WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Plein(s) Écran(s) 2024 : Partie 2

Par Thomas Filteau et Olivier Thibodeau

1 | 2 | Palmarès

Nous avions déjà couvert...


prod. Colonelle films

À LA VIE, À L’AMOR 
Emilie Mannering  |  Québec  |  2022  |  15 minutes  |  Compétition officielle

C’est l’exquise tendresse et l’acuité de la portraiture qui frappe chez Emilie Mannering, sa faculté d’épouser la subjectivité de ses personnages jusque dans l’épanchement onirique, qu’elle déploie ici avec une maestria irrésistible. L’œuvre débute sur Cesar (le coscénariste Lex Garcia), un jeune Panaméen dont il s’agit aujourd’hui du trentième anniversaire, assis dans l’habitacle d’un véhicule, hésitant à en sortir pour une raison qui deviendra de plus en plus évidente au fil du récit. Il y a quelque chose qui cloche chez lui, et qui s’exprime subrepticement dans sa connexion tacite avec des animaux fantasmés, des fauves solitaires perchés sur quelques piédestaux inaccessibles, dans le glissement langoureux de ses pas parmi les feuilles, mais surtout dans sa quête de recueillir des témoignages sur le sujet de « l’amour inconditionnel » auprès d’une série de personnages adorables de son quartier prolétaire. Et si ces derniers s’avèrent tous particulièrement généreux dans leurs savoureuses idiosyncrasies, leur parlure liquoreuse, leur palpitante honnêteté, leur humanité entière cadrée dans des décors minutieusement confectionnés, expressivement éclairés et parfaitement révélateurs de leur caractère, ceux-ci dévoilent aussi tranquillement la nature du problème de Cesar, particulièrement sensible à ce moment charnière de son existence. Ce qui frappe aussi chez Mannering, c’est sa direction d’acteur·rice·s, impeccable ici, même avec les jeunes Sami et Taha Hamzaoui, deux petits basketteurs qu’on croirait tout droit sortis de La haine (Kassovitz, 1995). C’est la capacité de l’autrice à créer du pittoresque directement à partir de l’humain, et d’ainsi peupler une diégèse où la douce amertume de l’existence est toujours éminemment palpable. (Olivier Thibodeau)

*Texte originellement publié dans notre couverture de Regard 2023

Prochaine diffusion gratuite : 26 janvier

 


prod. Matthew Wolkow

PROCÈS VERBAL
Matthew Wolkow  |  Québec  |  2023  |  5 minutes  |  Impression(s)

L’étourneau pisote, le carouge à épaulettes pépie, le merle babille, et le geai… jase, de sorte qu’il est parfaitement outillé pour participer à une assemblée générale. C’est ce que l’on apprend dans ce nouveau film du patenteux cinéaste et ornithologue montréalais Matthew Wolkow qui, après Monologues du paon (2020), retourne à son exploration ludique des mœurs de la gent aviaire des villes. Pas dans un dialogue ou un monologue cette fois, mais à l’occasion d’une réunion familiale dont le film constitue le procès-verbal, consigné par une entité élusive, un homme-oiseau sans doute, qui interroge de nouveau le devenir-animal de l’être humain (ou est-ce le devenir-humain de l’animal ?). 

Posant, quelques semaines durant, l’objectif de sa caméra sur un nid de geais, soit le temps pour les oisillons de grandir et de prendre leur envol, l’auteur plaque sur leurs actions une série de protocoles politiques. « Lecture et adoption de l’ordre du jour — proposé par geai bleu », lit-on dans un intertitre coloré au graphisme ornemental alors que l’oiseau atterrit sur les brindilles ; la période de questions, elle, s’effectue par les bébés au bec béant qui quémandent de la nourriture à leur mère. S’agit-il là de bureaucratiser les processus naturels ou d’offrir une voix démocratique aux animaux ? L’allégorie est intrigante, peu importe ce qu’elle vise à illustrer, ne serait-ce que la propension au cabotinage intellectuel d’un cinéaste qui crée comme il pense. Or, la beauté du film réside surtout dans la matérialité (celle de la pellicule, mais aussi de la feuille dactylographiée, qui sert de support à diverses fioritures artistiques), dans la matérialité du corps des oiseaux et des fruits posés sur la table pour évoquer une nature morte, dans l’éclectisme de la narration et la rugosité de la production. Même le VENT se ressent ici, dans la puissance décoiffante de son souffle, nous ramenant toujours à la force vivifiante, au fait que l’acte créatif, comme l’être, est indissociable de l’incarnation physique de son auteur·ice, et donc de la perspective de sa propre mortalité. (Olivier Thibodeau)

*Texte originellement publié dans notre couverture des RIDM 2023

Prochaine diffusion gratuite : 26 janvier

 


prod. Raquel Sancinetti

MADELEINE 
Raquel Sancinetti  |  Québec  |  2023  |  15 minutes  |  Compétition officielle

