificiel à poisson pour des petites parties de pêche amateures). La première partie du film se stabilise autour de l’amitié du trio qui prend plaisir à travailler ensemble le temps que chacun retrouve sa bonne humeur. Fuyant la solitude et l’exclusion, ils trouvent des consolations dans un BBQ (de viande cheap, probablement radioactive) à la montagne, ou encore dans des jeux de ballon qui les placent à la limite du ridicule et de la franche camaraderie.
 
La mise en scène de Nagayama fait beaucoup pour éviter les mièvreries qu’on attend de ce type de sujet. Repoussant la tristesse et les crises à l’extérieur du cadre (comme chez Ozu, la disparition des gens est montrée à travers leur absence et les relations amicales ou amoureuses sont tissées en comparaison avec des relations familiales dysfonctionnelles), sa réalisation s’attarde surtout à montrer l’apathie que ressentent les personnages les uns envers les autres. Silences de marbre, regards défiants, le comique de Nagayama s’enracine dans l’indifférence, d’où le titre, Being Natural, qui souligne le côté humain, trop humain, de Taka, qui ne parvient jamais à rejoindre complètement le naturel d’un autre (qui lui imposent un naturel, au même titre qu’ils imposent à cette nature environnante son propre naturel). Incompris dans sa lassitude, il se bute aux idées fortes de ses amis, lui qui ne voudrait que la paix, ses bongos et sa petite tortue à tempes rouges. Pendant ce temps, les poissons de l’étang nagent toujours en rond, la caméra s’approche d’eux et le petit crépitement des Geiger se fait entendre…      
 
Tout bascule (et le mot est assez faible) lorsqu’une famille tokyoïte débarque en campagne pour acheter la maison familiale et la transformer en un café « 100 % Bio ». Les parents tiennent en horreur les agents de conservation, craignent les ramens et l’artificialité sous toutes ses formes (ils sont d’ailleurs introduits en pâmoison devant le toit traditionnel de la maison de Taka). Pendant qu’ils prennent d’assaut la campagne avec leurs précieuses considérations urbaines et modernes, le film poursuit sa satire de manière souterraine, accentuant les indices de la vie radioactive qui abonde dans cette région (qui n’est pas située à Fukushima, qui, en fait, n’a pas de lieu précisément pour dire que cette situation ne concerne pas que la préfecture de Fukushima). Quand tout éclate, quand le complot de la jeune enfant du couple s’abat sur Taka, le tranquille joueur de bongo finit expulsé de sa propre région, condamné à errer à la recherche d’une forme de salut dans un Japon qui ne semble avoir gardé de sa campagne qu’une image idyllique, champêtre, interchangeable, qui est au fond de la critique du cinéaste (car c’est bien au nom de la pureté de cet espace et de ce mode de vie que les dangers de la radioactivité continuent d’être amenuisés dans la conscience collective japonaise). S’attaquant au vernis des stéréotypages qui structurent cette société, Tadashi Nagayama signe une satire politique nécessaire et qui, pour une rare fois, prend le parti du monde rural afin de dévoiler avec quelle condescendance aveugle il peut être pris pour acquis. Un film avec autant de courage que de génie. (Mathieu Li-Goyette)

 
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DANS LA BRUME
Daniel Roby  |  Canada/France  |  89 minutes  |  Film d'ouverture

Dur de ne pas regretter
The Mist (2007) face à la vision post-apocalyptique étroite et ennuyeuse que nous proposent aujourd’hui Daniel Roby et ses acolytes français. Dur de ne pas regretter l’imagerie dantesque du film de Darabont et sa représentation terrifiante de la désintégration sociale. En effet, bien qu’il soit techniquement soigné, suppléant aux tableaux pittoresques de toits parisiens le spectacle onirique d’une ville enfouie et périlleuse, cadré par une caméra adroite qui émule alternativement le tangage élégant de la brume et son jaillissement furieux, le présent film repose malheureusement sur un scénario circulaire, redondant et faussement philanthrope qui en sabote tout le potentiel ludique et politique.

