DOSSIER : ROBERT MORIN & ANDRÉ-LINE BEAUPARLANT
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RIDM 2025 : Partie 2

Par Thomas Filteau, Alexandre Fontaine Rousseau, Anne Marie Piette et Olivier Thibodeau

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prod. Acephale

SOUL OF THE FOOT
Mustafa Uzuner  |  Canada / Turquie  |  2025  |  66 minutes  |  Compétition Nouveaux regards

C’est à la manière d’un triptyque équivoque que s’articule Soul of the Foot, en évoquant dans la succession de ses trois temporalités les imbrications entre l’histoire intime et les politiques globales qui sous-tendent la Turquie contemporaine. Mustafa Uzuner échafaude cette observation conjointe dès sa première séquence, où la contemplation d’une éclipse solaire en août 1999 s’accorde à l’officialisation de la candidature du pays pour devenir membre de l’Union européenne. Un second fragment composé d’enregistrements vidéo de la famille du cinéaste cristallise cette association, lorsque, dans l’arrière-plan sonore de ces films de famille datant de 2005, se devinent des voix radiophoniques qui mentionnent l’avènement des processus de négociation avec l’UE. Dans le troisième segment, le plus imposant et significatif du projet, Uzuner semble errer dans les rues d’une Istanbul contemporaine, caméra 16 mm à la main. Son objectif baladeur capte les démarches flâneuses de passant·e·s, observe les attroupements de pêcheurs à l’orée du Bosphore et les mouvements d’oscillation de leurs cannes à pêche, échange de nombreux regards avec les chats errants de la métropole, puis s’attarde aux jeux de billes de jeunes garçons à la bordure des trottoirs. Là aussi surgissent des paroles glanées où se négocient certaines problématiques de l’histoire politique récente, passant d’une manifestation en support à l’Ukraine à l’interrogation de la figure d’Osman Kavala, emprisonné depuis 2017 par le gouvernement d’Erdoğan.

Alors que se succèdent ces trois séquences, les supports médiatiques distincts investis par Soul of the Foot travaillent à confondre l’avancée linéaire du temps historique en passant de la vidéo à la pellicule noir et blanc à faible contraste, pour conclure par l’apparition inopinée de la couleur irisée des couchers de soleil urbains. Les paroles quasi chuchotées apposées à ses images citadines, seules voix se suppléant à l’absence de narration ou de dispositif clarifiant, ne suffisent cependant jamais à structurer un discours unifiant qui consoliderait l’argumentaire du projet documentaire en une démarche claire ou facilement identifiable. Au contraire, il s’agit avant tout, et peut-être simplement, d’un film d’observation qui tente depuis sa démarche de pérégrination urbaine une interrogation des limites de la citoyenneté par sa performance de l’errance. Et s’il serait facile de se perdre en tentant de distinguer les contours de son essentielle ambiguïté, c’est dans sa manière d’explorer la marche citadine comme état de perdition que Soul of the Foot parvient à prendre forme et à poursuivre un projet exploratoire qui dialogue parfaitement avec Marche commune (Sylvain L’Espérance, 2025), également présenté à cette édition des RIDM, soulignant les trajectoires parallèles du regard filmique et des déambulations piétonnières. (Thomas Filteau)

Prochaine projection : 27 novembre à 21h15 (Cinéma du Parc)

 


prod. Ivaasks films

DRAGICA, DANICA, DUSKA / OR / WHEN ZORA, THE GODDESS OF DAWN, OPENS THE GATES OF HEAVEN FOR SUN TO EMERGE
Iva Radivojevic  |  États-Unis / Kosovo  |  2025  |  10 minutes  |  Compétition internationale courts et moyens métrages

Impossible d’ignorer le nouveau film d’Iva Radivojevic, dont j’ai découvert le travail l’an passé aux RIDM, surtout que l’œuvre semble marquer un tournant dans sa carrière. Ses leitmotivs autour de l’exil, de l’appartenance territoriale et de la concomitance temporelle s’inscrivent ici directement dans la matière, soit celle de la pellicule 8 mm qui porte simultanément en elle différentes strates, différents lieux, différents récits superposés. « Once upon a time, or every time, or at no time ever… there was a morning awakening », déclare la narratrice Kumjana Novakova au fil d’un texte traduit en langue macédonienne, évoquant d’emblée la compression du temps et la compression des frontières qui caractérisent le travail de l’autrice (réalisatrice, cadreuse, monteuse et conceptrice sonore sur le présent court métrage). Puis vient la voix envoutante de la chanteuse albanaise Elina Duni, qui en gros plan interprète la chanson Ti Moj Delja Rude, dont la réverbération sur la bande sonore aide à établir la nature stratigraphique de l’œuvre. Je me souviendrai toujours de la scène chantante d’Evaporating Borders (2014), qui constituait une oasis de beauté et de camaraderie au milieu du récit déchirant des demandeur·euse·s d’asile sur l’île de Chypre. Ici, la chanson annonce un film qui se déploie tout entier comme une oasis.

