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Embraser l’arrière-pays : l’origine scabreuse du cinéma d’exploitation canadien

Par Paul Corupe

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:: Damaged Lives (Edgar G. Ulmer, 1933) [ULCA Film & Television Archive]

Quand les gens pensent à la canuxploitation, ils pensent généralement à l’époque crasseuse et vulgaire des abris fiscaux des années 1970, mais l’histoire du cinéma d’exploitation canadien remonte à beaucoup plus loin. S’inspirant des productions américaines indépendantes de l’époque, Damaged Lives (1933) et Sins of the Fathers (1948) étaient des films de sexploitation sans vergogne qui se présentaient comme de solennelles mises en garde contre d’importants problèmes de santé publique. Combinant des éléments du mélodrame et du film médical, ces œuvres devinrent d’irrésistibles attractions grâce à leur approche franche du sujet tabou que représentent les maladies vénériennes, mais peinent désormais à trouver leur place dans l’histoire de notre cinéma national à cause de leur approche controversée, quoique distinctement canadienne.

Bien que les maladies vénériennes fissent déjà fréquemment l’objet de pamphlets sanitaires ou de films destinés à l’éducation des soldats, ce n’est qu’à l’époque du cinéma muet que le grand public s’est retrouvé face à des longs métrages visant à décrire en détails les dangers de la syphilis et de la gonorrhée. Débutant avec Damaged Goods (1914), l’adaptation cinématographique d’une célèbre pièce de théâtre de l’époque, une série de soi-disant films « d’hygiène sexuelle » a inondé les salles nord-américaines durant la Première Guerre mondiale — souvent présentés lors de projections genrées. Mettant en scène d’édifiants récits à propos d’erreurs de jugement, de dures leçons et de mariages douloureusement reportés, ces films étaient souvent encensés pour la façon dont ils fournissaient d’importantes informations à propos de la santé sexuelle tout en promouvant la tempérance et d’autres belles valeurs morales.

Ces visées altruistes commencèrent pourtant à changer avec l’adoption du code Hays par Hollywood en 1930. Alors que les grands studios cherchaient à composer avec des règles interdisant la représentation de sujets controversés comme le sexe, la prostitution, la toxicomanie, le nudisme et l’avortement, certains cinéastes indépendants moins scrupuleux étaient prêts à répondre aux demandes du public pour des œuvres plus salaces. Parallèlement aux films d’exploitation comme Sinister Harvest (1930), This Nude World (1932) et Reefer Madness (1936), les films d’hygiène sexuelle explosèrent également en popularité, alors que des productions comme The Seventh Commandment (1932) et The Road to Ruin (1934) commençaient à incorporer des extraits de films médicaux de plus en plus graphiques qu’Hollywood n’aurait jamais osé toucher — des images d’accouchements vaginaux et chirurgicaux jusqu’à celles de corps et d’organes génitaux ravagés par des lésions et des plaies causées par les maladies vénériennes. Leurs producteurs défendaient l’inclusion de ces scènes scabreuses au nom de la santé publique, profitant simultanément d’un succès garanti au box-office — ils savaient bien que ces films étaient le seul endroit où les specateur·rice.s pouvaient légalement voir à l’écran des scènes de nudité complète. 


:: The Road to Ruin (Dorothy Davenport et Melville Shyer, 1934)

Constituant l’un des premiers vrais films d’exploitation canadiens, Damaged Lives n’est sans doute pas aussi osé ou explicite que ses contreparties américaines, mais il a quand même bénéficié d’un succès appréciable sur le circuit des films d’hygiène sexuelle. Le film a été produit à la demande du Dr Gordon Bates, un médecin torontois, fondateur de la Health League of Canada [Ligue canadienne de santé], après que celui-ci ait examiné des patients atteints de maladies vénériennes durant la Première Guerre mondiale. Afin de sensibiliser les Canadiens, l’organisme projetait régulièrement The End of the Road (1919), un film muet destiné aux militaires américains. Or, c’est afin d’obtenir un film plus contemporain pour le remplacer que Bates a contacté J.J. Allen, ancien dirigeant de la plus grande chaîne de cinémas au Canada, qui distribuait et projetait alors les films de Columbia Pictures au pays.

