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Fantasia 2023 : Partie 3

Par Alexandre Fontaine Rousseau, Sylvain Lavallée, Anthony Morin-Hébert, Laurence Perron et Olivier Thibodeau

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prod.  Neon Heart Productions /  Ley Line Entertainment / et al.

BOOGER
Mary Dauterman  |  États-Unis  |  2023  |  78 minutes  |  Fantasia Underground

Pour la première mondiale de Booger, les habitué·e·s du festival Fantasia, qui ont pour coutume de pousser des miaulements au début des séances, avaient de quoi ronronner. En apparence centré autour de la disparition d’un chat nommé Booger, le premier long métrage de Mary Dauterman met les félins à l’honneur tout en s’en servant pour prétexte afin d’explorer l’épineuse question du deuil. Après avoir perdu sa meilleure amie et colocataire Izzy (Sofia Dobrushin) dans un accident de bicyclette, Anna (Grace Glowicki) n’arrive plus à composer avec les difficultés liées à son emploi soporifique, sa relation bancale, son propriétaire zélé. À cet enchaînement d’aléas, il faut ajouter la disparition de l’animal, qui s’éclipse par la fenêtre sans omettre de d’abord mordre (littéralement) la main qui le nourrit. Or, plutôt que de réagir avec l’apathie caractérisant son rapport à toutes les autres sphères de sa vie depuis la tragédie, Anna cherche avec assiduité à retrouver Booger. Cette obsession a peut-être à voir avec le fait que, depuis la morsure, Anna commence à ressentir d’étranges symptômes: elle est progressivement en train de se transformer en félidé (on remercie d’ailleurs la réalisatrice pour avoir évité, dans la représentation de cette métamorphose, tous les poncifs lassants sur la femme féline).

Booger use du body horror  pas besoin d’être misophone pour ressentir des frissons face aux sons très prononcés de mastication et de déglutition qui ponctuent les scènes ni d’être fragile de l’estomac pour grimacer devant la chair qui s’infecte  pour proposer une métaphore de l’état mélancolique. «La mélancolie porte, en quelque sorte, sur une perte d’objet dérobée à la conscience», dirait Freud de celleux qui internalisent la perte; «You’ve gotta let it all out», renchérit plus prosaïquement la mère d’Izzy face à la réaction quasi-catatonique d’Anna. De fait, c’est bien sous la forme d’une boule de poil difficilement délogeable que sera allégorisée cette réalisation impossible qu’est la mort de l’être aimé.

La photographie de Booger, le jeu des acteur·ice·s et la qualité des dialogues réussissent cependant mal à nous faire oublier que le scénario aurait davantage convenu, par sa maigreur, au format du court métrage. De fait, narrativement, le film échoue à dramatiser la progression des symptômes d’Anna, et sa conclusion déçoit d’autant plus qu’elle est aussi rapide que naïve: occultant la structure non-linéaire du deuil, Booger nous ferait presque croire qu’il suffit de chanter sous la douche pour oublier le décès d’un être cher.

Même si la symbolique du film tombe parfois dans la facilité, elle a l’avantage d’avoir été travaillée avec un grand soin du détail, notamment dans la grammaire gestuelle de l’actrice principale. L’équipe n’a pas lésiné non plus sur la promotion du film: tandis qu’on nous distribuait des sacs en papier bruns sur lesquels étaient tracés les mots «Official Booger Barf Bag», on pouvait également apercevoir, dans les environs de la station Guy-Concordia, des affiches annonçant «MISSING CAT. Have you seen Booger?» Semblant nous demander autant si nous avons aperçu le chat que visionné le film, ces affiches font sourire par le jeu métaleptique qu’elles mettent en place. Dauterman traite son public comme Anna son chat: elle le bichonne dans l’espoir qu’il revienne, et il y a fort à parier que ce sera efficace. Miaou. (Laurence Perron)

Prochaine projection : Aujourd’hui, le 26 juillet à 14h10 (Salle J.A. DeSève)

 


prod. Aquí y Allí Films / Elamedia Estudios

THE FANTASTIC GOLEM AFFAIRS
Burnin' Percebes (Nando Martínez et Juan González)  |  Espagne  |  2023  |  98 minutes  |  Camera Lucida

