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Les Rendez-vous Québec cinéma 2018 - Gala Prends ça court!

Par David Fortin et Jean-Marc Limoges


Les Rendez-vous Québec cinéma
sont l'occasion non seulement de voir les films québécois s'étant démarqués durant l'année mais c'est aussi l'occasion de découvrir les meilleurs courts métrages québécois de l'année. Le court métrage étant un format souvent trop peu distribué en salle et difficile à voir autrement qu'en festival, on peut remercier des organismes comme Prends ça court qui organise régulièrement des évènement pour montrer au public ce qui se démarque dans le format court. C'est souvent à travers les courts métrages qu'on découvre les perles rares de l'année. Des films démontrant une belle liberté qu'on voit plus rarement dans le long métrage. Une variété surprenante dans les genres et les sujets abordés. Les RVQC projetteront plusieurs courts métrages durant le festival et le tout culminera au Gala Prends ça court! qui récompense les films se démarquant le plus. Cette soirée festive se tiendra le 27 février à 19h à la Cinémathèque québécoise où plusieurs personnalités viendront rendre hommage aux artisans du court métrage québécois. Des membres du groupe musical Galaxie seront sur place pour accompagner la soirée de rythmes et de sons. À travers les 42 courts métrages en compétition, nous avons sélectionné nos dix coups de coeur. Nous vous offrons donc un choix de quelques courts films à voir durant les jours à venir et nous vous invitons bien sûr à assister au Gala Prend ça court! pour découvrir et rencontrer les gagnants de la compétition.




TOUTES LES POUPÉES NE PLEURENT PAS

Frédérick Tremblay  |  20 minutes

C’est après un impressionnant parcours festivalier (Grand prix de la compétition nationale courts métrages au Festival de cinéma de la ville de Québec, Prix de la Critique lors du Festival International du Film d’Animation de Paris, prix du meilleur court métrage au Festival du film d’animation ReAnima (Bergen-Norvège) et Prix Guy-L.-Coté pour le meilleur film d’animation canadien aux Sommets du cinéma d’animation) que le film Toutes les poupées ne pleurent pas débarque aux RVQC. D’ailleurs son réalisateur, Frédérick Tremblay, est présentement en résidence à Sapporo, au Japon, pour quelques mois. On peut donc dire que le cinéaste est sur une belle lancée depuis qu’il a accouché de son dernier court métrage. Il aura pris quatre ans pour construire ce film d’animation "méta". Un film d’animation dans un film d’animation en train de se faire. Le soir, dans un appartement, un homme réalise un film en stop-motion, animant ses marionettes une photographie à la fois. Le jour venu il se couche, laissant place à une femme qui vient construire les marionnettes et les décors. Les jours et soirs se suivent, et le film avancent, pendant qu'une marionnette reste sagement dans un placard à observer. En attente pour son tour à être habillé, peinturé, animé. Mais qui anime qui dans ce film abyssal? Misant sur les seuls sons ambiants plutôt que sur la musique d’accompagnement, le film se dote d’une atmosphère qui renforce autant le sentiment de réalité que d’étrangeté. Film existentiel qui s’appuie sur une mise en abyme réussie, Toutes les poupées ne pleurent pas est définitivement à ne pas manquer.   (David Fortin)




FAUVE
Jeremy Comte  |  16 minutes

Il y a deux types de films. Ceux qui, levant le voile sur notre quotidien, nous offrent des « moments de vérité ». Et ceux qui parviennent à créer, avec beaucoup de vraisemblable, un univers parallèle autonome. Assez étonnamment, Fauve tient à la fois de l’un et de l’autre. D’une part, les deux gamins qui, manifestement pour tuer l’ennui, jouent à un jeu dont le réalisateur s’abstient intelligemment d’expliquer la prémisse (et dont nous comprendrons les règles bien assez vite), sont tout simplement criants de vérité; dirigés par une main de maître, ils donnent pourtant l’impression d’avoir été filmés à leur insu, tant leurs jeux (leur jeu d’acteur, leur jeu d’enfants) percent l’écran. D’autre part, le contexte surréaliste dans lequel il les plonge (la mine grisâtre qui évoque Dune), les péripéties surréalistes dont il ponctue leur parcours (le camion-benne fonçant à toute bringue qui rappelle Duel), les images poétiques qu’il n’a aucune gêne à insérer (l’apparition du renard qui flirte avec les contes de fées), nous invitent à descendre dans le sol argileux d’où nous sortirons pétrifiés. Voilà un film puissant, radical, assumé, qui lève le voile sur la candeur de l’enfance pour ensuite le déposer comme un linceul.   (Jean-Marc Limoges)