Réalisant tout le potentiel commercial du projet, Allen a conçu une adaptation de 100 000 $ du film Damaged Goods, puis a contacté Columbia Pictures pour obtenir leur aide, quoique l’étendue de leur participation demeure nébuleuse. Damaged Lives a finalement été produit pour une somme plus modeste de 18 000 $ par une compagnie inconnue du nom de Weldon Pictures Corporation, que certains croient avoir été fondée par Max et Nathan Cohn, les frères du président de la Columbia, Harry Cohn, dans une tentative de distancier le studio du film. Après que Bates eut approuvé le scenario, le réalisateur allemand Edgar G. Ulmer — qui deviendrait plus tard une figure culte pour ses films noirs de la poverty row comme Detour (1945) — fut engagé pour diriger un tournage de trois semaines.

D'une durée d’environ une heure, Damaged Lives raconte l’histoire de Donny, le fils d’un riche magnat de l’expédition qui semble avoir toute la vie devant lui. Il héritera bientôt de l’entreprise familiale et sa copine Joan veut se marier et avoir un enfant. Mais par un jour fatidique, alors qu’il s’affaire à divertir un client d’affaires, Donny est convié à un voyage éclair dans le monde des clubs de jazz miteux et des maisons de jeux. Lorsque le client se dirige vers un bordel, Donny réussit à trouver une excuse et se défiler, rien que pour finir la soirée dans les bras soyeux d’Elise, la lubrique cavalière du client. Le lendemain, en proie à la culpabilité, Donny accepte de se marier avec Joan, et les deux s’empressent de se passer la bague au doigt. Mais le héros reçoit soudain un appel hystérique de la part d’Elise, qui lui avoue avoir contracté la syphilis auprès de son propre copain (« Il y a quelque chose de terrible qui se passe avec Nat… et maintenant je l’ai attrapée ! Autant que je sache, je te l’ai transmise… à toi et à ta petite femme ! »)


:: Damaged Lives [ULCA Film & Television Archive]

Comme dans plusieurs films d’hygiène sexuelle américains des années 1930, Damaged Lives incorpore des scènes de films médicaux préexistants afin de faire valoir son point, incluant des images de difformités physiques causées par les maladies vénériennes. Parfois, ce genre d’images étaient introduites grossièrement via des inserts narrés en voixoff ou à l’occasion du visionnage d’une bande par le protagoniste. Or, Ulmer use ici d’une approche beaucoup plus intéressante. Lorsque Joan, alors enceinte, apprend qu’elle est aussi atteinte de syphilis, Donny est convoqué au bureau du docteur, d’où on lui fait visiter une aile de l’hôpital. Chaque fois que le docteur ouvre une porte, le film coupe vers des images médicales, incluant celles d’un homme avec une éruption cutanée sur la jambe et d’une femme en chaise roulante, dont le docteur confie qu’elle a six enfants qui sont aveugles et handicapés à cause de la syphilis. Le docteur explique cruellement que la plupart de ces gens ont simplement reçu la monnaie de leur pièce après avoir fait preuve de laxisme moral. À son retour à la maison, Joan essaie de se suicider et de tuer son mari, jusqu’à ce que Donny lui explique qu’un traitement pharmaceutique devrait régler tous leurs problèmes.

En mettant l’emphase sur l’aspect dramatique du récit, Damaged Lives est plutôt sage comparé aux célèbres exemples américains qui devaient suivre, comme The Wages of Sin (1938), Sex Madness (1938), et ce qui est sans doute le plus grand succès parmi tous les films d’hygiène sexuelle, le Mom and Dad (1945) de Kroger Babb, qui aurait supposément engrangé plus de 100 millions de dollars américains. Qu’à cela ne tienne, Damaged Lives a pourtant exercé une influence durable sur le genre — ses premières représentations se terminant parfois avec une conférence médicale filmée sur les dangers des maladies vénériennes donnée par le Dr. Bates lui-même, procédé qui devint plus tard l’un des poncifs du genre.

Le contenu moins sensationnel du film ne l’empêcha pas d’être visé par les censeurs dans une bataille contre la vulgarité perçue et les visées mercantiles de ces tout premiers films « éducatifs ». Sorti en mai 1933 à Toronto, Damaged Lives était fièrement annoncé comme le premier film canadien produit à Hollywood, mais il s’est rapidement frappé aux censeurs locaux. Ce n’est qu’en 1937, lorsque New York a levé son interdiction sur le film, que s’est amorcé sa longue vie — et son grand succès commercial — sur le circuit de distribution américain. À l’instar des autres films d’exploitation ambulants de l’époque, le long métrage d’Ulmer a été projeté durant presque deux décennies sous une grande variété de noms (tels que The Shocking Truth).