Après une soirée arrosée, Juan (Brays Efe) découvre que l’existence de son meilleur ami David (David Menéndez) est aussi factice que le décor en carton-pâte de son appartement minutieusement confectionné par le duo de réalisateurs Burnin' Percebes pour les besoins du film. David est un golem, une créature d’argile fabriquée par la très confidentielle compagnie Golem Solutions, dont l’objectif est de fournir (souvent à l’insu des bénéficiaires) des camarades à celleux qui se sentent seul·e·s, inaptes, déphasé·e·s lorsque leur famille en exprime la demande. Le jour où David se fracasse au sol et que Juan apprend la vérité sur la nature de son ami, il entame une enquête malhabile teintée de réalisme magique dans ce décor des années 1990 où les golems  mais aussi les pianos  tombent du ciel. Ses découvertes le mèneront à connaître Carlos, le fils et successeur du PDG de Golem Solutions, et à apprendre qu’il est lui-même l’héritier d’une étrange compagnie planifiant le décès des gens à l’aide d’un obscur algorithme aux dysfonctionnements loufoques.

Il n’y a pas que le comique qui repose sur un principe de répétition et de renvoi dans le dernier film des Burnin' Percebes. Sa colorimétrie pastel et son sens de la scénographie, la dimension merveilleuse de l’intrigue, l’humour espiègle des dialogues et des situations ainsi que l’absurdité attendrissante du scénario rappellent tour à tour l’esthétique d’un Wes Anderson (qui ressemble désormais à un pastiche d’elle-même), la signature d’un Yórgos Lánthimos ou l’approche d’un Taika Waititi. Mais The Fantastic Golem Affairs ne se cache pas d’être profondément citationnel: tandis que la scène d’ouverture nous dévoile les deux meilleurs amis en train de jouer aux charades filmiques en singeant l’intrigue une bière à la main, la fin nous montre pour sa part un homme (le père de Juan) ravi de mourir, pourvu que ce soit dans le décor de l’adaptation filmique du Crime de l'Orient-Express. Mais comme Juan et Carlos, Nando Martínez et Juan González se présentent tels des héritiers aussi passionnés qu’infidèles envers leurs prédécesseurs.

Le résultat aurait par conséquent pu être d’un snobisme mortel si les deux réalisateurs ne s’amusaient pas autant à créer un film qui parvient à être très soigné tout en paraissant n’avoir aucune prétention intellectuelle (et ce n’est pas dire là que le film n’est pas intelligent, mais plutôt qu’il ne cherche pas constamment à nous faire la démonstration cérébrale de sa propre profondeur à grand renfort de symboles prémâchés). La facture visuelle de The Fantastic Golem Affairs rappelle moins le coup d’esbrouffe que l’amour et le soin placés par l’artisan dans l’objet qu’il fabrique. (Laurence Perron)

 


prod. Clover Films / Epicmedia Productions / et al.

IN MY MOTHER'S SKIN
Kenneth Dagatan  |  Philippines, Taïwan, Singapour  |  2023  |  97 minutes  |  Sélection 2023

L'entrée en matière du deuxième film de Kenneth Dagatan est prometteuse, nous confinant à un monde diégétique ténébreux et envoûtant. Une opulente villa perdue au milieu de nulle part, l'épaisse forêt philippine, le spectre de la Deuxième Guerre mondiale et le mysticisme chrétien s'enchevêtrent sous la force de l'imaginaire enfantin; lorsque la mère des deux jeunes protagonistes tombe gravement malade, que les cadavres se multiplient et que surgit à point une bonne fée marraine au sourire doucereux, les sens se mettent en alerte. Nous ne partageons pas l'innocence de la fillette et sentons tout de suite la pestilence du guet-apens faustien — le grillon magique que l'enfant doit prodiguer à sa maman pour la guérir n'augure rien de bon. Et pour sûr, l'insecte pénètre la bouche de la femme alitée, qui se rétablit puis se transforme rapidement en une créature assoiffée de sang, pour notre plus grand bonheur. La petite mythologie élaborée par ce conte horrifique, qui puise dans le folklore des Philippines, est captivante et se prête à merveille au grand écran. On peut notamment penser à la bande sonore qui enveloppe le film du chant persistant des grillons, accentuant l'isolation des personnages, prisonniers de la broussaille, mais surtout à l'ubiquité de cette sinistre fée qui tire sa force des insectes.

