DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Rencontre avec Stuart Gordon et Jeffrey Combs

Par Alexandre Fontaine Rousseau et Mathieu Li-Goyette


 

Nous avons eu la chance de rencontrer Stuart Gordon et Jeffrey Combs, de passage à Montréal pour célébrer le 25e anniversaire du classique Re-Animator et pour présenter leur pièce de théâtre Nevermore: An Evening with Edgar Allan Poe. Détendus, drôles, le réalisateur et l'acteur ont bien voulu répondre à nos questions sur l'art d'adapter H.P. Lovecraft pour l'écran, l'influence du théâtre sur leur démarche cinématographique et le statut « d'auteur de genre ».

Panorama-cinéma : C'est le 25e anniversaire de Re-Animator. Comment vous sentez-vous d'avoir créé un tel succès culte?

Stuart Gordon : Je suis stupéfait que les gens le regardent encore, très honnêtement. La plupart des films… on les oublie à peu près dix minutes après les avoir vus. Mais l'idée que des gens apprécient encore ce film est, très honnêtement, fantastique.

Jeffrey Combs : Et je pense toujours, en rétrospective, au moment du tournage… Je n'aurais jamais pensé que…

Stuart Gordon : Tu croyais que personne n'irait le voir! (Rires)

Jeffrey Combs : Non, je ne croyais pas cela. Mais si quelqu'un m'avait dit à l'époque : « Dans vingt-cinq ans, ce film sera encore populaire », je n'aurais même pas été en mesure de le comprendre. « Non, vraiment? »

Stuart Gordon : Jeffrey n'était pas un fan de films d'horreur. Je dois être franc avec vous… En fait, il y a une scène où il prend une scie pour couper un corps (réaction de dégoût de Jeffrey). Il ressort le bras tout ensanglanté et l'agite pour se débarrasser du sang. Ça, c'est vraiment Jeffrey.

Jeffrey Combs : Je déteste ces trucs ! (Rires)

Panorama-cinéma : À partir du moment où vous avez fait Re-Animator, comment en êtes-vous venus à tourner From Beyond ?

Jeffrey Combs : Ça a été plutôt rapide, non ?

Stuart Gordon : Ce qui s'est passé, c'est qu'après le succès de Re-Animator j'ai signé un contrat pour tourner trois autres films et ils m'ont dit qu'ils voulaient que l'un d'eux soit une autre adaptation de Lovecraft. Initialement, je voulais que ce second film soit Dagon, mais notre distributeur nous a dits : « Des gens qui se transforment en poisson ? Non. » On nous a vraiment dit : « Vous devez faire une autre histoire. » From Beyond est donc celle qu'on a choisi, et je crois que c'est un bon choix, car il s'agit d'une idée très cinématographique.

Panorama-cinéma : Lovecraft est un auteur qui ne décrit pas…

Jeffrey Combs : Ouais. Il n'y a pas d'action, c'est très atmosphérique...

Panorama-cinéma : La plupart du temps, les choses y sont « trop horribles pour être décrites », mais paradoxalement vos films sont extrêmement gore!

Stuart Gordon : Ceci dit, c'est drôle. Parfois, Lovecraft décrit les choses de manière si détaillée qu'on ne sait pas plus de quoi il parle. Il va décrire une créature qui a des ailes et des tentacules… et tu te dis : « Mais de quoi veut-il parler ? » (Rires)

Panorama-cinéma: Vous revenez toujours à deux maîtres, Poe et Lovecraft, qui sont des maîtres de l'invisible alors que le cinéma et le théâtre sont, d'une certaine manière, les arts du visible. Comment avez-vous approché l'adaptation de ces oeuvres dans Re-Animator et From Beyond, ou The Black Cat et Nevermore, que vous allez présenter cette fin de semaine?

Stuart Gordon : Je pense que le secret, avec Lovecraft, c'est de choisir les bonnes histoires. Parce qu'il y a des histoires d'intériorité qu'il serait très difficile d'adapter. Mais il y a d'autres histoires, comme Re-Animator, qui sont pleines d'action. Si on choisit la bonne histoire, ça rend la tâche beaucoup plus facile.

