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Festival du nouveau cinéma 2023 : Partie 1

Par Thomas Filteau, Sarah-Louise Pelletier-Morin et Dominic Simard-Jean

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prod. Warner Bros. / Concord Productions / Sequoia Pictures

ENTER THE DRAGON
Robert Clouse  |  États-Unis/Hong Kong  |  1973  |  103 minutes  |  Temps Ø 

Enter the Dragon est pour le kung-fu ce qu’Elvis Presley a été pour le rock n’roll. En réalisant ce film, qui est encore aujourd’hui l’une des œuvres les plus populaires du genre, Robert Clouse surfe sur la vague de popularité dont jouissent les arts martiaux durant les années 1970 et qui est souvent caractérisée par les productions spectaculaires du studio cantonais Shaw Brothers. Toutefois, alors que les productions Shaw prennent généralement comme point de départ l’histoire de la Chine et la spiritualité orientale, Clouse dénature complètement le cinéma de kung-fu traditionnel en y retirant son caractère mythologique pour mettre l’emphase sur des conventions cinématographiques purement hollywoodiennes ; plus précisément celles du film d’espionnage et du film sportif. Dans ce sens, Enter the Dragon évoque en quelque sorte un mélange entre James Bond et Rocky. 

Bruce Lee y interprète ici son propre rôle, ou plutôt celui de son alter ego cinématographique, Lee. Il est chargé par les services secrets britanniques d’infiltrer l’île privée du criminel Han, soupçonné de trafic de drogue et de proxénétisme. Lee s’inscrit alors à un tournoi d’art martial organisé par Han. C’est là qu’il rencontre deux combattants américains, Roper et Williams, ainsi que Mei-Ling, son contact, qui vont tous l’aider dans sa quête à un certain degré (sans surprise, c’est Bruce Lee qui fait le gros du boulot). Si le film suggère au départ une certaine complexité dans ses personnages, notamment à travers Williams, un praticien des arts martiaux afro-américain victime de profilage racial dans son pays et qui participe au tournoi pour échapper à la police, Clouse abandonne rapidement cette piste et se contente de simplement distiller les tensions autour d’un conflit manichéen dans lequel Lee est le seul à pouvoir sauver la société de la cruauté du grand méchant Han. 

Malgré ses défauts, Enter the Dragon conserve toujours aujourd’hui son statut de film culte et s’il faut reconnaitre que Clouse est loin de maîtriser la mise en scène d’action au même niveau que les réalisateurs chinois de l’époque, il mérite d’être crédité pour sa contribution à la mythologie autour de la figure de Bruce Lee. Si Enter the Dragon est une œuvre aussi importante dans la filmographie de ce dernier, c’est parce qu’il marque le moment où celui-ci devient une icône universelle. Cela est notamment rendu possible grâce à la réalisation de Clouse, qui a su centrer l'esthétique du film sur l’aspect physique de son personnage : ses mains, ses pieds, ses expressions faciales et surtout, bien sûr, ses muscles (pour une raison inconnue, Lee semble allergique au fait de porter un chandail), ce qui a pour résultat de le transformer en figure transcendante. Le caractère mythique du personnage est particulièrement évident dans la scène finale, qui représente certainement le moment le plus mémorable d’Enter the Dragon. Il n’est pas anodin que le combat contre Han débute dans le musée des armes, comme pour dire que Lee est finalement l’arme la plus fatale de toutes, avant de passer à la salle des miroirs, qui représente une prouesse technique remarquable et où son corps y est présenté de manière quasi hypnotique. Ce faisant, Enter the Dragon préfigure le culte du corps qui viendra ensuite définir le cinéma d’action des années 1980 (salut Arnold Schwarzenegger). C’est donc finalement dans son caractère iconographique que le film demeure une œuvre innovatrice qui mérite d’être revisitée. (Dominic Simard-Jean)

 Prochaines projections : Aujourd’hui, le 6 octobre à 21h30 (Cinéma du Parc - Salle 1)
7 octobre à 21h30 
(Cinéma du Parc - Salle 1)
8 octobre à 14h30 (Cinéma du Parc - Salle 1)

 


prod. Go to Sheep

MANNVIRKI
Gústav Geir Bollason  |  Islande / France  |  2022  |  71 minutes  |  Les nouveaux alchimistes

