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Entrevue avec Izabel Grondin

Par Ariel Esteban Cayer
Singulière figure dans le panorama du cinéma de genre et du cinéma underground québécois, Izabel Grondin réalise des courts-métrages depuis 1994 et prépare présentement son premier long-métrage, une adaptation du roman Le Quartier des Oubliés de Madeleine Robitaille. Dans le cadre d’un dossier sur les réalisatrices québécoises, Panorama-cinéma s’assoit avec elle pour explorer son parcours, ainsi que les thématiques qui l’obsèdent depuis ses débuts.




:: La Table (Izabel Grondin, 2013)


Panorama-cinéma : Si on part du début, j’aimerais aborder tes années universitaires et ton parcours : d’où t’est venue cette fascination pour le genre ?
 
Izabel Grondin : C’est un combat qui date. N’oublie pas que dans les années 90 – j’ai l’air d’une grand-mère de dire ça –, les festivals qui présentaient des films de genre, ne serait-ce qu'en long métrage, il n’y en avait presque pas. En court-métrage oublie ça, il n’y en avait pas. Personne ne faisait des courts-métrages de genre.
 
Pour te situer : je viens de Québec. J’ai eu l’illumination à 22 ans que je voulais être une réalisatrice. Pour moi, ça se passait à Montréal et il n’y avait rien à Québec ; pas même un programme d’étude. Je n’avais jamais tenu de caméra ou écrit de scénario, mais je voulais apprendre. J’avais évidemment entendu parler de Concordia, qui était et est encore une école très prestigieuse. Je suis allée passer une entrevue. Je n’avais jamais fait de film, je n’avais que des dessins à montrer et j’ai donc été refusée. Je me suis inscrite au certificat en scénarisation à l’UQAM. Il y avait un programme qui s’y donnait qui s’appelait « production vidéo ». J’avais un plan de match bien précis : « je vais faire le certificat, je vais faire de la vidéo, je vais faire un film, je vais retourner à Concordia, et puis là ils vont me prendre, c’est sûr ». J’y suis retournée l’année après avoir fait mon certificat et j’ai présenté mon premier vidéo, Ecce Homo (1994). 
 
J’ai commencé mon baccalauréat. Mes deux premiers films étaient des films d’horreur : j’ai fait Piège à Rat (1995), un film muet sur un démon. Après j’ai fait un film psychologique fucké, expérimental, mais dont on me parle encore : Ruben Is Not Well… (1996). Fait avec des bouts de corde, un film étudiant, t’sais. 
 
Ensuite j’ai passé une entrevue pour faire la fin du baccalauréat. Comme je t’expliquais un peu tantôt, j’ai été refusée pour avoir voulu faire un film d’horreur et j’ai eu l’impression d’avoir été victime de discrimination. J’ai su 15 ans plus tard que c’était le cas. J’ai porté plainte, elle a été reçue et je suis retournée aux études pour finir mon bac en production. L’ironie dans mon cas c’était que je disais au jury en 2e année que je voulais faire un film plus macabre et plus sexe en 3e année et je n’ai pas été acceptée. Quand je suis retournée en classe, c’est moi qui ai eu la plus grosse bourse de mon groupe pour faire un film de vampires lesbiennes : Sang Remords (1998).
 
Ça conclue mon parcours avec Concordia. T’apprends à te battre assez jeune, mettons. Une belle école de la vie… mais très snob. J’étais très révoltée contre plusieurs mentalités de l’école. J’étais déçu de mon cours de cinéma d’horreur, par exemple : c’était juste des films américain… On a parlé de Jacques Tourneur, de Daughters of Darkness (1971), mais sinon, aucun film d’horreur européen, aucun film d’horreur asiatique. Très proaméricain, proanglophone. Ça m’a fait chier un max. 
 
Panorama-cinéma : Tu me donnes l’impression que déjà là, tu travaillais en opposition à plusieurs choses que le contexte académique de Concordia illustre bien.
 
Izabel Grondin : Je trouvais ça hypocrite. T’sais, ils font un festival à chaque année pour les films de leurs finissants ? Le poster, à la fin de mon bac, tu y voyais un King Kong, une espèce d’image psychotronique d’« on est cool, on est open ». Et tout ce qu’on y voyait, c’est des criss de films de lavabo au ralenti avec du gros noise. Et je ne dis pas qu’il n’y avait pas de bons films, il y en avait. Mais l’image qu’ils essayaient de donner versus ce qu’on y tolérait, concrètement, comme production ne correspondait pas.
 
