DOSSIER : QUEERS EN CAVALE
L’équipe Infolettre   |

Anne Émond : Un truc hypersensible

Par Mathieu Li-Goyette

 

Quelques jours après la première d’Amour Apocalypse à la Quinzaine des cinéastes, je retrouve Anne Émond sur la terrasse ombragée d’un petit café caché dans une ruelle de Cannes, à quelques pas de la Croisette. La cinéaste en est à sa dernière entrevue après des journées médiatiques effrénées et dit d’emblée attendre la suite avec impatience : enfin libérée de ses obligations, elle allait pouvoir se fondre dans le Festival, regarder des films, souffler un peu après sa première sélection cannoise.

 

 

*

 

 

Mathieu Li-Goyette : Un film comme Amour Apocalypse, qui est plein de péripéties, qui commence dans un chenil et qui finit dans la Bible, ça s’écrit à partir de la fin ou à partir du début ?

Anne Émond : J’ai commencé par le début parce que je me suis moi-même lancée dans cette aventure pour l’écrire. Vers 2019, j’ai frappé un muret ça n’allait pas. J’ai une histoire familiale avec beaucoup d’enjeux de santé mentale — j’ai fait un film là-dessus [Les êtres chers, 2015] ; mon père s’est suicidé, mon grand-père s’est suicidé —, donc si quelqu’un devait croire en la dépression, c’était bien moi… Mais moi, j’étais une de ces personnes qui avait quand même le goût de dire à d’autres : « Allez, secoue-toi un peu, va courir, dors mieux, bla bla bla. » Bref, je pensais souvent comme ça, qu’on pouvait toujours trouver des manières de se sauver soi-même. Jusqu’en 2019, donc, où j’ai frappé un mur. J’allais avoir 40 ans et je me suis senti dériver dans un mélange de dépression, d’anxiété et d’écoanxiété. J’essayais tout et je ne m’en sortais pas.

Un jour, j’ai croisé mon ami Alexandre Laferrière, le scénariste [Félix et Meira, La grande noirceur, Indéfendable], et mon voisin. J’étais incapable de parler, je pleurais ; je pleurais en lui disant que ça faisait six mois que je me sentais mal. J’étais hors de contrôle. [Rires] Alors, il m’a donné une lampe de luminothérapie et c’est devant cette lampe que j’ai commencé à réfléchir. Comme dans le film, il y avait un numéro de téléphone sur la boîte, alors je me suis laissé emporter et je me suis inventé cette femme avec cette voix douce. J’avais besoin de ces conversations imaginaires pour me réconforter moi-même et, assez rapidement, je me suis dit que j’allais essayer d’écrire une comédie, en me créant une aventure pour moi-même au fur et à mesure que je commençais à me sentir mieux. Éventuellement, j’ai pris mes distances de l’histoire pour essayer d’écrire un film qui se tenait à peu près, mais qui, en même temps, n’essayait pas de rester au niveau de la structure ou d’une scénarisation plus classique.

MLG : L’écriture a parfois quelque chose d’aléatoire, en particulier durant la première heure où l’on déboule. Passé cette heure, on sent que le film trouve sa track et finit par la suivre pour finir par finir, mais la première heure est franchement éclatée, mystérieuse. Pendant longtemps, je me suis demandé si cette voix de femme au téléphone [Piper Perabo] n’était pas un leurre — peut-être parce que ça me faisait beaucoup penser à Her de Spike Jonze [2013] — et que le personnage à l’autre bout du fil n’existait pas vraiment. Ton film est très patient avant d’élucider ça. Je me demandais comment tu avais fait de ce mystère quelque chose d’aussi dominant.

AE : En fait, ça fait partie d’une des premières décisions réellement scénaristiques que j’ai prise, une fois que je suis passée d’une écriture qui me consolait à une écriture où je voulais aboutir à un film. Je me suis dit que je voulais écrire un film qui serait dépassé par les événements autant que le personnage le serait. Quand j’avais 20 ans, 25 ans, je trouvais la vie compliquée — c’est la vingtaine ! qui va m’aimer ? qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? — en me disant que ça allait bien finir par s’apaiser un jour. Et bam ! Je suis arrivée à 40 ans et… ça ne s’est pas du tout apaisé ! [Rires] Au contraire ! Moi, j’ai vieilli, mais le monde a changé et, au moment où je me disais que j’allais peut-être m’apaiser, j’ai l’impression de moins comprendre le monde que jamais, de comprendre comment vivre sur Terre encore moins qu’avant.

