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Jeux vidéo : Never Alone

Par Louis Filiatrault



Jeu vidéo et documentaire ne sont pas exactement reconnus pour aller de pair. Associé au loisir et aux fantasmes dépourvus d’analogues terrestres, le médium ludique voit pourtant le bassin d’œuvres préoccupées par le plancher des vaches s’élargir de semaine en semaine. Le grand succès Gone Home épure l’interactivité pour se consacrer au réalisme à l’échelle d’une famille, This War of Mine la sature pour évoquer la survie civile durant les conflits en Bosnie, tandis qu’une production comme Valiant Hearts : The Great War d’Ubisoft Montpellier montre bien comment l’intérêt pour le vécu historique infiltre peu à peu les grandes maisons. La récente parution téléchargeable Never Alone, de son côté, poursuit la vague d’intérêt pour le réel avec l’audacieux projet d’immortaliser le folklore d’une nation autochtone du nord de l’Alaska.
 
Never Alone est avant toute chose un objet à deux têtes : d’un côté jeu de plates-formes dans la lignée de Limbo — suite d’obstacles physiques et d’énigmes légères, héroïne fragile face aux éléments — de l’autre un court film documentaire au style modeste mais soigné. Au fil d’un parcours en vue latérale avoisinant les trois heures, des capsules vidéo sont débloquées afin d’expliciter davantage certains éléments observés en chemin. On nous initie donc bribe par bribe à la nation des Iñupiat, à leurs concepts de l’âme de toutes choses (le « sila ») et de l’égalité des êtres. Par un dosage fluide d’entretiens, d’archives et d’images de terrain, le documentaire dépeint un peuple conscient de la précarité de sa culture et de son environnement, mais déterminé à maintenir sa subsistance. Les sonorités de l’iñupiat parlé, quant à elles, sont préservées dans la narration accompagnant le jeu à proprement parler.
 
Sans nul doute, la portion ludique de Never Alone ne véhicule pas la même densité d’information brute que les segments filmés. Aussi admirable que soit la réalisation des espaces et des atmosphères, peu de grandes leçons s’avèrent transmises en négociant des parois glacées ou en échappant de justesse à un ours polaire. Mais si le mariage entre jeu et film avait pu s’effectuer de façon moins plaquée, le génie de l’œuvre est d’employer le jeu pour donner corps à la légende orale. Le conte traditionnel est après tout un lieu d’émotion partagée beaucoup plus que d’apprentissage didactique, et c’est ce qu’évoque sans peine l’aventure adaptée d’un conte de Robert Cleveland. L’histoire de la fillette et de son renard en est une de persévérance et d’engagement envers la survie de la communauté, tandis que l’option de traverser l’entièreté de la trame à deux joueurs — excusant bien des redondances et fautes techniques — donne davantage de poids au thème de la communion spirituelle annoncé par le titre.
 
Par-delà ses accomplissements individuels, Never Alone entre surtout en résonance avec d’autres titres de la période en cours. Poursuivant une série de « jeux empathiques » amorcée en 2012 avec l’indispensable Papo & Yo, le récent Spirits of Spring de la compagnie montréalaise Minority Media s’ancre également dans les référents autochtones afin d’illustrer le cercle vicieux de l’intimidation. Rendus concrets grâce à l’ONF, les efforts hybrides Le cancer du temps et Fort McMoney croisent design ludique léger et légitimes questionnements éthiques, tandis que l’agréable Type:Rider reprend à son tour le format du jeu de plates-formes pour remonter l’historique de la typographie. Autant dire que malgré la remarquable singularité de son sujet, Never Alone ne constitue pas tant une anomalie qu’un représentant particulièrement réjouissant de la diversification en cours dans le paysage du jeu. Il contribue au bout du compte à deux nobles objectifs : à révéler au monde la culture ancestrale iñupiat, mais également à bâtir l’avenir du jeu vidéo comme discipline et moyen de communication.

Never Alone est disponible en téléchargement sur ordinateurs Windows et sur consoles Xbox One, PlayStation 4 et Wii U.

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Article publié le 29 juin 2015.
 

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