La prémisse est archi-simple : un tremblement de terre secoue Paris, et des catacombes s’échappe une brume mortelle qui partout déploie son ocre manteau. Or, l’origine de la catastrophe n’est jamais expliquée, pas plus d’ailleurs que ses ramifications sociopolitiques. Tout le monde meurt, mais on s’en fout. Ce qui compte, ce n’est que la survie de la famille nucléaire formée par les personnages de Mathieu (Romain Duris), Anna (Olga Kourilenko) et Sarah (Fantine Harduin). Notons à cet égard que tous les personnages périphériques ne possèdent pour eux qu’une fonction utilitaire : le vieil homme asthmatique qui doit mourir pour que Mathieu lui dérobe son masque à oxygène, le policier renégat qui doit mourir pour que Mathieu lui dérobe son masque à oxygène, le vieux couple du dernier étage qui doit mourir pour que Mathieu n’ait pas à leur trouver de masques à oxygène… C’est tout le problème de la société contemporaine qui s’en trouve ainsi cristallisé : au diable tous les autres, au diable la coopération interpersonnelle pourtant typique du survival horror ; le héros doit avant tout sauver sa descendance directe, même si cela implique l’instrumentalisation de l’humanité tout entière. Pas surprenant que le récit se développe d’une manière aussi cyclique, mécanique, et ennuyeuse, amenant les personnages à s’éloigner du nid familial rien que pour y retourner, inlassablement, utilisant la périphérie comme une grande remise destinée à leur usage exclusif. Or, ce ne serait même pas si mal si seulement il s’agissait là de véritables personnages, si seulement il existait chez eux une humanité que le scénario refuse à tous les autres, mais il n’en est rien. Malgré leur présence constante à l’écran, Mathieu et Anna ne demeureront en effet toujours que des esquisses, de belles coquilles sans passé et sans aspirations extra-parentales dont le background entier est synthétisé par des phrases creuses du genre : « Je suis une scientifique » et dont la compassion envers autrui se résume à déclarer platement : « Quelle horreur, tout ces gens qui sont en train de mourir ! ». C’est le règne de la froideur, exemplifié par-dessus tout par le sacrifice incongru, anti-dramatique et inutile d’Anna, dont le corps inerte n’est que brièvement aperçu, sans visage, à l’instar d’un cadavre anonyme, preuve assommante que même le focus narratif n’est pas ici garant du respect de l’objectif. (Olivier Thibodeau)


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MICROHABITAT
Jeon Go-woon  |  Corée du Sud  |  2017  |  104 minutes  |  Camera Lucida

Rarement la nature de l’âme nomade est-elle aussi éloquemment représentée que dans cette touchante étude de personnage. Exceptionnellement, c’est d’un nomadisme urbain dont on parle ici, réalité sociologique opportune à laquelle pourrait très bientôt faire face un pan de notre classe ouvrière, confrontée à l’augmentation du prix de toutes les commodités (incluant bien sûr les loyers, mais aussi les cigarettes et le whisky). Or, malgré le fait qu’elle lie directement le « problème » de l’itinérance aux effets pervers de l’inflation, la réalisatrice Jeon Go-woon n’en fait pas le point focal de son œuvre, préférant plutôt explorer des aspects plus fondamentaux de la nature humaine, livrant ainsi un portrait riche et éloquent de la solitude urbaine, de l’amitié, de l’amour, de la mémoire et de la nostalgie, bref de toutes ces choses qui nous animent, et que l’écran nous reflète avec une extrême générosité.

La sédentarité est une forme de statisme ; c’est une limite certaine de l’existence humaine. Le nomadisme au contraire, pour peu qu’il ne soit pas assimilé exclusivement à l’errance, constitue une occasion d’apprentissage, mais surtout, une occasion de pollinisation des connaissances (et des expériences). C’est le principe fondamental du road movie : l’esprit nomade se nourrit de l’ailleurs, mais il ne s’y accroche jamais, préférant y prendre (et y laisser) une parcelle de soi. Or, c’est ce que nous démontre ici le film avec une infinie maestria en nous proposant une sorte de road movie à pied, road movie urbain, où la protagoniste oscille sans cesse entre la marge et le centre, entre les espaces lisses du centre-ville, les lieux de passage, trottoirs, bars et squares, où nous ne faisons finalement qu’errer, et les espaces profondément striés (anthropocentriques) de l’univers domestique (i.e. les appartements de ses amis), lourds de souvenirs parfois cruels. Ces derniers, Miso ne fait que les traverser, en y laissant pour empreinte physique une simple note manuscrite, mais surtout, en y faisant le ménage (littéralement et psychologiquement). Sa véritable empreinte se situe pourtant ailleurs ; elle réside dans la mémoire des gens qu’elle a rencontrés, qu’elle a aidés. Et c’est précisément cela que nous enseigne le film : ce n’est pas dans son chez-soi que se trouve notre marque, mais dans l’ailleurs, dans l’autre, dont seuls les souvenirs contiendront nos véritables vestiges. (Olivier Thibodeau)