Tu vois, là, je me suis remise sur Instagram le temps du Festival et hier, il a fallu que Sylvain [Corbeil, le producteur] me fasse mes stories parce que je ne savais pas comment repartager. Ce n’est pas que j’ai quelque chose contre ça, car finalement, je comprends pourquoi tout le monde est sur Instagram (c’est sûr qu’il y a plein d’affaires le fun) ; c’est plutôt que ça fait partie de mon sentiment d’être dépassée par les événements, par les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle, la crise climatique. C’est cliché de dire ça, je le sais, car tout le monde dit être dépassé par les événements. J’ai voulu faire un film comme ça, qui se demande pourquoi tout ça arrivait, pourquoi ces deux-là finiraient ensemble, parce que ce n’est pas non plus une histoire d’amour si évidente que ça. Dans les faits, on ne sait pas si les personnages vont rester ensemble après le film, ce n’est pas You’ve Got Mail [Nora Ephron, 1998] non plus.

J’ai voulu faire un film imprévisible. Pas pour épater la galerie, puisque, si ça se trouve, ça va nuire au film et les critiques n’aimeront pas ça, mais j’ai voulu refléter ma propre incompréhension du monde sans non plus aller dans la direction d’un Everything Everywhere All at Once [Daniel Scheinert, Daniel Kwan, 2022]. Dans mon cas, je voulais que ça soit un peu plus lousse. À chaque coin de rue, j’ai l’impression de voir un truc qui me fait me demander dans quelle espèce de monde étrange on vit.



:: Adam (Patrick Hivon) [immina films]


:: Tina (Piper Perabo) [immina films]


MLG :
Justement, il y a toute une mise en scène des objets dans ton film. Certes, il y a la lampe de luminothérapie qui est le gros truc central, mais il y a le collier en forme d’œil dans la scène de consultation, la boule de verre soufflé, il y a tous ces inserts, ces moments d’étrangeté qui feraient en sorte que quelqu’un qui serait trop attentif au film pourrait se dire que c’est un indice, que ça veut dire quelque chose, mais que finalement, ça ne veut rien dire.

AE : Si je m’étais écoutée, il y en aurait eu encore plus ! Adam [Patrick Hivon] a un rapport aux objets vraiment particulier. Il essaie de ne pas acheter d’objets et il n’aime pas être entouré d’objets dans son appartement de murs blancs. Chez lui, c’est le strict minimum et le directeur artistique [Sylvain Lemaitre] me disait que ça allait être laid. Or, justement, Adam n’a pas acheté de peinture pour son appartement. Il n’a pas acheté de tapis. Je voulais qu’on remarque à travers lui ces objets dont tu parles, qu’on remarque leur matérialité, qu’on se dise que, peut-être, lui les voyait d’une certaine manière, qu’on se demande justement s’ils allaient être des indices dans l’histoire, alors que ça n’est pas du tout le cas. Dans les faits, ça ne dit pas grand-chose, à part que cette psychiatre est peut-être un peu ésotérique. Ce sont des éléments qui peuvent raconter des petites jokes, participer à la construction des personnages, mieux nous inscrire dans la perspective d’Adam. C’est des choses qui m’arrivent à moi aussi, d’ailleurs. Je pense que c’est un truc d’hypersensibilité — un autre mot à la mode ! — et peut-être que je suis en train de m’autodiagnostiquer hypersensible.

MLG : C’est une bonne qualité de cinéaste.

AE : Je l’espère aussi ! J’essaie d’en faire quelque chose parce que ce n’est pas toujours si cool que ça à vivre. [Rires]

MLG : Ton film rit de beaucoup de choses que beaucoup de personnes, toi y compris, prennent très au sérieux. C’est sérieux, le réchauffement climatique ; c’est sérieux, la dépression, le couple. En même temps, tu le fais en tirant sur tout ce qui bouge. Cette surabondance de sujets, mais aussi de personnages — que tu soulignes d’une certaine manière en mettant parfois de grands acteurs dans des rôles minuscules, Connor Jessup, Martin Dubreuil —, est-ce que c’est une manière pour toi de ne pas trop appuyer sur le même bouton en appuyant plutôt sur tous les boutons en même temps ?

