WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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L'essor du nouveau cinéma autochtone (2)

Par Leo Koziol

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Deuxième partie : Le cinéma autochtone du XXIe siècle

Nous nous sommes arrêtés, dans la première partie, à la fin du vingtième siècle, au moment où des pionniers tels Merata Mita, Barry Barclay et Alanis Obomsawin préparent le terrain et jettent les bases nécessaires au développement de la communauté cinématographique autochtone. Barclay fait aussi progresser la théorie du cinéma en proposant la notion d’un Quatrième Cinéma, correspondant au cinéma autochtone. Des connexions internationales sont établies et de nouveaux cinéastes gagnent en importance et en succès.

Dans les années 1990, les réalisatrices australiennes Rachel Perkins et Tracey Moffatt présentent de premiers longs-métrages qui laissent présager de brillantes carrières. Once Were Warriors (1994), de Lee Tamahori, et Smoke Signals (1998), de Chris Eyre, montrent que les films réalisés par des autochtones peuvent obtenir du succès au box-office en plus des accolades récoltées sur le circuit des festivals.

À la fin du siècle, Zacharias Kunuk avait réalisé plusieurs courts métrages. Taika Waititi avait joué son premier long métrage en tant qu'acteur dans une comédie indépendante néo-zélandaise de « stoners » (Scarfies [Robert Sarkies, 1999]) et écrivait des projets de théâtre avec des amis qui deviendraient célèbres comme lui, dont Jemaine Clement (Ngāti Kahungunu). Tout était maintenant en place pour qu’il se passe de grandes choses.


 :: Atanarjuat : The Fast Runner (Zacharias Kunuk, 2001) [Igloolik Isuma Productions Inc.; ONF]

Les œuvres primées

Le nouveau siècle s'ouvre sur la sortie d'Atanarjuat : The Fast Runner (ᐊᑕᓈᕐᔪᐊᑦ) de Kunuk, un drame insolite inspiré d’une légende inuite. Le film remportera la Caméra d'or du Meilleur premier film à Cannes en 2001. Cette victoire est étonnante et sans précédent: une distribution entièrement autochtone, en langue autochtone, à l'époque pré-européenne, et pas un seul sauveur blanc en vue. Atanarjuat est salué comme un tournant majeur tant pour le cinéma des Premiers Peuples que pour le cinéma canadien.

Peu de temps après, en 2005, c’est le futur gagnant d'un Oscar, Waititi, qui est assis (se pourrait-il… roupillant?) dans l’auditoire de la cérémonie des Oscars pour son premier court métrage, Two Cars, One Night (2003), tranche de vie en noir et blanc mettant en scène trois enfants māoris négligés qui attendent que leurs parents les ramènent chez eux dans le stationnement d'un bar rural (ce court métrage est devenu une carte de visite pour le deuxième long métrage de Waititi, Boy, qui a battu des records de recettes dans son pays natal en 2010).

Avec ce court métrage, Waititi devient la coqueluche de Sundance, et son ascension est reflétée par les succès de Cliff Curtis (acteur vedette d'Hollywood et producteur de films renommé) et par l'arrivée de Bird Runningwater dans l'équipe de Sundance (à la tête de leur nouveau programme autochtone). Des cinéastes autochtones tels que Mita, Perkins et Heather Rae (Cherokee) travaillent en collaboration avec Runningwater pour encadrer de jeunes créateurs — tels que Sterlin Harjo, Warwick Thornton et Andrew Okpeaha McLean — dont bon nombre présenteront des longs métrages dans les années qui vont suivre.


