WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival du nouveau cinéma 2016 : Jour 1

Par Panorama - cinéma



ALIPATO: THE VERY BRIEF LIFE OF AN EMBER

Khavn De La Cruz  |  Philippines  |  2016  |  89 minutes  |  Temps Ø

L’énergie débordante mais incontrôlable de Khavn de la Cruz transparaît dans chacun des plans de ce drame social dantesque, sis dans les boyaux obscurs des bidonvilles manillais. Malheureusement, malgré la qualité poétique de ses images et la surprenante finesse de sa mise en scène, l’auteur pèche ici par surenchère stylistique et par redondance, ressassant ad nauseum les mêmes décors miséreux, les mêmes meurtriers juvéniles, et les mêmes scènes de déchéance urbaine que dans son précédent Mondomanila (2012). Pour ceux qui n’auraient pas saisi le sens de son titre outrancièrement lyrique, Alipato raconte l’essor et le déclin d’une bande de criminels en couches, punks de 4 à 10 ans aux noms colorés tels que Ruined Pussy, Cancer et Porkchop, dont le quotidien est ponctué d’amusants massacres, de chorégraphies martiales et de danses tribales dans de dégoûtants taudis de tôle. D’entrée de jeu, le film se révèle comme une version léchée de Mondomanila, dont les couleurs flamboyantes sont maintenant accompagnées de fumées fantomatiques, incarnation omniprésente du potentiel explosif de « coal city » et objet de mise en scène versatile. Malheureusement, il se meut finalement en quelque chose de bien moindre : chronique redondante de criminels vieillissants qui réutilise sans cesse, comme en proie à la sénilité, tous les travellings circulaires utilisés dans la première partie. Au final, bien que l’œuvre soit zébrée de véritables éclairs de génie, ces derniers demeurent désespérément éphémères, traits saillants d’un grand fourre-tout cinématographique qui, tout en requérant l’intérêt de la cinéphilie mondiale, laisseront sans doute celle-ci sur sa faim. (Olivier Thibodeau)
 



DEATH IN SARAJEVO
Danis Tanovic  |  Bosnie-Herzégovine  |  2016  |  85 minutes  |  Les incontournables

Malgré la pertinence sociohistorique de son scénario, adaptation de l’Hôtel Europe (2014) de Bernard-Henri Lévy sur fond de grève hôtelière, Death in Sarajevo ne passera sans doute pas à l’histoire. Se déroulant dans toute l’Europe lors des célébrations commémoratives de l’attentat de Sarajevo, et non dans la seule chambre de Bernard Weber (qui reprend ici son rôle théâtral), la prémisse du film oppose le propriétaire fauché de l’endroit à ses employés mutins, alors que sur le toit, une entrevue télévisuelle dérape, et expose les tensions immémoriales entre Serbes et Bosniaques. Écartelé entre ces deux récits parallèles, le film souffre de trop nombreuses cassures de rythme pour nous absorber dans l’intrigue. En fait, les liens narratifs entre ces deux récits demeurent toujours désespérément intellectuels, et même s’ils évoquent éloquemment le « dualisme hystérique » qui persiste en ex-Yougoslavie, ils négligent presque entièrement l’aspect humain du drame des grévistes, lesquels sont en quête de visibilité médiatique après des mois de travail non rémunérés. Fort de quelques astucieuses mises en abyme (où l’on voit Weber s’égosillant au nom des sacrifiés de l’histoire), et d’un habile travail de caméra, laquelle profite de la nature labyrinthique du sous-sol où se prépare la grève pour évoquer le thème récurrent du malaise intestin, le film s’avère finalement trop verbeux, bancal et redondant pour prétendre à l’essentialité. Surtout, il s’agit d’une œuvre excessivement cérébrale qui, sous prétexte de vouloir honorer cent ans de victimes négligées, néglige celle de sa propre diégèse. (Olivier Thibodeau)

 


DIAMOND ISLAND
Davy Chou  |  Cambodge  |  2016  |  104 minutes  |  Compétition internationale