VA JOUER DEHORS
Adib Alkhalidey  |  18 minutes

L’humoriste Adib Alkhalidey s’est mis à la réalisation d’un premier film avec le court métrage social et humoristique Va jouer dehors. Le film s’ouvre avec le jeune Abel dans sa cuisine qui, suite à une dispute parentale de trop, va décider de sortir prendre l’air à vélo et rejoindre son ami Edwin, avec qui il parcourera les rues de son quartier afin de trouver un peu d’argent facile à faire. Les tentations à voler son prochain et les magouilles de toutes sortes seront de pair avec les questionnements moraux et existentiels. À travers la bouche de ses deux jeunes protagonistes, le film raconte aussi une certaine réalité. À travers leurs confrontations, le film nous démontre une prise de conscience. À travers leur parcours, il nous fait voir un Montréal qui n'apparait pas assez souvent à l’écran. Un Montréal d’une belle diversité culturelle et ethnique, où se côtoient pawn shop et mosquée, où cohabitent Abel et Edwin, interprétés avec authenticité et humour par Basel El Rayes et Mathys Clodion-Gines qui livrent les dialogues mordants de Alkhalidey. Un coup de coeur.   (David Fortin)




BULLETIN SPÉCIAL
Yousra Benziane  |  6 minutes

Une œuvre d’art est bonne quand elle nous rend étranger à notre propre monde, quand elle nous le fait voir différemment. Et c’est le but qu’atteint, en très peu de temps et avec aussi peu de moyens (voire encore moins de sérieux), Bulletin spécial. Sur une trame sonore vaguement futuriste, par-dessus laquelle une voix féminine robotique nous rend évident un paradoxe qui nous entoure – notre monde est construit d’angles droits par des humains qui en sont dépourvus –, ce petit film à la facture documentarisante fait mouche …et sourire. Faisant défiler, au son d’un vieux projecteur, des images prélevées dans la ville – tantôt de très gros plans de fils électriques, tantôt des plans larges d’immeubles savamment décadrés –, Benziane nous fait palper des yeux son propos : les lignes droites sont partout (elles forment même les sphères). Vers la fin, déplaçant subtilement son point de vue grâce à une  métaphore habilement filée, la voix colore (ternit?) son laïus. Quand les gratte-ciels – et autres cheminées – fréquentent les nuages, les remarques esthétiques deviennent politiques, philosophiques. « Si les lignes qui tracent nos vies deviennent fissures, qu’adviendra-t-il? » Une œuvre d’art est bonne, aussi, quand elle sait poser les questions essentielles.   (Jean-Marc Limoges)




RESTE, JE NE VEUX PAS ÊTRE TOUTE SEULE
Gabriel Savignac  |  16 minutes

Faisant suite à son film Ma Lionne qui s’était distingué dans plusieurs festivals canadiens, Gabriel Savignac démontre une fois de plus ses talents pour mettre en scène le non-dit, le ressenti. On y suit Hélène qui travaille dans une fabrique de pâtisseries tout en composant avec les obstacles que lui impose sa déficience intellectuelle. Elle s’est depuis longtemps liée d'une amitié avec sa collègue Jeanne, qui s’apprête à quitter l’entreprise. Cette séparation bouleversera Hélène, qui devra se trouver de nouveaux repères pour s’accrocher à son travail quotidien qui se voit alors transformé. Toute la charge émotive du film passe par les deux protagonistes qui livrent des performances d’une grande justesse, tandis que la musique évocatrice de Kroy vient souligner le ton. C’est tout simple mais ça fonctionne justement parce que ça va à l’essentiel, à ce besoin de l’autre, d’une connexion ou d’une complicité avec l’autre, et des repères qu’on se créer à travers les autres. Perdant ce lien précieux avec un autre être, Hélène, qui a déjà de la difficulté à connecter socialement, est déchirée et doit malgré tout retrouver sa place sans cet autre qui l’aidait à se repérer dans son quotidien. La transition ne sera pas facile et la suite s’ouvre vers l’inconnu. Un magnifique film, tout en émotion, d’une grande sensibilité.  (David Fortin)




