WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival du nouveau cinéma 2016 : Jour 5

Par Panorama - cinéma



A LULLABY TO THE SORROWFUL MYSTERY
Lav Diaz  |  Philippines  |  2016  |  485 minutes  |  Les nouveaux alchimistes 
 
Chez Lav Diaz, la durée n'est pas une épreuve. C'est une entente signée, une invitation à ne pas s'en faire l'instant d'un film avec le temps. Il faut laisser le temps faire son oeuvre. Car certaines émotions, certaines sensations ne deviennent authentiques qu'à travers la durée : le désespoir, l'épuisement et la folie mais aussi le calme, l'oubli et le pardon. Du haut de ses huit heures, A Lullaby to the Sorrowful Mystery est un film que l'on habite – et qui, en retour, nous habite. Le temps s'y déploie tel un espace où peut s'installer le réel. Un lieu où attendre, un lieu où rêver; un champ de bataille dans lequel on erre, une jungle dans laquelle on s'exile, une plage où l'on se laisse bercer par le son des vagues. Grande fresque sur la Révolution philippine, A Lullaby to the Sorrowful Mystery est déchiré entre cette idée que l'art exprime la liberté et celle qu'il ne peut pas sauver un pays ; mais il affirme surtout que la liberté ne peut être obtenue qu'au prix d'un combat ardu, celui du dialogue avec le temps. Les choses durables s'enracinent. Les mots d'un poèmes ne prennent tout leur sens qu'au gré de la répétition ; et c'est le bouche-à-oreille qui transforme la rumeur en mythe. L'expérience de la révolution est un sacrifice de longue haleine ; ce n'est pas cet instant, fixé dans le temps, dont on caresse le rêve avant d'en cultiver le souvenir. En ce sens, le film de Diaz se devait de durer huit heures pour être fidèle à ses propres principes – pour que la mort, qui attend au bout du chemin, devienne ce repos tant espéré. Il fallait, pour devenir libre, apprendre la patience. (Alexandre Fontaine Rousseau)




BITTER MONEY

Wang Bing  |  Hong Kong/France  |  2016  |  150 minutes  |  Les incontournables

Praticien contemporain du candid eye, Wang Bing n’efface pas ici les traces de sa présence à la barre, effectuant de nombreux recadrages, s’adressant à ses sujets, et les laissant s’adresser à lui, créant une forme de documentaire libre et personnelle qui, sous un voile de neutralité absolue, repose sur une structure précise, évocatrice de la nature cyclique du travail en usine dans la Chine contemporaine. À mi-chemin entre l’anthropologie et l’ethnographie, il s’attarde ici au processus industriel de confection vestimentaire, observant le phénomène d’amont en aval. Montrant d’abord patiemment le parcours laborieux de deux jeunes villageoises, parties gagner le pécule titulaire dans la lointaine ville de Huzhou, il s’intéresse ensuite à divers travailleurs du textile échoués dans cette ville labyrinthique, dévoilant toutes les étapes de leur travail, ainsi que leurs conditions de vie spartiates. Usant d’une technique proche du courant de conscience, il passe d’un travailleur à l’autre, exposant leurs réalités individuelles et la nature de leurs relations interpersonnelles à l’aide de longs plans naturalistes, tournés en éclairage naturel et entrecoupés d’ellipses indéterminées. Il parvient ainsi à établir une continuité miraculeuse entre des scènes filmées sur deux ans, lesquelles s’imbriquent de façon presque transparente. En plus d’exposer la nature cyclique du travail des ouvriers (qui s’exilent pour aller travailler, puis reviennent à la maison pour repartir en exil...), il dévoile aussi éloquemment la nature labyrinthique de Huzhou. Filmant alternativement des personnages récurrents, lesquels viennent et repartent au gré des besoins du « récit », il filme sans cesse les mêmes lieux dédaléens sous des angles variés, n’offrant jamais qu’une vision partielle d’un monde éclaté, celui de l’urbanité triomphante, dévoreuse des personnages, de leurs rêves, et d’une individualité qu’ils retrouvent ici devant la lentille héroïque de Wang Bing, maître incontesté du documentaire contemporain. (Olivier Thibodeau)
 



LA CHASSE AU COLLET
Steve Kerr  |  Québec  |  2016  |  90 minutes  |  Focus Québec/Canada

