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Entrevue avec Megumi Kagurazaka

Par Mathieu Li-Goyette
COUPABLE D'ÊTRE AIMÉE

Coupable d'être aimée, Megumi Kagurazaka, nouvelle muse de Sion Sono, s'est fait connaître au Pays du Soleil levant pour sa poitrine généreuse et naturelle. Tellement qu'on ne voit sur elle que son corps et que les médias d'ici, allant des plus importants aux plus mineurs, ont fait de Kagurazaka le sex-symbol de service de la 40e édition du Festival du Nouveau Cinéma. Mais ce serait la sous-estimer, car derrière ses traits plantureux, l'actrice s'est généreusement entretenue avec nous sur sa relation avec Sono et sur la place de la femme dans le Japon contemporain. Le coeur lourd d'un discours acerbe sur cette image sexualisée qu'elle aimerait batailler malgré son passé de mannequin, l'actrice a devant elle une belle carrière et sait qu'elle devra tourner pour les bons réalisateurs si elle ne souhaite pas voir son corps redevenir le simple objet des passions qu'il était auparavant.

Panorama-cinéma : À quand remonte votre première rencontre avec Sion Sono?

Megumi Kagurazaka : Il y a six ans, nous avions un projet ensemble qui a été annulé. Il y a deux ans, par l'intermédiaire d'un ami commun, on s'est retrouvé dans un petit bistro où l'on a discuté de travail de manière très amicale.

Panorama-cinéma : Quel a été votre parcours avant de devenir actrice?

Megumi Kagurazaka : Quand j'étais étudiante, je me passionnais pour le cinéma. Je pensais que c'était impossible pour moi de faire du cinéma parce que j'étais très timide. Je me suis donc concentrée sur la profession de coiffeuse et de maquilleuse. Alors que je travaillais dans un salon de coiffure, on m'a demandé de devenir mannequin. Avec ce nouveau tournant, en étant si souvent devant les appareils photo ou les caméras, j'ai décidé de m'inscrire à de nombreux ateliers de jeu où j'ai pu apprendre le métier d'actrice et m'intéresser à l'idée d'en faire une carrière. J'ai aussi été très chanceuse d'avoir de nombreuses relations précieuses et de grandes rencontres avec des gens remarquables comme M. Sono.

Panorama-cinéma : Pourquoi le cinéma plus que le mannequinat?

Megumi Kagurazaka : Quand j'étais mannequin, je devais souvent jouer pour la caméra sans aucune forme de naturel. Être mannequin, c'est constamment jouer dans le surfait. Lorsque j'ai fait ces ateliers d'acteurs pour libérer mes sentiments, je me suis sentie de mieux en mieux et ça m'a guidé vers le cinéma. Je m'y sentais plus à l'aise.

Megumi Kagurazaka

Panorama-cinéma : Votre premier rôle pour Sion Sono a été dans Cold Fish. Or, pour un deuxième film de suite, il a fait de vous l'un de ses protagonistes. Comment vous a-t-il présenté le projet?

Megumi Kagurazaka : Pendant le tournage de Cold Fish, M. Sono m'avait déjà proposé de jouer dans Guilty of Romance. Je me suis toujours sentie très proche de ses films et de sa philosophie, donc sans savoir exactement le rôle qu'il allait m'offrir, j'ai accepté avant même de savoir ce dans quoi il allait m'entraîner.

Panorama-cinéma : Votre rôle dans Guilty of Romance est beaucoup plus osé que celui dans Cold Fish. Comment se prépare-t-on à ce genre de rôles? Vous parliez précédemment de rejeter le surfait pour aller vers le naturel, est-ce que ce fut difficile d'être actrice lors de scènes qu'on vous demandait auparavant de faire pour des raisons tout à fait différentes?

Megumi Kagurazaka : Dans Cold Fish, je tenais le rôle d'une femme qui ressentait les mêmes sentiments que la Izumi de Guilty of Romance, mais qui n'osait pas les concrétiser. Pour Izumi, il fallait plus de puissance et plus de force dans le jeu. Avant le tournage, M. Sono a fait beaucoup de répétitions et c'est à ce moment que j'ai vraiment saisi ce qu'il attendait de moi et qu'il m'a vraiment fait coller à la peau du personnage. J'ai tenté de ramasser tous les mauvais souvenirs de ma vie et de les réunir au sein du rôle d'Izumi. Pour moi, c'était la manière de lui donner cette énergie noire.

