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Rencontres du troisième type : le film venu d'ailleurs (1 de 2)

Par Anne-Lise Dall'Agnola
Partie 1 | Partie 2

« DO YOU WANT TO REPORT A UFO? »

Lorsqu'il s'agit d'établir un panthéon des films fantastiques mettant en scène des extraterrestres, force est de constater que Rencontres du troisième type n'est pas le choix qui apparaît le plus spontanément. Bien que reconnu pour sa qualité et son importance dans la filmographie de son réalisateur lorsqu'il est désigné, il ne semble parfois en rester dans l'esprit commun que cinq notes entêtantes et l'image d'un père de famille qui fait des montagnes avec sa purée.

Oublié, le succès phénoménal du film en 1977, lorsqu'il caracolait à la deuxième place du box-office mondial, donna même lieu à la première ressortie « Director's cut » de l'histoire. Aux oubliettes les critiques dithyrambiques de la presse internationale. Au placard le « vaisseau-chandelier de cristal » qui émerveilla la dernière génération des baby-boomers. À l'heure où le film d'extraterrestre est un prétexte au film d’action belliqueux (Battle: Los Angeles) ou aux blagues potaches « geekifiantes » (Paul), difficile d'imaginer que quelque part aux côtés de Star Wars et Alien, qui eux ont fait des petits, la fin des années 70 offrait une troisième alternative : un film qui plaçait la question de l'Autre au coeur de son propos en révélant un grand cinéaste, un certain Steven Spielberg.

Narrant l'histoire d'un homme, Roy Neary, qui voit son existence entière remise en question par la vision d'ovnis, la quête d'une mère pour retrouver son fils enlevé et les recherches d'un savant français, Lacombe, et de son équipe pour décrypter un message venu de l'espace, Rencontres du troisième type s’avère un film assez insaisissable dont le rythme peut facilement dérouter.

Et pour cause, contrairement à son rival Star Wars, qui présente un ailleurs physique et temporel où la rencontre entre les espèces a déjà eu lieu, Rencontres du troisième type fait le difficile pari du hic et nunc. Il plonge le spectateur dans une incertitude totale. Dans un processus qui a ses flottements et ses longueurs. Certes, la rencontre tarde à arriver et on ne voit guère les extraterrestres tant attendus. Mais saurait-on, en toute bonne foi, reprocher à Spielberg de laisser le temps nécessaire au film pour que s'installe son atmosphère? Ou faudra-t-il rappeler à nos esprits que 2001: A Space Odyssey, pourtant érigé en chef-d'oeuvre, est loin d'avoir le rythme d'un John McTiernan?

Toute blague à part, ce film auquel certains reprocheront un certain immobilisme suit en fait le temps « ufologique ». Il épouse par la forme, le fond qu'il aborde. En effet, depuis la célèbre observation de Kenneth Arnold le 25 juin 1947, qui amorça la popularisation de la question des soucoupes volantes, les États-Unis, et avec eux le reste du monde, ont le nez pointé vers le ciel avec espoir. Trente ans plus tard, Spielberg livre au public un film sans précédent à Hollywood. Un objet filmique à la facture grand public, et pourtant basé sur des recherches très documentées sur la question des visiteurs de l'espace.


En effet, Rencontres du troisième type n'est pas un film à sensations, mais une traduction de la question des ovnis. L'ufologie, science qui étudie le phénomène des objets volants non identifiés, est sur toutes les lèvres au moment de la production du film. Elle n'est pas encore devenue, dans l'esprit commun, l'apanage des crédules ni des activistes de la théorie du complot. En basant son intrigue sur The UFO Experience de Joseph Allen Hynek, célèbre astronome de son temps, et allant jusqu'à lui emprunter son titre qui désigne une rencontre avec un être venu d'une autre planète, Spielberg ancre son récit en plein coeur de la controverse de l'existence extraterrestre.

Et il réussit par la fiction, et sa suspension consentie de l'incrédulité, à aller au plus près de son sujet. En adaptant à l'écran des récits d'observation, des rapports de l'armée américaine, d'ailleurs très présente dans le film, et en mettant à l’avant-plan des personnages qui se posent des questions sans avoir la moindre idée du type de réponses qui les attend, le réalisateur assume son postulat : et si nous étions visités par des êtres venus d'ailleurs?

