WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Robin Williams (1951-2014)

Par Alexandre Fontaine Rousseau




Le rire de Robin Williams a toujours été triste, un peu forcé mais plein d'espoir. Même ses rôles les plus farfelus, comme celui qu'il tenait dans Mrs. Doubtfire, étaient empreints d'une certaine mélancolie qu'il cherchait à repousser. Comme si le rire, chez lui, était l'énergie du désespoir se déchaînant tant bien que mal pour ne pas céder à la tristesse du monde. Il semblait habité par une force surhumaine, toujours sur le point de céder mais foncièrement résilient. C'est cette résistance qui conférait à son jeu une qualité si touchante. Même dans Jumanji, il jouait au fond le rôle d'un survivant. Je n'y avais jamais pensé ainsi avant aujourd'hui.

Voilà pourquoi sa mort me frappe tant : toute sa vie, à travers tous ses rôles, Robin Williams semble avoir lutté contre la dépression qui l'a finalement emporté. Sa manière de sourire évoquait à la fois une naïveté fragile et une sagesse blessée. C'est en ce sens qu'il incarnait l'essence même de la comédie, cette tragédie qui refuse son propre sort. Son rôle particulièrement marquant dans Deconstructing Harry de Woody Allen est en quelque sorte le débordement paroxysmique de cette formidable volonté : devenu « flou », l'acteur qu'il incarnait était prêt à réinventer le monde à son image plutôt que d'accepter son sort. Allen avait parfaitement saisi la folie inhérente au personnage.

Robin Williams a eu quelques grands rôles, dans The World According to Garp de George Roy Hill, Good Morning, Vietnam de Barry Levinson, Dead Poets Society de Peter Weir, The Fisher King de Terry Gilliam ou encore Good Will Hunting de Gus Van Sant. Mais il a surtout été un grand acteur populaire aux yeux d'une génération qui a été marquée par ses comédies des années 90, des films grands publics que l'on voyait en famille puis que l'on revoyait cinq ou six fois à l'école dès qu'un quelconque « après-midi cinéma » précédait le temps des vacances. Nous étions alors trop jeunes pour saisir ce qui conférait toute sa profondeur à son cabotinage si sympathique. Mais nous comprenions déjà que ce qui lui arrivait dans Mrs. Doubtfire était bouleversant.

Dans ce film, Williams était en quelque sorte l'adulte vivant tel un enfant la rupture d'un couple. Il y était à la fois le père quitté et l'enfant se sentant abandonné; et quelque chose, dans cette position, rendait son drame plus facile à appréhender. Voilà d'ailleurs pourquoi l'absurdité de son plan semblait à nos yeux d'enfants drôle mais, au fond, compréhensible : Robin Williams était dans le monde des adultes le seul qui avait su garder sa candeur d'enfant. Barry Levinson aussi avait su capitaliser sur cette qualité dans l'étrange Toys – ou l'acteur s'opposait à ce que l'on transforme une usine de jouets en fabrique d'armes.

Même dans les films où les bons sentiments sont excessifs, comme What Dreams May Come ou encore Patch Adams, des films au fond un peu trop taillés sur mesure pour sa personnalité, Robin Williams demeure émouvant. Même si, autour de lui, les violons insistent trop, il y a dans sa vulnérabilité quelque chose de foncièrement authentique. Mais Hollywood l'ayant cerné l'avait emprisonné dans un rôle qui, progressivement, est devenu une sorte de caricature bancale. Voilà pourquoi c'est avec plaisir qu'on la découvert, réinventé, dans des films tels que One Hour Photo de Mark Romanek et Death to Smoochy de Danny DeVito. Devenue subitement menaçante, son instabilité émotionnelle avait retrouvé sa justesse.

Toutefois, c'est du Robin Williams un peu désespéré mais résolument optimiste dont on se souviendra le plus chèrement. Celui qui a su, le temps d'une poignée de films, triompher sur ses démons… On se souviendra aussi de ce stand-up comic un peu plus corrosif qui avertissait son public, lui rappelant que la cocaïne est la meilleure manière qu'a trouvé Dieu de dire à un homme qu'il fait trop d'argent. C'est aussi à ça que l'on pense, quand on pense à Robin Williams : à un monde où l'innocence se perd, où il est possible de faire « trop d'argent » mais où, au bout du compte, il est possible de s'en sortir. Au moins un moment.
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 11 août 2014.
 

Essais


>> retour à l'index