Quant à l'influence de mon travail de mannequin, j'ai toujours aimé Les amants du Pont-Neuf de Leos Carax parce que les actrices y exprimaient leurs sentiments très librement et avec beaucoup d'intensité. J'aimerais bien jouer comme elles et me donner complètement en délivrant ce qui se cache dans les personnages et j'ai donc tenté de tasser du revers tous les tics reliés au mannequinat.

Panorama-cinéma : Votre alter ego dans Guilty of Romance, qui est professeure à l'université, vous a-t-il rappelé quelqu'un? La spirale dans laquelle votre personnage tombait, positive ou négative, vous a-t-elle rappelé des expériences personnelles?

Megumi Kagurazaka : Le personnage de Mitsuko, le personnage fou et émancipé qui m'attire dans son monde, il est, de mon point de vue, calqué sur M. Sono! [rires]

Panorama-cinéma : Comment Sono prépare-t-il ses scènes? Il est reconnu pour des films plutôt complexes et déconcertants. Comment communique-t-il cette confusion avec ces acteurs?

Megumi Kagurazaka : M. Sono demande différemment selon les particularités de chaque acteur. Pour certains, il leur demandait de jouer très librement. Dans mon cas, il m'a obligée à me conformer à sa vision et m'a disciplinée jusqu'à me faire pleurer sur le tournage. Il essaie de tirer de moi mon 100% tandis qu'il crée une ambiance assez libre sur son plateau avec la grande majorité de l'équipe. Une liberté toujours contrôlée, toujours sur ses gardes, tellement il dégage une force mystérieuse. Ces qualités font que ses techniciens et ses acteurs se passionnent pour lui et veulent lui plaire à tout prix.

Panorama-cinéma : Vous avez aussi travaillé avec Takashi Miike pour 13 Assassins. En quoi cela peut-il être différent de vos expériences avec Sion Sono?

Megumi Kagurazaka : Les deux réalisateurs sont magnifiques et j'ai vraiment apprécié de travailler avec eux, car ils ont une grande imagination. Cela dit, la manière de M. Sono était beaucoup plus stricte envers moi. Il y avait beaucoup de répétitions sur le plateau avant chacune des scènes et c'est quelque chose qui m'a demandé beaucoup de travail. Chez M. Miike, c'était tout à fait l'inverse.

Panorama-cinéma : Sono vous faisait-il aussi répéter les scènes les plus intenses de Guilty of Romance, tant au point de vue charnel que plus largement émotif?

Megumi Kagurazaka : Pas beaucoup, c'était plutôt réservé sur ce point de vue.

Panorama-cinéma : Avez-vous vu le dernier film de Hisayasu Sato, Love & Loathing & Lulu & Ayano?

Megumi Kagurazaka : Non, pourquoi?

Panorama-cinéma : Il raconte, à peu de choses près, la même histoire que Guilty of Romance.

Megumi Kagurazaka : Ah... Mais le titre me semble familier! Connaissez-vous le titre japonais?

Panorama-cinéma : Namae no nai onna-tachi.

Megumi Kagurazaka : Ah oui! [rires] C'est une de mes meilleures amies qui tient le rôle, j'ai hâte de le voir alors, je pourrai les comparer!

Panorama-cinéma : Pour en venir au vif du sujet, comment les femmes ont-elles réagi en général au visionnement de Guilty of Romance?

Megumi Kagurazaka : Ce film a fait réfléchir les femmes qui l'ont vu, il a fait réfléchir notre raison d'être, sur nos libertés au Japon - il n'est pas encore à l'affiche, mais celles qui l'ont vu ont réagi de cette façon.

Panorama-cinéma : Votre personnage dit : « On se rend compte comment les hommes n'aiment pas les femmes qui demandent de l'argent pour faire l'amour. Ils préfèrent plutôt celles qui ne demandent pas d'argent ». Que représente cette réplique pour vous? Et que représente-t-elle plus particulièrement dans le contexte d'une société japonaise où l'on maintient beaucoup de choses sous silence?

Megumi Kagurazaka : Je trouve que cette scène et ces dialogues posent une bonne question. « Mettez-vous vos priorités aux bons endroits? Vous connaissez-vous vous-même? Vous respectez-vous suffisamment?»