La Diamond Island, c’est une île en marge de Phnom Penh, un immense projet immobilier pour habitations richissimes, c’est des chantiers de construction et une fête foraine permanente où se réunissent les jeunes travailleurs la nuit. Un espace réel qui devient, par la mise en scène, l’espace mental de Bora, un adolescent de la campagne œuvrant sur ces chantiers, construisant un avenir qui ne lui appartient pas, et découvrant grâce à son grand frère le monde qui s’étend au-delà du pont reliant l’île à la ville. Le tour de force de Davy Chou, qui signe ici sa première fiction, est de maintenir tout du long une atmosphère onirique traduisant à la fois l’émerveillement devant ce luxe, devant les nouvelles technologies qui s’incrustent dans ce quotidien des plus pauvres, et à la fois le sentiment de mélancolie qui nous prend en voyant ce monde s’ériger sur un autre. On pourrait toujours reprocher quelques grossièretés de scénario, lorsque le film tend vers les scènes plus typiques d’un coming-of-age, ou lorsque l’allégorie devient un peu plus lourde (Bora devant choisir quel monde habiter), mais le pouvoir de ces images (la nuit striée de néons bleus, la caméra flottant derrière les motos qui se baladent sans but à travers l’île, une danse de méduse numérique, un apprenti conducteur tournoyant dans un stationnement…) et la présence singulière des acteurs non professionnels nous fait vite oublier ces quelques lacunes. (Sylvain Lavallée)
 



JE ME TUE À LE DIRE
Xavier Seron  |  Belgique  |  2016  |  90 minutes  |  Temps Ø

L’humour noir, disait Bergson, se définit comme une « suspension du sens moral ». Et c’est ce dont on ne rit pas (par respect ou par pudeur) que se moquera Xavier Seron dans ce comique et saumâtre tableau (en) noir (et blanc) : la maladie, la mort. Michel Peneud — alias « pneu Michelin » (Jean-Jacques Rausin) — campe un hypocondriaque, velu et ventru, s’imaginant n’avoir, à l’instar de sa mère — Peneud, Monique (Myriam Boyer) —, rien de moins qu’un cancer du sein. Nous accompagnerons notre antihéros — frère jumeau du réalisateur — dans la descente aux enfers que propose ce film, dont les chapitres, présentés à rebours, nous annoncent l’inéluctable issue : 5 – 4 – 3 – 2 – 1… et 0. Tous les jours mènent à la mort, disait Montaigne, mais le dernier y arrive. Le sujet — triste, morbide — est traité avec un tel souci esthétique qu’il évite de crever dans l’œuf (savoureux raccord esthétique à l’appui). La figure du cercle — qui rappelle à la fois le sein et le zéro, le début et la fin, l’alpha et l’oméga, l’arché et le télos— traverse tout le film : pneu, horloge, ventilateur, vitre de machine à laver, grande roue du parc d’attractions, roue du hamster dans sa cage, roue du vélo stationnaire, etc. Doit-on comprendre que la vie tourne à vide ou qu’elle est un éternel recommencement ? Alors qu’il répète que c’est lui qui va mourir, c’est sa mère qui calanche. Elle est incinérée. Ayant trop fumé, il était normal qu’elle retournât en cendre. Dans une scène finale à la fois touchante et absurde, le fils répand le contenu de l’urne sur le tapis (un tapis à l’image du Saint-Suaire) pour s’y vautrer amoureusement. Sa vie continuera sans elle. Suivant l’adage, nous pourrions nous rappeler que si quelqu’un se tue à nous dire quelque chose, nous n’avons qu’à le laisser parler. (Jean-Marc Limoges)
 



SAFARI 
Ulrich Seidl  |  Autriche  |  2016  |  91 minutes  |  Les incontournables

