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imagineNative 2025

Par Vincent Careau


prod. Scythia Films

ENDLESS COOKIE
Seth Scriver et Peter Scriver  |  Canada  |  2025  |  97 minutes  |  Ouverture imagineNATIVE

Des demi-frères au grand nez ressemblant à une balloune dégonflée et une jeune fille faite en biscuit, voilà le genre de personnages mis en vedette dans le documentaire animé Endless Cookie qui a donné le coup d’envoi à la 25e édition du Festival imagineNATIVE. Cet ovni cinématographique a vu le jour lorsque le réalisateur canadien Seth Scriver, basé à Toronto comme le festival, a décidé de s’allier au meilleur conteur d’histoire qu’il connait, son demi-frère autochtone Peter, originaire de Shamattawa dans le nord du Manitoba.

Tout débute lorsque nous voyons Seth s’envoler en direction de la communauté de Peter, avec l’intention de faire un film qu’il qualifie de « Funny, beautiful, political, spiritual, complex, simple and true ». Bien que l’étiquette finisse par bien s’appliquer au film, force est d’admettre que le documentaire, dont la production s’est étalée sur un peu plus 7 ans, n’est pas aussi « simple » que prévu. Dès les premiers instants dans la maison familiale de Peter, les tentatives d’entrevue de Seth sont interrompues par le chaos accoutumé de la communauté, des jouets des enfants, jusqu’aux chiots qui vivent sous le perron. Lors de son deuxième voyage dans la réserve, Seth décide d’embrasser le chaos du quotidien. La folie des différents personnages rencontrés dans la réserve devient un magnifique terrain de jeu pour le style d’animation coloré de Seth, et le reste du film devient un enchaînement d’anecdotes personnifiées. Endless Cookie fait voyager dans le territoire de chasse de Shamattawa jusque dans un Toronto des années 1980 et nous fait rencontrer les étranges silhouettes dans le cauchemar du fils de Peter.

La ligne peut cependant être mince entre l’apparence d’un chaos contrôlé et un film qui devient réellement décousu. Heureusement, c’est à travers des moments farfelus où les histoires de Peter se font interrompre par les récits d’un nouveau protagoniste à l’animation toujours plus éclatée que les thèmes de la famille et de la vie en communauté servent de fil conducteur et parviennent à maintenir la cohésion de l’ensemble. Comme lorsque les frères se remémorent des anecdotes torontoises de pizza, de toilette et que le touchant personnage de Cookie réussit à placer un inspirant monologue sur ses ambitions, le tout suscité par les étiquettes de la section des surgelés.

De multiples années finissent par passer entre les différentes visites de Seth chez son demi-frère et, bien que l’œuvre s’étale sur seulement 97 minutes, les entrevues sans filtre et les rires contagieux donnent effectivement l’impression que nous connaissons les personnages depuis bien plus longtemps. Sept années après le début de la production du film, la voix de Cookie qu’on entend n’est peut-être plus celle d’une jeune fille de neuf ans et cette œuvre déjantée n’est peut-être pas si simple finalement, mais elle reste cependant « Funny, beautiful, spiritual, political, complex, […] and true ».

 


prod. Levelfilm

SEEDS
Kaniehtiio Horn  |  Canada  |  2024  |  82 minutes  |  Clôture imagineNATIVE

C’est un lourd défi que surmonte Kaniehtiio Horn avec Seedsson premier long métrage. En plus de le produire, le scénariser et le réaliser, l’artiste Kanien’kehá:ka campe également le rôle principal de Ziggy, une jeune « Urban Indian » qui doit retourner chez elle, en communauté, pour prendre soin de la maison familiale pendant que sa mère est en vacances. Néanmoins, Ziggy ne peut pas se permettre de prendre une pause de son métier d’influenceuse, car elle vient de signer un contrat lucratif avec la compagnie Nature’s Oath.