Je connais des gens, dont je ne nommerai pas le nom par respect - des gens de talent qui ont percé aujourd’hui – qui ont dû se dire « fuck Concordia » et qui ont continué à leur façon. Ils ne pouvaient pas y faire ce qu’ils auraient aimé faire et pourtant t’es là pour apprendre, pour explorer. C’est justement la meilleure place pour te casser la gueule, pour expérimenter des univers. Si déjà là, tu es confiné… Je crois que c’est le point qui a été reçu dans ma plainte. Ça a été ma première grosse claque en tant que cinéaste.  




:: Terrore (Izabel Grondin, 2001)

 
Panorama-cinéma : J’aimerais que tu me parles un peu de Terrore (2001). Corrige-moi si je me trompe, mais pour plusieurs, c’est ton premier film, ou du moins, celui qui t’a lancée ? 
 
Izabel Grondin : J’avais fait une fausse bande-annonce de long-métrage qui a été assez catastrophique. Et puis un film qui s’appelle Click Here (2001), visuellement mon film le plus laid, mais j’adorais l’histoire de ce film-là. On va se le dire : il n’y avait personne de pro sur le plateau, moi la première, donc ça fait encore « film étudiant ». Terrore aussi, tant qu’à ça, mais c’est le premier film que j’ai fait où les gens ont commencé à me prendre au sérieux. 
 
Panorama-cinéma : Peux-tu parler de l’expérience de Terrore ? C’est un film qui se présente comme « les dernières minutes d’un long-métrage ». Est-ce que c’était une façon de contourner le long-métrage ?
 
Izabel Grondin : Non. En fait, c’était une commande : j’avais été approchée par une gang qui organisait une soirée au Lion d’Or, une fois par mois. Ça s’appelait les Soirées de la Langue à Terre. À un moment donné, ils ont décidé d’incorporer à leur soirée de théâtre un cadavre exquis : chaque personne faisait un court-métrage qui devait commencer par la dernière image du court-métrage précédent. Ça a aussi été une de mes plus belles réactions de foules, au Lion d’Or.  Vois-tu, à cette époque, SPASM n’existait pas, les Rendez-vous du Cinéma Québécois n’avaient pas encore de section pour les courts-métrages. C’est un court-métrage qui sortait de nulle part, et qui m’a ouvert des portes. Il a fait TromaDance, et quelques festivals comme ça. 
 
Panorama-cinéma : C’est le genre de court-métrage facile à prendre pour acquis, dans le sens que les festivals de courts, aujourd’hui, il y en a beaucoup : les courts-métrages de genre à Fantasia ou SPASM qui roule depuis maintenant une dizaine d’années leur assurent une certaine visibilité. Les choses étaient donc forcément différentes. 
 
Izabel Grondin : Ça a été une période magique. De 2002 à 2005, il y a eu une espèce d’ébullition dans le court-métrage de genre. Ça a commencé à exploser, littéralement. T’avais le collectif Roadkill Superstar (constitué de François Simard, Anouk Whissell et Yoann-Karl Whissell), Éric Bilodeau, Éric Falardeau, j’en oublie. Ludovic Spénard, moi évidemment, toute la gang de Phylactère Cola. Quoiqu’il faut dire qu’eux, ils ont commencé bien avant : Vitesse Lumière ça a commencé en 1997. La première année, c’était juste leurs films, présentés entre leur gang. En 1998, ils ont fait une première édition qui s’ouvrait aux autres : j’étais en compétition avec des gars comme Ricardo Trogi, Jean-François Rivard qui a fait Série noire, Francis Leclerc, le fils de l’autre. T’sais, on est tous encore là, à des différents paliers. 
 
C’est sûr que pour une femme, c’est toujours plus long, plus difficile. La seule femme qu’il y avait dans la gang et qui est encore là, quoiqu’elle fasse du documentaire maintenant, c’était Martine Asselin. C’est pour ça que l’affaire de la « reine de l’horreur », c’était un peu un running gag. Pour les gars, c’était leur façon de me taquiner : il n’y avait pas de fille qui présentait de film, alors ils me faisaient toujours une petite fleur, une petite présentation de même. Et y’aura fallu qu’un journaliste paresseux tombe là-dessus et ça a été du copier-coller depuis, non-stop. Je n’ai jamais pu me débarrasser de ce surnom-là.   
 
Panorama-cinéma : Tu mentionnes Série Noire, et on peut penser à Turbo Kid dont le tournage vient de se terminer. Penses-tu que cette « scène » là du cinéma québécois, celle du cinéma de genre, se porte bien, en général ?
 
