ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Berlinale 2019 : Partie 2

Par Mathieu Li-Goyette et Olivier Thibodeau

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photo : knockonwood

37 SECONDS
Hikari  |  Japon  |  2019  |  115 minutes  |  Panorama

Dommage qu’il ne soit pas en compétition, puisque 37 Seconds constitue l’antidote parfait au sordide Touch Me Not (2018) d’Adina Pintilie, Ours d’or de la précédente Berlinale. La comparaison nous apparaît d’ailleurs naturellement, puisqu’il s’agit ici d’un autre film à propos de la sexualité des handicapés, caractérisés cette fois par la chaleur humaine plutôt que la froideur clinique, par l’abandon de l’autrice à ses sujets plutôt que l’abandon de ces derniers aux tentatives d’autopromotion d’une maîtresse démagogue, un film où la sexualité n’est pas une fin en soi, mais une étape dans un parcours plus vaste, un parcours presque épique vers l’émancipation individuelle. Lors de notre première rencontre avec Yuma, la protagoniste du récit, celle-ci fait figure d’étrangère dans un monde d’individus auto-mobiles, statique dans la foule ambulante, à la merci des bons soins prodigués par les employés de métro et par sa mère hyperprotectrice, gagnant un mince pécule comme aide-mangaka, tapie dans l’ombre d’une employeuse célèbre et esclavagiste. Quand on la quitte, elle est devenue une artiste à part entière, affranchie de sa mère éplorée, arpentant le trottoir sous le soleil éblouissant en arborant un sourire épanoui. Entre ces deux rencontres, un parcours fascinant, qui nous amène de Tokyo à la Thaïlande en passant par les hôtels de passe et les bars de travelos de la capitale, un récit initiatique d’autant plus magnifique qu’il est tardif, preuve qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre à se connaître et sortir de sa coquille.

37 Seconds, c’est un film porté par la beauté de ses personnages, marginaux pour la plupart, empressés de se venir en aide les uns les autres, et de pourvoir à Yuma les expériences de vie nécessaires à son développement, des choses simples comme sa première brosse, sa première relation sexuelle, ses premières sorties hors du cocon familial, et ses premières séances de magasinage (lors de la seule scène véritablement abjecte du film, où le glamour du consumérisme est appuyé par une chanson pop anglophone imbuvable). 37 Seconds, c’est un film fort d’une distribution fabuleuse, et particulièrement de la performance entière et touchante de Mei Kayama, de sa petite voix de souris et de son beau visage si expressif, filmé avec une tendresse infinie, bref d’un humanisme qui enveloppe tout un chacun : les travailleurs du sexe, la sœur expatriée de la protagoniste, apeurée a priori par la condition de sa jumelle, même la mère tyrannique, dont on comprend finalement que son attitude possessive est due au vide lancinant de son existence. Et bien qu’il s’agisse d’un premier long métrage pour Hikari, celle-ci force l’admiration par l’utilisation d’une caméra intimiste qui s’avère complice plutôt qu’inquisitrice, une caméra qui ne se veut intrusive que pour mieux montrer la violence sournoise du protectionnisme exercé par la mère, qui dans une des premières scènes, dévêtit sommairement sa fille avant de la mettre au bain, la laissant nue et vulnérable face à tous, ignorante du fait qu’il sommeille en fait dans son petit corps prostré une grande force de caractère qui n’attend que l’aide des circonstances, et de la réalisatrice, pour s’épanouir. Et même si son récit possède un immense potentiel mélodramatique, cette dernière parvient admirablement à doser l’afflux de sirop, de sorte que les larmes qu’elle nous tire sont dues exclusivement au sublime des péripéties diégétiques. (Olivier Thibodeau)

 


photo : ton und bild GmbH

AFRICAN MIRROR
Mischa Hedinger  |  Suisse  |  2019  |  84 minutes  |  Forum

On connaît la cruauté des images colonialistes, ces premières plaquettes, ces premières bobines qui, ramenées d’Afrique, ont participé à ancrer lourdement dans l’imaginaire occidental les marques d’un exotisme exploitable. À bien des égards, l’image de l’Afrique a longtemps été, avec tout ce que cela implique de regard et d’appareil de prise de vue colonisateurs, d’historicisation de l’image comme une fabrique à clichés, une des « ressources naturelles » que de nombreux photographes et cinéastes, missionnaires et ethnologues, ont su s’approprier sans une grande considération pour leurs sujets. Parmi ceux-là, René Gardi (1909-2000), voyageur suisse qui a passé plusieurs décennies de sa vie à parcourir l’Afrique de l’Ouest et particulièrement le Cameroun pour y tourner une tonne d’images, dont une bonne partie a atterri dans son Mandara (1960), seul long métrage qui avait d’ailleurs été dévoilé à l’époque dans une toute jeune Berlinale…