Toute la haine et le cynisme d’Ulrich Seidl à l’égard de l’espèce humaine ne sauraient être mieux canalisés que dans ses documentaires, films d’une acidité sans pareil et pour lesquels il n’y a guère d’autre fascination que celle de voir un cinéaste en contrôle se servir de sa caméra pour cracher au visage de ses sujets. Heureusement pour nous, ceux de Safari se méritent amplement le fiel de la mise en scène : riches bourgeois autrichiens prenant place dans les maisons coloniales d’un grand ranch namibien, ils trouvent leur plaisir dans la chasse aux animaux de la brousse afin de les transformer en trophées de chasse. Le prix des proies est décliné comme s’il s’agissait de meubles décoratifs en devenir, le verbe « kill » est remplacé par « to bag », la blessure faite par balle par le mot « sketch », tout le rituel de ces chasseurs de luxe se voyant décortiqué sous les yeux effarés du spectateur qui y découvrira comment l’on peut rendre le meurtre plus doux par le langage (ou comment, pour reprendre Hannah Arendt, le mal peut si facilement devenir banal). À la fois reprise touristique du Sang des bêtes de George Franju et charge à fond de train contre une industrie sans vergogne, Safari montre des gens affublés d’un chapeau ridiculement colon dire que « ce n’est pas de leur faute [aux Namibiens] s’ils sont Noirs » ou encore que la « chasse est une forme de libération puisqu’on tue aussi de vieux animaux ». À cette parole abjecte, Seidl y va de plans frontaux, sciemment posés sans broncher, où la faible nature de l’homme (ils sont vieux ou gros ou frêles mais tous cons, nous dit-il) mise en opposition avec les corps au seuil de la mort des animaux ne peut provoquer que le plus profond dégoût. Le cinéaste se dédie ici sans ambages à la critique d’une conscience collective, écorchant au passage tout type de viande obtenue par la mort, et il faut dire qu’on ne peut qu’apprécier le fait que sa cruauté à lui, pour une fois, soit si bien aiguillée. (Mathieu Li-Goyette)
 



SIXTY SIX 
Lewis Klahr  |  États-Unis  |  2015  |  90 minutes  |  Les nouveaux alchimistes

« People talk in circles », affirme une voix féminine au détour d’un dialogue abscons ; les gens, autrement dit, communiquent en points ronds autant qu’ils parlent de manière circulaire (c’est-à-dire qu’ils tournent en rond, à l’instar de tous ces fragments compilés qui ressassent inlassablement les mêmes motifs). Sixty Six est un film sur l’impression et, plus précisément, sur la trame — cette constellation de points d’encre formant ces images imprimées sur lesquelles le cinéaste Lewis Klahr se penche avec un fétichisme assumé. Voilà pourquoi la trame narrative n’y est plus qu’une impression. Après tout, c’est la trame de l’impression qui intéresse le cinéaste — la qualité tactile d’une image qui se définit par son imperfection et qui, par l’entremise de celle-ci, arrive à évoquer toute une époque. Composés de retailles de comic books, de photos-romans et de publicités des années 1960 qui sont découpées, collées et juxtaposées, les courts métrages ici rassemblés de la même manière que chacun semble assemblé forment une mosaïque fascinante d’obsessions, de récurrences matérielles et thématiques unies par la qualité esthétique particulière de cette simple limite technique. Mais c’est aussi le temps qui s’écoule ici un point à la fois, comme le rappelle ce sablier que Klahr place un peu en retrait, à la toute fin de cette recherche formelle qui s’étend sur plus de dix ans ; on sent d’ailleurs, tracés comme en filigrane de la continuité, les événements ayant marqué ces années de vie qui rejoignent aujourd’hui un passé auquel le réalisateur les a, dirait-on, consacrées. (Alexandre Fontaine Rousseau)
 



THE DEATH OF J.P. CUENCA
João Paulo Cuenca  |  Brésil  |  2015  |  90 minutes  |  Panorama international

Bien qu’il démontre une surprenante inventivité formelle, laquelle contribue à l’élaboration d’une trame narrative fort intrigante, The Death of J.P. Cuenca se révèle finalement comme un simple délire d’auteur, une esquisse de film dans un débordant carnet de travail. Enquêtant sur les circonstances mystérieuses de sa propre mort, le réalisateur, scénariste et protagoniste João Paulo Cuenca se retrouve ici prisonnier d’un monde décalé, mais réaliste à la fois, recherchant désespérément la trace des témoins de son trépas. Or, malgré la qualité inédite de sa prémisse, celle-ci n’est jamais vraiment aboutie, se révélant finalement comme une idée flottante dans un bassin saturé, tournoyant de façon hypnotique, mais vaine devant nos yeux de plus en plus désintéressés. Scénariste dadaïste, Cuenca se révèle également ici comme un réalisateur erratique, capable du meilleur comme du pire. Son arsenal de cadrages incongrus et de compositions inusitées est impressionnant, et il contribue parfaitement à l’atmosphère d’étrangeté qui imprègne le récit, démontrant en outre sa grande maîtrise photographique. Par contre, ses scènes de dialogues sont d’un ennui consommé, nous extirpant violemment du monde hypnotique de l’enquête vers le monde platement théâtral des enquêteurs, laborieusement filmé en champ-contrechamp. L’intégration d’éléments documentaires à son récit est également incongrue, se limitant souvent à l’inclusion paresseuse de fiches signalétiques autour des têtes parlantes, prouvant non seulement le manque de cohésion de l’œuvre ici présente, mais surtout le manque de vision proprement cinématographique de son auteur. (Olivier Thibodeau)