Dans les ruines d’une structure bétonnée, sur la côte nord de l’Islande, rôdent une poignée d’individus habitant cette ancienne usine. La construction humaine (que désigne le terme islandais de mannvirki, utilisé pour décrire toute forme de bâtiment non-naturel) devient ici l’assise d’une chorégraphie postapocalyptique grisâtre, où les corps contorsionnés, sommeillant dans les creux des chenilles de grues, s’éveillent au matin pour fabriquer des assemblages: les plumes d’oiseaux deviennent des gants servant à ramer pour déplacer un canot dans l’étendue d’eau environnante, et les pneus rouillés se retrouvent transformés en installation cinétique. C’est à partir de ces gestes bricoleurs, auxquels s’attarde la caméra de l’artiste interdisciplinaire Gústav Geir Bollason, qu’émerge une interrogation des extractivismes qui jalonnent l’historique de la relation humaine à l’espace qu’elle habite. Dans l’atmosphère post-industrielle de ce non-lieu transformé en habitation, les corps s’affairent à un travail au sens incertain. Les objets créés relèvent-ils d’un rituel, d’une performance artistique, ou d’une composition improvisée d’instruments utilitaires? Ce qui peut fasciner dans l’œuvre de Bollason, c’est justement l’ambiguïté de ces transformations, à la lisière entre une esthétique du survivalisme et la pure impulsion d’une création sculpturale. Les œuvres composites que fabriquent les interprètes (et ce terme est dans ce cas plus juste que celui de personnages) restent toujours à la limite même du fonctionnel, passant d’un état d’outil à celui d’un arrangement artistique.

D’un total dénuement narratif, Mannvirki se déploie comme une série d’images-textures, ressenties lorsque se gratte la rouille, lorsque qu’une substance goudronneuse jaillit d’une branche d’arbre pour s’étendre sur les champignons à l’orée de l’immeuble à l’abandon. Témoignant d’une humanité fragile à la lisière de sa destruction, le film offre à voir l’ambivalence du geste même de création, à la fois dans sa continuité avec la transformation d’une ressource en tant qu’outil d’expression anthropique et dans l’attention aux présences non-humaines qui coexistent dans cet environnement. Un chien s’assoit, observe les mouvements, puis une séquence sous-marine marquante montre les déplacements sinueux d’un poisson solitaire. Détonnent peut-être seulement les images captées par drone, répétant la prouesse technique que Bollason semble justement questionner, de même que la rare narration, qui apparaît pourtant excessive devant les images silencieuses, en elles-mêmes suffisantes. Car dans les interactions silencieuses se devinait déjà la critique d’une injonction au progrès, alors qu’une humanité transformée en parasite dans l’usine désaffectée décomposait l’opposition entre nature et culture par l’observation des composantes animales de la création humaine, tapies dans les décombres de ses fabriques abandonnées. (Thomas Filteau)

 Prochaine projection : 11 octobre à 21h00 (Cinéma Moderne)

 


prod. Pimienta Films / Tres Tunas / et al.

PERDIDOS EN LA NOCHE
Amat Escalante  |  Mexique  |  2023  |  123 minutes  |  Les incontournables

Perdidos en la noche est un film violent, cru, et extrêmement difficile sur une société complètement corrompue dans laquelle l'individu a perdu tous ses repères moraux et tout espoir d’un monde meilleur. C'est un portrait extrêmement pessimiste du Mexique moderne, qui est représenté comme une terre où personne ne sait faire confiance à quiconque ou à quoi que ce soit. Le nouveau long métrage du cinéaste mexicain Amat Escalante (La región salvaje [2016], Heli [2013]) raconte l'histoire d'un choc entre deux mondes : celui des gens riches et célèbres et celui de la classe ouvrière et exploitée. Assoiffé de justice, le jeune Emiliano tente d’élucider les circonstances entourant la disparition de sa mère, une militante opposée au projet minier local qui a disparu dans des circonstances nébuleuses il y a trois ans. Il en vient à soupçonner Carmen Aldama, une actrice vedette, et son mari Rigoberto Dumas, un artiste contemporain en froid avec la communauté après qu'une de ses œuvres se soit attaqué à une organisation religieuse très populaire chez les ouvriers du coin. L'histoire dérape violemment après que la famille Dumas-Aldama ait engagé Emiliano comme homme à tout faire.

