WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Phillip Seymour Hoffman (1967-2014)

Par Mathieu Li-Goyette
 
Tout en douceur
 
La mort de Philip Seymour Hoffman n’a rien de doux. Retrouvé avec une seringue dans le bras, son triste sort est d’autant plus choquant qu’il ne correspond en rien à l’image que nous pouvions avoir de lui : celle d’un artiste émérite, posé, calme, un des meilleurs comédiens de sa génération. Reconnu pour son travail au théâtre comme au cinéma, nous n’oublierons pas ses premières apparitions dispersées dans les années 90 où il joue le weirdo de service, l’obsédé, le coincé, le complexé, le faible sous toutes ses coutures en lui insufflant une certaine noblesse d’âme qui n’est pas donnée à tous ceux qui interprétèrent les crétins.
 
Le jeu de Philip Seymour Hoffman avait tout d’un sempiternel flirt avec la folie, l’amenant au bord de la surenchère dans bien des films (où il fait l’intellectuel tourmenté dans Synecdoche, New York, par exemple) ou encore dans la subtilité de son interprétation de Truman Capote. En donnant vie à l’écrivain, Hoffman confirma son immense talent, y allant d’un jeu fin, fragile comme peu d’hommes peuvent le faire sans se replier dans le pathétique ; il n’était pas du genre à jouer les personnages plus grands que nature, il n’aurait jamais incarné de héros intraitables, car c’est dans la douceur de son jeu qu’il s’est démarqué. La douceur inquiétante de Doubt, la douceur enivrante de Master, la douceur gênée de Mary and Max, la douceur poétique de Capote, des douceurs qu’il transformait peu à peu en soubresauts, en réverbérations colériques, édifiant une galerie de personnages de film en film, de style en style en constituant l’une des plus belles auras du cinéma contemporain.
 
Philip Seymour Hoffman, c’était aussi le plaisir de la réinvention. Il abordait chaque rôle comme une incarnation foncièrement différente de la précédente, comme un individu complexe doté de ses propres paranoïas. Préférant plutôt la recherche d’une bizarrerie maîtrisée qui vendait bien son jeu atypique, le style Hoffman est celui de l’homme paradoxal, à la fois intra et extraverti, de l’homme qui, de sa voix grave et tremblotante, s’immisce dans l’oreille et l’esprit.
 
L’interprète du Master nous laisse donc une liste impressionnante de rôles mémorables, tous individuellement louables, tous profondément travaillés (même pour ces seconds rôles surprenants qu’il a su interpréter à l’image des meilleurs « character actors » hollywoodiens) et surtout tous entrepris sous le signe de l’intégrité artistique. Hoffman calculait ses apparitions, cherchait le renouvellement constant de sa propre forme et de sa propre image plutôt que l’entretien d’une réputation qu’il n’a acquise que par le talent, jamais par l’allure. 
 
C’est ce qui le reconduit en 2012 chez P. T. Anderson, pour un dernier grand tour de piste où la caméra scrute son visage opposé à celui de Joaquin Phoenix. Le regard fragile, perdu dans une réflexion sur l’origine de l’âme, il va et vient en de longs mouvements, faisant le grand écart entre le geste simple et la signification profonde, comme un monstre qui ne veut pas révéler son talon d’Achille, qui se cache dans la douleur et meurt à la fin d’une longue conversation, murmurant qu’il rêvait de nous emmener loin, lentement, très lentement, « on a slow little boat to China ».

Synecdoche, New York (Charlie Kaufman, 2008)
The Ides of March (George Clooney, 2011)
Moneyball (Bennett Miller, 2011)
The Master (Paul Thomas Anderson, 2012)
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Article publié le 4 février 2014.
 

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