Izabel Grondin : Non. C’est pire que c’était avant. Ça fait partie de cette période magique dont je te parlais. De 2002 à 2005, t’as eu par exemple Sur le seuil (2003), St-Martyr des damnés (2005), La peau blanche (2004), etc. Je ne dis pas que c’était des films qui ont eu du gros succès, mais il y avait des longs-métrages de genre, presque deux par année qui étaient produits. Il y avait un espoir. Ces temps-ci, le gros buzz des productions longs-métrages, c’est des « films pour aller à Cannes ». On ne fait plus des films pour créer, pour expérimenter ou pour aller dans des univers différents : non on fait des films pour aller à Cannes. Je ne te dirai pas ce que je pense de ça, j’en ai pour 8 heures. 
 
Du film de genre, il n’y en plus tant que ça. T’as Érik Canuel qui a fait Lac Mystère (2013). Y’a eu quoi à part ça ? Série noire, j’étais contente de voir ça dans le décor. Roadkill, j’étais très très contente pour eux, qu'ils puissent faire un long-métrage à partir de Turbo Kid. J’espère que ça va contribuer à changer un petit peu le milieu. Sinon, il y a Éric Picolli aussi, qui a fait Projet-M qui vient d’être acheté par le Japon ; un projet de web-série sci-fi très, très ambitieux. 
 
Je pense également à mon ami Renaud Gauthier : j’ai un respect sans bornes pour ce gars-là : j’ai adoré Discopathe. Renaud, il n’y a personne qui a voulu le produire, personne qui a voulu le diffuser. Il a vendu sa maison pour faire son film. Éric Falardeau qui a fait Thanatomorphose ; même chose. Ils commencent à trouver des niches.
 
C’est lamentable, parce que je trouve que là-dessus, on est vraiment en retard par rapport à d’autres pays. Je ramène un peu la place de la femme là dedans, mais le peu de genre qu’il y au Québec, c’est du film d’action, du film policier. La production de 15 millions, avec des scènes de course de chars et des scènes d’hélicoptères, il n’y pas un seul producteur qui va me donner ça, à moi une, une fille. Sais-tu quoi ? Je serais une productrice et j’aurais 15 millions, je ne suis pas sûr moi non plus que je le donnerais à une fille… J’espère dans ma vie briser à jamais cette image-là, car je suis une fille qui est physique ; je fais du plateau, je ne suis pas tuable. Je suis capable de livrer autant qu’un gars, je ne suis peut-être juste pas capable de lever le même poids que lui en termes d’équipements...
 
Panorama-cinéma : Et de toute façon, c’est un stéréotype : sur un plateau, tu as toute une équipe pour t'entourer. 
 
Izabel Grondin : Micheline Lanctôt a fait une superbe sortie dans l’actualité récemment. À l’âge qu’elle a et avec le background et l’expérience qu’elle a, elle a encore de la misère à récolter des 1 million, des 1,5 million. Elle dépose au volet indépendant, pendant que des gars que je ne nommerai pas, qui gagnent grassement leur vie en pub – un autre milieu fermé aux femmes et sur lequel je ne reviendrai pas, car c'est trop frustrant – vont avoir 6 à 7 millions minimum. Quelqu’un qui roule au Québec peut peut-être faire de 2 à 3 films en 10 ans. Une femme ? On parle de peut-être 2 films, maximum. Et c’est des cas exceptionnels.




:: Aspiralux (Izabel Grondin, 2002)


Panorama-cinéma : Vois-tu ça changer tranquillement ?
 
Izabel Grondin : Non. Je ne te dirais pas que j’ai vu des ouvertures. Ça m’amène à quelque chose : les gars, en général, sont capables de gagner leur vie, en publicité, en clips, entre deux films. Parce que personne ne gagne sa vie en faisant des films au Québec. Tu n’as pas idée du nombre de métiers que j’ai fait pour gagner ma vie. À mon âge j’aurais aimé ça être dans une situation financière moins précaire. Mais c’est un choix que j’ai fait. Je pense que ça aussi, ça décourage les femmes. Parce qu’à un moment donné, ça a beau être ta passion…
 
Les filles que je connais, et là je parle des réalisatrices, combien sont-elles à gagner leur vie avec ce métier ? Je serais bien embêtée de te nommer des noms. La plupart se débrouillent… Puis là, on ne parle même pas d’avoir des enfants. Celles qui en veulent se buttent à la réalité : It’s a man’s world. C’est à nous de faire notre place.
 