Megumi Kagurazaka

Panorama-cinéma : De grandes actrices que vous préférez? Qui ont joué des rôles qui vous ont inspiré pour ce rôle difficile?

Megumi Kagurazaka : Avant chaque film, je revois Opening Night de John Cassavetes pour la performance de Gena Rowlands. Pour moi, c'est la plus belle performance. J'aime beaucoup aussi les actrices japonaises classiques comme Hideko Takamine ou Sachiko Hidari [on écrivait quelques lignes sur l'actrice récemment en parlant de Elle et lui] qui interprètent toujours des rôles où leur corps est engagé complètement dans le film.

Panorama-cinéma : On parlait de la société japonaise. Pour vous qui avez un certain passé dans le mannequinat, pensez-vous que cela peut vous porter préjudice pour votre carrière d'actrice? Craignez-vous d'être cataloguée?

Megumi Kagurazaka : Quand j'étais mannequin, les gens autour de moi avaient énormément de préjugés à mon égard. Maintenant, sur les plateaux, je travaille avec des gens à qui je fais confiance et je peux être honnête, franche et libre avec eux sans craindre l'image que je projette aux autres.

Panorama-cinéma : Mis à part Naomi Kawase, qui a une certaine réputation internationale, peu de réalisatrices travaillent au Japon. Étant donné votre renommée et le réseau de contacts que vous vous êtes tissés dans l'industrie, la mise en scène est-elle quelque chose que vous avez déjà envisagée?

Megumi Kagurazaka : Je vois M. Sono qui travaille énormément. Le travail des réalisateurs est extrêmement difficile. Il faut toujours regarder les autres, s'en inquiéter, être sensible à leurs réflexions et il faut s'exprimer au sein de cette tempête. Il faut beaucoup de talent pour exercer avec qualité ce métier et la qualité de connaissances requise est énorme. Je préfère être actrice dans des films de grands réalisateurs!

Panorama-cinéma : Avez-vous un autre projet prévu avec Sion Sono?

Megumi Kagurazaka : À mon retour au Japon, je vais travailler avec M. Sono sur un nouveau projet. Il n'y a pas encore beaucoup de directions qui ont été données, mais l'essentiel demeure un petit secret entre M. Sono et moi.

Panorama-cinéma : Y a-t-il des réalisateurs pour qui vous souhaiteriez jouer?

Megumi Kagurazaka : J'ai seulement travaillé une demi-journée avec M. Miike pour mon dernier rôle, donc j'aimerais bien travailler avec lui en ayant plus de temps. Avec M. Sono, évidemment, mais mon rêve serait de jouer pour Wakamatsu Koji ou peut-être même avoir un rôle plus tranquille chez Hirokazu Kore-eda.

Panorama-cinéma : Plus largement, le cinéma japonais est l'un des premiers cinémas à avoir mis de l'avant la place de la femme dans son cinéma. De nombreux de cinéastes ont basé leurs oeuvres sur cette problématique et l'on peut croire qu'avec la nouvelle vague des années 60 et avec les pinku-eiga, la place de la femme a un peu été reléguée au statut de femme-objet ou de catalyseur d'une énergie à priori masculine.

Megumi Kagurazaka : C'est une très bonne question, mais une question difficile. Ma grand-mère était quelqu'un de beaucoup plus forte que moi, ces générations qui nous ont précédés, celles nées avant la guerre, étaient des femmes avec la même rigueur et la même force de caractère que les hommes. Je n'y avais jamais réfléchi, mais vous avez raison. La « pop culture » y est probablement pour beaucoup, l'image, les vidéoclips, la censure qui est tombée peu à peu. Dans les années 30 et 40, Kenji Mizoguchi faisait des films pour faire avancer la cause de la femme et a réussi à de nombreux égards. Aujourd'hui, on peut avoir l'impression d'être retourné en arrière. Effectivement, je pense que les années 60 ont facilité énormément la réception des images par la télévision et par les magazines et le cinéma en a été beaucoup influencé. Dans la vie quotidienne au Japon, les images nous inondent alors que les femmes tentent de devenir plus fortes et de mener leurs carrières comme elles l'entendent. C'est un paradoxe que de lutter sans cesse contre cette image que l'on projette de vous en essayant toujours de vous l'approprier.
 
Photos : Cécile Lopes | Traduction : Nico Fujita
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Article publié le 25 octobre 2011.
 

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