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Entrevue avec Ryoo Seung-wan

Par Mathieu Li-Goyette
CE QUI NE PEUT ÊTRE IGNORÉ

Attablé sur la terrasse de l'hôtel, Ryoo Seung-wan résiste à la chaleur accablante de la canicule montréalaise. La barrière de la langue empêche un bon premier contact. L'entrevue se met en branle, des noms ressortent. Des « Martin Scorsese », des « Shohei Imamura », des noms qui ne sont ni français ni coréens, mais que l'on comprend et qui nous font discuter d'une poignée de leurs films. Ryoo Seung-wan, plutôt gêné et avare de mots sur son oeuvre qu'il considère plutôt simple, est pourtant l'un des réalisateurs les plus brillants qui soient. Jeune maître du cinéma d'action, ses films ont l'audace de se doubler d'un discours sociopolitique, chose rarissime dans un genre qui préfère l'action aux discussions. À l'occasion de la présentation de The Unjust au Festival Fantasia, le réalisateur était donc de passage pour nous faire part de ses opinions sur la grande idée du cinéma de genre, sur ce qu'il pouvait faire et ce qui, en matière de politique, ne pouvait être ignoré au profit du pur divertissement.

Panorama-cinéma : Quel est votre genre préféré?

Ryoo Seung-wan : Avant, j'aimais bien les films d'action. Mais plus je vieillis, plus je fais de films et moins je différencie les genres. Je crois qu'une fois le film réalisé, le public décidera du « genre » qu'il croit être. Mais à notre époque, la notion de genre n'a plus autant de sens qu'auparavant.

Panorama-cinéma : The Unjust marque un nouveau départ pour vous, ou du moins, c'est votre film le plus ambitieux à ce jour.

Ryoo Seung-wan : S'il fallait caser The Unjust dans un genre, ce serait un film policier. Par ailleurs, The Unjust a été le premier film où je réfléchissais plus aux dialogues et aux personnages plutôt que de le faire selon une série de codes précis auquel s'attend le spectateur.

Panorama-cinéma : Vos films ont souvent été des métaphores ou des critiques de la société coréenne. Croyez-vous qu'aujourd'hui le cinéma de genre se doit d'être politisé? Doit-il traiter de sa société?

Ryoo Seung-wan : Non, je ne pense pas. Chaque réalisateur a des histoires de prédilection tout comme des personnages qu'ils maîtrisent ou non. Que leurs récits traitent de politique ou non devrait plutôt dépendre de ces particularités. On ne devrait pas toujours parler de politique. Ce n'est pas une obligation.

Ryoo Seung-wan

Panorama-cinéma : Dans The City of Violence, qui est un pur film d'arts martiaux, vous aviez déjà une volonté profonde de traiter des problèmes de la société coréenne, même de la manière dont cette violence était présente dès l'adolescence.

Ryoo Seung-wan : Dans The City of Violence, il y avait beaucoup de problèmes de politique, mais je n'ai jamais littéralement pensé à inclure ces messages dans mes films. Cela dit, je vis en Corée et si je veux inclure mes films dans un certain milieu, une certaine société, il y a des faits que je ne peux ignorer, même si je désire divertir.

Panorama-cinéma : Revenons à The Unjust. Quelque chose choque dans ce film et c'est la façon dont un procureur peut mener sa propre enquête. À ce qu'on peut lire, le système judiciaire est en effet assez différent de celui que l'on retrouve au Canada alors qu'ici, un procureur n'est pas mandaté d'effectuer des enquêtes à son propre compte.

Ryoo Seung-wan : Lorsque je préparais le film, il y a eu un grand problème en Corée par rapport à des procureurs qui recevaient de l'argent venant de politiciens haut placés. Cela a donné lieu à un grand débat de société et à une remise en question du système. En général, ce ne sont pas tous les procureurs qui mènent leur propre enquête, mais ils sont en mesure de le faire s'ils le désirent. Chez moi, il y a un très petit groupe de personnes qui détient tous les pouvoirs de l'état et la grande question nationale est constamment celle remettant en cause cette division des pouvoirs et la manière dont on pourrait y remédier.