Dans l’univers tourmenté de Perdidos en la noche, chaque protagoniste semble être purement motivé par ses démons personnels. Par exemple, le personnage de Monica, la fille de Carmen et Rigo, est une influenceuse qui devient virale en partageant des vidéos d’elle sur les réseaux sociaux où elle fait semblant de se suicider. Le film nous montre aussi la dégénérescence du personnage de son père, qui, en utilisant l’art pour exorciser son passé trouble, s’enfonce de plus en plus dans une spirale de violence auquel personne ne pourra vraiment échapper. À travers son personnage, Escalante propose une réflexion pertinente sur la place difficile que doit jouer l'artiste (et par extension le cinéaste) dans une société aussi gangrenée par la violence que peut l’être le Mexique moderne. Toutefois le film pose finalement beaucoup plus de questions à ce sujet qu'il n’offre de réponses concrètes, et il est dommage de constater que le résultat final démontre une certaine réticence du cinéaste à prendre position sur le sort de ses personnages. Dans ce sens, son film aurait vraiment bénéficié d’une conclusion beaucoup moins sensationnaliste et ouvertement dramatique. 

Perdidos en la noche donne ainsi parfois l'impression d'être une œuvre quelque peu inachevée, comme si, en voulant traiter d'autant de sujets difficiles en même temps (activisme, écologie, exploitation, violence policière, religion, pédophilie, narcotrafiquants, viol, cancel culture, santé mentale, corruption), le film perd de son focus. Perdidos en la noche donne parfois l’impression de ne pas vraiment savoir dans quelle direction tirer, et c’est pourquoi son message rate la cible plus souvent qu’autrement. D’ailleurs, plus le film avance, plus on se désintéresse des personnages et de leurs motivations (le sous-texte sur la mine est complètement abandonné, par exemple), et plus les réflexions que propose Escalante se brouillent, ce qui est certainement dommage tellement le film semblait initialement démontrer une volonté de parler avec autant de franchise de sujets aussi difficiles. (Dominic Simard-Jean)

  Prochaine projection : 8 octobre à 16h30 (Cinéplex Quartier Latin - Salle 10)

 


prod. Chloé Leriche

SOLEILS ATIKAMEKW
Chloé Leriche  |  Québec  |  2023  |  103 minutes  |  Compétition nationale

Mélangeant documentaire et fiction, Soleils Atikamekw part d’un fait réel ayant eu lieu le 26 juin 1977 : l’engloutissement d’une camionnette contenant sept personnes dans la rivière du Milieu au nord de Saint-Michel-des-Saints, un drame qui a ébranlé toute la communauté atikamekw de Manawan. Alors que deux Blancs réussissent à sortir indemnes du véhicule, les corps de cinq autochtones sont retrouvés submergés dans l’habitacle. Le doute s’installe : qui étaient ces deux Blancs ? Pourquoi ont-ils donné autant d’alcool aux autres jeunes ? Comment ont-ils réussi à s’en sortir ? Pourquoi les corps retrouvés sont-ils lacérés ? Aucune autopsie n’est réalisée, ce qui crée un scandale dans la communauté. Le film ne trouve cependant pas sa force dans le suspense de l’enquête, ni dans la tension narrative, mais bien dans sa manière réaliste de rendre compte de l’expérience du deuil. Chloé Leriche donne une partition particulièrement puissante aux enfants, qui cherchent dans les éléments de la nature à restituer la présence des disparus. Le soleil, la rivière, la forêt, sont autant de personnages dans ces plans qui oscillent entre des images très solaires et très sombres. La transposition poétique des étapes du deuil, comme celles du déni, le besoin de croire et la lente reconstruction, est accomplie savamment grâce à l’enchevêtrement de dialogues fictionnels et de témoignages fournis par les proches des victimes. Ainsi, en écho à la scène d’ouverture, où ces gens sont rassemblés pour raconter leurs souvenirs du drame, on convoque parfois en voix off leurs réminiscences qui en viennent à se mêler aux paroles des personnages fictifs — tout le processus accorde une grande vérité à l’œuvre. (Sarah-Louise Pelletier-Morin)

 Prochaine projection : 8 octobre à 13h15 (Cinéplex Quartier Latin - Salle 12)
 


 
 
PARTIE 1
(Enter the Dragon, Mannvirki
Perdidos en la noche, Soleils atikamekw)
 
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Article publié le 6 octobre 2023.
 

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