Soixante ans plus tard, le monteur de profession Mischa Hedinger récupère ces images, fouine dans les écrits, les lettres, les entrevues, bref dans toute la somme des archives de Gardi pour retrouver sa parole et nous présenter sans filtre le regard d’un cinéaste-ethnologue sur son propre travail et, à travers celui-ci, sur l’exploitation humaine et culturelle qui le sous-tend. Voici donc une occasion rare de souligner l’espace de médiation et d’asservissement à l’image qu’ouvre toute mise en scène face à ses sujets, montrant à la fois Gardi à la recherche des plus belles images possible (et elles le sont), tout en manigançant une mise en scène des « sauvages » afin de capter les rituels de leur quotidien. « Nous en faisons des stars », entend-on sur la bande sonore. « Nous leur enseignons qu’il faut travailler plus pour être en mesure de payer les impôts [à l’État colonisateur] ». Proférées innocemment, superposées sur des compositions idylliques, d’apparence inoffensive et faites de bonne foi, ces phrases qui grafignent la conscience recouvrant la révolte percent l’image jusqu’à la source de sa bêtise. Que d’êtres et de gestes bafoués au nom de l’esthétique, que de travail et d’échanges culturels nocifs au nom de la marchandisation d’un exotisme de surface, que d’images perdues parce qu’elles sont aujourd’hui infréquentables. C’est toute cette somme qu’organise avec beaucoup d’adresse Hedinger, moins dans une démarche de recyclage qu’afin d’en faire le miroir annoncé par le titre ; ce cumul nauséeux qui provoque une aversion profonde face au raisonnement sis dans le regard de Gardi.

Dans son dernier mouvement surprenant, on voit le cinéaste devenu vieux se plaindre des exercices d’exploitation médiatiques qui lui succèdent, ceux plus près du mondo, où des réalisateurs européens partent en Afrique subsaharienne pour y « pêcher » des images de seins nus, de rituels qui n’ont jamais existé en dramatisant la vie quotidienne à partir de cette autre image exotique qui s’est dessinée en parallèle à la carrière de Gardi, celle produite par le cinéma de série B. Cette nouvelle voie qu’emprunte African Mirror nuance, avec une compassion tout juste acceptable, la posture de l’ethnologue, procurant un sentiment d’ambivalence qui préserve par la même occasion une part de la validité de son travail – celle, minimale mais inaliénable, d’avoir été là et d’avoir filmé du mieux qu’il s’en croyait capable. Le plus beau dans tout cela, c’est qu’entre l’humanisme inconséquent de Gardi et la vulgarité de la concurrence, African Mirror parvient subtilement à soustraire son sujet caché (les Camerounais qui peuplent les images) aux créateurs qui les ont asservis, à circonscrire méthodiquement ce miroir déformant jusqu’à le fracturer dans la répétition. Et laisser s’échapper ceux qui en étaient prisonniers. (Mathieu Li-Goyette)

 


photo : Gordon Timpen / 2018 bombero int. / Warner Bros. Ent.

THE GOLDEN GLOVE
Fatih Akin  |  Allemagne/France  |  2019  |  115 minutes  |  Compétition officielle