LOST PARADISE LOST
Yan Giroux  |  24 minutes

Roulant sur une route caillouteuse, une femme s’engueule, grâce à un Bluetooth défectueux, avec son français de chum qui, à l’autre bout du monde, semble s’en foutre éperdument : elle perdra le contrôle (et d’elle-même, et de son véhicule). Dans un appartement où l’on carbure aux paradis artificiels (drogue, réalité virtuelle…), un jeune homme, dont la blonde trippe fort, donne l’impression de se détacher. Ce parallèle est habille : deux âmes en peine – déconnectées du monde – se retrouveront, vêtues de hardes, dans ce « Paradise Lost » (genre de secte qui promet à ses adeptes de « vivre pour vrai » et de trouver le « vrai amour »). Il y a des cinéastes « couillus ». Et Yann Giroux est l’un de ceux-là. Autrement, comment aurait-il pu convaincre une trentaine de personnes – hommes, femmes, jeunes, vieux, petits, gros… – d’embarquer dans un autobus pour se rendre dans une luxuriante forêt où ils se dévêtiront sans pudeur? C’est autour de cette image qu’il construit son film dont le propos, d’abord obscur, s’illumine au lever du jour. Au terme d’une attaque de motocyclistes masqués – attaque tout aussi inopinée qu’incroyable lors de laquelle la caméra de Giroux, jusqu’alors contemplative, se fait violente et nerveuse –, ce couple de fortune s’unit. L’image finale d’un raton-laveur serrant dans ses pattes un toutou à son image, pose, à sa façon, la question du film.  (Jean-Marc Limoges)




CRÈME DE MENTHE
Philippe David Gagné et Jean-Marc E. Roy  |  23 minutes

Une jeune femme est dans un bus vers le Saguenay pour se rendre aux funérailles de son père, pour lequel elle ne semble pas ressentir de tristesse, et avec qui les liens semblaient inexistant depuis longtemps. Elle aura six jours pour vider la maison du défunt. Ces six jours lui permettront de découvrir ce qu’était devenu son père, de se souvenir de ce qu’il a été, puis d’une certaine manière de reconnecter avec lui. C’est donc avec le thème de la filiation en avant-plan que les réalisateurs Philippe David Gagné et Jean-Marc E. Roy nous présentent ce film doux-amer, entre drame et comédie, porté par Charlotte Aubin qui fait sortir tout l’humour du film par le caractère brut de son personnage qui contraste avec la situation. C’est sur cet équilibre entre l’humour et le drame que le film avance avec force, comme sa protagoniste à travers la quantité énorme d’objets que son père accumulait compulsivement. Un souvenir à la fois, jusqu’à ce qu’il ne reste que l’essentiel. Elle cherche à trouver un lien, une connexion avec son père, et c'est en partie à travers la musique qu'elle se reconnectera à lui. Entièrement filmé au Saguenay, où vivent les cinéastes, le film donne à voir une certaine réalité de la région. Tout comme leur dernier film, Bleu Tonnerre, Crème de menthe a aussi eu un beau parcours festivalier jusqu’à Cannes (sélection à la Quinzaine des Réalisateurs). Je prédis que le public des RVQC sera aussi conquis que celui du Festival de cinéma de la ville de Québec où il a reçu le Prix du Public, et qu'il en sortira avec un ver d'oreille s'il connait le moindrement le groupe musical Rush (David Fortin)