Malheureusement, In My Mother's Skin échoue à exploiter ce superbe potentiel et finit par tomber à plat. La faute incombe principalement à une piètre construction narrative qui rend la trame secondaire plus intéressante que l'histoire surnaturelle. D'un côté, les pouvoirs et l'objectif de la reine des grillons sont complètement opaques, suscitant frustration et désintérêt; comme les limites de ses capacités sont inconnues, chaque nouveau tour de magie semble arbitraire et, en l'absence d'une finalité aux souffrances sordides qu’elle fait subir aux enfants, tout semblant de leçon morale s'évapore pour laisser place à la simple violence gratuite. Ça crie, ça hurle, ça tapoche sur des portes verrouillées, ça s'accroupit pour mâchouiller le cou de victimes, et puis c'est tout. De l'autre côté, l'histoire du père absent, ce personnage que l'on croise aux frontières du film, est nettement plus engageante en ce qu'elle nous donne suffisamment de viande sous la dent pour stimuler notre appétit. Le riche marchand quitte sa famille affamée dans l'espoir de jouer de son influence pour rapporter de quoi survivre jusqu'à la fin de la guerre — aide-t-il vraiment les libérateurs américains ou collabore-t-il avec l'occupant japonais? A-t-il volé les lingots d'or qu'on l'accuse d'avoir cachés chez lui par cupidité? Ce sont finalement son retour espéré, la vérité sur son affiliation politique ainsi que le mystère de l'or qui portent le plus solidement le récit. Même le sens des horreurs auxquelles nous assistons semble être attribué à ces enjeux d'impérialisme que vient compléter l'omniprésence d'une imagerie chrétienne. Or, par bêtise ou par maladresse, l'adéquation n'est jamais suffisamment consolidée; sans doute l'intention du réalisateur était-elle d'imprégner le public de ces éléments distincts pour qu'il en vienne à ses propres conclusions, mais la séparation trop radicale du politique et du fantastique, à l'instar d'un mélange d'eau et d'huile, ne parvient jamais à produire la cohésion escomptée. (Anthony Morin-Hébert)

 


prod. United Productions

INSOMNIACS AFTER SCHOOL
Chihiro Ikeda  |  Japon  |  2023  |  113 minutes  |  Compétition Cheval noir

Année après année, je parviens toujours à m’émerveiller de l’art alchimique du conte initiatique japonais, ébahi par sa beauté et sa tendresse, propices à transformer le mélodrame adolescent en un rempart hermétique contre la noirceur du monde. Or, cette idée de chasser les ténèbres est centrale au scénario d’Insomniacs After School, adaptation du manga éponyme de Makoto Ojiro par la réalisatrice hokkaïdoise Chihiro Ikeda. S’intéressant à l’existence solitaire du jeune Ganta Nakami, qui, comme 25 % des Japonais·e·s, souffre d’insomnie, errant la nuit pour mieux chanceler le jour, le film vise spécifiquement à dissiper l’obscurité qui l’entoure, du moins à la lui rendre tolérable en la lui faisant partager avec une camarade inattendue. Cette camarade, c’est Isaki Magari, une collègue de classe, insomniaque également, qu’il découvre un jour en train de dormir dans l’observatoire de l’école, et avec qui il décide de relancer le club d’astronomie, question de retrouver une part d’étoiles dans un ciel nocturne devenu trop oppressant.