 :: The Blossoming of Maximo Oliveiros (Auraeus Solito, 2005) [Cinemalaya Foundation; UFO Pictures]
 
Tous ces cinéastes commencent à se démarquer alors que le nouveau cinéma autochtone s'impose à travers le monde. À la fin de la première décennie de ce siècle, les cinéastes autochtones participent régulièrement à la Berlinale, au SXSW, au Tribeca, au Sundance et au TIFF. Samson et Dalila, réalisé par le cinéaste autochtone Warwick Thornton (un Kaytetye), remporte la Caméra d'or à Cannes en 2009. Blossoming of Maximo Oliveiros (2005), du réalisateur palawano-philippin Auraeus Solito, décroche le prix queer Teddy à la Berlinale et donne un élan à son film méditatif Busong (2011), présentée en première à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

Moffatt délaisse les longs métrages pour se concentrer sur sa carrière en arts visuels, avec un succès retentissant — elle est la première artiste issue d’une Première Nation à représenter l'Australie en solo à la Biennale de Venise, en 2017. L'artiste et réalisatrice Lisa Reihana (Māori — Ngāpuhi, Ngati Hine et Ngaituteauru) remporte un succès similaire avec in Pursuit of Venus [infected], un remarquable tableau audiovisuel projeté sur cinq écrans.


 :: Drunktown’s Finest (Sydney Freeland, 2014) [Indion Entertainment Group]

Jeunes, autochtones et queers

Les années 2010 sont marquées par un arrivage tout frais de longs métrages LGBTQ réalisés par des jeunes cinéastes autochtones et queers. Deux des meilleurs d’entre eux sont Drunktown's Finest (Sydney Freeland, 2014) et Fire Song (Adam Garnet Jones, 2015).

Drunktown's Finest est un film choral qui raconte l'histoire de trois jeunes Navajos, dont une jeune femme trans déchirée entre son désir de fuir vers la ville et celui de rester chez elle pour embrasser sa communauté et sa culture autochtones qu'elle aime tant. Ce film est remarquable dans la mesure où la scénariste-réalisatrice Sydney Freeland n'avait pas encore divulgué son identité trans au moment de la sortie du film, mais le fera peu de temps après avoir vu son film triompher sur le circuit des festivals. Freeland a ensuite réalisé un second long métrage, Diedra and Laney Rob a Train (2017, acheté par Netflix), ainsi que des épisodes de la nouvelle mouture de Tales of the City (2019, également sur Netflix).

Comme Drunktown's Finest, Fire Song, d'Adam Garnet Jones, relate une histoire d'amour entre jeunes queers dans une réserve autochtone — cette fois-ci dans le Canada des Anishnaabe — et met de l’avant l'attrait des grandes villes au détriment des traditions autochtones. Le film est remarquable dans la mesure où l'une de ses actrices principales, Ma-Nee Chacaby, a été l'une des premières leaders autochtones ouvertement queers et lesbiennes au Canada (dans le film, elle incarne une tante bigote).

Parallèlement, la réalisatrice samoane d'origine néo-zélandaise Nikki Si'ulepa et sa partenaire Rachel Aneta Wills adaptent l'histoire vraie de leur rencontre — lors d'un festival de films māori, rien de moins ! — dans la comédie romantique indépendante Same But Different: A True New Zealand Love Story (2019). On retrouve Si'ulepa, également actrice, dans un rôle queer torride de la série humoristique Creamerie (2021), sur la plateforme Hulu.


 :: Le segment « Kuki Airani» (Îles Cook) [réalisé par Miria George], de l'anthologie Vai (Kerry Warki et Kiel Mcnaughton, 2019)
[Brown Sugar Apple Grunt Productions; Department of Post]
 
L’avènement des femmes autochtones

Le nombre de femmes autochtones qui réalisent des longs métrages augmente d'année en année. En Australie, Perkins a poursuivi sa carrière avec succès grâce aux longs métrages de fiction Bran Nue Day (2009) et Jasper Jones (2017), ainsi que plusieurs téléfilms et documentaires. Dans les années 2010, deux autres femmes autochtones australiennes atteignent l'apogée du long métrage: Catriona McKenzie (Gunai/Kurnai), avec le poignant Satellite Boy (2012) — qui met en scène un cinéma en plein air en ruines — et Beck Cole (Warramungu et Luritja), avec le puissant Here I Am (2011).

