ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
L’équipe Infolettre   |

Miroir, miroir... dis-moi qui est le plus laid (2)

Par Jean-Marc Limoges

1  |  2  |  3

:: Laurin (Robert Sigl, 1989) [Dialog Filmstudio, Salinas Filmproduktion, Südwestfunk Baden-Baden, TS-Film]

II. LE REGARD DU TUEUR (ATTENTION : DIVULGÂCHEURS !)

Le meurtrier nous est montré dès la première minute du film. En fait, c’est le premier personnage qu'on voit, par la lunette de la petite. Il la regarde le regarder, puis sort prestement de son champ de vision, comme s’il avait quelque chose à se reprocher. Le bouquet de fleurs qu’il tient à la main (Figure 19) et dont on ne saisit pas tout de suite la signification prend éventuellement tout son sens : il vient de tuer. En effet, il n’est qu’à se souvenir que le petit Stefan portait lui aussi un bouquet de fleurs avant de disparaître, alors qu'il rentrait joyeusement chez lui après avoir passé une soirée à jouer avec Laurin (Figure 20).

Figure 19 : Le mystérieux bouquet de Van Rees l'assassin...

Figure 20 : ...et celui de Stefan, sa victime. Énième miroir.

C’est ce meurtrier – Van Rees (Károly Eperjes) –, qui n’est pas sans entretenir quelque ressemblance avec Arne (János Derzsi), le père de Laurin, que celle-ci devra tuer, dans un processus d’émancipation métaphorique d’une figure paternelle jugée injuste. Est-ce parce que son père, marin de profession, a préféré répondre à l’appel de la mer, plutôt qu’à l’appel de sa mère qu’elle le tient responsable de sa mort ? Toujours est-il que Sigl insiste beaucoup sur les rapprochements entre les deux hommes, qu'ils soient physiques (elle le confond littéralement avec son père lorsqu’il descend de son embarcation [Figures 21 et 22]) ou symboliques (l'un et l'autre lui servent de professeurs).

Figure 21 : Van Rees ou Arne ?

Figure 22 : Arne ou Van Rees ?

Or, ce Van Rees adopte, dès le départ, un drôle de comportement. Quand il voit la fillette repartir en courant après sa méprise sur le quai, il demande à ses subalternes d’où elle vient sur le ton d’un homme qui s’enquiert d’une femme dont le regard l’aurait profondément troublé. Il s’agit là de la seconde fois que nous le voyons et du second détail qui permet d’inférer sa nature suspecte.

Dans une théâtrale image mentale, on apprend ensuite que, enfant, il a déjà tué un chat. Détail peut-être sans importance, mais qui nous permet d’admettre qu’il ment à la petite lorsque, plus tard, il lui dira ne jamais en avoir eu. On apprend également qu’il a tué celui de Laurin lorsque, la regardant tapoter la terre sur la tombe qu’elle vient de lui creuser sur le bord de la rivière (Figure 23), il lui dit, depuis le pont où il la regarde, qu’il est triste de la mort de son chat (Figure 24) – mais comment pouvait-il savoir ce qu’il y avait dans le trou ? Van Rees nous apparaît de plus en plus louche. Et c’est au second visionnement que prennent sens tous ces détails.
 

Figure 23 : Laurin sur la tombe de son chat mort...

Figure 24 : ...épiée par le tueur de celui-ci, dont le regard prime alors.

Sigl distribue avec parcimonie les détails pour nous faire comprendre, non seulement qu’il est le tueur, mais aussi pour nous faire comprendre les raisons qui le motivent. Qui est-il ? Pourquoi tue-t-il ? Quelle sont ses motivations ? On apprend d’abord que c’est un enfant non désiré, un enfant battu, qui serait devenu ensuite un prédateur sexuel, un pédophile fantasmant sur les petits garçons et fuyant le regard du sexe opposé.

Voilà ce qui explique pourquoi, à son retour à la maison, Van Rees n’a pas de femme qui l’attend. Voilà ce qui explique la présence d’une poupée dans le fond de son armoire (Figure 25). Voilà ce qui explique la statue de jeune garçon trônant devant chez lui (Figure 26). Voilà ce qui explique pourquoi il retire prestement la main du jeune Stefan (Figure 27), qu’il repousse de sa cuisse quand son père arrive (Figure 28). Voilà ce qui explique pourquoi, jouant de l’orgue à l’église où son père officie, il est pris d’un accès de violence (Figure 29) quand il le voit embrasser le jeune Stefan (Figure 30) ; on comprend que ce n’est pas parce qu’il lui préfère un autre enfant, mais parce qu’il pose les lèvres sur sa chair. Voilà ce qui explique pourquoi cet instituteur, chargé de protéger les enfants, ridiculise un des garçons de sa classe en soulignant qu’il porte un nom de fille (Figure 31). Voilà qui donne un autre sens à l’ordre qu’il donne à un autre garçon, qui détient une information importante quant aux responsables d’une rixe advenue plus tôt : « Viens me voir en privé après la classe » (Figure 32).
 

Figure 25 : La poupée, symbole de l'enfance brisée du tueur.

Figure 26 : L'éphèbe de marbre, symbole des passions pédérastes du tueur.

Figure 27 : Moment de félicité pédophile...

Figure 28 : ...interrompu par l'arrivée du père. 

Figure 29 : Van Rees détourne le regard... 

Figure 30 : ...d'un acte charnel insoutenable.

Figure 31 : Confusion de genre chez Van Rees...

Figure 32 : ...et propositions professorales indécentes.


<< précédent <<  |  >> suivant >>



Retour à la couverture de Fantasia

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 1er septembre 2020.
 

Essais


>> retour à l'index