Il n’a fallu que quelques minutes de la mise en scène attentive, empathique et évocatrice d’Ikeda, combinée à la voix off langoureuse de Daiken Okudaira (My Small Land, Emma Kawawada, 2022) et une bande sonore planante, pour me mettre les larmes aux yeux. Il faut croire que je suis bon public pour ce genre de films, sensible que je suis à une détresse humaine décrite avec une poésie si prosaïque. Il faut croire également que la réalisatrice est passée maître dans l’art d’inscrire ses personnages dans leur environnement, illustrant parfaitement la nature carcérale de la nuit noire où Ganta paraît comme un fantôme sous la lumière de son téléphone, de sa chambre où il se fond aux ténèbres et de la maisonnette qu’il partage avec un père monoparental absent. Or, Ikeda capte tout aussi perspicacement le caractère idyllique de la petite ville côtière où habitent les protagonistes, dont elle s’affaire à transposer le potentiel libérateur dans leurs errances nocturnes. La scène d’ouverture des cloisons mobiles de l’observatoire, qui correspond aux débuts de l’amitié entre Ganta et Isaki, revêt ainsi une puissante fonction symbolique, soit celle de faire pénétrer la lumière dans chacune de leur existence, mais aussi de les ouvrir à la beauté du monde. À ce titre, on note qu’il n’est pas simplement question ici d’opposer la lumière à la noirceur, mais d’introduire les personnages aux merveilles que recèle cette dernière, et que contient par extension le reste du monde. Tout le principe du concours de photos de la voûte étoilée, et les joyeuses déambulations dans les rues sombres de la ville que ce concours implique, sont entièrement asservis à cette poursuite, qui vise à cerner la féerie dans toutes les choses qui nous entourent, les êtres comme les astres. À la fin du générique, au moment de prendre la clef des champs avec Ganta, Isaki déclare d’ailleurs que «le monde est rempli de choses que nous avons envie de faire». Assertion naïve s’il en est, mais qui emblématise parfaitement la candeur idéaliste si chaleureuse qui anime cette édifiante et irrésistible production. (Olivier Thibodeau)

Prochaine projection : Aujourd’hui, le 26 juillet à 16h15 (Salle J.A. DeSève)

 


prod. Castel Film Romania / Full Moon Features

THE PRIMEVALS
David Allen  |  États-Unis  |  2023  |  100 minutes  |  Sélection 2023

Véritable légende du cinéma de genre, David Allen a notamment signé les effets spéciaux de Equinox (1970), The Howling (1981), Q: The Winged Serpent (1982), The Stuff (1985) et Young Sherlock Holmes (1985). Il s’agit d’un nom qui ne dira rien au commun des mortels, mais que les lecteurs assidus de revues telles que Cinefex et Cinefantastique reconnaîtront immédiatement. Il est, en quelque sorte, l’héritier du maître de l’animation en stop-motion Ray Harryhausen. Son association au producteur Charles Band, à partir de la seconde moitié des années 1980, fera de lui l’un des incontournables de l’horreur straight-to-VHS. On lui doit notamment les créatures du Dolls (1987) de Stuart Gordon, de Ghoulies II (1988) et de la franchise des Puppet Master. Au sein de ce drôle de panthéon parallèle, Allen relève véritablement de la royauté.

Pour Allen, The Primevals est un projet personnel dont les premières versions remontent au début des années 1970. Le récit pioche dans l’imaginaire des films d’aventures et des romans fantastiques de l’époque, eux-mêmes inspirés des classiques de Jules Verne ou encore de H. Rider Haggard. D’abord mis en chantier en 1978, le projet sera abandonné à quelques reprises puis relancé au début des années 1990 grâce au soutien (chancelant) de Charles Band. Allen aura de la difficulté à compléter le film, l’abandonnant finalement en cours de route avant de mourir d’un cancer en 1999, à l’âge de 54 ans. C’est donc à son collègue Chris Endicott ainsi qu’à Band qu’est revenue la tâche de terminer le film…

Il ne faut pas se leurrer: The Primevals est un long métrage maladroit, au scénario plutôt ridicule, porté par une distribution au talent franchement discutable. On a l’impression, en le regardant, d’avoir dépoussiéré une vieille VHS de 1995, restée inexplicablement enterrée jusqu’à aujourd’hui. Il possède l’étrange texture de ces films à petit budget, à cheval entre les époques, qui garnissaient les tablettes du bas d’un club vidéo à la fin des années 1990. Le résultat final n’a donc rien d’un «grand film» oublié, bien que l’on ait indéniablement affaire à «l’œuvre d’une vie». Il s’agit à n’en pas douter d’une production signée Full Moon Features, avec tout ce que cela implique de goût discutable et de coins coupés ronds. Le Indiana Jones à rabais qu’y incarne l’acteur Leon Russom se nomme Rondo Montana. Vous comprenez? C’est ce genre de film-là.