Il y a très peu de choses à dire sur ce film, sinon qu’il est lui-même très verbeux. Ce second long métrage de Steve Kerr ne nous offre qu’une enfilade de scènes dialoguées (comprendre : de scènes où les personnages ne font rien d’autre que dialoguer), lesquelles ont toutes pour but de nous expliquer ce qui se passe, plutôt que de nous le montrer. Éric (Paul Doucet) parle avec Martin (Christian Bégin) : on apprend qu’ils travaillent sur un site de rencontre pour gens mariés. Élyse (Julianne Côté) parle avec Audrey (Juliette Gosselin) : on apprend que celle-là est célibataire et que celle-ci est lesbienne. Éric parle avec sa femme (Anne-Marie Cadieux) : on apprend qu’elle n’est pas d’accord avec ce qu’il fait et qu’il s’entête tout de même à s’enrichir. Élyse parle avec sa date : on apprend qu’elle est vierge et qu’elle a des problèmes avec sa famille. Et le tout nous est servi sans souci de mise en scène. Et les tableaux s’enfilent dans un montage sans inventivité. Un coup c’est Éric, un coup c’est Élyse, un coup c’est Éric, un coup c’est Élyse… Et on se dit qu’ils vont bien finir par se rencontrer, ces deux-là. La raison ? Parce qu’Élyse — nous apprend le générique du début — a été victime d’un traumatisme infantile (le seul moment du film, d’ailleurs, où aucun mot n’est prononcé) : en rentrant de l’école, elle a vu sa mère se faire prendre de force par un policier (ou un mec — son père ? — déguisé en policier ?) qui lui posait un gun sur la tête. Il va de soi que, depuis ce moment, elle est victime d’un blocage sexuel et qu’elle en veut aussi à tous les mâles de la terre. Voilà pourquoi elle s’en prendra à l’homme derrière ce site et le rendra paraplégique à coup de tisonnier sans même se faire choper par les flics (sûrement trop occupés à sodomiser les mamans). On remarquera, en terminant, qu’aucun personnage n’atteint l’orgasme dans ce film qui nous promettait pourtant de croustillantes parties de jambes en l’air. Qu’à cela ne tienne, le spectateur non plus. (Jean-Marc Limoges)
 



ENTREVUE AVEC XAVIER SERON (Je me tue à le dire)

Lors d’une entrevue accordée à Panorama-Cinéma, le réalisateur belge, Xavier Seron, accompagné de sa monteuse, Julie Naas, discute de son tout premier long-métrage : Je me tue à le dire. Il nous parle de l’amont du tournage, de sa conception du cinéma et de sa vision de la vie en général. (Jean-Marc Limoges)
 
>> Cliquez ici pour lire l’entrevue
 



LAMPEDUSA
Peter Schreiner  |  Autriche  |  2015  |  130 minutes  |  Les nouveaux alchimistes

Fort d’une direction photo somptueuse et d’un montage sonore à l’avenant, Lampedusa a néanmoins les allures d’une parodie, sorte de film d’auteur lambda dont le récit éthéré et anecdotique s’étire ad infinitum. Sur l’île titulaire vit une vieille dame frêle dont les bras ravinés s’étirent sous l’eau à la manière de lamproies. Ayant pour seuls compagnons de vie sa douce bonne et son ami Pasqualino, ex-batelier visiblement allergique aux chandails, elle passe ses journées à errer et à tergiverser, ressassant des souvenirs fragmentaires et des thèses philosophiques saugrenues. Puis débarque sur l’île un jeune Somalien avec qui elle se lie d’amitié, l’amenant avec elle en promenade, et discutant avec lui de choses et d’autres. Quoique parfaitement compétents, les trois principaux acteurs du film font ici figure de singes mécaniques, débitant machinalement d’accablantes généralités avec une prestance mystique dont nous ne saurions être dupes. Ils parlent, parlent et parlent sans jamais rien dire, s’abîmant violemment sur les rochers de la complaisance scénaristique, et ne parvenant pas plus à transmettre l’humanité de leurs personnages qu’un quelconque talent discursif. La beauté plastique des images, ainsi que la relative apathie de la protagoniste justifient quant à elles une langueur obligée, imposant au spectateur une étrange forme de contemplation forcée. Or, si le film n’était que contemplation, nous pourrions sans doute nous y perdre, déambulant nonchalamment parmi les majestueux paysages côtiers de l’île. Malheureusement, il est surtout verbe, et c’est ainsi qu’il s’écroule, transperçant de mille mots creux la sérénité d’un lieu intemporel que Schreiner s’éreinte pourtant à mettre en scène comme tel, sabotant par un désir malavisé de profondeur verbale un film qui aurait dû parler en images. (Olivier Thibodeau)
 



SAND STORM
Elite Zexer  I  Israël  |  2016  |  87 minutes  |  Panorama international

Serpentant fenêtres ouvertes sur les chemins sinueux de la plaine désertique israélienne, un père et sa fille, transbahutent le lit nuptial de la future mariée attendue par les habitants d’un hameau bédouin qui s’affairent aux préparatifs. Profitant de cette occasion d’intimité et de complicité apparente avec Suliman, Layla lui annonce ses résultats scolaires bien moyens, quêtant un regard compréhensif et rédempteur donnant la note de départ d’une saga familiale aux relations hermétiques et conflictuelles. Si les images initiatrices du premier long métrage de Elite Zexer s’attardent à déployer l’horizon et à profiler le passage d’un train — symbolisant la liberté —, les événements subséquents resteront cloîtrés au périmètre du village régenté par les traditions, comme si rien ni plus personne ne pouvait en sortir nonobstant sa répudiation. Sous des apparences festives trompeuses, la tension s’accumule autour du second mariage de Suliman sous les yeux noirs d’animosité et de rancœur de sa première femme Jalila qui découvre en répondant à un appel destiné à Layla que celle-ci aime un homme de son université et projette de renverser la coutume préétablie d’un mariage arrangé avec un homme du village. Layla, qui ne manque pas de sang-froid, tente désespérément de convaincre sa mère, puis son père qui refuse tout dialogue. Si le sujet traité du poids des traditions et du patriarcat étouffant toute liberté d’agir n’est en soi pas très original, la dureté des regards, le malaise environnant, l’incompréhension intergénérationnelle, la désillusion latente et les injustices imposées à cette famille qui cherche désespérément une once de bonheur, sont traités avec une pertinence incroyable, un jeu d’acteurs des plus étourdissants de sincérité et avec une acuité du malheur qui pourrait facilement se transposer à bien d’autres cercles familiaux qui, malgré des contextes différents, n’ont ni les moyens ni les outils d’agir selon leur gré. Un tour de force porté par des personnages extraordinaires qui fait de Elite Zexer une réalisatrice à suivre. (Claire-Amélie Martinant)




