ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Media City Film Festival : Partie 3

Par Samy Benammar, Philippe Bouchard-Cholette et Ralitsa Doncheva

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prod. The Camelia Committee

THE SECRET GARDEN 
Nour Ouayda  |  Canada / Liban  |  2022  |  16mm vers numérique  |  27 minutes  |  Compétition internationale

Les branches s’enfoncent dans les décombres et les racines affleurent dans un épais nuage de cendre. Tout s’est renversé chez toi, je ne connais pas la date exacte. Mes paupières aussi sont engluées de mensonges, et ta maison sans murs m’est un ailleurs dont je n’oserais prétendre saisir l’absurde violence. Demain, le 4 août, le port explose, nous ouvrons les yeux comme si tout apparaissait soudainement, comme si la détonation était autre chose que le maillon rompu d’une chaine corrodée de bout en bout. Demain, l’oubli revient étouffer la ville sous le poids de la négligence politique et de la cécité internationale. Toi, tu écrivais il y a deux ans la difficulté que tu éprouvais à rester éveillée. [1] As-tu trouvé le repos dans la ville qui ne meurt jamais ? Est-ce qu’il s’agit de ce jardin secret, et s’il n’existe que dans les imaginaires, est-ce suffisant pour s’y réfugier ?

Il faudrait déplier les métaphores de cette fable urbaine dans les rues de Beirut pour expliciter la profondeur des enjeux politiques qui la sous-tendent. Mais Nour Ouayda enchevêtre les enjeux dans une traversée qui oscille entre enquête policière, journal d’un temps condamné et manuel pour une botanique du rêve. Impossible de déterminer si ces plantes envahissant la ville incarnent l’espoir d’une renaissance révolutionnaire ou la permanence d’un régime politique dégénéré. Les tiges emprisonnent les murs, glissent sur les balcons pour porter un peu de fraicheur aux chambres dont le climatiseur est brisé. Pris entre fiction spéculative et manifeste politique pour un droit à l’évasion, The Secret Garden est une œuvre insaisissable, impossible à enfermer dans une interprétation. Chaque nouveau chapitre, chaque parole, chaque détail du sublime travail sonore déjoue le récit, crée une nouvelle digression, pose une nouvelle question qui nous entraîne dans son bouillonnement politique et poétique.

Je ne parviendrai pas ici à dénouer ce film qui garde tous les jardins ouverts et aborde, par tant de chemins détournés, un rapport à la complexité d’une ville-monde. Camelia et Nahla y cherchent des réponses qui n’existent peut-être plus depuis que le parfum des fleurs a commencé à ressembler à celui de la cendre. (Samy Benammar)

Autour du programme international #5

Des corps, les draps du lit et la nappe d'une table. En gros plan, les mains se touchent, les doigts d'agrippent. Les portes et leurs poignées. Ouvrir et fermer. La résistance, c'est se révolter, transformer, transcender. Quel chemin devons-nous emprunter pour franchir le seuil ? 


prod. Maryam Tafakory

MAST-DEL
Maryam Tafakory  |  Iran / Royaume-Uni  |  2023  |  17 minutes  |  Compétition internationale

Tissé à partir de séquences originales et d'archives, de textes et d’images, le dernier film de la cinéaste iranienne Maryam Tafakory (Nazarbazi, 2022) prend la forme d'une méditation intime sur le désir féminin dans ses dimensions poétiques et politiques. Entre rêve et horreur, le film fait écho à la censure et à l'oppression qui règnent sur le cinéma et la société en Iran. 

À mi-chemin entre le figuratif et l’abstrait, la sensualité tactile et sa dénonciation, le film offre l'expérience d'une plongée nocturne dans une mer sans fond. Dans un bleu-mauve pénétrant, Mast-del se déploie autour du récit croisé de deux femmes allongées dans leurs lits respectifs. Dans l'intimité visuelle de leurs gestes et de leurs regards, apparaît un texte qui relate un rendez-vous au cinéma qui tourne à la violence.

Fragmentés et disposés au milieu du cadre, les mots constituent une nouvelle strate de paysage et de sens. Tels des navires silencieux, ils nous entraînent au travers du temps et des espaces encore invisibles, pourtant intensément ressentis. Les mots et les corps respirent ensemble, se reflètent et se complètent. Ils nous rappellent avec force que l'on peut transcender les limites du langage et de l'image en jouant avec leurs frontières.  