Grâce aux longs métrages anthologiques Waru (2017, présenté au TIFF) et Vai (2019, présenté à la Berlinale, à SXSW et à Māoriland), une nouvelle vague de réalisatrices autochtones du Pacifique s’impose. Ces projets novateurs sont lancés par la productrice écossaise et papouane-néo-guinéenne Kerry Warkia et son mari réalisateur Kiel McNaughton (Ngāti Mahanga, Tainui). Leur troisième anthologie, Kāinga (2022), présentera des réalisatrices pan-asiatiques.

Plusieurs des femmes soutenues par ce projet travaillent actuellement au développement de leurs propres longs-métrages. Le premier d'entre eux a atterri sur Netflix en 2022 : Cousins (2021), adaptation d'un roman de la célèbre écrivaine māori Patricia Grace, écrite et réalisée par Briar Grace-Smith (Ngā Puhi, Ngāti Wai) et la productrice Ainsley Gardiner (Te-Whānau a Apanui, Ngāti Pikiao et Ngāti Awa), qui a beaucoup fait pour la carrière de Waititi.


 :: Sami Blood (Amanda Kernell, 2016) [Digipilot; Eurimages]
 
Bien plus au nord, le collectif de cinéastes Arnait Ikajurtigiit fait du bruit au TIFF en remportant le prix du Meilleur premier long métrage canadien pour Before Tomorrow (2008), réalisé par Madeline Piujuq Ivalu (Inuk) et Marie-Hélène Cousineau. Le collectif basé au Nunavut, fondé en 1991 pour honorer l'histoire orale des femmes inuites, a depuis livré deux autres longs métrages: Uvanga (2013) et Restless River (2019).

Plus récemment, la réalisatrice samie Amanda Kernell crée une onde de choc sur le circuit des festivals avec son premier long métrage Sami Blood (2016), qui retrace l'histoire de l'oppression de la culture samie dans la Suède des années 1930. Son film suivant, Charter, est lancé à Sundance en 2020.

Les réalisatrices autochtones sont désormais saluées chaque année à Sundance avec la bourse Merata Mita, nommée en l'honneur de cette storyteller révolutionnaire qui a été conseillère et directrice artistique du Sundance Institute Native Lab pendant la première décennie de ce siècle. Grace-Smith et Gardiner sont les récipiendaires de 2019, un an après Elle-Máijá Tailfeathers (Blackfoot/Sámi), dont le premier long métrage The Body Remembers When The World Broke Open est présenté en première à la Berlinale en 2019.


 :: Night Raiders (ᑎᐱᐢᑳᐃᓇᑐᐸᓃᒐᑫᐊᐧᐠ, Danis Goulet, 2021) [Alcina Pictures; Eagle Vision]
 
Des Autochtones fantastiques

Tailfeathers tient également le rôle principal dans Night Raiders (ᑎᐱᐢᑳᐃᓇᑐᐸᓃᒐᑫᐊᐧᐠ, 2021), le premier long métrage de la cinéaste crie-métisse Danis Goulet. Night Raiders est un film de science-fiction dystopique qui se déroule dans un avenir proche et qui incorpore l'histoire des « enfants volés » et des pensionnats autochtones au Canada. Il s'agit de l'un des nombreux nouveaux films d'horreur, fantastiques et de science-fiction de facture autochtone qui ont réjoui les amateurs du Quatrième Cinéma.

La voix résolument singulière de Jeff Barnaby (Miꞌkmaq) s’exprime à coup de seaux de sang (et de fluides corporels) dans Rhymes for Young Ghouls (2013) et particulièrement dans Blood Quantum (2019), une excentrique comédie de zombies où ceux qui ont du sang autochtone sont étrangement immunisés contre une infection zombie qui se répand rapidement.


