ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
L’équipe Infolettre   |

Jeux vidéo : Valiant Hearts

Par Louis Filiatrault



Il va sans dire que le jeu vidéo s’est toujours intéressé à la guerre. Que l’on pense à Combat ou Battlezone dans les années fondatrices, à Command & Conquer un peu plus tard, l’affrontement militaire est une constante qui traverse l’histoire de la discipline. Et lorsque la technologie avança au point d’aboutir à des séquences mémorables comme le débarquement sur la plage d’Omaha de Medal of Honor : Allied Assault, le fantasme d’une représentation virtuelle enveloppante, mais surtout réaliste de la guerre historique parut brièvement à portée de vue. Mais devant les virages toujours plus fantaisistes de la série Call of Duty et l’emprise de cette dernière sur le marché, force est d’admettre que le facteur spectaculaire finit par l’emporter pour de bon sur le poids du réel. Une tendance lourde que Valiant Hearts : The Great War, développé par Ubisoft Montpellier, vint rompre plus tôt cette année au grand bonheur des intéressés.
 
L’histoire de Valiant Hearts débute avec Ubi-Art, plate-forme technologique facilitant l’animation 2D, précédemment vue à l’œuvre dans les excellents derniers Rayman ainsi que Child of Light d’Ubisoft Montréal. Elle coïncide également avec le centenaire de la Première Guerre mondiale, et résulte par ailleurs d’un partenariat avec la série télévisée Apocalypse, la Première Guerre mondiale de Daniel Costelle et Isabelle Clarke. Il s’agit donc d’entrée de jeu d’un spécimen éminemment rare, à savoir une production aux visées commémoratives, à portée instructive mais non spécifiquement vouée aux écoles, réalisée en équipe réduite et mise en marché par l’un des plus importants éditeurs de la planète. Devant une proposition aussi insolite, difficile pour l’amateur de retenir une certaine curiosité.
 
Le langage ludique employé par Valiant Hearts découle d’une hybridation fascinante, demeurant toutefois très accessible. Se déployant de gauche à droite à la façon d’un Mario Bros., l’action s’appuie sur de légers tests de dextérité mais surtout sur la résolution d’énigmes. La disposition de celles-ci en tant que problèmes pratiques incrustés dans l’environnement rappelle souvent la cohésion d’Another World, tandis que les manipulations toutes simples convoquent la tradition du « point-and-click » tout en la réduisant à l’essentiel. Le tout se déroule sans texte ou paroles, employant un système particulièrement brillant de phylactères et pictogrammes, alors que le fréquent recours à l’arrière-plan, comme élément de casse-tête ou de mise en scène, ajoute une agréable couche de profondeur aux événements.
 
Tant de bonnes idées pourraient vite tomber à plat si elles demeuraient au service d’un contenu quelconque, et c’est là que Valiant Hearts tire véritablement son épingle du jeu. Passant le relais entre quatre protagonistes aux origines diverses et aux profils bien définis, le jeu fait d’emblée montre d’un goût de la pluralité plus marqué que le moyenne des récits vidéoludiques. L’ambiance européenne s’avère particulièrement authentique dans la fine conception sonore, et bien que les diverses nations soient dépeintes de manière légèrement caricaturale, l’intention du traitement n’est jamais de tourner en ridicule. Comptant bon nombre de séquences d’action impeccablement chorégraphiées – sans non plus écarter une certaine fantaisie – le scénario présente systématiquement l’agression directe comme un dernier recours, priorisant plutôt les fuites, les séquelles et les traversées désespérées de tranchées assiégées. Entre la fraternité militaire, le dévouement familial et la compassion envers l’ennemi, Valiant Hearts fait honneur au souvenir en résistant au mythe de la victoire et à la moralité binaire. 
 
Rien de ces éloges n’a pour but de prétendre que les productions d’action dans le modèle blockbuster n’ont plus rien à apporter au tableau. Cette année seulement, Wolfenstein : The New Order agitait le fantôme de la Deuxième Guerre en visualisant une décennie 60 sous domination nazie d’une étonnante plausibilité. La série ukrainienne Metro n’est pas non plus sans parenté avec l’Histoire, revisitant par sa fiction apocalyptique les traumatismes soviétiques. Mais la force de Valiant Hearts est de chercher avec plus de constance à contourner les récits de conquête et de vengeance, à concilier le spectaculaire des grandes batailles avec l’intimité des accalmies. Facile d’utilisation, à la portée d’un jeune public — le graphisme ainsi que l’esprit d’aventure évoquent immédiatement Tintin – il ne s’agit pas tant d’un pamphlet visionnaire que d’une rencontre remarquablement équilibrée entre mémoire signifiante et ludisme innocent. Plus qu’une réussite en lui-même, Valiant Hearts : The Great War participe d’un changement de cap dont la poursuite se fait vivement attendre.

Visionner la bande-annonce

Disponible en téléchargement sur ordinateurs Windows, consoles Xbox 360, Xbox One, PlayStation 3, PlayStation 4 et appareils mobiles iOS.

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 5 novembre 2014.
 

Essais


>> retour à l'index