Dragica est fait d’images fugaces, fragmentaires, voguant au gré des paroles de Novakova, qui réunissent de manière organique des extraits du Border Wisdom d’Ahmad Almallah, du Exiled Shadow de Norman Manea et du If You Had Three Husbands de Gertrude Stein. Le concept d’amalgame se reflète d’ailleurs dans la structure du film, qui recoupe des séquences disparates, souvent antithétiques, à mi-chemin entre l’ordinaire et le mystique, des plans d’aurore et de crépuscule, d’intérieurs domestiques et d’extérieurs publics, de paysages naturels et de panoramas urbains, de femmes jeunes et âgées, selon une logique sensible de flot mental. Le film rappelle ainsi le passage des heures et des saisons dans un mouvement liquoreux qui s’apparente à un processus mémoriel. Épousant la nature impressionniste du souvenir, où les raccords s’effectuent sur le souffle, sur les tics-tocs de l’horloge et les bruits de feux d’artifice qu’on assimile au retentissement des canons, l’œuvre se déploie comme une mémoire vivante, ponctuée par la sinuosité du flux temporel et la puissance des déflagrations, à la fois traumatiques et célébratoires. C’est une véritable merveille d’humanité, dont la référence titulaire à la déesse de l’aube évoque à la fois une luminosité salutaire, un respect de l’ordre naturel des choses et une célébration du féminin, qui réjouissent énormément en cette ère de noirceur et de faux semblants où la misogynie et le culte technologique jettent partout leur ombre délétère. (Olivier Thibodeau)

Prochaines projections : 24 novembre à 19h30 (Cinémathèque québécoise)
26 novembre à 15h15 (Cinémathèque québécoise)

 


prod. Shatamata Production

L’MINA
Randa Maroufi  |  France / Maroc / Italie / Qatar  |  2025  |  26 minutes  |  Compétition internationale courts et moyens métrages

L’mina conclut une trilogie consacrée à des villes marocaines (après The Park [2015] et Bab Sebta [2019]). L’artiste-cinéaste franco-marocaine Randa Maroufi y déploie une forme à la croisée du documentaire, de la reconstitution et d’un théâtre cinématographique épuré. Tourné avec les habitant·e·s de Jerada, ancienne ville minière du nord-est du pays où l’extraction se poursuit clandestinement dans des galeries abandonnées depuis sa fermeture officielle en 2001, le film explore un territoire hors champ, marqué par l’abandon étatique, la survie inscrite dans des gestes dangereux devenus routiniers et la persistance d’un métier vital pour de nombreuses familles.

Le récit privilégie l’ambiance, le tempo lent, la vraisemblance simulée. Une voix off accompagne le film sans jamais en forcer la lecture. Les spectateur·ice·s ne sont pas happé·e·s par l’histoire, ielles s’incrustent dans sa matière brute, comme celle que l’on tente d’extraire. L’mina repose ainsi un travail progressif d’aller-retour du regard et de la pensée, en parallèle au va-et-vient de la caméra rythmant l’exploration et l’excavation.

C’est dans la matérialité du décor que le film impose sa puissance. L’mina se regarde et se vit comme un tableau animé. Un puits et une galerie ont été reconstruits en studio, en collaboration avec les habitant·e·s qui jouent leurs propres rôles. Maroufi filme ce qui s’apparente à des maquettes sur plusieurs étages, en coupe axonométrique, évoquant l’image de couverture de La Vie mode d’emploi de Georges Perec — une vue d’immeuble sans façade — et l'ossature même du roman, où chaque pièce devient unité narrative. La mine s’ouvre alors comme un terrier à strates, à la fois cartographie mentale et piège ténébreux.