Un gros plan en contre-plongée sur le visage rageant, bavant et louchant d’un tueur boutonneux en train d’achever une vieille prostituée flasque à coup de bouteilles, le bruit mat de la chair meurtrie valsant avec celui du verre qui éclate, tandis qu’à l’arrière-plan se profilent, derrière les volées de sang et les bouts de vitre planants, un mur jauni placardé de photos de pin-up et une forêt de petits sapins odoriférants, pendus au plafond pour atténuer l’odeur des cadavres tapis dans l’entre-mur. C’est ça, Golden Glove ; c’est une étude effrontée et impénitente dans la représentation de l’abject, quête triomphale d’une esthétique de la flétrissure, de la déchéance, de la laideur, remplie d’une violence misogyne si écœurante et systématique qu’elle en devient vite clownesque. Akin fait effectivement montre ici d’une recherche visuelle constante, s’efforçant toujours avec adresse d’esquisser de magnifiques tableaux qui puissent adéquatement souligner le caractère hideux des personnages, de leurs actions et des lieux qu’ils arpentent, cadrés dans des clairs-obscurs vomissant, exerçant comme seule retenue la dissimulation des meurtres, des viols et du dépeçage des cadavres à la limite extérieure du cadre. Fritz Honka nous rappelle ainsi une version tempétueuse du bossu de Notre-Dame, transformé en caricature monstrueuse par le maquillage impitoyable qui recouvre le beau minois du petit Jonas Dassler, les fonds de bouteille qui ornent son museau graisseux, sa posture voûtée et ses excès de colère incontrôlables. La représentation de son appartement est à l’avenant, recouvert de crasse et encombré d’antiquités poussiéreuses, de vieilles poupées de porcelaine, de photos de filles nues, de vieux draps sales, de toilettes souillées, et bien sûr, de cadavres tronçonnés, ensachés et saucissonnés, cachés derrière une cloison masquée de ruban adhésif. La taverne titulaire, sert quant à elle de caricature sociale, évoquant via le visage ruinée des prostituées et des ex-soldats qui la fréquentent la peinture d’après-guerre chez Otto Dix, mais aussi le trash waterien, saillant dans le spectacle de chairs molles et de maquillages disgracieux. Ceci dit, il n’existe ici aucune nuance ni aucune subtilité, qu’un travail acharné d’échafaudage du grotesque et d’exploitation d’une violence sordide qui devient vite intoxicante dans la complaisance de sa représentation. Même Nekromantik (1987) contenait encore une certaine douceur dans son usage de cadavres huileux. Même Henry (1986) contenait encore un certain humanisme dans la caractérisation de ses personnages. Même les vergetures d’Edith Massey et les caleçons merdeux de Divine dans le cinéma de John Waters possédaient encore un certain charme burlesque. Ici, il ne reste que la pureté exemplaire du vil, affaibli seulement par une adéquation stupide, tardive et importune entre l’alcoolisme du protagoniste et sa monstruosité, comme si l’un expliquait l’autre. De la pure connerie, surtout que la psychologie, même la causalité émotionnelle, sont pour le reste totalement exemptes du processus narratif. En somme, il s’agit ici d’un film qui nécessite de son auditoire un humour particulier, un humour que puisse au moins titiller l’image hilarante de Juliette Binoche, présidente du jury, en train de vomir sur ses blancs atours à la vue des atrocités diégétiques. (Olivier Thibodeau)

 

 
photo : Europe Media Nest

LEAKAGE
Suzan Iravanian  |  Iran/République tchèque  |  2019  |  104 minutes  |  Forum

Leakage est une œuvre unique puisque nul n’a jamais conté un tel récit, mais aussi puisque nul n’a jamais conté un récit de telle manière. Dire qu’il s’agit d’un film anti-narratif, ou même anti-dramatique n’est pas tout à fait exact, puisqu’il s’agit bel et bien d’un drame, mais d’un drame éclaté dont plusieurs tenants demeurent désespérément opaques, à l’instar du pétrole lacrymal et sanguin qui coule ici des individus. Fruit de l’onirisme combiné d’une prémisse fantaisiste, de raccords déroutants, d’une structure antichronologique et d’une mise en scène illusionniste, le film se laisse en effet difficilement saisir, à l’instar du pétrole qui macule ici les draps, les cuvettes et les planchers de céramique blanche. Nonobstant les métaphores naphténiques, Iravanian nous offre donc avec ce premier long métrage une expérience cinématographique extrêmement intrigante qui, même si elle offre très peu de soulagement émotionnel ou même d’ancrages logiques dans la diégèse, nous garde constamment dans l’anticipation, un peu malhonnêtement parfois, mais toujours efficacement. On sait rarement où l’on est et on sait rarement où l’on s’en va ici, la progression narrative offrant presque autant de questions que de réponses au spectateur avide de sens.