C'est aussi vrai que sans Poe, il n'y aurait pas eu Lovecraft. Lovecraft admirait énormément Poe, et imitait même le style de Poe dans ses premiers écrits. Mais Poe traite surtout des sens, et tente de nous faire vivre quelque chose en tant que lecteur. Il y a un moment dans notre pièce où [Poe] affirme que tout est fait en fonction d'un seul effet quand il écrit : que ce soit faire rire, pleurer ou faire peur. Chaque mot doit contribuer à cet effet.

Panorama-cinéma : Vous êtes tous deux issus du monde du théâtre. Comment avez-vous utilisé ce bagage en faisant le saut vers le cinéma ? Il y a des choses extrêmement théâtrales dans vos films, par exemple le jeu extrêmement expressif, presque caricatural… (Rires)

Jeffrey Combs (sarcastique) : Ah vraiment, merci !

Panorama-cinéma : Cette prestation demeure l'une de mes préférées de tous les temps ! Mais il y a quelque chose d'assez inhabituel au ton des prestations dans ces films.

Stuart Gordon : C'est vrai.

Jeffrey Combs : C'est vrai, mais je n'y suis pas allé en pensant à un style ou à une méthode. Je pensais simplement à jouer la scène. Il y a des enjeux très, très importants, des choses très importantes qui s'y passent !

Panorama-cinéma : Les choses les plus essentielles !

Jeffrey Combs : Exactement, les choses les plus essentielles : la vie, la mort, les vivants, mourir, vivre à nouveau ! Alors, il faut quelqu'un qui a du coeur au ventre ! Tu ne peux pas simplement t'installer confortablement, marmonner et être calme.

Stuart Gordon : Je crois que ça a aussi à voir avec le personnage d'Herbert West lui-même. C'est un personnage plus grand que nature. Il est très déterminé, et Jeffrey capture totalement cette essence. Dès qu'il est venu pour l'audition, j'ai su que c'était le bon choix. Ce qui est drôle, c'est que dans la nouvelle de Lovecraft, West est décrit comme un type blond… il ne ressemble en rien à Jeffrey. Mais Jeffrey avait la bonne attitude, et a vraiment saisi l'essence d'Herbert West.

Jeffrey Combs : Je l'ai déjà dit, mais le public aime les personnages qui ne font pas de compromis : de Dirty Harry à Herbert West en passant par d'innombrables héros. Ce sont les individus qui décident de faire les choses à leur manière. On doit tous faire des compromis au quotidien : s'asseoir à côté d'un bébé qui pleure dans un avion, laisser notre patron nous narguer alors que l'on voudrait tout bonnement l'envoyer chier. Mais pas toi, Stu… (Rires)

Panorama-cinéma : Ça semble être un plutôt bon patron…

Stuart Gordon : Il l'a fait à quelques reprises, quand même.

Jeffrey Combs : Mais les foules se retrouvent dans ce personnage qui va là où ils ne peuvent pas aller, qui fait ce qu'ils ne peuvent pas faire même si ça implique un certain chaos. Au moins, il est cohérent dans son refus du compromis. C'est l'une des raisons qui explique, à mon avis, la fascination pour Herbert West.

Panorama-cinéma : Cette manière de décrire le personnage me rappelle énormément Edmond. Entre David Mamet et Lovecraft, on pourrait croire qu'il y a un énorme écart. Mais ils ont, en réalité, plusieurs points communs.

Stuart Gordon : C'est un bon point. Lovecraft a déjà décrit son univers en disant que « l'homme vit sur une île d'ignorance, entouré par des forces au-delà de son contrôle. » Je crois que ça pourrait aussi décrire Edmond.

Jeffrey Combs : Ou ma carrière. (Rires)

Panorama-cinéma : Poe et Lovecraft ont toujours écrit sur l'aliénation propre à leur époque. À plusieurs égards, vous avez exploré ce thème avec Edmond puis Stuck. Croyez-vous avoir trouvé un moyen d'exprimer ces émotions dans votre propre style, dans votre propre univers ?