 :: Blood Quantum (Jeff Barnaby, 2019) [Prospector Films]
 
En Nouvelle-Zélande, le long métrage en langue māorie The Dead Lands (2014), réalisé par Toa Fraser (de descendance fidjienne), ne craint pas non plus le sang et le carnage (ni le cannibalisme, d’ailleurs !). Une télésérie de langue anglaise, étrangement moins impressionnante, en a été tirée, actuellement diffusée sur Shudder. Le thriller d'horreur canadien Edge of the Knife (SGaawaay K'uuna), réalisé en 2018 par Helen Haig-Brown et Gwaai Edenshaw, est également tourné en langue autochtone, le Haida Gwaii, aujourd'hui menacé d’extinction.
 
Aucune sélection de films autochtones ne saurait être complète sans le documenteur What We Do in the Shadows (2014) de Waititi et Clement, qui raconte le quotidien de vampires contemporains. Le film devient un favori de la plateforme Letterboxd, où ses revisionnages obsessifs sont notés, et donne naissance à deux séries télévisées (la série FX, éponyme, et Wellington Paranormal [Clement et Waititi, 2018-2022], qui suit les aventures des policiers impassibles du film original et leur chef māori, le sergent Maaka). Il est important de souligner le pouvoir de la télévision, qui offre un canevas encore plus vaste aux storytellers autochtones, notamment grâce à de nouvelles séries à succès telles Reservation Dogs (Sterlin Harjo et Taika Waititi, 2021) et Rutherford Falls (Ed Helms, Sierra Teller Ornelas, et. al.,2021), qui offrent des opportunités commerciales à de jeunes créateurs autochtones qui ont fait leurs armes dans des productions indépendantes. 
 

 :: The Sapphires (Wayne Blair, 2012) [Goalpost Pictures]

Les chants de la liberté

L'amour des peuples autochtones pour la musique donne lieu à une série de petits succès autochtones: en Nouvelle-Zélande, Born to Dance (2015) de Tammy Davis, Mt Zion (2013) de Tearepa Kahi et The Pā Boys (2014) de Himiona Grace comprennent tous trois des chansons qui deviendront de grands succès dans les palmarès locaux. Bien en évidence dans le film Born to Dance, la troupe de danse Royal Family de la chorégraphe Parris Goebel trouve par la suite une notoriété encore plus grande dans l'un des clips de Justin Bieber. La troupe travaille toujours aujourd’hui avec des mégastars de l'industrie musicale.

L'Australien Wayne Blair (Batjala, Mununjali et Wakkawakka) trouve le succès grâce à la comédie musicale The Sapphires (2012), comédie romantique interraciale sur un groupe de chanteuses autochtones en tournée au Vietnam dans les années 1960. Cependant, le simple fait de réaliser un long métrage autochtone ne garantit pas qu'Hollywood retiendra toutes les leçons d'un coup. La sortie DVD de The Sapphires a été sévèrement critiquée pour avoir placé l'acteur irlandais Chris O’Dowd au premier plan ; le distributeur américain a fini par s’excuser. Par la suite, Blair s'est rendu aux États-Unis pour réaliser la nouvelle version de Dirty Dancing (2017), avant de revenir en Australie pour tourner le film à succès Top End Wedding (2019), une autre comédie romantique interraciale.


  :: Poi E: The Story of Our Song (Tearepa Kahi, 2016) [Jawbone Pictures; Patea Film Collective]

Cela dit, les longs métrages documentaires restent de loin le terrain le plus fertile pour les récits musicaux autochtones, bien qu’à l'heure actuelle, peu d'entre eux ont été réalisés par des cinéastes autochtones. Plusieurs longs métrages documentaires dirigés par des allochtones ont tendance à être de facture anthropologique, mais certains, comme le portrait du musicien de l'île d'Elcho, The Documentary of Dr. G. Yunupingu, réalisé par Paul Damien Williams en 2017, et le film MurundakSongs of Freedom (2011) de Natasha Gadd et Rhys Graham ont pu profiter d’une collaboration étroite entre les cinéastes et les communautés autochtones à l’origine de ces récits.