Mais, l’espace d’un instant, les effets spéciaux de David Allen nous font oublier tout cela. Ils témoignent d’une maîtrise technique absolue. Ils transcendent tout le reste, éveillant en nous un sincère sentiment d’émerveillement. Car ils possèdent cette qualité particulière qui manque cruellement aux effets spéciaux contemporains: ils sont réellement incarnés, comme seule peut l’être la technique du stop-motion, désormais jugée désuète, mais qui possède aujourd’hui encore un charme absolument inimitable. Lorsque The Primevals devient un pur spectacle d’animation, abandonnant ses protagonistes humains afin de se consacrer entièrement à ses hommes-lézards et à ses singes géants, le plaisir qu’il procure relève de la magie pure et simple. Il s’agit surtout d’une véritable anomalie, le résultat final de cet improbable parcours se situant quelque part entre le cinéma des années 1930, la série B des années 1970 et celle des années 1990. On a l’impression d’avoir affaire à un film qui aurait inexplicablement jailli d’une faille spatio-temporelle pour ressurgir en 2023. En ce sens, d’ailleurs, il s’agit bel et bien d’un petit miracle. (Alexandre Fontaine Rousseau)

 


prod. Alibaba Pictures / Beijing Hairun Pictures Company / et al.

RIDE ON
Larry Yang  |  Chine  |  2023  |  126 minutes  |  Sélection 2023

Après ses contemporains occidentaux, il fallait bien que Jackie Chan se lance à son tour dans les films réflexifs pour star d’action vieillissante. Pourquoi pas. Ayant si longtemps intégré la maladresse, les coups manqués et les corps défaillants (par l’ivresse entre autres) dans ses chorégraphies virtuoses, on pouvait se demander comment il jouerait avec l’âge, le ralentissement et la perte de souplesse qui vient avec. La prémisse de Ride On appelle d’ailleurs à une telle idée puisque Chan y joue Luo, un cascadeur retraité qui reprend le travail dans une industrie dorénavant bien différente de celle qu’il a connue. Mais le film se concentre surtout sur la relation du personnage à sa fille, qu’il a perdue de vue depuis plusieurs années, et sur son amitié avec son fidèle cheval Red Hare. Il s’agit moins d’un film d’action (les combats sont rares) que d’une comédie familiale mélodramatique, trop éparpillée, trop longue, qui a finalement peu à dire sur sa star.

Pire: Ride On utilise une rhétorique douteuse menant à vanter les avantages des effets spéciaux numériques. Pour un film dédié en épilogue aux cascadeurs qui ont fait la renommée de l’industrie «chinoise» (il y a vingt ans on aurait écrit «hongkongaise»), il est tout de même dommage de voir Chan, acteur associé au «il l’a fait pour vrai», abandonner une acrobatie qu’il juge trop dangereuse pour favoriser l’usage du CGI. Une telle scène pourrait être d’une belle tristesse si l’on avait travaillé l’idée qu’il est devenu trop vieux pour le faire lui-même, mais cela apparait plutôt comme une manière de valoriser le cinéma d’aujourd’hui au détriment de celui d’autrefois, qui osait risquer la vie de ses artisans. L’argument n’est pas sans vérité (il est toujours un peu stupide de vouloir risquer sa vie pour le cinéma), mais on ne peut pas ici oublier que ce «cinéma d’autrefois», c’est celui de Hong Kong, dont Chan était l’un des plus fiers représentants, et que celui d’aujourd’hui, c’est celui de la Chine. Même lors du moment nostalgique par excellence (qui a réussi à me tirer une larme malgré tout), quand Luo et sa fille regardent avec émotion un montage de ses meilleures cascades, constitué, évidemment, d’extraits de films de Chan, il est difficile de ne pas se dire que tout cela a été tourné à Hong Kong et que Ride On se déroule plutôt sur la Chine continentale, qu’il parlait alors cantonais et maintenant mandarin. Il fallait s’y attendre: depuis la rétrocession, Chan n'a pas caché son adhésion au régime actuel.