La profondeur des bleus du film de Tafakory déborde sur celui qui suit et conclut le programme : The House Is Black(Ralitsa Doncheva)



prod. Ebrahim Golestan / Forough Farrokhzad

THE HOUSE IS BLACK
Forough Farrokhzad  |  Iran  |  1962  |  22 minutes  |  Restauration

L'unique film réalisé par la poétesse et féministe iranienne Forough Farrokhzad est à l'origine une œuvre éducative visant à exposer la terrible réalité vécue dans une léproserie dans son pays natal. Ce film, dont on souligne souvent le « lyrisme transcendantal », est pour moi une sorte de prière cinématographique. Au rythme de ma respiration, frappant comme une lame, Farrokhzad insuffle tant de compassion et d'espoir dans la fragilité de cette vie, que je reste transie, plongée dans un état de dévotion.

En regardant le film dans l'obscurité de la salle, entourée d'une communauté d'amis et de collègues cinéastes, je me demande ce qu'est le cinéma après The House Is Black. Quelle place occupent les images dans ce monde génocidaire, où l'on passe d'un suicide de l'humanité à un autre. Les mots de Nathaniel Dorsky, dont le nouveau film en 16 mm, NAOS (2022), a également été projeté à Media City, me reviennent à l'esprit. Dans son livre Devotional Cinema, il écrivait : « We watch the world from the dark theatre of our skull. The darker the room, the more luminous the screen. » (Ralitsa Doncheva)

 


prod. Helga Fanderl

SUPER 8 CONSTELLATIONS
Helga Fanderl  |  Allemagne  |  2015-2023  |  17 minutes  |  Rétrospective

Inévitablement, notre expérience des films à Media City est teintée par les rencontres, enrichie ou réévaluée par les discussions sur le trottoir entre les programmes, ou autour d’une bière au Phog Lounge, le bar avoisinant le Capitol Theatre. C’est le cas de n’importe quel festival, me direz-vous, mais on observe l’effet d’une magie particulière à Windsor, où s’est cristallisée au courant des derniers jours une communauté faite d’artistes, de festivaliers∙ère∙s, de locaux et d’organisateur∙ice∙s. Un bagage partagé de connaissances et de sensibilités prédispose certainement le public à une telle communion, mais le MCFF y joue un rôle actif, notamment en mettant un point d’honneur à rémunérer les artistes programmés et les membres du jury, ou à inviter systématiquement tous les partenaires, des distributeurs à la fleuriste, à prendre la parole au cours du Festival. En retour, MCFF s’est mérité la fidélité d’un nombre impressionnant d’organismes et d’individus, comme l’artiste Helga Fanderl, dont il est question ici, une habituée venue tout droit de Berlin pour l’occasion. 

Je me permets cette introduction parce que les bons coups gagnent à être soulignés d’une façon ou d’une autre dans notre couverture de l’événement. Ce texte sur Super 8 Constellations, un assemblage de huit films récents par Helga Fanderl, m’a semblé pour cela un prétexte adéquat. La cinéaste démontre en effet une conscience aiguë de l’importance du contexte dans la réception de ses films, qu’elle présente toujours elle-même, sur leur support original, comme on visionne des films de famille. Son œuvre et sa démarche invitent à penser conjointement l’art et la vie, l’image et le cadre, les formes et le monde. Les films et le Festival, pourquoi pas.

Depuis 1986, Fanderl a tourné plus de mille films silencieux en Super 8. Au premier abord, sa technique ne dévie en rien de l’usage prescrit par sa petite caméra, que privilégient les cinéastes amateurs. Elle pointe, filme et, venue à bout d’un chargeur, développe la pellicule et la projette telle quelle, sans intervention postérieure. La discrétion, la portabilité et la facilité d’utilisation de l’appareil sont les conditions de sa pratique artistique. Elle s’intéresse aux formes, aux mouvements, aux couleurs: aux lignes parallèles d’une fontaine en forme d’escaliers, dont la géométrie s’anime dans l’enchaînement des plans; aux spirales tracées par les wagons d’une montagne russe; à l’allure alanguie et bondissante d’une girafe dans son enclos; au reflet dans l’eau d’un tuyau rose, d’un ciel bleu et d’un bosquet verdoyant. 

C’est ainsi que l’on reçoit les films de la constellation, en succession d’impressions fragmentaires, brillantes de poésie et d'acuité, qui font miroiter la beauté fugace des choses et nous rappellent d'y porter attention. (Philippe Bouchard-Cholette)

 

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Article publié le 19 novembre 2023.
 

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