Le long métrage Rumble: The Indians Who Rocked the World (Catherine Bainbridge et Alfonso Maiorana), réalisé en 2017 par l'équipe de Reel Injun (Neil Diamond, Catherine Bainbridge, et. al., 2009) et produit par le musicien et compositeur apache Stevie Salas, raconte l'histoire de certains membres des Premières Nations américaines les plus connus de l'histoire de la musique populaire, comme la lauréate d’un Oscar Buffy Sainte-Marie.

Ce serait un manquement de ma part de ne pas mentionner le film d'ouverture du TIFF de 2019, Once Were Brothers: Robbie Robertson and The Band (Daniel Roher, 2019), qui aborde avec profondeur et sensibilité l’ascendance cayuga et mohawk de Robertson. Robertson lui-même est un producteur et compositeur prolifique de bandes sonores, notamment pour Raging Bull (1980), Casino (1995), The Departed (2006) et The Irishman (2019), de Martin Scorsese. Robertson et Sainte-Marie ont tous deux été honorés en 2021 par l'Academy Museum of Motion Pictures, aux côtés de l'actrice Tantoo Cardinal et de l'acteur Wes Studi.

Trois autres excellents longs métrages musicaux réalisés par des autochtones, ceux-là, sont Poi E: The Story of Our Song (2016) et Herbs: Songs of Freedom (2019), de Tearepa Kahi, ainsi que Dawn Raid (2021), d'Oscar Kightley, portant tous trois sur les pionniers du hip-hop polynésien, dont le rappeur Savage (son populaire simple « Swing! » joue un rôle essentiel dans la grossesse surprise du personnage d’Allison dans la comédie Knocked Up [Judd Apatow, 2007]  pas étonnant alors qu'Apatow intervienne dans Dawn Raid!).

Nous ne saurions clore cette section sans saluer le musicien tuvalu/tokelau Opetaia Foa'i, né à Samoa et ayant grandi en Nouvelle-Zélande, pour son rôle crucial dans Moana (Ron Clements, John Musker, et. al., 2016), le film d'aventure pan-polynésienne de Disney. C’est lui qui a intégré ses langues premières dans l'hymne motunui du film, « We Know the Way ».


:: The Orator
(O Le Tulafale, Tusi Tamasese, 2011) [Blueskin Films Ltd.; O Le Tulafale]

Le cinéma des peuples du Pacifique

Ce qui nous amène au vaste Pacifique. Deux réalisateurs se font connaître : Fraser, déjà cité, et le cinéaste samoan Tusi Tamasese. No.2 (2006), de Fraser, une douce tragicomédie de banlieue racontant l'histoire d'une matriarche qui nomme un successeur pour sa famille, remporte le prix du public à Sundance. Il enchaîne avec des succès en tant que réalisateur dans différents genres, y compris en participant à la réalisation de Sweet Tooth (Jim Mickle et Beth Schwartz, 2021) pour Netflix.

Empreint de réalisme magique, le drame méditatif The Orator (O Le Tulafale, 2011), de Tamasese, devient le premier long métrage en langue samoane, tourné à Samoa et mettant en vedette une distribution samoane. Le réalisateur enchaîne ensuite avec le film d'épouvante One Thousand Ropes (2017), tout aussi lancinant.

