ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Chatroom (2010)
Hideo Nakata

Mortel clavardage

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il y a, au coeur même de Chatroom, une problématique esthétique qui n'est pas totalement inintéressante et qui est celle de la représentation cinématographique d'Internet. Je ne vous parle pas de montrer des gens faisant des recherches sur Google, lassant lieu commun du cinéma contemporain tout ce qu'il y a de plus anti-cinématographique, mais bien de dénicher un équivalent visuel à ces concepts propres au web trop statiques pour être montrés tel quel au grand écran. Cela étant dit, ceci n'est pas une critique positive et je ne gaspillerai pas votre précieux temps à étudier dans le moindre détail cette mise en scène des réseaux sociaux que nous propose le cinéaste japonais Hideo Nakata. Chatroom est un mauvais film, plein de mauvaises idées, que l'on tente constamment de se justifier en tant que spectateur en se disant qu'il s'agit d'un « film pour adolescents », avant de se souvenir qu'étant adolescent on trouvait ces mêmes films parfaitement débiles. À n'en point douter, il s'agit d'un film d'Hideo Nakata - c'est-à-dire qu'il réitère des lubies et des idées propres à son auteur par des moyens qui rappellent ses oeuvres précédentes. Mais l'impression qui nous reste en bout de projection est celle d'une parodie orchestrée par le parodié lui-même, et ce, même si le présent film ne met pas en scène de fantômes de fillettes à cheveux longs apparaissant subitement à l'écran.

Quittant son pays d'origine pour adapter une pièce de théâtre à succès d'Enda Walsh, le réalisateur de Ringu et de Dark Water installe en Angleterre son plus récent long métrage, dans lequel une bande « d'amis » virtuels est manipulée de manière sordide par le jeune homme tourmenté qui l'a assemblée. Internet, ici, ressemble donc à une sorte de mante religieuse qui dévore une jeunesse insécure et isolée tout en feignant de la consoler, de lui offrir ce contact humain qui lui manque si désespérément dans le monde réel. Aucun cliché ne nous est épargné, de la pédophilie au suicide en direct par webcam interposée, pour nous faire comprendre que ce labyrinthe est semé d'embûches, potentiellement mortel. En appliquant une méthode héritée du film d'horreur à cette fable bêtement alarmiste, Nakata accouche d'une oeuvre elle-même grossièrement manipulatrice - qui ne nous dit rien de bien neuf, mais qui nous répète dans de luxuriants décors ce que tous les médias de masses tentent de nous inculquer. Craignez systématiquement ce monde qui vous veut du mal. Le suspense, déficient, est tout entier au service de ce discours superficiel et convenu.

Rien dans Chatroom n'est pas lourdement moralisateur ou condescendant. La psychologie extrêmement appuyée nous fait comprendre, toujours trop clairement, que les protagonistes souffrent de solitude aiguë, qu'ils sont aliénés. Le scénario, à cet égard, affiche un ton presque pédagogique qui manque cruellement de finesse narrative. Au lieu d'individus, on nous sert quelques rats de laboratoire qui sont disséqués dans un dispositif filmique artificiel, fabriqué de toutes pièces pour les besoins de la démonstration par un réalisateur qui semble avoir totalement perdu de vue la réalité dont il croit s'inspirer. Il s'avère par conséquent tout à fait impossible de croire à ce Chatroom qui, justement, voudrait que l'on prenne son avertissement démagogue très au sérieux. Voilà donc les habituelles tendances sociologues de Nakata magnifiées, livrées au regard critique d'un spectateur qui, n'ayant plus l'efficacité primaire de ses oeuvres précédentes pour les justifier, ne pourra que les condamner pour leur ridicule consommé. L'image, chez lui, est méchante, alors que les parents sont par définition absents. C'est aussi simple que ça, et ça permet de justifier à la fois la folie destructrice des uns et la fragilité disproportionnée des autres.

L'univers virtuel mis en scène par Hideo Nakata n'est qu'un fantasme, certes, mais c'est un fantasme menaçant qui vient jouer sur notre crainte de la modernité, de la technologie et de la jeunesse en perdition; de bonnes vieilles cordes sensibles du répertoire réactionnaire qu'il exploite visiblement sans trop réfléchir, multipliant les clins d'oeil « d'actualité », à J.K. Rowling notamment, dans l'espoir d'enraciner dans le contemporain sa crédibilité inexistante. Mais au bout du compte, Chatroom s'avère inoffensif parce que sa propre inefficacité en tant que film de genre neutralise sa charge. La conclusion, ridiculement outrancière, et les multiples déroutes de son scénario en font un objet plus risible qu'inquiétant (tant au niveau du propos que de l'intensité). Tant et si bien que l'on se demande si c'est parce qu'il opère en sol étranger que Nakata nous paraît ici si désemparé, invitant ses jeunes comédiens à incarner des caricatures gênantes qu'il place dans un univers factice; ou peut-être, au contraire, l'exotisme de ses premiers films nous avait-il empêchés de percevoir l'aspect vil et stupide de leur propos? Chose certaine, ce Chatroom ne sera pas si facilement pardonné à l'auteur, qui flirte dangereusement avec le bout du rouleau.
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Critique publiée le 19 octobre 2010.