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Petite introduction à la comédie musicale

Par Mathieu Li-Goyette


PREMIERS PAS, PREMIERS CHANTS

Il y a une différence énorme, immense, entre le film musical et la comédie musicale. Le musical arbore une forme profondément symphonique où la bande son, ne donnant aucun répit au public, compose à elle seule musique et dialogues chantés d'un film sans battement entre les morceaux : Tommy et The Wall en sont probablement les exemples les plus maîtrisés.

C'est qu'avant de se lancer tête première dans le genre et de vous accompagner à travers cette longue odyssée, il faudra s'armer de quelques idées question de ne pas retenir de ces oeuvres qu'une suite sans fin de numéros et de palettes de couleurs audacieuses. Car plus que le western, le screwball ou le film noir, la comédie musicale hérite d'une grille de lecture complètement différente, si différente que c'est bien de cette incompréhension profonde que le genre est maintenant tombé aussi bas, aussi loin des grands écrans et des habitudes du spectateur contemporain. La comédie musicale est un genre à réhabiliter. Chapeau bas au Cinéma du Parc de s'en faire aujourd'hui le promoteur.

Cette forme spectaculaire, c'est chez Bubsy Berkeley qu'on la vit pour la première fois atteindre son plein potentiel. Fusion judicieuse entre Broadway et la technique cinématographique qui permettait des points de vue impossibles pour le public (ces fameux plans de caméra glissant entre les jambes des majorettes, ces autres angles de vue aériens voyant se déplier sous notre regard les danseurs dans un iris kaléidoscopique et humain grandiloquent), films basés sur les derrières de la scène, ceux de Berkeley (dont 42nd Street demeure le plus emblématique) allaient paver la voie à un courant comptant sur la synchronisation extrême d'une foule de danseurs à l'avant-scène tandis qu'à l'arrière se jouait le drame d'une jeune première en quête de gloire ou celui d'une relation peu probable entre le danseur étoile et la danseuse anonyme.

42nd STREET de Lloyd Bacon (1933)

Puis, peu à peu, cette méthode préconisée par Warner allait se métamorphoser une fois arrivée à la MGM qui, avec Fred Astaire et Ginger Rogers, allait fonder sur la prouesse non plus du nombre, mais bien de la star elle-même, le clou du spectacle. Plongée dans l'intimiste, des films comme Top Hat, The Gay Divorcee ou Swing Time permirent de mettre de l'avant des histoires de mariages, de divorces et de réconciliation entre un riche dandy et une femme de moeurs faciles. Après avoir été reprise par Gene Kelly avec le plaisir de la multiplication des lieux (le Paradis, Paris, les Caraïbes) et des rôles (peintre, metteur en scène, soldat, pirate, acteur), c'est à West Side Story que l'on doit la réunification entre les deux tendances - le brio de Wise étant d'être parvenu à rendre l'intime dans la synchronie, et la synchronie dans l'intime.

Mais cette synchronisation toujours recherchée par les couples de l'écran allait révéler une forte volonté de symétrie au sein même de l'écriture des personnages. Souhaitant avoir affaire à des protagonistes qui se répondraient l'un à l'autre dans la danse ou le chant, la comédie musicale comprit avec Fred Astaire qu'il fallait scinder la personnalité parfaite en deux opposés qui verraient dans chacun des personnages un extrême qui n'attendrait que sa douce moitié pour se modérer et s'épanouir. S'équilibrant par leurs sexes, leurs caractères, leurs classes, ils sont également importants et, s'ils font progresser l'histoire par leurs divergences, ils la font triompher par leur simultanéité, par leur réunion finale. C'est ce que le théoricien Rick Altman définissait comme une « structure biplex », voulant dire que « la comédie musicale se sert des actions d'un personnage comme repère pour les activités parallèles de l'autre individu. » (La comédie musicale hollywoodienne, 1992, p. 33)

La progression des comédies musicales fonctionne comme la répétition d'un grand spectacle (de la vie) dont on prépare le soir de première, le mariage sur la place publique. On cherche ainsi à allier les opposés classiques travail/loisir, riche/pauvre, des qualités « désirables, mais mutuellement exclusives » (p. 38). C'est bien le sujet de Royal Wedding.

Tout était déjà dans l'introduction de Gigi (Vincente Minnelli, 1957), où Maurice Chevalier venait regarder le spectateur dans le blanc des yeux pour lui expliquer sa façon de penser quant au mariage. Pour lui, l'union, c'était l'ancre qui l'empêcherait d'être un coureur de jupons, mais aussi d'être si flamboyant dans sa personnalité de macho richissime et roi des Folies bergères. Il s'approchait des fillettes des jardins qu'il arpentait pour dire tout le désir qu'il avait de les voir grandir en jolies jeunes femmes (Chevalier était tout de même septuagénaire à l'époque). Et souvent, c'est ce que la comédie musicale accomplira avec ses vedettes vieillissantes, allant jusqu'à lier Astaire à Audrey Hepburn dans Funny Face , Louis Jourdan à Leslie Caron dans Gigi,Hepburn et Rex Harrison dans My Fair Lady, un récit expliquant à quel point leurs psychologies contraires s'assemblent, que la frontière des générations peut craquer sous le poids du mariage et, du coup, faire disparaître l'odeur lointaine de l'inceste.

FUNNY FACE de Stanley Donen (1957)

Plus encore, la comédie musicale se divise si facilement en plusieurs tendances qu'il vaut mieux en faire la revue ici - la chose sera faite. Il y aurait d'abord la comédie-conte de fées (The Wizard of Oz, Ziegfeld Follies), où la chanson rend la féérie plausible parce qu'elle évolue sur un même niveau de fantaisie que la comédie musicale : en chantant, le décor parcouru par Dorothy se dote d'une certaine plausibilité. La comédie-spectacle, elle, fonde sa structure sur le spectacle et sur « l'identification importance d'un public avec l'autre, celui sur la scène et celui qui lui est extérieur » (p. 222). C'est la comédie musicale selon Berkeley, mais aussi The Jazz Singer, Top Hat, Singin' in the Rain, Pal Joey, The Band Wagon, Cabaret et New York, New York. Enfin, il y a la comédie-folklore, qui se déroule aux États-Unis ou dans une contrée rêvée en transformant une banalité ambiante en scène exagérée de la vie quotidienne (Seven Brides for Seven Brothers, An American in Paris, Gigi, South Pacific, The Pirate et Silk Stockings).

Peu après la crise de 1929, la comédie musicale représentera très vite un ré-enchantement total pour le cinéma américain et son idéologie qui y verra l'occasion de réparer ses tords et d'y trouver une nouvelle forme capable de faire chanter le public avec des personnages à l'éthique pour le moins discutable. Voilà la grande comptine de l'américanisation du monde, voire l'ode à sa gloire où même le couple de service (plus vieux ou plus jeune, mais évoluant aux côtés du duo principal du film pour varier, une fois sur quatre, le sujet des numéros) vient constituer un « sentiment de beauté absent du monde réel » (p. 75). Cette beauté, nous l'avons vu, elle n'est pas tant de l'ordre des couleurs ou des plans, des chants ou des pas, mais aussi de cette réunion impossible qui, par son exagération, nous soulève le coeur d'une impression tellement simple qu'elle en est simplette : tout est possible.

Du 29 juin au 26 juillet 2012, le Cinéma du Parc présentera 34 comédies musicales hollywoodiennes de 1927 à 1977 : un demi-siècle d'histoire pour le genre le plus flamboyant et le plus coloré du cinéma américain.
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Article publié le 30 juin 2012.
 

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