Panorama-cinéma : The Unjust est votre premier film nettement moins axé sur les combats ou les chorégraphies. Il y a beaucoup plus de dialogues, il est bien plus complexe, voire labyrinthique. Est-ce que c'est une nouvelle tangente que vous prévoyez explorer plus souvent à l'avenir?

Ryoo Seung-wan : Je n'y pense pas vraiment. Je suis plutôt obsédé par le film que je m'apprête à tourner et si l'histoire de mon prochain scénario exige des scènes d'action plus explosives, je ne me gênerai pas.

Panorama-cinéma : Et quel est ce film?

Ryoo Seung-wan : Le titre que j'ai en tête pour l'instant est À Berlin, In Berlin. Ce sera une histoire d'espionnage mettant en scène des agents sud-coréens et nord-coréens dans la capitale allemande.

Ryoo Seung-wan

Panorama-cinéma : Dans une entrevue que vous avez accordée en France, vous disiez n'être pas trop inspiré par la bande dessinée, même si vos films précédents utilisaient énormément les jeux sur les doubles focales ainsi que les split screens. En ce sens, The Unjust, qui n'en utilise aucun, m'apparaît révélateur. Voyez-vous cette décision comme une évolution de votre style ou plutôt comme une contrainte découlant du fait que, pour la première fois, votre sujet était sérieux de bout en bout?

Ryoo Seung-wan : Je n'ai pas d'influence directe de la bande dessinée, mais bien de films qui ressemblent à des bandes dessinées. En ce qui concerne les techniques de montage, c'est particulièrement les films américains des années 70 et 80 qui m'ont le plus influencé. Les Martin Scorsese, Sam Peckinpah et John Boorman sont les auteurs dont les techniques de montage ont été mon école. Par exemple, Point Blank (John Boorman, 1967) a été mon inspiration première pour The Unjust. L'utilisation des flashbacks et des flashfowards dans Point Blank a beaucoup marqué ce que j'essayais de faire en donnant une structure plus complexe à The Unjust.

Panorama-cinéma : Quels sont les réalisateurs qui vous ont le plus influencé?

Ryoo Seung-wan : Mis à part ces trois-là dont le montage m'a beaucoup marqué, je dirais toute cette période du cinéma américain ainsi que le cinéma Hongkongais des années 80 et l’oeuvre de Jean-Pierre Melville. Aussi, chez les Japonais, j'ai trouvé chez Akira Kurosawa le maître des « premières » scènes d'action et chez Shohei Imamura celui qui savait le mieux regarder au creux de sa société.

Panorama-cinéma : Contrairement à beaucoup de réalisateurs de films d'action ou de films policiers, vous tenez à écrire vous-même vos scénarios. Planifiez-vous vos scènes d'action dès l'écriture ou avec un chorégraphe durant le tournage?

Ryoo Seung-wan : Je planifie toujours à l'avance mes séquences d'action parce que depuis les années 90, le réalisateur doit être en mesure de scénariser, monter, produire et réaliser son propre film. À l'époque, encore plus qu'aujourd'hui, c'était une obligation. Je dois donc être responsable de tout ce qui touche à mon film et il faut que je sois extrêmement précis pour ne pas dépasser les budgets, les horaires ou même faire déborder mes scènes en dehors des lieux de tournage réservés à cet effet.

Je planifie ces scènes au storyboard en dessinant les mouvements des comédiens et de la caméra ainsi que les techniques de combat utilisées. Avant de commencer le tournage, je fais déjà le montage de mon film avec un logiciel numérique qui me permet de visualiser ces scènes plus complexes.

Panorama-cinéma : Reviendrez-vous présenter In Berlin à Fantasia?

Ryoo Seung-wan : Si je suis invité, je viendrai assurément, j'adore le festival.

Panorama-cinéma : Et je crois que le public du festival adore vos films.

Ryoo Seung-wan : « Thank you! »


Traduction : Jennifer Park  |  Photos : Mélissa de La Fontaine
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Article publié le 25 juillet 2011.
 

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