WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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RIDM 2016 : Jour 2

Par Panorama - cinéma




ANGRY INUK
Alethea Arnaquq-Baril  |  Canada  |  2016  |  85 minutes  |  Compétition nationale longs métrages

Alethea Arnaquq-Baril avait été l’une des voix les plus fortes, l’an dernier, lorsque of the North, le film de Dominic Gagnon qui a soulevé le tollé qu’on connaît, avait été diffusé à ces mêmes RIDM. C’est donc un juste retour des choses que de voir la cinéaste prendre part au festival cette année avec son dernier film, Angry Inuk, précisément réalisé afin de faire connaître une réalité trop peu connue des Occidentaux du sud : la chasse aux phoques. Partant du principe que l’image qu’en ont la plupart d’entre nous est celle d’une chasse cruelle et abusive, Arnaquq-Baril démonte les discours appuyés par des associations riches et bien aidées (par Brigite Bardot, par Paul McCartney qui pose sur la banquise) et nous propose de suivre au quotidien des chasseurs du Nunavut ainsi que leurs démarches auprès du Parlement européen pour revendiquer leurs droits à la pêche et à la vente. Faisant face à un marché qui a rétréci à vue d’oeil depuis le début des années 80 (« C’est notre krach boursier », narre la cinéaste), les communautés du cercle polaire ont dû migrer pour un temps, incapables de vivre de la chasse et de la traite des fourrures qui ne trouvaient plus d’acheteurs à l’étranger. La cinéaste, par accumulation des faits et des témoignages, démonte habilement la rhétorique néocoloniale de ceux qui préfèreraient que les Innus ne gardent de la chasse aux phoques qu’une économie de subsistance, alors qu’il s’agit encore du métier traditionnel le plus payant pour les membres de la communauté et que les espèces chassées, qui le sont toujours dans le respect de leurs cycles reproductifs et de leur nombre, ne sont pas menacées. C’est donc à la beauté de ces créatures que se buttent les Innus, à l’instrumentalisation de certains groupes de protection des animaux qui en font des peluches pour les distribuer aux députés européens avant qu’ils entrent en chambre pour voter. Dans un souci d’humanité, Arnaquq-Baril demeure toujours près de ses sujets, de leurs méthodes de chasse, de tannage, filmant le geste et son expérience avec attention. Plus la lutte suit son cours, plus la cinéaste elle-même s’intègre au film, prenant part active dans un processus de résurgence où, plus de trente ans après avoir été muselés par la bien-pensance effrontée, les Innus expriment enfin leur colère face à un monde global dans lequel ils souhaitent pourtant s’impliquer, culturellement et économiquement (ce que le film n'oublie pas de mentionner à plus d'une reprise). Angry Inuk, par sa volonté de croiser le documentaire de portrait avec une forme d’engagement fondée dans l’action concrète, se regarde au final comme le journal de lutte d’une cinéaste au courage inspirant. (Mathieu Li-Goyette)



à propos de
HIER À NYASSAN

Un film de Catherine Hébert (Québec, 2016) de 26 minutes.
Présenté dans la Compétition nationale courts et moyens métrages.
(Julie Delporte)




KATE PLAYS CHRISTINE
Robert Greene  |  États-Unis  |  2016  |  112 minutes  |  Compétition internationale longs métrages
 