C’est le succès de Damaged Lives qui a inspiré les premiers vrais efforts canadiens visant à développer un cinéma national. Fondé en 1939, l’Office national du film (ONF) avait pour but de produire des courts documentaires présentant différents aspects du Canada aux Canadiens. À ses débuts, l’ONF se concentrait surtout sur des films de propagande pour la Deuxième Guerre mondiale, des travelogues et des films d’animation avant-gardistes créés par des artistes comme Norman McLaren. En temps de paix, cependant, l’ONF a commencé à s’intéresser aux documentaires sociaux, comme The Challenge of Housing (1946) et The Feeling of Rejection (1947), abordant même les thèmes traditionnels du cinéma d’exploitation, comme les narcotiques — le documentaire onéfien Drug Addict (1948) fut interdit aux États-Unis pour avoir suggéré que la dépendance était une maladie plutôt qu’une tare individuelle. C’est aussi à cette époque que la branche médicale de l’Aviation royale canadienne a produit deux documentaires en couleur visant à renseigner les recrues sur les maladies vénériennes — It’s Up to You (1943) était présenté aux hommes tandis que For Your Information (1944) visait les spectatrices féminines. Quelques années plus tard, l’ONF s’est finalement attaqué au sujet avec ses propres œuvres d’hygiène sexuelle genrées — Very Dangerous (1945) pour les hommes et Sixteen to Twenty-Six (1945) pour les femmes.

Le Canada contribuerait éventuellement un autre long métrage au canon du cinéma d’hygiène sexuelle. Tourné au Québec, le film Sins of the Fathers (1948) était un projet 100 % local développé par Larry Cromien, l’un des plus gros joueurs de l’industrie cinématographique à l’époque. Vraisemblablement inspiré par l’incroyable succès de Mom and Dad chez nos voisins du sud, Sins of the Fathers était une production indépendante qui s’avéra, à sa sortie,encore plus controversée que Damaged Lives.


:: Sins of The Fathers (Richard J. Jarvis et Phil Rosen, 1948)

Dans le film, un jeune médecin, le Dr Edwards (Austin Willis) cherche à combattre le fléau de la syphilis en fondant une ligue de santé et en éradiquant les lieux mal famés, mais peine à progresser face au conseil municipal, où siège l’influent propriétaire d’une boîte de nuit, M. Curran (Georges Toupin). Bien qu’Edwards bénéficie de l’appui des résidents, dont les membres du clergé, celui-ci n’est pas suffisant pour que les mesures qu’il propose soient adoptées, incluant l’obligation pour les employeurs d’effectuer des dépistages sanguins afin de déceler d’autres infections. Les choses changent lorsque le fils du maire, Charlie (Frank Heron), visite la boîte de nuit de Curran et tombe dans l’œil de sa fille Patsy (Joy Lafleur). Après avoir passé la nuit avec elle dans un chalet des Laurentides, Charlie réalise qu’il a peut-être été infecté et il se confie au Dr Edwards. Le bon docteur invite alors le couple insouciant dans son bureau, de même que leurs papas politiquement connectés, pour leur montrer un film éducatif sur les horreurs de la syphilis. Consternés, Curran et le maire acceptent de changer leur fusil d’épaule et de soutenir le programme de santé du Dr Edwards. Lors d’une assemblée publique subséquente, Curran en vient même à démissionner, expliquant honteusement que son opposition initiale était due à la pression en provenance d’autres commerçants sans scrupules. Soulagé d’avoir finalement triomphé, le Dr Edwards décide de marier sa copine Ellen (Mary Barclay) tandis que Charlie — après avoir révélé son aventure à sa fiancée Leona (Suzanne Avon) — doit repousser ses noces imminentes jusqu’à ce que sa syphilis soit complètement guérie. 

Au vu de la rareté des longs métrages au Canada avant la fin des années 1950, Sins of the Fathers s’est taillé une place de choix comme l’un des films canadiens les plus lucratifs et dynamiques de l’après-guerre. Cette œuvre de la mi-20e a été tournée dans les studios de Québec Productions, une nouvelle compagnie située à Saint-Hyacinthe, à l’est de Montréal, fondée par l’ex-producteur radiophonique Paul L'Anglais et le bailleur de fonds René Germain. Québec Productions venait alors tout juste de produire un ambitieux film noir tourné simultanément en anglais et en français (sous les titres respectifs de Whispering City et La Forteresse [1947]). Malheureusement, les deux films n’ont pas eu le succès escompté et Québec Productions a tenté d’amortir ses pertes en louant ses installations pour la production de films anglophones, incluant Sins of the Fathers.

