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Maigret (2022)
Patrice Leconte

Une certaine tendance se maintient

Par Simon Laperrière

Autrefois sévèrement décriée par François Truffaut, l’adaptation dite « à numéro » comporte toujours son lot d’adeptes. Ce procédé mécanique consiste à transposer sur grand écran des classiques littéraires sans prendre le moindre risque. Une prudence qui, en espérant ne froisser personne, résulte immanquablement avec des films ternes. Idéales pour accompagner un vol d’avion, ces œuvres jetables ont également l’ambition d’initier la jeunesse aux livres qui prennent la poussière dans leur bibliothèque municipale. Elles sont elles-mêmes poussiéreuses, volontairement anachroniques par leur recours à une esthétique dépassée. Le classicisme a le dos large, surtout quand il sert à masquer la paresse.

Chaque année, la France s’entête à maintenir cette tradition gâteuse. Un lot de films grand public prennent l’affiche dans les salles de quartier, certains réussissant même à se hisser au box-office. L’ennui ayant une portée universelle, ces succès populaires sont parfois distribués au Québec. Illusions perdues (2021) de Xavier Giannoli a récemment eu droit à ses honneurs, suivi de près par Maigret (2022) de Patrice Leconte. Trente-huit ans après le décès de George Simenon, ses romans continuent d’inspirer autant de bons cinéastes (Jacques Fieschi, Mathieu Amalric) que d’honnêtes tâcherons (Denis Malleval, un incontestable maître du téléfilm). Inutile de préciser dans quelle catégorie se trouve le dernier Leconte.

Son Maigret est un pitch, un éclair de génie suffisamment convaincant pour séduire les investisseurs. Offrir le rôle du Commissaire Maigret à Gérard Depardieu est effectivement une bonne idée. Contrairement à Rowan Atkinson — qui a déjà interprété le détective pour la télévision britannique — l’acteur possède la carrure du personnage. Cet attribut physique le distingue d’ailleurs de Sherlock Holmes. L’inspecteur de Simenon est un solide gaillard, qui n’hésite pas à employer sa corpulence pour intimider les suspects. Le grand Gégé était tout désigné pour l’interpréter. Ce n’est donc pas un hasard si sa silhouette est mise en évidence sur l’affiche promouvant le long métrage. Pour soutenir cette performance, Leconte et son scénariste Jérôme Tonnerre ont décidé de reprendre la prémisse de Maigret et la jeune morte, paru en 1954. Intrigue tournant autour de l’assassinat d’une femme au passé flou, ce récit a la particularité de lever le voile sur le passé de Maigret et son épouse. Avec le somptueux Un Noël de Maigret (1951), il accorde au couple un rare moment d’introspection.
 


 

Mais au-delà de la pub, au-delà de la promesse d’une distribution prestigieuse, encore faut-il offrir plus qu’un infomercial. Une fois la clientèle hameçonnée, l’adaptation à numéro prend le relais des petites annonces. Maigret dorlote spectatrices et spectateurs à coup de références et de clins d’œil. Il prend alors la forme d’une grille que les adeptes de Simenon peuvent cocher à leur guise. Jules Maigret arpente-t-il les rues sombres de Paris ? Oui. Pousse-t-il sa célèbre réplique « Je ne pense rien. »? Évidemment. Mentionne-t-il quelques-unes de ses enquêtes passées ? Certainement. Préfère-t-il le taxi à sa propre voiture ? Heureusement que oui, parce qu’il ne conduit pas dans les romans. Ces renvois obligés ne cherchent qu’à apaiser la méfiance. Leconte et Tonnerre pavanent leur expertise pour démontrer qu’ils ont bel et bien lu l’entièreté des volumes de la série. Un pavanage qui ultimement tombe à plat puisqu’il n’implique aucun recul ou prise de position.

Le projet de Leconte fait sourire si on l’appréhende tel un épisode de Jeopoardy!. Or, un long métrage n’est pas un jeu télévisé. Il ne suffit pas de balancer des informations triviales pour percer l’essence d’une œuvre aussi complexe que celle de George Simenon. Assurément intimidé par cette dernière, le réalisateur n’en retient qu’une poignée de détails qui témoignent d’une fidélité aveugle envers un monstre sacré. Son Maigret suit attentivement une formule reconnaissable, mais souffre d’un manque d’autonomie. Pareille retenue en vient à transparaître dans une mise en scène fade qui évoque les pires feuilletons.

En fin de compte, on saisit mal pourquoi l’auteur de Ridicule (1996) et des Bronzés 3 : Amis pour la vie (2006) a décidé de revenir à Simenon quelques décennies après avoir adapté Les fiançailles de Monsieur Hire (1933 pour le livre, 1989 pour le film). Une scène montrant le commissaire sur un plateau de tournage laisse présager une part de méta-réflexivité, mais il s’agit en réalité d’une fausse piste. Leconte n’a que très peu à dire sur le cinéma, et ce, même lorsqu’il tente pathétiquement de rendre hommage à Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock. Une enquête sans suspense est pareille à un plat sans saveur. Elle lasse le pauvre commissaire qui, fixant son demi à la Brasserie Dauphine, ne demande qu’à mieux pour occuper son temps.

Ce Maigret est voué à connaître le même destin que la vaste majorité des adaptations à numéro. Après être poliment sorti sur Blu-ray, il sera placé sur l’étagère d’une bibliothèque en compagnie de ses semblables. De temps à autre, un individu se souviendra de son existence, de ce vague film avec Gérard Depardieu en détective. Le disque restera tout de même à sa place, notre cinéphile préférant le papier à l’image. Et dehors, la machine continuera impitoyablement à produire son lot inutile d’adaptations à numéro. L’une après l’autre. 

 

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Critique publiée le 8 août 2022.