Christine, pour Christine Chubbuck, une journaliste qui s’est suicidée en direct, d’une balle à la tête, en 1974, durant le bulletin télévisé d’une station locale en Floride ; Kate, pour Kate Lyn Sheil, une actrice qui accepte de jouer Christine dans un long métrage que l’on dit signé par un certain Robert Greene. Mais Kate Plays Christine, de Robert Greene,n’est pas cette fiction sur Christine Chubbuck (il faudra attendre le Christine d’Antonio Campos pour cela), c’est plutôt le (vrai) documentaire sur les recherches de Kate qui cherche à comprendre le geste de Christine pour le rejouer dans ce long métrage (fictif). Kate Plays Christine se présente ainsi comme une variation ingénieuse sur la forme du documenteur, Greene voulant suivre une actrice dans son processus de transformation, documenter la création d’une représentation d’un fait réel, tout en questionnant la pertinence d’une telle représentation. Cette réflexion sur la responsabilité éthique de l’artiste face au réel n’est pas neuve, mais l’originalité de Greene est de l’aborder par l’angle de l’actrice, ce qui lui permet de rester au plus près de la matière humaine, Kate devant trouver dans sa propre expérience un lien vers Christine, même si celle-ci lui paraît énigmatique, étrangère. Elle trouvera ce lien, sans trop en dire, à même la production de Kate Plays Christine, qui devient subtilement un miroir des conditions de travail de Christine – mais à mesure qu’elle se rapproche de son sujet, Kate se fait de plus en plus hésitante, car elle semble comprendre, mieux que quiconque, ce que cela implique de représenter le geste de Christine, elle qui voulait semble-t-il, par son suicide public, dénoncer l’attirance du spectateur télévisuel envers la violence, le blood and guts, comme elle l’a dit avant d’appuyer sur la gâchette : comment alors représenter ce suicide, sans succomber précisément à ce que Christine voulait dénoncer, sans donc trahir sa pensée ? Pour l’actrice qui veut honorer la mémoire de Christine, l’incarner avec respect, est-il possible de rejouer son suicide ? Et si oui, par quels moyens ? Suffit de dire que la dernière scène, donnant réponse à ces questions, est l’un des plus puissants moments de cinéma de l’année, parachevant cette fascinante réflexion sur l’éthique de l’acteur. (Sylvain Lavallée)
 



IL SOLENGO
A. Rigo de Righi et M. Zoppis  |  Argentine  |  2015  |  70 minutes  |  Compétition internationale longs métrages