La compagnie Canadian Motion Picture Productions du producteur Larry Cromien venait tout juste de compléter le mélodrame d’aviation Bush Pilot (1947), tourné dans le nord de l’Ontario, lorsqu’elle a commencé à travailler sur ce nouveau projet. Sins of the Fathers a été tourné sur une période de 11 jours au début du mois de février 1947, avec un budget relativement restreint (les chiffres varient de 45 000 à 98 000 $) avec l’aide de l’équipe de Québec Productions. Le réalisateur américain Phil Rosen est tombé malade durant la production et a été rapidement remplacé par Richard J. Jarvis, le monteur de Whispering City.

Sins of the Fathers n’est pas un film particulièrement captivant, la plupart de l’action se résumant à des discussions de bureau et des assemblées citoyennes tournées platement par des cinéastes débutants. Centré sur un récit qui ressemble à une biographie à peine romancée du fondateur de la Ligue canadienne de santé, le Dr Bates, le film s’intéresse surtout aux épreuves du Dr Edwards alors qu’il tente de convaincre les gens de la nécessité de l’éducation populaire et du traitement des maladies vénériennes tout en dénonçant la corruption politique qui marginalise injustement sa croisade. Tout le matériel médical scabreux est confiné au film-dans-le-film que montre le Dr Edwards dans son bureau. Intitulé The Price of Ignorance, il s’agit d’une œuvre fictionnelle qui combine néanmoins des bribes de vrais courts métrages éducatifs sur les maladies vénériennes, incluant l’amusant Know for Sure (1941) du service de santé publique des États-Unis, It’s Up to You de l’Aviation royale canadienne, ainsi que certains documents cliniques sur les victimes de la syphilis.

Ce qui est remarquable avec Sins of the Fathers, particulièrement en comparaison avec les films d’hygiène sexuelle américains de l’époque, c’est qu’il ne se concentre pas sur les vies ravagées des gens atteints de maladies vénériennes, mais sur les figures institutionnelles qui cherchent à éradiquer le fléau. Il s’agit là d’une approche typiquement canadienne du sujet, préoccupée plus par le fonctionnement interne de la bureaucratie et par des intrigues politiques suburbaines que par les problèmes intimes des personnes infectées. À titre de héros, le Dr Edwards conserve toujours sa supériorité morale — dans l’une des premières scènes, lui et sa copine sont visiblement contrariés lorsqu’ils découvrent que personne ne chaperonne le double rencard auquel ils participent, et la situation la plus conflictuelle à laquelle il doit faire face survient lorsqu’il découvre que les commerçants locaux l’ont calomnié dans la chronique mondaine du journal. L’emphase est toujours mise sur le bien commun, alors que seul le récit secondaire joue sur les peurs de l’auditoire à propos de la maladie, et que Charlie n’est confronté qu’à des questions gênantes à propos de son mariage repoussé, puisque sa copine lui pardonne complètement son adultère. 


:: Extrait de Sins of The Fathers

Comme il était courant de le faire à l’époque, Sins of the Fathers insistait sur sa valeur en tant qu’importante ressource de santé publique, même si ce n’était pas vraiment le cas. Dans la publicité précédant la sortie, Cromien prétendait que le film était non seulement endossé par les groupes religieux canadiens et par l’Armée du Salut, mais que la Ligue canadienne de santé était l’un de ses commanditaires directs. Malgré ces allégations, le Dr Bates a vigoureusement nié sa participation, écrivant des lettres aux journaux pour s’assurer que l’auditoire savait qu’il n’était pas impliqué dans le film, et qu’il ne l’avait pas vu. Et même si Cromien n’avait pas vraiment collaboré avec la Ligue canadienne de santé, la controverse lui a néanmoins permis de garder son film à la une à l’approche de sa sortie.