La caméra descend lentement avant de s’étendre à l’horizontale, explorant d’un niveau à l’autre les entrailles du lieu où se meuvent péniblement des travailleurs, redressant les piliers soutenant la charpente, menacée d’effondrement. Chaque plan devient un palier incertain, entre descente et remontée. Bientôt, la structure cède, soulevant un nuage opaque. La poussière envahit l’écran. Retour à l’obscurité totale d’un milieu inhospitalier, d’où ils prélèvent le charbon. Leurs revendications, comme leur souffle, asphyxiés. Une scène de manifestation multigénérationnelle, en réponse à la mort de mineurs, fait surgir l’espoir d’une régulation, mais en lisière du cadre, la répression affleure en sourdine.

Le film capte l’attention en contournant le pathos du périple minier pour en révéler les dessous avec une poésie visuelle dont l’audace interroge autant qu’elle séduit. Il dirige le regard par autant de chorégraphies faites de plans-séquences aériens et souterrains, modulant les contrastes de lumière non seulement pour dessiner l’espace — entre intérieur et extérieur — mais aussi pour faire émerger, sans frontalité, les tensions enfouies, et les effets délétères d’un désengagement politique durable.

L’mina adopte la forme d’une fable silencieuse esthétisée, où la claustrophobie, la courbure des corps cloîtrés dans ces espaces restreints, le danger latent, sont absorbés par l’image soigneusement composée, jusqu’à faire glisser le sujet vers une tension visuelle entre trouble et contemplation, nous laissant entre fascination et incertitude sur l’effet produit. Maroufi stylise la forme jusqu’à transfigurer le réel, offrant à ces travailleurs de l’ombre un éclat inattendu. (Anne Marie Piette)

Prochaine projection : 27 novembre à 16h00 (Cinémathèque québécoise)

 


prod. Petra Pan Film / Cinéphage Productions / PPFP



prod. High Lonesome Media

THE MOUNTAIN WON’T MOVE
Petra Seliškar  |  Macédoine du Nord / Slovénie / France  |  2025  |  95 minutes  |  Panorama — Essentiels

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GREEN VALLEY
Morgan Tams  |  Canada  |  2025  |  84 minutes  |  Compétition Magnus-Isacsson

Vendredi soir au Cinéma du Parc, les RIDM nous ont concocté un programme thématique sur la terre, les brebis, les vaches, le fromage et les paysan·ne·s qui en vivent. Deux films sur des groupuscules isolés qui subsistent de manière presque autosuffisante dans une nature asservie à leur volonté (pour paraphraser l’un des intervenants du second film) : les quatre frères Zekirov, bergers dans les monts Šar en Macédoine du Nord dans The Mountain Won’t Move et la commune de fermier·ère·s britanno-colombien·ne·s de Green Valley, présenté en première mondiale. Deux films dont la grande sensibilité, la démarche honnête, investie et patiente (170 heures de rushes pour Green Valley), le merveilleux travail du son et les tranches de vie fascinantes de quotidiens pittoresques et hyperordinaires se heurtent à certaines limites quasi intrinsèques du genre, dont l’attrait du romanticisme (qui les empêche notamment de montrer les détails plus crus de la mise à mort des animaux) et le caractère lassant d’une mise en scène de la routine. Deux films qui renouvellent heureusement leur intérêt en fin de parcours grâce à l’ajout d’éléments dramatiques puissants : le départ potentiel d’un des frères dans Mountain, envisagé comme la fin d’une ère, et la perspective de la mort d’Henry, le patriarche de la commune de Valley, qui enclenche une réflexion tendre et lucide sur la nature cyclique de la vie.

Privilégiant un style pictural caractérisé par une grande profondeur de champ, mâtiné de scènes directes des sujets au travail ou au jeu, Mountain utilise l’immensité des panoramas montagneux à la fois comme symbole de liberté et d’emprisonnement. À voir les jeunes hommes grimper les flancs rocailleux avec leurs chiens par un jour ensoleillé, on les imagine maîtres du monde, mais d'un monde sans « nanas », sans gloire, où la pluie tombe drue et impitoyable, et où il faut s’isoler dans les sommets pour espérer obtenir un peu de réception téléphonique, donc d’accès à autrui. Valley est plus joyeux, plus proche des gens, plus proche des animaux, amoureux du geste manuel et de la nature foisonnante, s’attachant au travail, à ses récompenses et au pouvoir de la communauté ; il s’amuse à collectionner les réflexions perspicaces des intervenant·e·s et à révéler les nombreux secrets que recèle le hameau de bric et de broc où le réalisateur a vécu durant huit ans. Dans Mountain, on nous montre le dépouillement monastique des sujets, leur nudité face aux éléments et aux prédateurs dans l’absence de parents, identifiés par les jeunes comme des « ancêtres » lointains. S’intéressant plutôt à « l’interdépendance communautaire » d’un monde moins autarcique, mais plus douillet où les repas collectifs revêtent des allures festives, Green Valley se distingue paradoxalement par le spectacle des machines, dont la présence justifie des scènes magnifiques de transport forestier, de désherbage thermique, mais surtout la découverte de dispositifs incongrus dignes de Myst (le dévoilement du réseau de valves enchevêtrées qui permettent d’alimenter les cabanes en électricité évoque un puzzle mécanique tiré tout droit du jeu).