L'INNOMMABLE
Raphaël Bélanger  |  19 minutes

La direction photo (éclairages nocturnes, vues à vol d’oiseau, gros plans d’insectes), la direction artistique (hôpital congestionné, chalet cossu) et la direction d’acteurs (Casabonne contient son trouble, Cormier laisse deviner son désarrois) sont maîtrisées, mais ce ne sont pas seulement ces qualités qui font de L’Innommable un bon film. C’est que son écriture, aussi, est maîtrisée. Après une scène de baise contenant le plus grand turn off de l’histoire (elle est médecin et l’ausculte jusque dans l’amour) au terme de laquelle elle l’enjoindra à voir un spécialiste, il déclarera péremptoirement : « Je ne suis pas certain de vouloir savoir. » Si l’écrivain, dont le court métrage fait son protagoniste, se met à nu et fuit dans la fiction, il devra aussi condescendre à se foutre à poil devant un docteur dont c’est la caméra qui fuira le verdict. Puis, se construit, en parallèle à cette trame déjà substantielle, une autre, plus onirique, celle d’une présence qui pénètrerait la nuit dans le chalet. Or, jamais nous n’en verrons le visage (cambrioleurs malfaisants, voisins attentionnés, bêtes sauvages…?). L’obscure menace qu’il chasse à coup de tisonnier ne serait-elle qu’en lui? Bélanger explore ingénieusement les diverses facettes de ce qu’on ne peut – ou ne veut – nommer.   (Jean-Marc Limoges)




PRENDS MA MAIN
  |  22 minutes
Alexandre Lefebvre

Dans la catégorie film etudiant se trouve un documentaire qui démontre tout le potentiel de son réalisateur, Alexandre Lefebvre, par la sensibilité avec laquelle il approche son sujet et l’instinct visuel avec lequel il compose ses images (très belle direction photo d’Émile Desroches-Larouche). Le film suit le quotidien de Chloé (11 ans), Alex (17 ans) et Salma (21 ans), tous atteints de cécité partielle ou complète. La caméra suivant les trois protagonistes dans leurs lieux de prédilection où ils cherchent à s’accomplir. Ils s’adaptent à leur déficience visuelle, ils poursuivent leurs activités, ils se questionnent sur leur place dans le monde et ils nous partagent leurs rêves. Misant sur la force de caractère de ces trois jeunes et adoptant une approche visuelle plus lyrique, la charge émotionnelle du film s’en voit décuplée. Un film étudiant qui ouvre la porte vers la cour des grands.  (David Fortin)




PRE-DRINK
Marc-Antoine Lemire |  23 minutes

Ce qui fascine, captive, étonne, dans Pre-drink, c’est la justesse avec laquelle le réalisateur a su trouver – et filmer – ses deux attachants « outcasts », c’est la liberté qu’il semble leur avoir généreusement et amoureusement donnée, c’est la confiance avec laquelle il leur a demandé d’évoluer dans ce demi sous-sol érotiquement éclairé, jusqu’à ce que les masques tombent. Ce qui émeut, touche, renverse, c’est la sincérité avec laquelle les deux protagonistes se parlent, se moquent, s’approchent, s’éloignent, se taisent, se teasent, se niaisent, se révèlent, se confient, s’embrassent, se laissent aller et reviennent « à la réalité ». Ce qui est audacieux, hardi, courageux, c’est non pas d’avoir choisi un gay et un trans et de nous avoir donné à entendre quelques propos croustillants et à voir quelques images salaces, mais d’avoir réussi à nous montrer plutôt deux amis d’enfance qui, un soir de boisson, se questionnent ouvertement sur leur sexualité et se demandent jusqu’où ils peuvent l’explorer sans pourtant fragiliser le liens qui les lient. Voilà un film qui sait habilement – et presque pudiquement (ou en tout cas respectueusement) – nous faire pénétrer dans une intimité à laquelle, sans la discrétion de cette caméra, nous n’aurions jamais pu avoir accès.  (Jean-Marc Limoges)

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Article publié le 22 février 2018.
 

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