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Le 11 septembre et après : une décennie de cinéma (2 de 3)

Par Mathieu Li-Goyette
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DEUXIÈME PARTIE : L'ATTENTAT

Il était légitime de se poser la question : pourquoi commencer par la guerre plutôt que par l'attentat? La décision fut d'abord une question de point de vue, une manière de se demander : « Comment couvrir l'événement? Comment mettre en lien le cinéma de l'après-11 septembre à sa couverture médiatique? » Si, dans les faits, l'attentat eut lieu en premier, c'est la guerre qui est arrivée le plus rapidement à Hollywood et c'est le culte du guerrier saint envoyé combattre le terrorisme au Moyen-Orient qui a triomphé. On l'a vu, marine, spartiate ou transformer, l'Amérique a produit des icônes musclées capables de survivre à un environnement « hostile » (tant dans le terrain que face à ses habitants). La répétition d'un Vietnam était inconcevable et, d'emblée, le cinéma semble s'être chargé de résoudre la question du vainqueur. Le fait est que de l'effondrement de ces deux tours, de ce principe de répétition souligné par ce hasard calculé, une nouvelle ère de l'image fut inaugurée; l'attentat du 11 septembre 2001 a vu s'effondrer une innocence populaire au profit d'un acte de fondation.

WORLD TRADE CENTER : Comment montrer ce qui a été trop vu

Alors que l'écrasement du vol 93 n'a pas laissé de témoin et que nous n'avons qu'un enregistrement vidéo assez flou de l'attaque sur le Pentagone, c'est l'attaque mainte fois repassée par les médias - l'impact sur les deux tours et l'effondrement de celles-ci - qui fait acte encore aujourd'hui de césure entre une époque et une autre. En fait, c'est parce que la double attaque fut assez espacée dans le temps qu'un tel mythe a pu voir le jour; enlevez à la deuxième tour son cataclysme en direct sur CNN et vous n'obtiendrez plus l'effet « en direct » de la mort. Enregistré par des centaines de caméras vidéo, ce deuxième attentat ne connaît pas d'équivalent et exige du cinéma plus qu'il ne lui a jamais été demandé. Impossible, comme avec l'assassinat de Kennedy, d'augmenter la violence de l'image, car maintenant, l'événement en direct appartient définitivement à la télévision et à Internet et il faudra au cinéma des moyens détournés pour concurrencer l'impact de ce matin du 11 septembre 2001.

Ainsi, des films comme le World Trade Center d'Oliver Stone s'enlisent dans un patriotisme reléguant la tragédie à une page de plus de l'histoire américaine sans la réfléchir comme une nouvelle manière de voir et de penser l'image. United 93, l'autre film de fiction portant directement sur les événements, a pour sa part l'intelligence de s'éloigner des codes hollywoodiens pour rendre à l'actualité une reconstitution dramatique d'événements nous apparaissant toujours de l'ordre de l'impossible, de l'irreprésentable - United 93 utilisera des images d'archives pour imager la collision, World Trade Center aura recours à une ombre profilée contre les immeubles et à un grand choc sonore. Encore aujourd'hui, les reconstitutions par effets numériques de l'événement se font rares et redoublent la difficulté d'en faire un film. La plus grande erreur de Stone ne fut non pas de vouloir en parler et d'en faire un hommage larmoyant, mais bien de proposer un film qui était systématiquement moins intéressant que l'actualité parce qu'il représentait justement l'actualité dans une mise en fiction normalisée. Paul Greengrass et son United 93, eux, s'attardaient plutôt à la représentation de la portion du drame de laquelle nous n'avions pu tirer aucune image, aucun fragment sinon une boîte noire et des conversations téléphoniques.