De ce qu’on comprend, c’est la disparition, ou la défection de son mari (ce n’est jamais clair) qui provoque chez Foziye la physicalisation d’un mythe local (mentionné au passage) voulant que le chagrin puisse causer chez ses victimes l’écoulement organique de pétrole. Est-ce que cette affliction aidera ou nuira à l’héroïne dans sa quête pour obtenir un visa allemand ? On ne le saura pas. Pas plus qu’on ne saura si les policiers venus chez elle, avaient maille à partir avec sa personne ou celle de l’Afghan sans papier qui lui sert d’homme de ménage, pas plus non plus qu’on ne connaîtra la nature de l’enregistrement qu’écoute sans cesse son petit-fils, sorte de feuilleton étasunien insaisissable dont on ignore d’ailleurs comment il peut en comprendre la teneur. Or, si le scénario regorge de leurres, incluant la sous-trame de la jument disparue, celle du toit perforé, ainsi que le MacGuffin du livre de prières doublé d’un manuel d’hygiène militaire, ce n’est que pour mieux jouer, jouer avec le contenu, la forme et les attentes du spectateur, trahi aussi ici par l’abandon progressif de Foziye comme foyer d’attention de la caméra. Tactique autodestructrice pourrait-on dire, étant donné la très grande qualité du travail que l’autrice met ainsi en plan, celle du portrait intime impressionniste et foisonnant qu’elle obtient par l’exploitation rigoureuse du hors-champ et du potentiel affectif de superbes séquences montées, abandonnées brusquement au profit de la métaphore centrale, celle de la poursuite du pétrole comme vecteur d’une métamorphose surréaliste de la réalité. Tactique d’abnégation pourrait-on suggérer également, puisque plutôt que de servir de vitrine pour son impressionnant savoir-faire formel, l’autrice le donne donc à voir que dans un effort cruellement épisodique, cultivant savamment l’étrangeté et flirtant avec l’absurde, mais surtout pour s’aliéner le spectateur, donnant ainsi préséance à l’intégrité de sa démarche plutôt qu’à son intelligibilité auprès des regardants. Du génie ? On en trouve partout ici, pour peu qu’on accepte que Iravanian n’est pas là pour nous tenir par la main. (Olivier Thibodeau)

 


photo : 4 1/2 Film

OUT STEALING HORSES
Hans Petter Moland  |  Norvège/Suède  |  2019  |  122 minutes  |  Compétition officielle

Out Stealing Horses est l’un des deux films de Hans Petter Moland qui prennent l’affiche en ce début d’année, l’autre étant Cold Pursuit (2019), le nouveau thriller de notre justicier préféré, Liam Neeson. À lire les synopsis des deux œuvres, on ne croirait jamais qu’il puisse y avoir une parenté formelle entre elles, mais ce serait sans compter sur la mise en scène extrêmement musclée du présent ouvrage, mise en scène fluide et tonitruante digne d’un film d’action, où les heurts provoqués par un montage haché et une bande sonore foudroyante permettent d’accentuer la violence du drame résurgent qui obsède ici le protagoniste. La production de ce drame intime partage en outre tous les plus saillants attributs des grosses productions hollywoodiennes : un travail audiovisuel somptueux, évident dans chaque plan, une distribution impeccable, mais aussi une surenchère constante de musique dramatique grossière, faite pour aiguiller le spectateur jusque dans ses moindres réactions à l’égard d’un matériau diégétique déjà hyperdramatisé. Impossible de se leurrer quant à la nature grandiloquente réelle de l’œuvre, malgré la relative quiétude de la scène d’ouverture, quiétude superficielle puisque la langueur (et la froideur) du spectacle hivernal est vite compromise par l’insertion soudaine de plans éclairs, glanés du drame estival qui forme la trame souterraine du récit, lesquels servent ainsi de prélude à la plongée mnémonique foisonnante qui servira d’exposition au protagoniste. La narration débute en 1999, date à laquelle un Trond vieillissant (et récemment veuf) vient d’élire domicile dans un village suédois reculé, comme pour échapper à un passé qui le talonne, et qui se trouve bientôt incarné dans la personne de Lars, son voisin d’aujourd’hui et son voisin d’hier, partie intégrante des événements de 1948, qui comme des blessures non cicatrisées se rouvrent ici constamment pour happer le protagoniste dans un va-et-viens temporel fort stimulant. Malgré cela, malgré le surplus d’informations personnelles que pourvoit cet impressionnant treillis narratif, c’est dans la brutalité des raccords entre le passé et le présent que réside ici l’affect et l’incarnation du stigmate de Trond, au même titre que c’est dans la brutalité des raccords sonores et visuels que réside le potentiel affectif des séquences traumatiques de son enfance. Les acteurs sont tous très solides, et il réside certes dans leur jeu une certaine faculté d’évocation émotionnelle, mais rien qui ne puisse jamais transcender le caractère alternativement galvanisant et sensuel de la bande sonore, la plastique fabuleuse des gros plans, le potentiel impressionniste du montage, bref la capacité de l’expression cinématographique à transcender l’expression théâtrale de l’intériorité humaine. Outre les rebondissements incongrus apparaissant en fin de parcours, les redites lancinantes et le moralisme maladroit, évocateur de quelques divagations gériatriques, le film manque éventuellement de vapeur : puisque l’expression du drame n’est plus contenue dans l’ADN du film, mais dans une mécanique platement illustrative, indigne des développements dramatiques spectaculaires contenus dans les tripes de l’œuvre. (Olivier Thibodeau)