Parce qu'il n'élude aucun des aspects de son postulat, de la difficulté technique de la communication à l'inévitable refus de cette possibilité par les autorités en passant par la nécessité de cacher le phénomène au grand public tant que les intentions des visiteurs ne sont pas clarifiées, Spielberg nous entraîne avec lui dans une aventure hors du commun. Il nous permet par la fiction de nous interroger sur cette éventualité de l'Autre.


Pour nous y faire adhérer, il jalonne son film de preuves et de l'idée du témoignage : appareils photo, matériel d'enregistrement et phénomènes inexplicables sont semés tout au long de l'intrigue. Il tente aussi de demeurer le plus près possible des descriptions rapportées par Hynek, à commencer par la forme du corps des extraterrestres. Si l’on regarde avec attention, nous en distinguons trois sortes, révélant une pluralité des espèces outre-espace comme chez nous.

Cependant, l'espèce la plus mise en avant est celle que les spécialistes nomment « les petits gris ». Rien à voir avec les escargots de Bourgogne ni avec le cliché habituel. Car si on y pense, les extraterrestres que l'on nomme « petits hommes verts » par dérision ne sont absolument pas verts dans l'imagerie collective. La forme qui semble être stabilisée est celle attribuée rétroactivement à ceux de Roswell, qui ressemblent en de nombreux points à ceux présentés ici. Point de tentacules, d'antennes et autres fanfreluches dignes des films de monstres des années 50, mais un corps sobre, gris, laiteux, lisse, frêle, nu et asexué et une tête hypertrophiée rappelant celle d'un foetus.

Un homme venu d'un temps et d'un espace où l'animalité aurait déserté l'être, où l'androgynie et la cérébralité auraient pris le pas sur l'homme esclave de son environnement et de sa condition. Des petits David Bowie d'un mètre dix venus de l'espace.

De la même manière, le cinéaste interroge les modalités de communication avec des êtres qui n'auraient potentiellement pas de langage articulé. La question de la langue et de la traduction est un thème important du film. Cela commence entre Terriens dès la première séquence où les protagonistes sont obligés de traduire entre eux leurs propos de l'anglais à l'espagnol, au français, afin que chacun puisse se comprendre. Interviennent ensuite les mathématiques pour des coordonnées géographiques, le langage Kodaly pour traduire la musique en gestes et en lumière. Le personnage de Laughlin (Bob Balaban) est même entièrement dévoué à la tâche de traducteur.

Le film s'ouvre et se ferme sur la pluralité des modalités de communication et la difficulté de les articuler pour communiquer. Si cet enjeu est omniprésent, il est irrésolu (avec intelligence, car comment un film pourrait apporter la réponse à cette question, alors que la science peine?), car à la fin, après la symphonie à deux entités, le joueur de synthétiseur se demande même ce qu'ils sont en train de se raconter. C'est un reproche qui a pu être fait au film. Le spectateur passe près de deux heures à attendre une rencontre pour réaliser au final que le contenu de cette entrevue pourrait se résumer à : « salut, on a vu de la lumière, alors on est passé ».

Alors, oui c'est frustrant, mais Rencontres du troisième type est cette histoire-là. Celle de personnages qui s'assurent de leur existence réciproque, qui font un long voyage juste pour s'assurer qu'ils ne rêvent pas. Mais la magie de ce film est telle que le spectateur se trouve, lors du plan final, dans une position analogue à celle de l'aviateur dans Le petit prince, qui disait : « Quand le mystère est trop impressionnant, on n'ose pas désobéir ». Parce que le cinéma, c'est aussi cela : tenter de ne pas désobéir...


Anne-Lise Dall'Agnola est l'auteur d'un mémoire de maîtrise intitulé Rencontres du troisième type. Cartographie d'une perception populaire, sous la direction de Pierre Lagrange à l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse (France) en 2010. Elle travaille actuellement comme gestionnaire de communauté au sein du magazine de cinéma Mad Movies à Paris.
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Article publié le 11 juillet 2011.
 

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