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Cinémas nationaux #2 : Ryoo Seung-wan

Par Mathieu Li-Goyette
LA JUNGLE D'ASPHALTE DE RYOO SEUNG-WAN

À première vue, l'idéal des cinémas nationaux ne convient pas au cinéma de genre, encore moins celui d'arts martiaux, de boxe ou du polar. Pourtant, il était opportun de faire suivre un lointain dossier sur le cinéma africain par une introduction au cinéma coréen populaire, particulièrement celui de Ryoo Seung-wan. Invité d'honneur au Festival Fantasia (classe de maître, table ronde, première de son dernier film, les honneurs se succèdent pour celui qui a vu son The City of Violence y remporter son lot de succès en 2007), l'auteur est l’un des chefs de file du septième art sud-coréen. Maître d'un cinéma d'action rythmé et défenseur d'un montage des plus fluides (les transparences, balayages, split screens et fondus rapides ne forment qu'une partie de son arsenal), Seung-wan est bel et bien l'auteur d'un cinéma national, fondamentalement coréen, où les enjeux, s'ils apparaissent comme ensevelis sous le plaisir de l'action ou de la comédie, ne trahissent pas l'état de crise tranquille qui traverse le pays enterré sous une jungle d'asphalte, une corruption labyrinthique.

Ryoo Seung-wan sur le tournage de Crying Fist

C'est-à-dire qu'en dessous de son maniérisme parfois lourdaud (les jeux extrêmes sur la profondeur de champ, les regards et réactions trop caricaturés), Seung-wan demeure un vulgarisateur de la corruption d'un monde sans discipline. Ses héros sont en manque de modèle et ont des relations troubles avec des mères malades. Sans identité, le protagoniste de ses films (dont le modèle demeurera celui de Old Boy) est à la recherche d'une place dans son environnement. Il lutte contre le gangstérisme, contre ses propres démons et espère toujours améliorer sa situation. Ainsi, ce sont des personnages en constant devenir, en constant état de non-complétion alors qu'un élément fait toujours défaut à leur vie. Ce sera la vengeance de The City of Violence, mais aussi les motivations doubles du duo de Crying Fist désirant restaurer auprès de leurs semblables une image qui est celle de la décence et de l'honneur. Dans les deux cas, l'assouvissement des besoins passe par une violence « nécessaire ». C'est cette nécessité et la manière dont elle provoque des pulsions qui régissent le propos de Seung-wan.

Nation fracturée, profondément blessée depuis sa division, la Corée est mère d'un cinéma assez commercial pour s'être emparé de la majorité de son propre marché (fait rarissime que l'on retrouve presque seulement en Inde, au Nigeria, au Japon et en France) avec l'aide d’un cinéma populaire vastement marqué par la cicatrice ouverte laissée à la fin de la guerre de Corée. Ryoo Seung-wan, pour être, des réalisateurs coréens, celui capable d'allier le style à des récits systématiquement ancrés à leur société (alors que Kim Ki-duk est toujours bouddhiste et que Park Chan-wook est un tragédien aux yeux plus gros que le ventre), semblait être le cas idéal pour nous. C'était l'occasion, durant la 15e édition du Festival Fantasia, de revenir sur la possibilité qu'a une oeuvre de divertir autant qu'elle peut, lorsqu'elle est à la recherche d'une rare adéquation entre la beauté universelle et les particularismes nationaux, nous ouvrir le coeur et l'esprit à la culture d'autrui.

FILMS CONCERNÉS

THE CITY OF VIOLENCE
de Ryoo Seung-wan (2006)
CRYING FIST de Ryoo Seung-wan (2005)
THE UNJUST de Ryoo Seung-wan (2011)
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Article publié le 13 juillet 2011.
 

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