Les deux œuvres portant sur l’isolement, celles-ci lui servent également de remède, transcendant la posture purement attentive du cinéma d’observation par une série d’échanges avec les sujets, qui se confient indirectement à la caméra, nous livrant leur sagesse, mais aussi leurs appréhensions face au monde ardu qui les entoure. En cela, elles se révèlent comme des portraits d’autant plus perspicaces et des documents d’autant plus précieux sur un mode de vie agraire évanescent qu’elles nous permettent non seulement de cerner des pratiques, mais de cartographier les états d’âme de leurs praticien·ne·s. (Olivier Thibodeau)

Prochaine projection de THE MOUNTAIN WON'T MOVE : 29 novembre à 16h30 (Cinémathèque québécoise)

Prochaine projection de GREEN VALLEY : 24 novembre à 20h00 (Cinémathèque québécoise)

 


prod. trixta

UNDERGROUND
Kaori Oda  |  Japon  |  2024  |  83 minutes  |  Compétition internationale longs métrages

Il y a d'abord ce mystérieux tunnel, sur les parois duquel miroitent les reflets d'une lumière irréelle. Puis, à même l'obscurité, la valse du grain de la pellicule imite le mouvement des particules en suspension dans l'air. Des planètes émergent du magma cosmique, dans cette caverne des origines où le film lui-même semble prendre forme. Dès les premières minutes, Underground brille par la richesse de l'expérience sensorielle qu'il nous propose. Sur le plan visuel et sonore, bien évidemment, mais aussi tactile. Car ce poème haptique, guidé par la présence à l'écran de la danseuse et cinéaste Nao Yoshigai, explore l'idée d'un contact physique à la matière qui nous permettrait d'accéder à la mémoire du monde. Une idée superbe, d'une sensualité toute cinématographique, que la réalisatrice japonaise Kaori Oda déploie avec soin à travers une mise en scène attentive au détail des gestes de son interprète. Tour à tour tangible et éthérée, Yoshigai est comme un spectre qui planerait sur le film pour parfois s'y matérialiser. C'est une ombre qui devient un corps. Elle glisse d'un plan, d'un lieu à l'autre. Puis elle se pose; on la regarde couper méthodiquement des légumes, se faire à manger. Le geste, en apparence anodin, est un rappel de l'horreur historique qui se trame sous la surface des choses.

Car Underground, à travers la douceur enveloppante de sa forme, s'affaire à explorer le trauma de la guerre, le souvenir diffus et contenu à même la pierre de l'invasion d'Okinawa par les forces américaines en avril 1945. Dans ce réseau souterrain, nous explique un guide local, 140 personnes se sont réfugiées à l'arrivée des troupes ennemies. Sur le lot, 83 se sont suicidées conformément à un code d'honneur dont on s'explique aujourd'hui bien mal la cruauté. Les autres sont restées ici-même. Dans la noirceur. À court de vivres. Le guide nous annonce qu'il va éteindre sa lampe de poche, afin de partager avec nous l'expérience de cette obscurité. Il poursuit son récit, la description des horreurs vécues. Que reste-t-il aujourd'hui de cette souffrance? A-t-elle laissé une trace sur les parois de l'endroit où nous nous tenons? La main de Nao Yoshigai parcourt les subtiles sinuosités du roc à la recherche de cicatrices humaines. Elle tente d'éveiller par cette caresse la voix intérieure de la matière. Incarnant à l'écran la caméra de Kaori Oda, elle devient l'écho charnel et fantomatique d'une mise en scène sondant le réel, se plongeant en lui de tout son être. Le film se termine. À l'extérieur de la salle, nos sens peinent à retrouver leur équilibre naturel. Comme si nous émergions nous même d'une grotte. Il faudra un moment pour se remettre de tout cela. (Alexandre Fontaine Rousseau)