Parmi les autres réalisateurs des îles du Pacifique qui ont acquis une belle reconnaissance, citons le couple formé par la Néo-Zélandaise et Tonguienne Vea Mafile’o et Jeremiah Tauamiti (Samoan et Néo-Zélandais) à qui l’on doit For my Father’s Kingdom (2019). Et il y a Stallone Vaiaoga-Ioasa, dont le premier long métrage autoproduit, Three Wise Cousins (2016), a connu suffisamment de succès pour financer deux suites, Hibiscus and Ruthless (2018) et Take Home Pay (2019), une réussite incroyable dans une industrie cinématographique locale longtemps dépendante du financement public. Les films de ce cinéaste trouvent un public avide tant en Nouvelle-Zélande et dans les Samoa occidentales qu'à l'étranger, notamment auprès des diasporas australiennes et nord-américaines.


 :: Angry Inuk (Alathea Arnaquq-Baril, 2016) [Eye Steel Film; ONF; Unikaat Studios]
 
Le documentaire autochtone

Des œuvres époustouflantes sont réalisées par des cinéastes autochtones dans le domaine du documentaire. Angry Inuk (2016), d'Alathea Arnaquq-Baril, détourne le discours sur les droits des animaux pour faire valoir le bien-fondé de la poursuite d'une pratique (la chasse aux phoques) qui fait partie de la culture autochtone depuis des millénaires. Pamphlet stupéfiant sur le racisme systémique au sein du système judiciaire canadien, nîpawistamâsowin : We Will Stand Up (2019), de Tasha Hubbard, perpétue l'héritage de Merata Mita et d'Alanis Obomsawin en racontant l'histoire de la mort tragique de Colten Boushie.

Un documentaire récent est lui-même devenu le sujet d'une grande controverse. En 2020, Inconvenient Indian (Michelle Latimer, 2020), tiré du populaire ouvrage de l'écrivain cherokee Thomas King, est lancé avec tambours et trompettes au TIFF, avant d’être projeté à imagineNATIVE. À la fin de la même année, le film est soudainement retiré de la programmation de Sundance après la publication d'un article mettant en doute l'identité autochtone de la réalisatrice Michelle Latimer. La sortie en salle et en festivals d'Inconvenient Indian semble maintenant indéfiniment suspendue. De plus, la deuxième saison de The Trickster(2020), la populaire télésérie à très grand budget pilotée par Michelle Latimer pour la CBC, également basée sur le livre d'un auteur autochtone, est annulée. Son équipe et sa distribution, largement autochtones, sont maintenant au chômage. À l'époque, Latimer avait intenté une poursuite en diffamation contre la CBC, et ce n'est que récemment qu'elle s'est rétractée.

Alors que des structures et des organisations sont mises sur pied partout dans le monde pour soutenir les storytellers autochtones (y compris en Nouvelle-Zélande, au Canada, en Norvège et en Australie), des mesures commencent à être réclamées pour que ceux-ci soient mieux authentifiés dans les processus de financement. Des débats sur la souveraineté des récits, l'identité autochtone et l'appropriation culturelle sont soulevés, et le rôle des « bêta-lecteurs » s'étend de la littérature au cinéma. Il semble que l'époque où les allochtones pouvaient interpréter des rôles autochtones dans les films soit révolue, tout comme celle où les non-Autochtones racontaient des histoires autochtones sans la participation, l'inclusion ou la permission des communautés concernées (et oui, je sais qu'il existe encore des exceptions).


 :: Rena Owen incarne la militante pour les droits territoriaux Dame Whina Cooper, dans le film biographique Whina (James Napier et Paula Whetu Jones, 2022) [General Film Corporation; Rakija Films]
 
 

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Comme je le soulignais dans la première partie du présent article, on ne comptait qu'une dizaine de réalisateurs autochtones de longs métrages à la fin du siècle dernier. Aujourd'hui, il n'est pas difficile de dresser une liste Letterboxd [1] de plus d'une centaine de cinéastes s'identifiant comme Autochtones et portant à l'écran des œuvres documentaires et de fiction de tous genres. Si c’est une liste d'une douzaine de longs métrages queers autochtones [2] que l’on veut, on peut en avoir une ! Si l'on veut une liste de 50 longs métrages réalisés par des femmes autochtones sur les femmes autochtones et leur expérience vécue, on peut en produire une aussi [3].