Panorama-cinéma : Tu as déjà dit être que tu étais vraiment exaspérée de la manière que la sexualité des femmes était représentée dans le cinéma, et ce qui m’a vraiment intéressé dans tes films, c’est qu’ils accumulent les perspectives féminines. Que ce soient les succubes ou les vampires à la Jean Rollin, ou bien les femmes intéressées à différents fétiches, dans Fantasme (2009) ou La Table (2013). Sans trop s’attarder sur ces deux là, parce qu’on y reviendra, peux-tu revenir sur ce mécontentement? Comment diversifies-tu les perspectives, et comment, en tant que femme, t’identifies-tu à ces personnages ?
 
Izabel Grondin : Je trouve que la sexualité de la femme, dans toutes les formes d’art à l’exception de la littérature où les femmes ont pu trouver un exutoire, a toujours été dictée par des critères sociologiques souvent désuets, une misogynie parfois latente… qui se résume à une certaine haine que des femmes peuvent avoir – et que des hommes peuvent avoir évidemment – lorsqu’une femme assume le moindrement sa sexualité. Et puis si cette sexualité sort d’un cadre qui est considéré comme normal, c’est encore pire. Moi ce qui m’écœure, c’est qu’à chaque fois qu’on voit des scènes de « cul » – et ça ce n’est pas qu’au Québec c’est vrai partout –, c’est toujours caché, feutré. On ne voit pas trop, on garde les vêtements. Le visage est toujours beau, parfait, la bouche est bien positionnée, il n'y a jamais un cheveu qui dépasse…C’est trop mielleux, trop « cute ». Les Européens se distinguent là-dessus et ce n’est pas pour rien que je les adore. 
 
Pour moi, la sexualité c’est infiniment plus intéressant et complexe qu’un simple coït…C’est hallucinant à quel point j’ai entendu des choses plus heavyvenant de femmes que des hommes. Je ne dis pas que c’est la majorité, mais celles qui le font et qui s’exposent comme tel sont encore victimes de bashing, le fameux slut-shaming
 
C’est vrai aussi au cinéma : avec La Table, je savais que je prenais un risque ; un risque d’être associé à ça, d’être qualifiée de misogyne – c’est déjà arrivé : trois personnes m’ont carrément donné cette étiquette-là, n'ayant carrément rien compris du film. Je ne me reconnais pas dans ce qu’on voit dans la sexualité au cinéma. Je me demande d’où ça vient tout ça. Il y manque une espèce d’animalité, d’imperfection. Le « cul », ce n’est pas parfait ; y’a de la sueur, des affaires qui dépassent. Ce n’est pas de la porno ; c’est improvisé, c’est supposé être un acte libre entre deux personnes qui se désirent férocement. 

Dans le scénario original de La Table, la femme devait être complètement nue. Je voulais une femme de mon groupe d’âge. Il y avait aussi des scènes graphiques : une vraie fellation, une vraie masturbation, à être tournée en très gros plan, avec des doublures, des professionnels. Puis les acteurs auraient fait le reste. Isabelle Giroux, qui a joué dans le film était la 42e comédienne qui a été approchée. Elle a 28 ans. Il a fallu que je fasse plein de sacrifices dans mes critères. Une femme de mon âge ? Il n’y en avait finalement pas. J’ai baissé un peu l'âge : il n’y en avait pas non plus. Ce n’est pas des filles dans la rue que j’ai approchées : c’est des comédiennes de l’UDA dont c'est métier. Leur corps est leur métier de travail et pourtant il persiste une forme de puritanisme dans le milieu.
 
Ça entretient encore une image de la femme qui m’écœure : le syndrome de l’ange ou de la putain. T’as la bonne mère de famille ou la maîtresse un peu « olé olé ». Mais il ne faut pas que ça déborde de ça. J’aime les personnages qui sont plus intenses ou des scènes comme celles de Possession (1981) avec Isabelle Adjani qui se masturbe dans le métro ou bien La Pianiste (2001), un de mes films préférés, avec Isabelle Huppert. Ce sont des chefs-d’œuvre, parce que ce sont des films qui ont justement réussi à transgresser cette représentation homogène de la sexualité de la femme. Je déplore qu’on doive encore y mettre de l’hystérie pour justifier ces actes-là. Faut que la femme soit possédée par un incube, ou qu’elle soit folle. Pourquoi ne pourrait-elle pas être simplement comme ça, sans toutes ces névroses ? Peut-on être femme sans être une hystérique, peut-on être animale, féminine, sans être considérée hystérique ?
 



:: Fantasme
(Izabel Grondin, 2009)

 
Panorama-cinéma : Dans Fantasme et La Table, tu utilises des situations sexuelles osées, des fantasmes et des fétiches qui te permettent de créer des situations de tension assez soutenues et réussies. Ces films-là reflètent-ils tes propres fantasmes, et sinon, qu’est-ce qui t’attire dans ces situations de domination ? 
 