Il est sans doute trop tard pour que la star puisse jouer dans une œuvre réflexive digne de ce nom tant ces questions politiques sont trop importantes en ce moment pour être évitées. Mais au-delà de celles-ci, Ride On n’est pas particulièrement réussi, gracieuseté d’un mélodrame maladroit qui prend beaucoup trop de place, surtout dans une dernière partie qui nous inonde de musique sirupeuse. Chan au moins n’a pas perdu son talent pour la comédie. Les quelques moments d’humour fonctionnent très bien, et les quelques séquences d’actions sont plutôt réussies (même si elles utilisent parfois, ironiquement, une doublure). Rien n’atteint les sommets d’autrefois, le montage trop hachuré nous empêchant de savourer pleinement les acrobaties, mais dans ses meilleurs moments, Ride On réussit à nous rappeler pourquoi nous aimions tant Jackie Chan  du moins tant qu’il représentait Hong Kong.  (Sylvain Lavallée)

 


prod. CJ Entertainment / Masulpiri Films

TAKE CARE OF MY CAT (GOYANGIREUL BUTAKHAE)
Jeong Jae-eun  |  Corée du Sud  |  2001  |  111 minutes  |  Fantasia Rétro

Fantasia a toujours entretenu une relation pour le moins particulière avec les chats. On pense, bien sûr, à la tradition millénaire voulant que spectatrices et spectateurs se mettent à miauler avant la projection d’un film, lorsque les lumières de la salle s’éteignent. Mais le festival a aussi l’habitude de programmer des longs métrages à thématique féline, auxquels votre humble narrateur a pour sa part l’habitude d’assister… et devant lesquels il a aussi l’habitude de brailler comme un damné. Ça raconte toujours l’histoire d’un gars qui va mourir et qui doit trouver quelqu’un pour s’occuper de son chat, ou quelque chose du genre. Et ça, ça vient toujours me chercher.

Take Care of My Cat, pour sa part, est un drame coréen de 2001 dans lequel une bande d’amies ayant fait l’école secondaire ensemble tentent tant bien que mal de rester en contact malgré la vie et le temps qui passent. Il y a évidemment un chat, quelque part dans tout ça. Mais il s’agit surtout d’un «coming of age» classique, sur les différences qui deviennent de plus en plus évidentes au fur et à mesure que les personnalités s’affirment et que les enjeux auxquels les comparses sont confrontées deviennent plus sérieux. Leurs origines socioéconomiques diversifiées et leurs ambitions respectives auront-elles raison de leur amitié?

La force du film de Jeong Jae-eun, c’est de prendre ce synopsis familier pour traiter par extension d’un pays en transition, en l’occurrence la Corée du Sud au tournant du millénaire. Ce portrait d’un groupe de jeunes femmes arrivant à maturité devient, pour la cinéaste, une manière de réfléchir à l’émergence de son pays sur la scène internationale dans le contexte particulier de la mondialisation. L’analogie n’est pas forcée; elle se contente d’émerger de l’atmosphère générale, à laquelle la réalisatrice porte une attention toute particulière.

Take Care of My Cat est porté par une mise en scène sensible, non seulement aux émotions de ses personnages, mais aussi à l’air du temps auquel il est évidemment impossible d’échapper complètement. Jeong filme avec soin le tumulte on ne peut plus moderne de Séoul, qu’elle oppose au milieu ouvrier plus traditionnel de la cité portuaire d’Incheon. Cette division en vient à structurer le film dans son ensemble, le récit de ces relations qui s’effritent faisant écho à la fragilité d’un tissu social se reflétant inévitablement dans le découpage du paysage urbain.

Mais cette opposition entre modernité et tradition s’affirme aussi par le biais des technologies, que la cinéaste met en scène avec une attention quasi mimétique. Son film est irrémédiablement daté par sa représentation des gadgets électroniques qui façonnent la vie de ses protagonistes. Avec ses flip phones et ses textos pixelisés, Take Care of My Cat a déjà des airs de film d’époque. Cela ne fait pourtant que confirmer la justesse de l’œuvre, toute l’intelligence de Jeong Jae-eun étant justement d’embrasser complètement un lieu, un temps… tout en trouvant, dans les nuances des rapports humains qu’elle évoque, une forme de décalage lui permettant de tracer les contours d’un point de vue sur son époque. (Alexandre Fontaine Rousseau) 

 

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Article publié le 26 juillet 2023.
 

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