Ce progrès n'est pas venu de nulle part. Des groupes d'activistes du monde entier ont semé l’idée: Ngā Tamatoa, Te Manu Aute et les Polynesian Panthers en « Aotearoa » (Nouvelle-Zélande); les Black Panthers en Australie; l'American Indian Movement (AIM) et la National Indian Brotherhood (aujourd'hui l'Assemblée des Premières Nations) en Amérique du Nord; et ALOHA et les mouvements pour la souveraineté qui ont suivi à Hawaï.

Du groupe Te Manu Aute naît l’organisation-cadre māorie Ngā Aho Whakaari pour le cinéma. AIM ouvre la voie pour la création de l'American Indian Film Institute et son American Indian Film Festival, à San Francisco (le fondateur, Michael Smith, fut l'un des premiers défenseurs des droits des autochtones à Alcatraz dans les années 1970). Hawaï s’est maintenant doté du PICCOM ; le Canada a son propre Bureau de l'écran autochtone ; les Samis ont l'International Sámi Film Institute ; et les Inuits, Isuma.tv.

En Amérique latine, le Conseil latino-américain du cinéma et de la vidéo des peuples autochtones (le CLACPI) revendique depuis 1986 la production de films en langues autochtones et fait pression pour que des histoires racontées par des Autochtones soient portées au grand écran. Le projet latino-américain Cinegogia, en libre accès, répertorie les œuvres qui utilisent la lentille du cinéma pour représenter des sujets autochtones, jeter un regard sur les effets tenaces de la colonisation et du colonialisme, et aborder l'héritage culturel des populations autochtones d'Amérique latine.

Ces mouvements populaires ont fait pression pour que des ressources soient mises à la disposition des cinéastes, qui peuvent désormais voyager avec leurs œuvres partout dans le monde, tant dans les festivals de films grand public que dans des événements dédiés au cinéma des Premières Nations. Ce n’est pas trop tôt.


 
:: Le réalisateur Óscar Catacora (décédé tragiquement en novembre 2021), aux côtés de Rosa Nina durant le tournage de Wiñaypacha (2017)
[Cine Aymara Studios]
 
Vingt-et-un ans après le début du 21e siècle, la diversité du Quatrième Cinéma s'est élargie et consolidée. Nous racontons désormais nos propres histoires. Nos histoires de la vie dans la forêt, le désert, la neige et le « bush ». De notre vie sur la réserve, dans l’arrière-pays et dans le « marae ». De notre vie dans les ghettos urbains et les villes tentaculaires. Entre les deux, des histoires de tous les peuples et de tous les endroits.

De nombreux défis demeurent, mais une chose semble désormais certaine : le nouveau cinéma autochtone est là, et cela mérite d'être célébré.

Mauri Ora!

 


[1] 100 Native Directors, 100 Native Films https://boxd.it/bf9i4
[2] Queer Native Dozen https://boxd.it/bUyye
[3] Fifty Native Women-Made Films About Native Women & Their Lived Experience https://boxd.it/bUAmE

 

*

 

Descendant Māori de la nation Ngati Kahungunu, Leo Koziol a fondé et dirige le Wairoa Maori Film Festival, un festival de films māoris et autochtones qui se tient annuellement au Kahungunu Marae de Nuhaka, en Nouvelle-Zélande, depuis 2005. Koziol est également responsable du programme de courts métrages Nga Whanaunga Maori Pasifika du New Zealand International Film Festival et a participé à la programmation de nombreux festivals à travers le monde. Il est l’éditeur du contenu autochtone du site Letterboxd.

 

Traduction de l’anglais au français : Carolyne Suzanne Weldon, 
avec le soutien de Claire Valade, d’Anthony Morin-Hébert et d'Isabelle St-Amand.

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Article publié le 22 août 2022.
 

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