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Entrevue avec Takashi Miike

Par Mathieu Li-Goyette
Takashi Miike, incontestable roi du cinéma de genre japonais, était l’un des invités d’honneur de la 20e édition du Festival Fantasia où il a reçu un Prix de carrière honorifique. Nous l’avons rencontré pour un court mais intense moment, afin de discuter de ses motivations de cinéaste et de son rapport pour le moins paradoxal à la violence à l’écran.





Mathieu Li-Goyette : Vous avez la réputation d'être l'un des cinéastes les plus productifs au monde. Qu'est-ce que ça vous fait ?

Takashi Miike : C'est sûr que si l'on me compare à d'autres réalisateurs japonais, c'est vrai que je fais beaucoup de films. Mais ce n'est pas conscient ou en tout cas ce n'est pas planifié. La vitesse à laquelle ma caméra roule, à laquelle je mets en scène, c'est quelque chose de naturel pour moi, alors quand je le fais je n'ai pas l'impression de le faire rapidement. Le fait de faire beaucoup de films n'est pas important pour moi -- ce qui l'est c'est le fait d'être actif. Je me trouve constamment fainéant. Je peux avoir le sentiment d'avoir trop filmé pendant un avant-midi et ressentir l'épuisement, mais dès l'heure du dîner, alors que je vois mon équipe en train de manger leur bento (ndlr : leur boîte-repas), s'ils mangent lentement, je vais faire les cent pas en me disant que je pourrais être en train de tourner une publicité. Je suis toujours en activité, c'est important pour moi.

MLG : Quand avez-vous réalisé pour la première fois qu'il y avait un marché international pour vos films ?

TM : C'est avec la projection de Fudoh au Festival international du film de Toronto, lors du Midnight Madness de 1997. Il y avait beaucoup de gens présents dans la salle alors qu’au Japon, on l'avait montré dans une toute petite salle et de toute façon ce n'était même pas un film pour le cinéma. Ce décalage m’avait frappé. Ensuite, je me demandais si les gens comprenaient le sens de ce film et je voyais bien que les gens essayaient au moins de le comprendre, de s'amuser et qu'ils tentaient de l'intégrer en eux, de vivre le film. C'est là que j'ai réalisé qu'ils étaient intéressés par celui-ci. C’était une vive surprise pour moi.
 
MLG : Et cette relation serrée que vous entretenez avec des festivals de films de genre, notamment Fantasia, à quel niveau est-ce important pour vous ?
 
TM : C'est une chaleur qui vient me prendre au cœur. Je ressens dans mon corps l'appréciation des gens pour le film et ce sentiment, c'est surtout dans les festivals de film que je le vis. De regarder le film avec les spectateurs, que ce soit une salle de 300, 500 ou 700 places, c'est toujours une forme de révélation, de vérité. Peut-être que ce n'est qu'une infime partie des spectateurs qui regardent mes films que je rencontre ainsi, mais c'est la seule chose en laquelle j'ai confiance en tant que créateur. Je ne fais confiance qu'à ce moment-là de la réception, celui où je suis dans la salle avec eux. Même si on me dit qu'un de mes films a beaucoup de succès à l'extérieur du Japon, je ne le crois pas vraiment avant de le voir... Et ça ne me rend pas fier et ça ne me met pas plus en confiance. De savoir que mon film peut être bien reçu à l'étranger ne me fait pas me sentir comme une star. Du moins, je ne le crois pas avant d'être dans la salle et de m'amuser aux côtés du spectateur.




:: Terra Formars (Takashi Miike, 2016)


MLG : On connaît l'importance de l'assistanat dans la tradition cinématographique japonaise, du moins jusqu'à une certaine époque somme toute récente. Dans votre cas, vous avez fait votre assistanat en partie aux côtés de Shohei Imamura. Que retenez-vous de son travail ?

TM : Shohei Imamura, c'était un réalisateur très différent des autres, c'était un réalisateur unique. Il faisait lui-même ses films, toute sa production, du financement jusqu'à la sortie, ce qui était d'un style assez particulier. J'aime beaucoup son cinéma et j'adorais sa personnalité. Il m'a beaucoup appris. Il m'a appris que lorsqu'on faisait du cinéma, il fallait en faire un mode de vie, que le fait de faire un film était une vie et que la façon et les moyens de le faire devaient s'inscrire dans le caractère même du film. Mais moi, je ne pourrai jamais faire des films comme Imamura en faisait tout comme il n'aurait pas été capable d'en faire comme les miens. (rires)

MLG : Vous avez déjà dit ne pas aimer les films violents. Pourquoi ? Ça semble un peu paradoxal, quand on pense à bon nombre de vos films, des premiers films du V-Cinema de Yakuza jusqu'à Lesson of the Evil ?

TM : Je ne regarde pas les films qui sont trop violents, en effet, parce que je ne les aime pas beaucoup. Quand vous regardez les miens, vous pouvez remarquer que la violence est toujours un résultat. Je ne me mets pas en tête de faire un film violent en m'y préparant. C'est le résultat de la mise en place. Je pense aux personnages du film, j'essaie de les respecter le plus possible – mes personnages ne changent, n'évoluent d'ailleurs jamais beaucoup – et s'ils se battent, j'essaie de leur donner le plus d'amour possible. C’est-à-dire que je m’efforce d'imaginer une réalité qui soit propre à l'intérieur du récit et qui puisse le tenir en place, entre les personnages et entre les situations. Par exemple, si un personnage se fait frapper une fois dans une scène, il va se relever, mais puisqu'il se relève il va se faire frapper de nouveau, même s'il est faible : je ne veux pas qu'il tombe pour de bon en un seul coup. Quand je parle d’amour, c’est pour dire que j’en donne toujours à mes personnages, car j’ai toujours envie qu’ils puissent se relever après les coups qu’ils reçoivent, qu’ils puissent se relever, utiliser une chaise ou n’importe quoi d’autre qui leur tombe sous la main pour contre-attaquer. J’encourage constamment mes personnages à se relever, à ne pas mourir et c’est là que ça devient violent et de plus en plus violent, car je filme leur résilience, mais aussi leur détermination à se venger. Pour moi, la violence émerge de l’amour que j’ai pour mes personnages, de mon désir de les voir survivre.


Traduction du japonais au français : Hidetaka Yoneyama
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Article publié le 17 juillet 2016.
 

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