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Jeux vidéo #2 : Dead Space 1 & 2

Par Mathieu Li-Goyette
Développeur  | EA Redwood Shores / Visceral Games
Distributeur  |  EA Games
Plateforme  |  Playstation 3, Xbox 360

ÉPURE DES ARTIFICES
 

Au cours des trois dernières années, la saga Dead Space a pris la place que possédaient Resident Evil et Silent Hill, devenus tour à tour défigurés, trop commerciaux ou délaissés par leurs propres développeurs. Alors que personne ne s'attendait à un succès en matière de « survival horror » de la part des géants financiers de chez EA Games (le genre connaît ses plus grands moments entre les mains de studios refusant tout compromis), leur filiale Redwood Shores - renommée récemment Visceral Games - a piégé plus d'un joueur dans le détour. Offrant un jeu à la troisième personne impeccable et une suite qui allait le surpasser, les designers sont parvenus à exploiter à la fois l'univers de la science-fiction et du cinéma d'horreur comme peu de gens y étaient parvenus avant eux (exception faite d'Amnesia, chef-d’oeuvre du genre). Voilà un jeu presque parfait dans son exécution comme dans sa jouabilité. Un monstre qui vous laissera pantois, qui s'immiscera dans votre sommeil pour vous faire cauchemarder et en demander plus, toujours plus.

DEAD SPACE en une image : une chute libre

Dead Space base d'abord son efficacité sur une épure complète des artifices qui handicapaient auparavant l'immersion du joueur dans l'univers vidéoludique. La narration, complètement fluide, ne nécessite aucune coupe, aucune perte de contrôle de la caméra comme du personnage qui découvrira l'horreur au détour de chaque couloir. Différemment du cinéma, qui dirige notre regard par des effets de montage, les développeurs sont parvenus (contrairement au récent volet d'Aliens vs. Predators, semblable dans son esthétique, mais qui prend le contrôle du personnage à chaque moment-clé pour nous pointer du doigt l'effroi), Dead Space se base sur les réflexes habituels du joueur en essayant de simplement mettre sur son passage les instants terrifiants.

L'intelligence du jeu repose alors dans le respect de cette mentalité jusqu'au seuil des codes du médium : si le joueur est libre, c'est parce que nous avons réduit l'interface (même l'indicateur de santé est intégré à la combinaison spatiale plutôt que déposé sur l'écran). Pour profiter de sa liberté, le joueur devra donc se conformer à un réalisme total. L'accès à l'inventaire ne met pas le jeu en pause, la lecture d'un message ou la sauvegarde n'arrête pas non plus le déroulement de l'action. Le compteur de munitions est intégré aux armes, les jauges d'oxygène apparaissent sur la combinaison du personnage tout comme les messages vidéo se présentent sous la forme d'hologrammes (permettant donc à un monstre de se pointer dans la transparence de l'image et de vous faire sursauter). En d'autres mots, tout ce qui modifie l'univers de Dead Space (changement d'armes, accès à des banques de données, etc.) fait partie de la diégèse du jeu, et donc de sa continuité temporelle increvable. En la matière, le second épisode bat des records en ne présentant aucun écran de chargement d'un bout à l'autre du récit. Aucun. Dead Space est un véritable « survival horror » et redonne au genre l'idée primordiale de la survie. Vous devez toujours survivre, toujours être aux aguets, car la mort, rarement présente autant qu'ici, n'attend que vous.

La mort se terre partout

Esthétique de la mort et du suicide

Elle ne fait que vous attendre, car Dead Space est un jeu où vous êtes seul. Des alliés vous guident dans le premier comme dans le deuxième opus. Ils vous font parcourir d'abord un vaisseau abandonné, ensuite une station lunaire sans que vous ne puissiez jamais véritablement toucher ces gens; ils vous fournissent des objectifs, mais ne sont certainement pas là pour vous réconforter. En fait, votre personnage, cet Isaac bien tourmenté, ne croisera que la folie et la mort sur son passage. Il faut dire que si l'univers de Visceral Games emprunte la majorité de son cachet à la série des Alien (particulièrement aux premier et troisième volets de Scott et Fincher), il remplace le xénomorphe de la série par des nécromorphes, des créatures provenant de la mort, s'introduisant dans les cadavres pour en faire des morts-vivants aux protubérances monstrueuses. Terrés partout (derrière une porte, dans les conduits d'aération, dans une soute à bagages), ils attendent de faire d'Isaac un des leurs et les seuls survivants que vous croisez, conscients de l'impossibilité d'une victoire, n'ont comme solution que le suicide. Voyez-vous, l'horreur de Dead Space, c'est la mort elle-même. Elle est la thématique et l'issue du jeu. Elle est matérialisée à la fois dans vos ennemis, mais aussi chez ces suicidés, les plus nombreux de l'histoire du jeu vidéo, qui ajoutent à l'ambiance morbide des airs de vaisseau corbillard. Mais vous, vous ne pourrez pas échapper si facilement aux dangers qui vous guettent. La série est ce que le film Event Horizon aurait du être ou ce que Pandorum tentait de véhiculer comme ambiance, et elle promet de vous surprendre comme de vous dégoutter, deux distractions qui feront dévier à coup sûr votre prochain coup de feu. Constamment entre la vie et la mort, vous devrez d'abord lutter contre votre peur pour viser juste et gagner. Comment y parvenir?