Ce qu’il y a de magnifique avec les documentaires d’animation — c’est aussi le cas pour Letter to a Pig (Tal Kantor, 2022), Strange Beasts (Magalie Barbé, 2022), It’s Nice in Here (Robert-Jonathan Koeyers, 2022) et La Grande Arche (Camille Authouart, 2023) —, c’est qu’ils permettent aux cinéastes de transcender le réel, de lui injecter un surplus de subjectivité, d’en exacerber la teneur dramatique, d’en contourner les règles, bref de se jouer ouvertement de lui. C’est ce que fait ici la réalisatrice indépendante Raquel Sancinetti avec une ingéniosité et un humanisme irrésistibles. Mélangeant de manière subreptice les prises de vues réelles et les scènes de poupées en feutre animées, elle fait bien plus que surprendre le public, allant jusqu’à libérer son amie Madeleine de sa prison gériatrique en l’amenant à la plage dans sa voiture ovni, par-delà les grands pics sablonneux et les dunes fleuries. « Moi, je ne veux plus aller nulle part », déclare d’abord Madeleine, « la vieille par excellence » du haut de ses 103 ans, préférant rester assise sur sa chaise dans sa maison de retraité·e·s. Or, c’est par le montage que Sancinetti parvient à la convaincre, puis par la substitution qu’elle la traîne à sa suite, lui créant pour l’occasion un alter-ego à la gestuelle étudiée, animé par sa voix éraillée mais chaleureuse, qui débite à l’écran un flot constant de remarques idiosyncrasiques. Plus prosaïquement, le film constitue le portrait charmant d’une amitié intergénérationnelle inspirante, où l’intelligence créative de la jeune femme n’a d’égal que la sagesse et la répartie de son aïeule, à qui il s’agit ici d’un touchant hommage. (Olivier Thibodeau)

*Texte originellement publié dans notre couverture de Regard 2023

 


prod. club vidéo

NOTES SUR LA MÉMOIRE ET L'OUBLI
Amélie Hardy  |  Québec  |  2022  |  8 minutes  |  Compétition officielle

Notes sur la mémoire et l’oubli est l’une des œuvres que j’anticipais le plus parmi la programmation du FNC cette année. Les courts métrages d’Amélie Hardy sont tellement denses, amusants et cyniques qu’ils sont comme de petites perles de cinéma contemporain. Et c’est bien le cas ici, alors que l’autrice relie, dans une sorte de flot de conscience à peine homogène, quelques notes à propos des deux monolithes titulaires, profitant d’un texte savoureux narré par Alexa-Jeanne Dubé pour tracer un parallèle intellectuel entre l’horreur de l’architecture lavalloise sur la rue Fernando Pessoa et une série d’observations perspicaces sur notre société d’archivage mémoriel et de surveillance interpersonnelle. Disposé en cinq chapitres thématiques, inspiré par un essai de Rafaële Germain, le film mêle les esthétiques et les approches, moins dans une démarche spécifiquement postmoderne que pour le simple plaisir de mettre en scène et d’incarner de façon optimale sa manne de beaux concepts théoriques. Entre les séquences animées de femmes néandertaliennes, les montages hyper rapides de façades banlieusardes, de poètes portugais et de livres ouverts, les mises en scènes d’étudiantes et de fonctionnaires, la valse des zooms, les images d’archives et les contenus web savamment sélectionnés, on a l’impression d’assister à un ouvrage extrêmement épais, condensé dans quelques minutes de pure jubilation cinéphile. Marqué par un humour tranchant, bourré d’esprit, un imaginaire foisonnant et un exceptionnel sens du rythme, l’œuvre constitue une autre réussite pour la réalisatrice exceptionnelle de La vie heureuse (2021), qui m’avait tant envoûté au festival Regard, et à qui l’on souhaite un parcours rempli de pépites de la sorte. (Olivier Thibodeau)

*Texte originellement publié dans notre couverture du Festival du Nouveau Cinéma 2022

Prochaine diffusion gratuite : 23 janvier

 


prod. Virgile Ratelle

SUMMER NIGHTS
Virgile Ratelle  |  Québec  |  2022  |  14 minutes  |  Compétition officielle

Il y a quelque chose du magnifique À l’ouest de Pluton (2009) dans ce portrait perspicace d’un groupe de skaters adolescents, écartelés entre le prosaïsme de l’existence quotidienne et l’onirisme passager des nuits d’été suburbaines, captés dans un cadre documentaire direct qui les tisse inextricablement. Le caractère anodin des dires et des actions s’épanche ainsi constamment dans quelque chose de plus grand, ne seraient-ce que les couleurs mystiques de l’horizon irisé par le soleil couchant. « Le goal de l’été », dira l’un des jeunes, calé sur les sièges de roche au-dessus du parc du Mont-Royal, « c’est de faire plus de switches », alors que le but de l’été se trouve également devant lui, dans cette scène urbaine pittoresque où les pastels de la voûte céleste se mêlent aux lumières de la ville pour former un paysage que seuls les gens qui se donnent encore le temps sauront apprécier. Tout ici contribue à évoquer la posture de l’âme adolescente, pour qui le rêve se trouve partout à l’orée de l’univers banlieusard où elle s’épanouit tant bien que mal, dans les vastes salles de bain, les garages exigus et les stationnements déserts qui recèlent pour elle une fonction imaginaire en tant que scènes de ses excentricités capillaires, musicales et sportives. On note d’ailleurs avec ce film subtil et généreux que la planche à roulettes (même 57 ans après le Rouli-roulant [1966] de Claude Jutra) constitue toujours l’engin emblématique d’une certaine jeunesse rebelle, coincée entre les règles de la bienséance bourgeoise et le désir de liberté, entre l’asphalte des villes et le scintillement des astres. (Olivier Thibodeau)