Malgré la couverture médiatique locale, Sins of the Fathers n’a pas fait de bonnes recettes au cinéma His Majesty de Montréal, où il a joué brièvement à la fin du mois d’avril 1947 (sa présentation coïncidant avec une campagne municipale contre la syphilis). Le film connut pourtant un grand succès à Toronto, où il a joué au cinéma Royal Alexandra pendant quatre semaines d’affilée durant l’été 1947. Le magazine Variety décrivait alors avec excitation « des files longues de quatre blocs » et des salles remplies pour chacune des trois représentations genrées de la journée — deux pour les femmes et une pour les hommes. Variety rapportait surtout que le cinéma avait engagé six infirmières professionnelles de St. John Ambulance pour assister à chacune des représentations et pallier le risque d’évanouissement provoqué par les scènes plus salaces — le reportage fait état de « quelque 30 à 50 personnes défaillant sur leur sièges ou fuyant vers les lobbies du haut et du bas » — incluant des « hommes de 250 livres » [1]. Certaines personnes ont présumé que le distributeur torontois avait inséré des images médicales supplémentaires pour créer une version plus explicite que celle présentée à Montréal. Il est impossible d’identifier ce qui aurait pu être ajouté dans ces séquences additionnelles puisque les segments les plus provocateurs de la seule copie restante du film sont des images d’accouchement et de docteurs drainant du liquide céphalo-rachidien lors d’un test médical. Il est probable qu’il ne s’agisse pas de la version présentée à Toronto, puisque la durée de 96 minutes indiquée à certains endroits, de même que l’histoire précise de la censure entourant le film demeurent nébuleuses.

Vraisemblablement tributaire de la couverture de Variety, le succès du film a directement incité l’Ontario à créer un groupe de censeurs spéciaux (constitué d’un docteur, d’un éducateur et d’un avocat) pour s’occuper spécifiquement des films d’hygiène sexuelle comme Sins of the Fathers et le perpétuellement populaire Mom and Dad, qui faisait toujours des affaires d’or dans les cinémas canadiens au cours des années 1950. Sans surprise, les problèmes de censure du film l’ont suivi par-delà les frontières. Sélectionné pour la distribution américaine sur la foi de ses représentations torontoises, Sins of the Fathers a rapidement été dénoncé par la Ligue pour la vertu, ce qui mena à son interdiction dans certains états (le film a aussi été interdit par les censeurs britanniques). Aux États-Unis, ce film canadien innovateur a joué au moins jusqu’en 1953, parfois sous le titre particulièrement évocateur de Sex. Comme pour Damaged Lives, les projections étaient parfois accompagnées d’une conférence médicale filmée, qui encourageait aussi le public à en apprendre davantage sur les choses de la vie en se procurant un ensemble « exclusif » de livres d’éducation sexuelle à la concession alimentaire — un à-côté extrêmement lucratif pour de nombreux distributeurs de films d’hygiène sexuelle cherchant à extraire quelques dollars de plus d’un auditoire captif.

Alors que les premiers films d’exploitation étaient souvent louangés pour la façon dont ils mettaient en lumière des sujets dont on ne discutait que derrière des portes closes, beaucoup de ces influents projets sont désormais disparus dans les limbes de l’histoire. Tandis qu’une poignée de titres plus notoires comme Reefer Madness et Mom and Dad sont toujours projetés pour leur valeur kitsch, plusieurs autres ont été oubliés, ou simplement perdus. C’est malheureusement le cas pour Damaged Lives et Sins of the Fathers. Quoique ces productions fussent parmi les plus populaires et les plus lucratives de l’histoire du cinéma canadien durant la première partie du 20e siècle, elles ont été presque complètement exclues des discussions critiques entourant le cinéma canadien. Ils ont beau être indéniablement désuets dans leur discours sur la santé sexuelle, ces films ne constituent pas moins d’importants jalons qui ont servi à modeler l’avenir du cinéma d’exploitation. Mais plus encore, ces films ont montré que, malgré notre réputation de peuple coincé, les Canadiens n’ont jamais eu peur d’aborder des sujets sensationnalistes ou controversés — un bon présage pour l’avenir de notre cinéma de genre national.



[1] « Canadian-Made Film About VD a Boxoffice Phenomenon in Toronto », Variety, vol. 171, no. 10 (11 août 1948), 1.

 

 

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Paul Corupe est un auteur et historien du cinéma canadien basé à Toronto. En 1999, il a fondé le site Canuxploitation.com, dédié au cinéma de genre.

 

Traduction : Olivier Thibodeau

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Article publié le 18 juillet 2023.
 

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