En ne craignant plus rien, en vous équipant et en sachant utiliser votre environnement pour tendre des pièges plus efficaces que ceux dans lesquels vous allez tomber. Les murs se pavent d'une substance visqueuse, votre personnage y marche lentement sans compter toutes ces séquences passées dans l'espace où votre réserve d'oxygène (et la mise en sourdine complète du son) réitère votre besoin pressant de trouver une bonbonne d'oxygène. À ces segments s'ajoutent ceux passés en gravité zéro où vous perdez toute perspective et où l'espace n'a ni plancher ni plafond. Vous serez confus, perdu et il vous faudra toujours viser juste et tirer. Isaac est un personnage agile, un ingénieur qui devra faire tout ce qui est en son pouvoir pour survivre et ça, ça implique de s'infiltrer dans les moindres recoins des installations qu'il explorera de fond en comble. Le jeu vous fait comprendre qu'il en est capable. La question est alors de savoir si vous, vous êtes capable de l'y diriger. En la matière, Dead Space utilise les mécaniques perfectionnées dans la série Bioshock où un environnement spectaculaire et restreint devra être exploré et exploité sous la tutelle d'une voix qui vous guide. Bioshock ne vous faisait jamais quitter la cité sous-marine et Dead Space ne vous lancera dans l'espace que pour mieux vous y tuer : s'échapper n'est pas une option. Il vous faut avancer, toujours plus loin, toujours contre des ennemis encore plus effrayants.

Plus qu'un quart de seconde à vivre...

Ce corps qui est si fragile

À cette obligation de progresser - la beauté du jeu vidéo d'horreur vis-à-vis du cinéma d'horreur, c'est bien que la narration ne progresse que selon le courage du joueur - s'ajoute le choc de chaque rencontre. Pendant que le premier jeu vous mettait aux commandes d'un personnage sans visage et sans voix qui nous dévoilait sa vraie nature seulement dans le dernier plan (l'idée était reprise du premier volet de la série Metroid où Samus Aran s'avérait être, sous son costume, une jeune femme blonde), le deuxième propose une introspection dans le subconscient d'Isaac, allant jusqu'à intégrer des flashbacks et des visions lors du déroulement du jeu. Encore une fois, jamais de pause, même pas pour développer une histoire qui, en plus d'être macabre à souhait, est drôlement bien ficelée. Ce personnage que vous incarnez dans un caisson de métal fait résonner les murs des astronefs qu'il visite. L'environnement sonore du jeu, l'un des plus travaillés qui soit, fait vibrer comme un énorme caisson de basse chacun de vos pas, chacune des dépressurisations et chaque gouttelette de sang qui s'échapperait d'une artère récemment découpée. Chaque détail est perceptible et est précisément là pour vous faire douter de tout, même des petits objets qui tombent au loin.

À cet effet, l'engin physique de Dead Space est exemplaire. Il vous permet de manier l'environnement grâce à des pouvoirs psychiques (permettant au passage d'empaler vos ennemis) et vous oblige, puisque tout est relié à la mort, de faire éclater le corps mutilé de vos victimes pour en retirer de l'argent, des munitions, etc. (la créature ayant pris le dessus sur eux, il vous faut en effet les découper). Voilà la particularité qui vous rendra fou : pour abattre vos ennemis, il faut les démembrer. Pour chercher de nouveaux équipements, il vous faut taillader les corps, même ceux des humains morts avant d'être métamorphosés. Comme eux, votre enveloppe corporelle est aussi extrêmement sensible aux nécromorphes. Quelques coups et s'en est finit. Vous voyez votre personnage déchiqueté, décapité ou complètement désintégré. Visions d'horreur répétées, elles martèlent l'esprit du joueur et l'enfoncent dans une expérience immersive où, comme lorsque nous faisions état de l'interface, les règles de votre environnement s'appliquent aussi bien à vous. Le même moteur physique permet à votre personnage de mourir éclaté tout comme vous, à votre tour, vous éclatiez une cage thoracique dans les toilettes du coin à la recherche d'un précieux chargeur pour votre pistolet. Et malgré cette peur et ce stress du rationnement que vous vous ferez subir (« ne pas dépenser de balles inutilement dans la prochaine pièce! », vous murmurerez-vous bien assez tôt), il vous faut toujours avancer en vous disant que ce n'est qu'un jeu et que là, personne ne vous entendra crier. Si vous arrêtez, par peur du prochain couloir brumeux, par crainte de traverser la prochaine passerelle chambranlante, c'est Dead Space, et non vous, qui aura gagné. Bonne chance.

LIENS UTILES

Amnesia (bande-annonce)
Dead Space (bande-annonce)
Dead Space 2 en action (vidéo)
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Article publié le 10 août 2011.
 

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