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TREMBLE ALL YOU WANT
Akiko Ohku  |  Japon  |  2017  |  117 minutes

Tremble All You Want, c’est la quintessence absolue du film fantasien. Non seulement s’agit-il d’une variation irrévérencieuse et adroite sur les codes d’un genre suranné (la comédie romantique), mais aussi d’une ode débridée au potentiel libérateur de la créativité artistique. Tremble All You Want, c’est le triomphe de l’imaginaire, exemplifié par la prolifération d’idées de mise en scène visuelles et sonores, mises à profit dans le fabuleux effort humaniste (et féministe) que constitue la cartographie mentale de sa protagoniste. Il existe donc ici une parfaite concordance entre l’utilisation des mécanismes cinématographiques affectifs et la progression dramatique du récit, permettant au spectateur d’entrer en symbiose parfaite avec la fabuleuse et adorable Yoshika Eto, interprété avec un aplomb insoupçonné par la très cinégénique, et extrêmement talentueuse Mayu Matsuoka.

Le processus est d’autant plus agréable que Yoshika constitue l’un des plus magnifiques et des plus touchants personnages qu’il m’ait été donné de voir au cinéma dans les dernières années, une héroïne prolétaire, complexe (et complexée), sise à des années-lumière de la bourgeoise insipide, superficielle et suffisante des Sex and the City et autres itérations hollywoodiennes du genre. C’est une héroïne qui dès les premiers plans verse des larmes cruelles, écartelée entre les désirs bancals qu’elle éprouve pour deux hommes, qui, dans une hilarante parodie de la culture machiste normalement célébrée par le genre, sont nommés simplement Ichi (Un) et Ni (Deux). Or, qu’il s’agisse des scènes de désespoir, des scènes d’errance biscornue ou même des scènes platement domestiques, la jeune femme déborde toujours de vitalité, démontrant une spontanéité et une singularité de tous les instants, singularité même que le genre sacrifie trop souvent au profit d’une d’une conception normative des êtres et des relations humaines. Face au spectacle désolant des onéreuses amours occidentales, Tremble All You Want semble ainsi capturer toute l’essence prosaïque de la vie humaine, palpitante et fougueuse, dévoilée avec une extrême sensibilité par la réalisatrice (et scénariste) Akiko Ohku, mais aussi par son exquise vedette, égérie inattendue de tous ceux qui préfèrent encore la vivacité et l’individualité au charme plastique des princesses de conte. (Olivier Thibodeau)




NUMÉRO HOMMAGE À JOE DANTE
JOURS 1-3
(Being Natural, Dans la brume, Microhabitat, Tremble All You Want)
JOURS 4-5
(Aragne: Sign of Vermillion, Cold Skin, Crisis Jung, Unity of Heroes)

JOURS 6-7
(The Blonde Fury, Luz, Profile, Relaxer, Satan's Salves)

JOURS 8-9
(Fireworks, I Have a Date With Spring, La Nuit a dévoré le monde, Laplace's Witch,
People's Republic of Desire, The Vanished, The Witch: Part 1. The Subversion)

ENTREVUE AVEC JOE DANTE
JOURS 10-11
(Amiko, Blue my Mind, Buffalo Boys, Chained for Life, L'inferno,
True Fiction, Unfriended: Dark Web)

JOURS 14-15
(Le Nid, La Quinceañera, Small Gauge Trauma 2018,
V.I.P., Violence Voyager, Windigo)

JOURS 16-18
(1987: When the Day Comes, The Dark, The Field Guide to Evil, Number 37, Pledge,
Pourquoi l'étrange monsieur Zolock s'intéresserait-il tant à la bande dessinée ?)

JOURS 19-20
(Amanita Pestilens, Detective Dee: The Four Heavenly Kings,
Five Fingers for Marseilles, The Ranger, Rondo, Tigers Are Not Afraid)

JOURS 21-22
(Arizona, Brothers' Nest, DJ XL5's Outtasight Zappin' Party, Madeline's Madeline,
Mandy, The Oily Maniac, One Cut of the Dead, Penguin Highway, Piercing, What Keeps You Alive)

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Article publié le 15 juillet 2018.
 

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