WE MAKE COUPLES
Mike Hoolboom  |  Canada  |  2016  |  58 minutes  |  Les nouveaux alchimistes
 
Dieu merci pour la vie de Mike Hoolboom, illustre cinéaste thaumaturge dont le souffle fougueux est capable des plus fascinantes créations ! Livrant aujourd’hui son 37e film (environ), il dévoile un arsenal renouvelé de matériaux bruts, pigeant à la fois dans les archives hollywoodiennes et dans le corpus publicitaire contemporain afin d’étoffer son tout dernier collage, mélangeant des techniques traditionnelles, telles que les fondus enchaînés, les accélérés et la rotoscopie, avec de nouvelles techniques, incluant le mapping vidéo et la modélisation tridimensionnelle. Il crée ainsi une œuvre à l’allure quasi intemporelle, treillis d’images en noir et blanc montrant couples en promenade, projecteurs illuminés, et employés des usines Lumière. Des protubérances saillent pourtant ça et là : images de synthèse, publicités pour Apple, spectacle de Yasiin Bey (Mos Def) subissant le gavage, résultant en un artéfact rétrofuturiste digne des plus prestigieux musées d’art et d’histoire. Outre l’aspect éminemment ludique de l’œuvre qui, sur fond de musique orchestrale, nous dévoile un flot constant de collages impressionnistes faits d’images empruntées, Hoolboom y dégage deux thèmes centraux, que s’efforcent d’exposer les sensuelles voix off de deux commentatrices. Cherchant d’abord à souligner le potentiel révolutionnaire du couple (insistant lors du générique sur la particule « coup » que contient le mot), il exploite aussi le thème de la projection, créant à la fois un foisonnant discours sur l’histoire du cinéma et sur la psychologie des relations interpersonnelles, complémentant ainsi ses inventions visuelles dans une perspective discursive vaste, mais toujours accessible. Comme nous le rappelle l’une de ses deux charmantes commentatrices, le cinéma et la psychologie sont nés à la même époque, et c’est précisément au confluent de ces deux disciplines que réside We Make Couples. Et bien qu’il ne s’agisse pas du film le plus cohérent de l’auteur, s’apparentant parfois à un fourre-tout, il s’agit néanmoins d’une œuvre miraculeuse dont l’existence, comme celle de Hoolboom, relève du don divin. (Olivier Thibodeau)


PRÉSENTATION
OUVERTURE : TWO LOVERS AND A BEAR
JOUR 1
(Alipato, Death in Sarajevo, Diamond Island, Je me tue à le dire,
Safari, Sixty Six, The Death of J. P. Cuenca, Welcome to Iceland)

JOUR 2
(Déserts, Late Shift, Lost and Beautiful,
Maquinaria Panamerica, The Last Family)

JOUR 3
(Daguerrotype, Director's Cut, Sur les nouveaux alchimistes,
Happy Times Will Come, Life After Life, Pacifico)
JOUR 4
(A Quiet Passion, Apnée, Aquarius, Autre part,
Fallow, Sadako vs. Kayako, Sunrise, Werewolf)

JOUR 5
(A Lullaby to the Sorrowful Mystery, Bitter Money,
La Chasse au collet, Lampedusa, Sand Storm, We Make Couple)
ENTREVUE
Xavier Seron et Julie Naas (Je me tue à le dire)

JOUR 6
(A Decent Woman, Belgica, Lily Lane,
Mes nuits feront écho, Notes on Blindness, The Untamed)

JOUR 7
(Les arts de la parole, Dogs, L'effet aquatique,
I Had Nowhere to Go, The Ornithologist, Spark)

JOUR 8 
(The End, Évolution, The Giant, Yamato (California), X Quinientos)

JOUR 9
(Maudite poutine, One Week and a Day, Prank,
La tortue rouge, Weirdos)

ENTREVUE
Felix Van Groeningen (Belgica)

JOUR 10 + PALMARÈS DE LA RÉDACTION
(Invisible, Mademoiselle, Stealing Alice,
Le vertige des autres, Yourself and Yours)

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Article publié le 11 octobre 2016.
 

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