*Texte originellement publié dans notre couverture de la Berlinale 2025

Prochaine projection : 25 novembre à 21h30 (Cinémathèque québécoise)

 


prod. ITVS / Firelight Media / Black Public Media

TRUE NORTH
Michèle Stephenson  |  Canada / États-Unis  |  2025  |  96 minutes  |  Compétition Magnus-Isacsson

Le film débute avec un leurre assez ingénieux, le générique adoptant une facture d’époque quasi caméléonesque dans sa police et les éraflures de la pellicule argentique. Nous sommes déjà en 1968, convié·e·s par l’activiste états-unienne d’origine haïtienne Michèle Stephenson à découvrir les recoins sombres du « multiculturalisme » canadien. Elle nous propose d’abord d’assister à une entrevue télévisée avec le militant Rosie Douglas, qui a maille à partir avec un hôte sceptique qui peine à reconnaître la présence du racisme au pays. « James McGill, founder of McGill University himself owned 12 slaves », réplique l’inspirant tribun au look des Black Panthers, « learn your history. » Et c’est précisément ce que le film nous invite à faire, gracieuseté d’un montage d’archives adroit et éloquent signé par Shannon Kennedy et Sarah Enid Hagey, ponctué par la narration d’une poignée de figures clés dans la lutte pour les droits civiques.

Généralement, je n’apprécie guère ce genre de documentaire aux allures de reportage, mais force est de reconnaître la qualité exceptionnellement immersive du montage, qui, par un amalgame minutieux de documents d’époque et un usage particulièrement habile des stock shots, parvient à former un tout organique qui pourrait presque passer pour un film d’antan. La ville de Toronto et la ville de Montréal prennent vie sous nos yeux, comme à la grande époque onéfienne, et l’abondance de prises de vue en bateau nous rappelle que l’histoire industrielle du pays est intimement liée aux voyages forcés de la main-d’œuvre noire ; elle symbolise également le parcours houleux des descendant·e·s africain·e·s et des Caribéen·ne·s au pays, dont nous découvrons ici les luttes à travers leurs voix, et le compte rendu de quelques épisodes révélateurs et méconnus de l’histoire canadienne.

Les descriptions offertes par les intervenant·e·s (Norman Cook, Brenda Dash, Philippe Fils-Aimé, Josette Élysée Pierre-Louis et Rodney Jones), notamment en ce qui a trait au rôle que jouaient les centres communautaires dans les quartiers noirs de l’époque, ne sont pas sans rappeler l’historiographie alternative d’un Cher Jackie (2021), lequel complémente le film de Stephenson de nombreuses et éloquentes façons. Or, l’essentiel du propos, de cet impératif à « apprendre notre histoire », réside dans la mise en lumière de certains événements obscurs, révélateurs et embarrassants pour le grand récit pluraliste canadien. On pense entre autres au drame d’Africville, bas-quartier d’Halifax, réputé trou à rats, puis rasé à la fin des années 1960, qui évoque simultanément la ghettoïsation et la dépossession immobilière des Noir·e·s (dans un autre écho à Cher Jackie), mais qui nous dévoile aussi leur importance historique dans le paysage néo-écossais. Or, le point central du film demeure le « Sir George Williams Computer Incident » de 1969, où, devant le refus des autorités de l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Concordia) d’investiguer les allégations de racisme dirigées contre un professeur de biologie, un groupe d’étudiant·e·s majoritairement caribéen·ne·s ont occupé le laboratoire informatique de l’établissement. True North évoque alors presque un reportage de guerre, exhaustivement étoffé, où les dérives racistes de notre société (violences policières létales, extraditions politiques et démonstrations décomplexées de haine raciale) saillent de manière incontestable, complétant le processus auteuriel de réappropriation politique d’images institutionnelles (celle de Roland Jones dans Golden Gloves [1961] notamment) qui nous rappelle l’importance de poursuivre le combat pour la reconnaissance et l’égalité. (Olivier Thibodeau)

Prochaine projection : 27 novembre à 18h45 (Cinéma du Parc)

PARTIE 1
(Action Item, A Scary Movie
Agatha's Almanac, Evidence
Letters From Wolf Street,
Tigers Can Be Seen in the Rain)

PARTIE 2
(Soul of the Foot, Dragica, Danica, Duska...,
L'mina, The Mountain Won't Move, Green Valley,
Underground, True North)

PARTIE 3
(à venir...)

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Article publié le 23 novembre 2025.
 

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