I AM LEGEND : L'homme contre la ruine

Mais pourquoi chercher à représenter l'attentat? Outre les possibilités financières d'un film à succès (malgré la médiocrité du film de Stone, il demeure l'un des plus lucratifs de sa carrière), le cinéma a participé à alimenter l'attaque comme l'élément premier d'une nouvelle guerre, à représenter l'événement (avec ces deux films, mais aussi avec les documentaires 9/11, Fahrenheit 9/11, les films post-apocalyptiques, la série Transformers, les films de contamination, Cloverfield et ses émules, etc.) comme une attaque surprise sournoise qui devait être combattue. Il y a en effet derrière chacun des immeubles s'écroulant aujourd'hui le spectre du 11 septembre, une esthétique de l'attentat en direct, un duel sans fin contre la mise en ruine de notre société.

Mais la guerre était-elle la seule manière de répondre aux attaques? Telle est l'autre question soulevée par Noam Chomsky dans le Nation of Change du 5 septembre dernier. L'éminent philosophe et activiste revient sur la formation récente du terme « Afpak » pour désigner les opérations anglaises et américaines en Afghanistan et au Pakistan. Le fait, par exemple, que la population locale s'insurge contre l'intrusion américaine pour l'exécution de l'assassinat politique d'Oussama ben Laden en mai dernier, voire la manière dont l'objectif premier de l'ancienne tête pensante d'Al-Quaida était avant tout de modifier radicalement la façon dont le monde allait se comporter avec le Moyen-Orient. Chomsky, citant Anatol Lieven, un historien britannique spécialiste de la question pakistanaise, écrivait que les soldats américains et britanniques sont en effet en train de perdre la vie en Afghanistan pour rendre le monde plus dangereux précisément pour les Américains et les Britanniques. Citant Eric S. Margolis du American Conservative, il soulève par ailleurs que le plan de ben Laden était avant tout d'entraîner une réplique américaine assez forte et concentrée dans plusieurs micro-combats au Moyen-Orient en espérant augmenter la dette américaine et mener le pays au bord de la faillite. Ces deux objectifs ayant été accomplis, il conclut qu'encore aujourd'hui, même s'il a été tué, l'allié numéro un du terroriste demeure, par cet effet pervers de balancier populaire, les États-Unis; l'attentat fut moins une attaque qu'une provocation.

Le rôle pervers du cinéma dans la représentation de l'attaque aura été de vouloir s'en servir pour se remplir les poches. Le ciel sombre de New York (The Day After Tomorrow), la fin du monde (2012), la survie dans un New York dévasté (I Am Legend), ces films montrant un « et si seulement » ont créé l'événement et ont participé à faire de l'attaque - la première d'envergure en sol Américain depuis Pearl Harbor - le seuil limite d'une longue histoire de revanche qui dure encore aujourd'hui. L'attentat du 11 septembre 2001, ce n'est pas seulement ces quatre avions détournés, c'est aussi la décennie qui s'achève et la prochaine qui s'entame. La dette des États-Unis est toujours présente, la métamorphose du Moyen-Orient s'accélère avec le printemps arabe et il sera primordial d'observer dans quel sens ira le cinéma mondial. S'il reviendra encore sur les événements, s'il alimentera encore le moteur de velléité américaine, car à chaque Afghan parodié dans un film de Michael Bay, à chaque film profitant de l'impact des avions, c'est un peu d'humanité qui se perd, qui s’égrène et qui hausse une tension politique virtuelle, largement véhiculée par des médias de masse (cinéma, télévision, jeu vidéo) plutôt que par un regard noble et réfléchi sur l'attaque. À vouloir polariser le monde, il faudra un jour se poser une autre question : jusqu'où peut-on faire de « ceux qui mettent en ruine » les ennemis du monde moderne, jusqu'où peut-on appliquer des considérations scénaristiques et narratives à des réalités politiques trop complexes pour les résumer d'un seul trait? La suprématie du récit au quotidien, c'est, en plus de la tragédie, ce qu'auront prouvé les attentats du 11 septembre 2001.
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Article publié le 20 septembre 2011.
 

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