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Manifestation sonore

Par Miryam Charles


:: Schelby Jean-Baptiste (Tessa) dans Cette maison (Miryam Charles, 2022) [L'Embuscade Films]

Le temps d’un film, une jeune fille décédée revient à la vie. Dans un jardin créé par son imagination, elle s'imprègne de la nature environnante. Le regard confiant, malgré les circonstances tragiques de sa mort, elle tend un bouquet de fleurs.

Un bouquet de fleurs qu’elle tend à sa mère qui est partiellement hors cadre. En fait, on ne voit que son bras.

Au loin, on peut entendre le bruit d’une ville qui s’éveille. Au bord de la mer. Jacmel, une ville d’Haïti.

De cette image filmée dans un studio de Hochelaga Maisonneuve, on peut entendre mes origines.

Au loin, on peut entendre que tout est possible.

Pour Haïti.

Et pour nous.

Écoute.

N’est-ce pas une immense victoire ? Celle d’avoir la possibilité de créer. Dans ce monde. Celle du souffle de vie.

Dans ce monde.

Des semblables, des étrangers, des ponts et des routes. Une destination.

Rentrer à la maison. Rentrer à la maison. Rentrer à la maison.

À la maison.

Une de mes obsessions ou plutôt l’unique.

Dans mes films, mes écrits ou même mes expérimentations auditives, j’arrive constamment à retrouver mon chemin.

Je rentre à la maison. Je me couche et je m’endors. À la maison.

J’affectionne le sommeil. Je dors très peu. J’aime filmer les gens qui dorment. Lorsqu’on dort, tout est possible. Lorsque l’on sort de son sommeil, toujours habité par le souffle de vie. Tout est encore possible.

Créer dans ce monde. Pour moi, femme noire, fille du Québec, enfant des Caraïbes, cousine lointaine de l’Afrique. Je connais mon histoire. Et pourtant, tout est à bâtir.

Du processus de création. J’écris la même histoire pour raconter ma peur. Ma peur d’être étrangère. Ma peur de porter une histoire dont je serais la seule à me souvenir.

Je compose des manifestes.  À tout moment, je déclare mon amour, mon désespoir, ma rage, ma joie, mon désir de vivre malgré tout. Tout doucement et avec bienveillance, un cri.

J’ai du mal à respirer. Souvent.

Je retiens mon souffle. Je me convaincs que j’avance. Que la société avance avec moi. Que j’arrive à toucher quelques personnes à travers mon art.

Je suis convaincue que la vie est plus douce. Ma pensée est plus claire. Que la couleur de ma peau ne détermine pas mon sort. Que la couleur de ma peau ne détermine pas ma création. Avec la certitude que je suis bien ici.

On est si bien ici dans le pays d’accueil.

Libre.

Sans maître. Je peux exercer mon droit de vote, me promener dans la rue sans risquer ma vie. Demain, je ne serai pas vendue sur la place publique, séparée à jamais de ma famille.

Aujourd’hui, je peux raconter des histoires nouvelles, des vies nouvelles, des espoirs renouvelés. Tout est à construire ici. Sur ces nouvelles fondations inclusives.


:: Florence Blain Mbaye (Valeska) dans Cette maison [L'Embuscade Films]

À Laval, dans le quartier de Saint-François où j’ai grandi.

Des femmes préparent le repas de la victoire. Dans la pièce juste à côté, le téléviseur est allumé.

Un soir de référendum.

En 1995.

Nous rentrons à la maison.

Du processus de création.

Il n’est composé que d’écoute.

Je veux entendre un monde nouveau, meilleur.

Je veux entendre ces changements, ces variations. D’ici là, j’essaie humblement de le créer à toute petite échelle. J’écris des mots, par moment des scénarios. Je compose des univers où la liberté à un sens.

J’écoute. Je conserve mon amour, ma joie, mon désespoir, ma rage. Comme je peux.

C’est tout ce que je sais faire.

J’écoute et je fais du cinéma.

 

 

*

 

 

Miryam Charles est une réalisatrice, productrice et directrice de la photographie d’origine haïtienne vivant à Montréal. Elle a produit plusieurs courts et longs métrages de fiction. Ses films ont été présentés dans divers festivals au Québec et à l’international. Son premier long métrage Cette maison a été présenté à la Berlinale, à l’AFI film festival en plus de faire partie du TIFF Top 10 en 2022. Elle a également lancé le court métrage Au crépuscule au festival de Locarno. En tant que productrice, elle travaille présentement à la post-production de la série Après le déluge.

 

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Article publié le 31 mai 2023.
 

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