 
WELCOME TO ICELAND
Felix Tissi  |  Suisse  |  2016  |  96 minutes  |  Panorama international

Le cinéaste suisse Felix Tissi tente de relever, dans cette comédie qualifiée d’« existentielle », un drôle de défi : offrir un huis clos — sans mur — dans le paysage noir charbon, gris acier et blanc crotté de la venteuse et nuageuse Islande. La prémisse est pleine de promesses : comme dans la pièce de Sartre, il s’agit de prendre des gens que rien ne rapproche (ou que tout éloigne) — un homme d’affaires quadragénaire célibataire suicidaire, un jeune couple de marginaux avide de sensations fortes et une traditionnelle famille heureuse et en santé — afin de les faire cohabiter pour l’éternité (ou, ici, l’immensité). L’absence de commutateur (ils n’ont plus d’intimité) et de poignées de porte (ils ne peuvent pas s’enfuir), qui faisait le brio de la pièce, est ici remplacée par un soleil qui ne se couche jamais tout à fait et un désert qui ne permet aucun secret. On les fait donc cohabiter pour voir ce que ça donne. Or, ça ne donne pas grand-chose… ou si peu. Certes, les personnages sont joyeusement typés — le dépressif au visage émacié porte son trench-coat jaunâtre, les métaleux sont tout de cuir noir fringués et la famille arbore quelques couleurs de l’arc-en-ciel —, mais leur transformation est mince, au regard du long chemin parcouru. Car les membres de cette improbable troupe se retrouveront (pour diverses raisons qu’on évite économiquement de nous expliquer) au sein de cet aride néant (les multiples plans d’ensemble disent d’ailleurs bien la petitesse de leur problème) afin de mieux apprendre à se connaître (à se connaître les uns les autres, mais aussi à se connaître eux-mêmes). Le suicidaire reprendra goût à la vie, le couple se déchirera pour mieux se retrouver et la famille unie se disloquera à jamais (le père perdra sa fière autorité, la mère, sa douce naïveté et les enfants, leur juvénile insouciance). Plusieurs « implants » avaient pourtant été semés tout au cours de cette longue marche, promettant une avalanche d’imprévisibles retournements, mais ils auront eu du mal à pousser, sans doute à cause du sol volcanique, au reste, admirablement filmé. (Jean-Marc Limoges)


PRÉSENTATION
OUVERTURE : TWO LOVERS AND A BEAR
JOUR 1
(Alipato, Death in Sarajevo, Diamond Island, Je me tue à le dire,
Safari, Sixty Six, The Death of J. P. Cuenca, Welcome to Iceland)
JOUR 2
(Déserts, Late Shift, Lost and Beautiful,
Maquinaria Panamerica, The Last Family)

JOUR 3 
(Daguerrotype, Director's Cut, Sur les nouveaux alchimistes,
Happy Times Will Come, Life After Life, Pacifico)
JOUR 4
(A Quiet Passion, Apnée, Fallow,
Sadako vs. Kayako, Sunrise, Werewolf)

JOUR 5
(A Lullaby to the Sorrowful Mystery, Bitter Money,
La Chasse au collet, Lampedusa, Sand Storm, We Make Couple)
ENTREVUE
Xavier Seron et Julie Naas (Je me tue à le dire)

JOUR 6
(A Decent Woman, Belgica, Lily Lane,
Mes nuits feront écho, Notes on Blindness, The Untamed)
JOUR 7
(Les arts de la parole, Dogs, L'effet aquatique,
I Had Nowhere to Go, The Ornithologist, Spark)

JOUR 8 
(The End, Évolution, The Giant, Yamato (California), X Quinientos)

ENTREVUE
Felix Van Groeningen (Belgica)

JOUR 10 + PALMARÈS DE LA RÉDACTION
(Invisible, Mademoiselle, Stealing Alice,
Le vertige des autres, Yourself and Yours)

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Article publié le 7 octobre 2016.
 

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