*Texte originellement publié dans notre couverture de Regard 2023

Prochaine diffusion gratuire : 24 janvier

 


prod.  Scarab Films

SIMO
Aziz Zoromba  |  Québec  |  2022  |  23 minutes  |  Compétition officielle

Lauréat du prix pour le meilleur court métrage canadien à la dernière édition du TIFF, puis récipiendaire du prix coup de cœur Denis Villeneuve au récent Gala Prends ça courtSimo se présente d’abord comme un récit sur le déclenchement des tensions : une partie de soccer qui se clôt en bagarre ; un haut-parleur au volume trop élevé qui éclate. Pourtant, le court conserve son jeu dissimulé durant sa première partie, puisque derrière son apparence initiale de récit moral sur les glissements qui s’opèrent entre l’amusement ludique et la violence, celui-ci se déploie davantage comme une fable sur la primauté des liens familiaux en tant qu’espace tendre où se déplie support et empathie. En son centre se distingue un duo fraternel d’adolescents canado-égyptiens, Simo et Emad, dont la relation se balance entre la proximité protectrice et l’adversité irritée. Alors que le plus jeune s’empare d’une séance de jeu vidéo militaire partagée en direct par son frère aîné, le questionnement d’un auditeur sur les restes démantelés de l’ampli situé en arrière-plan est l’occasion d’une blague pour le jeune garçon : « Une bombe. » On peut immédiatement deviner la suite de l’histoire, mais c’est finalement dans l’élision de ses moments de violence que la composition narrative peut impressionner, en situant dans l’après-coup de la réponse familiale l’intérêt de son regard. Après une scène réussie de confidence, où le père des garçons se remémore les conditions dans lesquelles il apprît le décès de son propre frère, Simo se conçoit finalement comme l’occasion de composer la structure familiale triangulaire comme le lieu où le lien et le partage l’emportent sur une masculinité distante ou belliqueuse. (Thomas Filteau)

*Texte originellement publié dans notre couverture de Regard 2023

 


prod. Alexia Roc

BERGEN, NORVÈGE 
Alexia Roc  |  Québec  |  2023  |  9 minutes  |  Impression(s)

Récompensé comme le meilleur film de la section Tourner à Tout Prix, Bergen, Norvège est une œuvre thérapeutique courageuse, éprouvante et remarquable, qui en épousant la subjectivité d'une jeune autrice victime d’abus sexuel, cerne avec une grande perspicacité et une rare puissance d’évocation l’essence de l’une de ces expériences traumatiques qui alimentent le mouvement #MeToo, mouvement dont elle épouse fougueusement le caractère accusateur en refusant de cacher l’identité de l’agresseur. L’introduction nous rappelle d’abord Le fantôme de Marioupol (Marie Chemin, 2022), dans son utilisation de Google Maps pour retracer à distance la scène d’un drame, dans ce cas-ci l’appartement norvégien de l’hôte CouchSurfing ayant agressé la narratrice, dont l’énumération en voix off de quelques détails architecturaux nous aident à reconnaître l’endroit : 24 rue Loddefjordveien à Bergen, en Norvège. L’image de cet appartement deviendra d’ailleurs bientôt un leitmotiv, alors que la caméra effectue des travellings paniqués, des recadrages tremblotants ou des rack focus impressionnistes sur divers appartements ottaviens similaires, la constante résurgence du modèle évoquant à merveille la persistance du trauma chez le sujet. « Il m’a touché à des endroits que je ne connaissais pas encore tout à fait », écrit-elle à l’écran, confirmant ainsi la fonction du film comme une sorte de journal intime, d’exutoire. Mais plus encore. Celui-ci constitue avant tout une percée héroïque dans son imaginaire vicié, là où se retrouvent également les détails personnels de son agresseur, Viky Chatanya, dont on performe sur la bande sonore les communications électroniques avec la victime qui, en ce lieu, paraissent banalement monstrueuses dans leur caractère insistant. « Name in front of my door: Chatanya. Remember. » Mais pourra-t-elle un jour oublier ? (Olivier Thibodeau)

Le Festival Plein(s) Écran(s) propose 3 films en compétition québécoise par jour, disponible pendant 24h seulement, de minuit à minuit, directement sur leur page Facebook.


 

PARTIE 1
(Nanitic, Agonie, The Fourth Wall,
6 minutes/km, Fire-Jo-Ball)

PARTIE 2
(À la vie à l'amor, Procès Verbal,
Madeleine, Notes sur la mémoire et l'oubli,
Summer Nights, Simo, Bergen Norvège)

Palmarès

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 23 janvier 2024.
 

Festivals


>> retour à l'index