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RIDM 2014

Par Mathieu Li-Goyette



Un festival de cannes

L’ascension fulgurante des Rencontres internationales du documentaire de Montréal n’est pas de la triche.

Il suffit d’un coup d’œil à la programmation de leur 17e édition pour percevoir l’acuité d’esprit de sa sélection, la diversité des intérêts couverts par ses divers volets et la sagesse de ses rétrospectives. En relevant le pari de livrer au public montréalais une somme annuelle et sélective du documentaire mondial, le festival a raffermi sa position depuis quelques années, repoussant les limites de sa propre audace, suggérant des œuvres de plus en plus hétéroclites et subversives ; qu’il soit question aujourd’hui du délire technologique qu’incarne la section UXdoc (où l’on pourra essayer le fameux casque de réalité virtuelle Oculus Rift), de la rétrospective dédiée au maître du documentaire d’observation James Benning ou à celle au cinéaste engagé et enragé qu’est toujours Kazuo Hara, le mot d’ordre des RIDM est demeuré inchangé : envisager le cinéma comme transmetteur d’histoires.

Histoires fictives, histoires réelles, la forme documentaire sait jouer de ces pôles qui ne s’autosuffisent jamais, mais qui articulent plutôt une vision singulière du monde. Une vision qui n’est pas qu’une succession de faits – comme le font les reportages, qui ne sont pas des documentaires –, mais bien un tournoiement des faits sous l’œil attentif d’un cinéaste qui creuse le monde et nous donne à voir ce qu’il en retire et ressent. Cette appréciation sensible commencera cette année avec Le Nez, dernier film de Kim Nguyen (Rebelle) qui a choisi de filmer l’odeur. Et terminera avec Spartiates de Nicolas Wadimoff, parti se risquer dans les rings d’arts martiaux mixtes de la banlieue de Marseille.

C’est entre l’éloge des sens et la réalité brutale du no man’s land marseillais que le festival déploiera sa vaste gamme de films, du dernier Yuri Ancarani (avec San Siro) au second volet d’Act of Killing, The Look of Silence de Joshua Oppenheimer, faisant la split entre la célébration de la vie et son érosion, conviant ponctuellement son public à ses projections-débats, des discussions et des classes de maître.

Les histoires qui s’y raconteront seront des histoires de femmes de réconfort (Tour of Duty) et de masseuses chinoises (The Private Life of Fenfen) ; des histoires de sons urbains (Room Tone, de Céline Baril) et de sons maliens (Bamako temps suspendu, de Sylvain L’Espérance) ; des histoires d’une terre qui se meurt (Le cri silencieux du chevreuil) et d’Amérindiens qui la perdent (Ceux comme la terre, Trick or Treaty, d’Alanis Obomsawin) ; des histoires de Verdun (D’où je viens, de Claude Demers) et du centre-ville montréalais (Nuits, de Diane Poitras) ; des histoires d’une école française (La cour de Babel, de Julie Bertuccelli), d’une chinoise (China Me, de Michka Saäl) et d’une gaspésienne (La marche à suivre, de Jean-François Caissy) ; des histoires enfin de Robert Altman (Altman, de Ron Mann), du studio Ghibli (The Kingdom of Dreams and Madness), de Claude Jutra (Jutra, de Marie-Josée Saint-Pierre) et même une histoire signée Frederick Wiseman (National Gallery) et une autre Martin Scorsese avec son film sur la revue New York Review of Books : The 50-Year Argument.

Sans oublier ces œuvres qui sauront nous offrir un regard renouvelé sur le Moyen et le Proche-Orient si fragiles comme Iranien (Mehran Tamadon, gagnant du Grand prix à la dernière édition du festival Cinéma du réel) et Once Upon a Time de Kazim Öz, mentionnons ceux qui empoigneront les grands enjeux qui accompagnent la mondialisation et la surpopulation, notamment The Iron Ministry, Evaporating Borders et We Come As Friends qui dévoile sans langue de bois la surexploitation du continent africain. Puis il y a les curiosités immanquables, celles qui rendent hommage aux animaux (comme le programme Des hommes et des bêtes, retraçant l’amour de quelques auteurs pour eux) et aux mères (le film d’archive The Motherhood Archives, qui dresse une histoire institutionnelle et critique de la maternité). Ces choix, au ton à la fois ludique et grave, semblent foncièrement en accord avec l’iconographie ambivalente du festival dont l’allure joviale et décontractée fait toujours poindre une programmation fermement engagée.

À l’image de sa belle affiche, les RIDM sont le lieu des histoires racontées, mais aussi de ce fil ténu entre le locuteur et l’interlocuteur. Un fil parfois droit, d’autrefois courbé ou bien noué, barbelé, huilé, endommagé, mais un fil tout de même qui relie ces documentaristes au réel qu’ils captent, un fil qui nous fait nous questionner sur la teneur du cinéma, sur le jeu si fin dont peut être responsable ses dispositifs. D’une canne à l’autre – parce que deux cannes valent mieux qu’une –, on vous invite à nous suivre durant les prochains jours, à faire usage du cinéma pour mieux comprendre le monde et du monde pour mieux comprendre le cinéma.

Bon festival!


CRITIQUES

Citizenfour (Laura Poitras, 2014)
The Emperor's Naked Army Marches On (Kazuo Hara, 1987)
The Iron Ministry (J. P. Sniadecki, 2014)
La marche à suivre (Jean-François Caissy, 2014)
National Gallery (Frederick Wiseman, 2014)
Le Nez (Kim Nguyen, 2014)


ENTREVUES

Jean-François Caissy
Kazuo Hara
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Article publié le 12 novembre 2014.
 

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