 


photo : 29Pictures

WHAT SHE SAID: THE ART OF PAULINE KAEL
Rob Garver  |  États-Unis  |  2018  |  95 minutes  |  Panorama Dokumente

Pauline Kael n’aurait pas aimé le film de Rob Garver à son sujet. Elle l’aurait trouvé consensuel, un peu long, trop conventionnel dans sa forme, sans le chien qui caractérise le style de la critique de cinéma la plus influente du 20e siècle. Cela n’enlève pourtant rien au plaisir de voir sa vie ainsi racontée, en adjoignant ses textes, sous forme de critiques et de lettres, à ses films de famille et à des extraits d’œuvres phares qu’elle a fait rayonner : Bonnie & Clyde, Last Tango in Paris, McCabe & Mrs. Miller, Mean Streets..., des films qui ont marqué l’histoire du cinéma et qui ont aussi pu le faire parce qu’une critique comme Pauline Kael était là pour les défendre quand ils étaient ignorés, voire conchiés. What She Said mise ainsi davantage sur l’importance du critique de cinéma comme instigateur de nouvelles tendances, élément moteur et intimidant d’un écosystème qui ne se régule de lui-même qu’au nom des arguments comptables. Comme Kael a toujours été célèbre pour son écriture incisive, parfois sans pitié, Garver alterne judicieusement entre les moments intimistes, les luttes critiques (contre Andrew Sarris du Village Voice ou le désemparé David Lean) et les coups d’éclat sans précédent, comme son texte sur Last Tango in Paris qui fût utilisé dans son intégralité à titre de publicité, en double page couverture du New York Times, afin de promouvoir la sortie du film. Oui, Kael appartenait à une autre époque, époque que What She Said prend soin de contextualiser comme un paysage médiatique préinternet, allant jusqu’à se demander, avec raison, si quelqu’un, même d’aussi doué que Kael, pourrait aujourd’hui occuper une position aussi centrale durant plus de quatre décennies. On retiendra aussi quelques témoignages intéressants, mais trop charcutés, d’Alec Baldwin, de David O. Russell, de son ancien disciple Paul Schrader ou de Quentin Tarantino du côté du cinéma, puis d’autres de la théoricienne féministe Camille Paglia pour vanter le style d’écriture inimitable de Kael, qui était et demeure encore une des voix féminines les plus fortes et les plus inébranlables de l’histoire du cinéma, un statut mille fois réitéré dans What She Said, au point où l’émotivité du film se complaît souvent dans la construction d’une image superlative, jusqu’à éclipser les versants plus problématiques de sa vie (comme son réseau de « Paulettes », rédacteurs influencés qui dépendaient d’une relation de pouvoir tronquée on ne peut plus contraire à un idéal émancipé et libre de la critique de cinéma). Mieux traités, plus décortiqués, ces versants auraient justement produit une forme de tension captivante entre sa pensée magistrale et les moyens industriels, personnels et stratégiques qu’elle a mis en branle pour vivre de l’écriture critique, jusqu’à modeler le destin des cinéastes qui lui importaient le plus. Or le film s'y refuse, préférant l'hommage imperturbable, de sorte à ce que les adeptes se sentiront confortés, et que les autres refuseront toute conversion. (Mathieu Li-Goyette)

 

Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais

PARTIE 1
(Belonging, Mother, I Am Suffocating. This Is My Last Film About You.,
Öndög, Serpentarius, Tremors)

God Exists, Her Name is Petrunija de Teona Strugar Mitevska

PARTIE 2
(37 Seconds, African Mirror, The Golden Glove,
Leakage, Out Stealing Horses, What She Said: The Art of Pauline Kael)

A Russian Youth d'Alexandre Zolotukhin

 PARTIE 3
(Acid, From Tomorrow On, I Will, 
Khartoum Express, Normal, Olanda, The Shadow Play)

Bait de Mark Jenkin 

PARTIE 4 
(Anbessa, The Crossing, Die Kinder der Toten,
Greta, Jessica Forever, Knives and Skin)

Western Arabs de Omar Shargawi

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Article publié le 12 février 2019.
 

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