Stuart Gordon : C'est vrai que mes derniers films se déroulent dans le monde réel plutôt que dans un univers fantastique. J'ai commencé à croire que la vraie vie est plus terrifiante que tout ce que l'on pourrait imaginer. (Rires)

Panorama-cinéma : Croyez-vous qu'être un auteur de genre a été un obstacle dans votre carrière ? Cela vous a-t-il aidé ? Vous avez souvent fait des films qui se sont retrouvés directement en vidéo…

Stuart Gordon : C'est dur à dire. Parfois, ça m'a été très utile et si ce n'était du succès de ces films, je ne ferais tout simplement pas de films. Alors je ne peux pas vraiment me plaindre. J'adore le cinéma de genre. Mais parfois… Un des projets que je tente de réaliser depuis un moment est une comédie romantique, et les gens ont beaucoup de difficulté avec ça.

Panorama-cinéma : Quand l'idée de Nevermore vous est-elle venue à l'esprit ? Était-ce durant le tournage de The Black Cat ? S'agit-il, en quelque sorte, d'un prequel ?

Stuart Gordon : Ce l'est, effectivement, en ce sens où les événements présentés prennent place à peu près trois ans avant ceux de Nevermore. Mais c'est vraiment en étant sur le plateau avec Jeffrey, lorsqu'il interprétait Poe, que j'ai vraiment commencé à croire qu'il était Poe.

Jeffrey Combs : Jouer c'est croire.

Stuart Gordon : Le truc avec Jeffrey Combs, c'est que quand il entre dans la peau d'un personnage, il n'est plus Jeffrey Combs. Il devient tout simplement une autre personne. Ça ne lui ressemble pas. Ça ne sonne pas comme lui. Il est Poe.

C'était une impression si forte que je me suis dit : ce serait formidable de la partager avec un véritable public. Être en mesure de passer du temps, d'être dans la même pièce, de respirer le même air qu'Edgar Allan Poe.



Panorama-cinéma : C'est le concept de la pièce. Ce n'est pas vraiment une pièce, mais plutôt vous qui vous présentez sur scène dans sa peau.

Jeffrey Combs : C'est une reconstitution d'une lecture qu'aurait pu faire Poe de son vivant.

Stuart Gordon : Mais, bien entendu, puisque c'est Poe les choses… virent mal.

Panorama-cinéma : Au sujet de The Black Cat, et de votre travail sur la série Masters of Horror... Voyez-vous une différence entre le fait de tourner pour la télévision ou pour le grand écran ? Est-ce la même chose pour vous ?

Stuart Gordon : C'est essentiellement la même chose pour moi.

Panorama-cinéma : Avez-vous fait Nevermore sur scène parce que vous ne pouviez pas le filmer ?

Jeffrey Combs : Nous ne l'avons même pas considéré.

Stuart Gordon : Je crois qu'il y a quelque chose dans le fait de vivre un événement qui est encore plus fort que le cinéma. Je crois que le théâtre est plus puissant que le cinéma. Quand on se trouve au sein d'un public, que l'on regarde quelque chose se déployer sous nos yeux, c'est quelque chose de très intense. Voilà la raison pour laquelle nous avons décidé de faire de Nevermore une pièce de théâtre. Je ne crois pas que ça aurait eu le même impact sous forme de film.

Panorama-cinéma : S'agit-il de votre premier retour au théâtre?

Stuart Gordon : Non. J'en fais de temps à autre. Jeffrey et moi avons débuté par l'entremise du théâtre.

Panorama-cinéma : Je sais que vous avez parlé de faire un film intitulé House of Re-Animator, qui était censé traiter de l'administration Bush.

Stuart Gordon : C'était l'idée, et ça aurait été excellent. Nous avions William H. Macy dans le rôle de Bush, ce qui aurait été hilarant, et tous les comédiens de Re-Animator devaient être de la partie : Bruce Abbott, Barbara Crampton… Tous les éléments étaient rassemblés. Comment peut-on ne pas faire un tel film ? La réponse, c'est que les gens avaient peur de le financer, parce qu'ils ne voulaient pas avoir de problèmes avec l'administration Bush. Et aujourd'hui, ça semble un peu inutile…

Panorama-cinéma : Oui, mais la politique demeure un problème avec ou sans Bush.

Stuart Gordon : Je sais. Il est possible que nous relancions le projet un jour.

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Article publié le 20 juillet 2010.
 

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