Izabel Grondin : Si ce sont des fantasmes ? Non. Est-ce que je trouve ça fascinant ? Oui, définitivement.
 
Je connais plusieurs milieux, et j’ai rencontré des gens de plusieurs allégeances et orientations sexuelles – des transgenres, gais, lesbiennes, des drag kings, des drag queens, des gens du milieu BDSM, de la scène fétichiste et burlesque. Je te dirais que tout cet univers, je le trouve beau, coloré, vivant. Une forme de sexualité alternative, comme ce que la fille fait avec le gars dans La Table, par exemple, ou le jeu du docteur dans Fantasme, il y a quelque chose d’extrême là-dedans et c’est peut-être là que ça me rejoint. Je suis quelqu’un de très peureuse dans la vie : j’ai peur des hauteurs, je suis claustrophobe, j’ai le mal des transports et j’ai mal au cœur à rien. La plupart des gens, surtout les gens qui vivent en ville et qui ont des vies un peu blasées, stressées, on a tous le besoin de se sentir vivants. Beaucoup vont pratiquer des sports extrêmes, ils ont besoin de ce « buzz » là pour s'épanouir. Je ne peux pas vivre ça, parce que je suis peureuse. Alors la vie privée peut être un beau terrain pour un autre genre de sport extrême. Cette piste-là me plaît, dans les films, et je sais très bien que dans Fantasme, La Table, Aspiralux aussi, même Ruben Is Not Well… Il y a beaucoup de thématiques à connotations dominant-dominé, sadomasochistes. Je pense que je flirte avec ça dans plusieurs de mes films, et qu’il y a un film que je vais faire où je vais y vider tout ça. J’adore également les films qui traitent de ça : Salo, ou les 120 jours de Sodome (1975),  La Pianiste, The Whip and the Body (1963) de Mario Bava… 
 
Panorama-cinéma : Tu as répondu à cette question dans une certaine mesure, mais de par le passé, des cinéastes utilisaient vraiment le corps, la sexualité et l’abject dans une mouvance politique précise. Est-ce que ton utilisation du corps et de la sexualité est similaire ?
 
Izabel Grondin : Politique, je ne dirais pas, mais sociale, oui. On est un produit de consommation comme n’importe quel autre ; on vit dans une société d’hypersexualisation, et on n’a jamais montré autant de beaux gars et de belles filles dans toutes sortes de positions. Tout le monde doit avoir l’air cochon pour vendre un cellulaire ou vendre de la gomme. 
 
Moi je préfère aller jouer dans le vrai. Oui, l’hypersexualisation, mais la vraie. Pas celle sur un magazine qui va faire bander quelques pervers pour vendre un produit. Je parle de la vrai, celle qui nous unie entre nous, les humains, revenir à l’essentiel, à  une sexualité qui est là par besoin, par pulsion plutôt que pour plaire et systématiquement exciter. Dans La Table, il n’y pas d’artifice. La fille ne fait pas sa cochonne, il n’y pas de gros décor de faux donjon : on est dans une cuisine, un salon. Puis ça, j’y tenais : je ne voulais pas qu’on tombe dans le cliché. 
 
Et ça aussi c’est un autre truc dans la sexualité alternative, et surtout sadomasochiste, il y a tellement de clichés : il faut que tu sois habillé en Dracula, les petites menottes… Je vois ça différemment. 
 
Panorama-cinéma : Tu as soumis un projet d’adaptation d’un roman de Madeleine Robitaille à Frontières, le marché de coproduction du festival Fantasia, l’été passé. Comment est-ce que ça se développe ? 
 
Izabel Grondin : Officiellement, ma productrice c’est Christine Falco de Camera Obscura. Elle avait lu le roman et mon scénario et voulait faire ce film. On est à l'étape de la ré-écriture. Le projet avance lentement, mais sûrement : on aimerait le tourner à l’été 2015 parce que ça se passe en pleine canicule. Sinon au plus tard, 2016.
 
D’où ce que je disais : le gars qui travaille sur son projet de film qui va prendre 6 ans à décoller, au moins il peut bien gagner sa vie en publicité ou en clips, et il n’est pas préoccupé, il travaille. Quand t’as rien à manger, et qu’il faut que tu payes ton loyer, m’a te dire que ta création, elle prend le bord.
 
J’espère changer la donne, surtout que, je disais à Christine : « je suis une réalisatrice, tu es une productrice et on adapte le roman d’une auteure. » On est trois femmes, de la même génération. Trois Québécoises qui n’ont rien en commun, mais quelque part, on a cette histoire incroyable en commun.
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Article publié le 26 mai 2014.
 

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