« L’histoire est du vrai qui se déforme, la légende du faux qui s’incarne. » Cette citation – d’un auteur anonyme – pourrait fort à propos servir d’exergue à ce film dont le personnage auquel il s’intéresse l’est tout autant : un vieil ermite errant dans une aride forêt située au nord de Rome et que l’on baptisera du nom générique de « Mario di Marcella ». Et c’est à ce faux qu’il faut s’attarder, afin de voir ce qu’il dit de vrai. Si les mythes sont des histoires fictives cherchant à donner sens au réel qui nous fuit entre les doigts, les légendes naissent plutôt de faits réels et tendent à construire des fictions qui fassent sens à nos yeux. À partir de détails épars, mais concrets, elles refont l’amont ou inventent l’aval de ce qui nous échappe pour mieux nous rassurer. « J’ai entendu dire que… », « On m’a raconté que… », « Il semblerait que… », « C’est ce qu’on dit… », « Je n’en suis pas sûr… », « Peut-être… », « Apparemment… », « Je n’y étais pas… », tels sont les syntagmes et autres modalisateurs qui nouent ensemble les diverses pièces d’un puzzle que confectionne une collectivité dans le but de combler l’inconnu qui l’environne. Du coup, la légende cristallise nos craintes, révèlent notre obscur côté, laissent luire nos plus inavouables désirs. En interrogeant des gens qui ont vu, entrevu, aperçu, croisé, toisé, connu quelqu’un qui a connu l’anachorète, Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis nous offrent bien évidemment un portrait, non pas de celui qu’on surnomme aussi « Il Solengo », mais de ceux qui en parlent. Prenant le contre-pied des diktats cinématographiques – « Show, don't tell » ou « Ce qu’on peut montrer, il faut le taire. » – et désirant nous placer dans le siège d’un auditeur (de légendes) plus que d’un spectateur (de films) – les cinéastes ouvrent leur documentaire par un noir sur lequel la première assertion sera lancée (nous tendons l'oreille) et posent ensuite leur caméra devant ces vieillards, chasseurs de sangliers (on serait déjà tenté d’y voir une métaphore), qui, souvent assis seul à une table, cadrés de face, symétriquement placés au centre de l’image, un peu comme les témoins du Rashômon d’Akira Kurosawa, racontent ce qu’ils ont entendu dire sur ce curieux solitaire. Les filmant quelquefois en bande – au chalet, au café –, les réalisateurs les laissent alors tenter de faire entendre la meilleure histoire à son sujet, un peu, cette fois, comme les commensaux qui s’éternisent au Delicatessen de Broadway Danny Rose de Woody Allen. Or, même en meute, chaque chasseur semble seul : plutôt qu’un véritable échange, nous assistons à un ensemble de monologues. Partant souvent d’un lieu concret – la grotte où il habitait, la rivière où il se baignait – ou d’un objet tangible – une cagette, un outil –, chacun tire la couverte de son bord et en détache un fil ténu qui formera la trame d’un récit qu'ils auront du mal à tisser. Du coup, la musique de Vittorio Giampietro, on ne peut plus discrète, part, elle aussi, de bruits ambiants – le crépitement d’un feu, le craquement des branches, le vrombissement d’un moteur –, puisant chaque fois son motif à même le chaos environnant et tentant à sa façon d’imposer un rythme, une cadence, une cohésion au désordre qui tant effraie. Chacun raconte son anecdote, ses rencontres furtives et sporadiques avec le vilain, le récit de son enfance, la bizarrerie du bonhomme, son comportement erratique, sa réclusion volontaire, sa mystérieuse solitude… Mais chacun semble en dire autant (sinon plus) sur lui-même que sur celui-là. « Il Solengo » ne semble plus qu’une ombre, qu’un fantôme, qu’un spectre, destiné à faire sortir les squelettes des placards. Il nous faisait peur parce qu’il était différent. Mais cette différence n’est-elle pas aussi ce que chacun, sourdement, aurait voulu incarner? Ils critiquent cette solitude. Mais ne sont-ils pas, tous autant qu’ils sont, tristement seuls? Voilà la trappe dans laquelle ces chasseurs sont piégés. Dans un dernier sursaut, les cinéastes l’ont retrouvé, cet homme dont on a tant parlé, presque centenaire, couché dans un lit d’hôpital. Les dernières paroles lui reviendront, ancrée dans une caméra subjective qui s’avancera dans la forêt qui lui a tenu lieu de logis, épousant le regard de celui dont on ne verra toutefois jamais le visage. Et puis, quand on entend tous ces on-dit, tous ces ouï-dire, tous ces qu’en-dira-t-on, on peut secrètement penser que « Mario » avait peut-être bien raison de fuir le commerce des hommes. (Jean-Marc Limoges)


PRÉSENTATION
OUVERTURE : FUOCCOAMARE : PAR-DELÀ LAMPEDUSA
JOUR 1
(David Lynch: The Art of Life, Ta'ang)

JOUR 2
(Angry Inuk, Hier à Nyassan, Kate Plays Christine, Il Solengo)

JOUR 3
(Aim for the Roses, Dark Night, Fuocoammare : par-delà Lampedusa,
S.E.N.S., We Can't Make the Same Mistake Twice)

JOUR 4
(The Botanist, Brothers in the Night,
Manuel de libération, Territoire perdu)

JOUR 5
(Austerlitz, Combat au bout de la nuit, He Who Eats Children
Quebec My Country Mon Pays, Les tourmentes)

JOUR 6
(Brothers in the Night, Gatekeeper, The Great Theater,
Long Story Short, Speaking is Difficult, Uzu,)

JOUR 7
(A Train Arrives at the Station, Andrew Keegan déménage,
Animals Under Aneasthesia, Dialogue(s), Gulistan, terre de roses,
Isabella Morra, Manuel de libération, Non-contractual)

JOUR 8
(Calabria, Le goût d'un pays)

JOUR 9
(Le concours, The Dreamed Ones, Swagger)

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Article publié le 13 novembre 2016.
 

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