Ce récit de jeune protagoniste qui revient de la ville après avoir quitté la maison traditionnelle ne présente rien de bien nouveau ou de particulièrement original. Ziggy se plaint de la mauvaise connexion internet et subit les constantes taquineries de son cousin Wiz (Dallas Goldtooth). En revanche, si la prémisse de l’histoire est éculée, sa perspective autochtone demeure rafraichissante et fait plaisir à voir dans sa manière de mettre de l’avant la culture mohawk. Dès les premiers instants de son retour, Ziggy retrouve les référents typiques de la vie en communauté, accompagnée par les émissions de radio communautaire et les subtilités de son slang. De manière plus substantielle, l’autochtonie s’affiche éventuellement à partir du centre même de l’intrigue. Alors que Ziggy s’éduque sur la compagnie homéopathique qui l’engage, elle en apprend davantage sur les méfaits environnementaux et humains dont elle est coupable. Le film montre alors par la bande que le colonialisme est loin d’être chose du passé, mais qu’il prend d’autres formes pour exercer son pouvoir à travers les structures modernes (et numériques) du capitalisme.

Malgré un premier acte qui prend son temps à s’installer, la courte durée de 82 minutes finit par rattraper le développement de l’intrigue qui se précipite. Alors que nous avons appris à apprécier Ziggy et Wiz, nous ne pouvons pas en dire autant des autres personnages. Bandit (Meegwun Fairbrother), par exemple, l’intérêt amoureux de Ziggy et Drake (Patrick Garrow) l’antagoniste principal, auraient gagné à ne pas être aussi unidimensionnel. De plus, le film cherche souvent le bon ton avec des scènes qui vacillent dangereusement entre le burlesque et le suspense. Or ces faux pas finissent par se faire oublier pendant l’acte final qui ne laisse pas indifférent, alors que Kaniehtiio Horn assume pleinement un virage gore vers le thriller. Encore une fois, la perspective autochtone élève l’ambiance d’horreur de belle façon. Alors que les films de genre ont tellement emprunté à la culture autochtone dans le passé, il fait grand bien de voir un film de genre revêtir une perspective autochtone bien intégrée, tout comme c’est un plaisir de voir Kaniehtiio Horn être mise en valeur dans un rôle de femme « badass » capable de prendre les choses en main afin de sauver son héritage familial. Enfin, impossible de passer sous silence les interventions du grand Graham Greene qui vient ponctuer le film avec humour dans les rêves de Ziggy tout en complétant une distribution réussie qui suffit à nous satisfaire pleinement malgré les imperfections.

 


prod. ONF

INKWO FOR WHEN THE STARVING RETURN
Amanda Strong  |  Canada  |  2024  |  18 minutes

Pour son nouveau court métrage, la réalisatrice michif/métisse Amanda Strong adapte, à l’aide d’un style d’animation qui lui est propre, une histoire bien connue de Richard Van Camp. On y suit le personnage de Dove, un protagoniste charismatique au genre fluide qui doit apprendre à utiliser son « Inkwo/medecine » pour protéger ce qui lui tient à cœur.

Amanda Strong porte cette histoire avec une grande efficacité narrative. Seulement 18 minutes concises suffisent pour nous faire voyager « two lifetimes ago », puis pour explorer plusieurs moments de la vie de Dove et la faire combattre des créatures mangeuses de chaire dans une histoire qui nous met en garde contre la cupidité et qui nous parle de l’importance de prendre soin de la nature qui nous entoure. Bien que racontés efficacement, les enjeux soulevés restent complexes et ne sont pas sous-développés pour autant. Le « Inkwo » de Dove est un don, mais peut également être une malédiction et, en même temps qu’ils se défendent contre les créatures, Dove et sa communauté apprennent à affronter l’adversité ensemble.

Au moment de la conclusion du film, la quête de la protagoniste ne fait que commencer. Un magnifique plan balaye l’univers animé d’Amanda Strong, montrant les défis qui attendent Dove et bien que le désir de connaitre la suite se fasse sentir, le court métrage ne se termine pas sur une déception. À première vue, c’est même une conclusion qui pourrait donner l’impression d’un scénario inachevé. Toutefois, c’est un procédé qui s’agence avec le discours du film. Le combat de Dove ne fait que commencer parce que notre combat collectif pour protéger ce qui nous entoure est également loin d’être terminé. Un film fantastique, dans tous les sens du terme et qui, malgré le fait qu’il se déroule « two lifetimes ago », demeure porteur de messages bien actuels.

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Article publié le 2 juillet 2025.
 

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