AE : Il y a effectivement une accumulation de sujets et de personnages pour deux raisons. La première, c’est parce que je voulais aborder des types de personnes différentes et reconnaissables en même temps. Prends Romy [Élizabeth Mageren], la Gen Z, par exemple. J’adore les Gen Z, pour être honnête — surtout les filles. C’est une génération formidable. Prends aussi le conspirationniste, qui est un peu un de mes oncles ; on pourrait penser qu’il est cliché, mais il est pourtant vraiment comme ça… Au fond, je voulais qu’Adam parte à l’aventure et qu’il se ramasse dans des situations un peu saugrenues avec des personnages qui déstabilisent complètement sa routine. En même temps, je voulais qu’on reste dans la fable, qu’on ne soit jamais dans des situations réellement graves, mais plutôt loufoques et qui nous permettent d’aborder des sujets divers. Peut-être que de prendre des interprètes connus même pour des petits rôles participe aussi à un aspect plus familial. Martin Dubreuil est un ami, Connor Jessup aussi, et je me sentais bien avec ces gens-là. Ça rejoint une forme de fantaisie qui entoure Adam dans son village, où tout le monde connaît son nom au point qu’on dépasse la réalité pour entrer dans la fable.

Je voulais tirer sur tout ce qui bouge, mais avec beaucoup de tendresse et d’amour, sans surdramatiser le film. Avec Romy, par exemple [qui est l’employée d’Adam et qui a une relation sexuelle avec lui], je ne suis pas allée jusqu’à lui faire faire une plainte pour harcèlement sexuel non plus. Et il y a des policiers dans le film, mais ça ne finit pas en prison non plus.

MLG : D’autant que ça te donne une des meilleures jokes du film.

AE : Oui ! Justement, je ne voulais pas creuser complètement les sujets que les personnages peuvent porter en eux parce que ce n’est pas ça, l’idée du film.

MLG : Justement, j’avais peur du potentiel dramatique du film, que, à un certain moment, tu nous fasses redescendre sur Terre, que tout le monde y passe.

AE : Au contraire, je voulais qu’on décolle, qu’on s’éloigne de tout ce qui pourrait aboutir à une forme de grosse résolution. Toutes ces questions, tous ces problèmes que posent les personnages du film : moi, je n’ai pas de réponse à ça et les personnages non plus. Dans ces moments-là, je me dis qu’il vaut mieux en rire ! Je voulais faire un film divertissant, mais pas complètement con non plus. C’est sûr qu’il y a quand même quelques jokes un peu connes, mais elles me font rire. Dans tous les cas, je pense qu’il y a un côté politique au film, anticapitaliste, anticonsumériste, et j’espère qu’on en retient quelque chose.
 


:: Anne Émond et Patrick Hivon, sur le plateau d'Amour Apocalypse [photo : Maryse Boyce/immina films]


:: Tina (Piper Perabo) et Adam (Patrick Hivon) [immina films]

MLG : On le sent bien avec cette finale dans une sorte de paradis terrestre. Ça devient une sorte de point d’exclamation et une belle manière de ramasser toute la tension du film dans un dernier climax.

AE : Avec Olivier Gossot, le directeur de la photographie, on essayait de trouver une manière d’évoquer la liberté, l’improvisation, que ça ait l’air sale, même si, finalement, c’est très réfléchi comme dernier plan. Je voulais surprendre, m’assurer de ne répondre à aucune attente.

MLG : C’est vraiment une belle fin.

AE : Elle est cool, hein ? Je l’aime pour vrai ! Quand j’ai eu l’idée, je me suis tout de suite dit que c’était une parfaite fin d’anti-comédie romantique, avec une sorte de retour à l’animalité, qui est peut-être le vrai message du film. La biodiversité, ce n’est pas seulement les abeilles, c’est nous aussi. Et, si jamais c’est la fin du monde, on va être comme des coquerelles, on va copuler et on va se reproduire pour essayer de survivre. [Rires] C’est ça qui va se passer. Même si on perd le langage, le cinéma, l’art, la littérature, tout ce qu’on a créé et qui est magnifique, on va quand même continuer à se reproduire. Le discours du film, au fond, c’est ça : on fait partie du vivant. Après, on a ajouté plein de codes liés à la romance, à notre culture, et c’est beau, j’aime ça, les êtres humains (soyons clair·e·s !), mais on s’est tellement placés en haut de la pyramide que je voulais un peu venir nous remettre dans une position vulnérable, animale justement. Jusqu’à présent, la fin est bien reçue, alors je suis contente, mais en 2022 quand j’écrivais, ou en 2024 quand je tournais, je me demandais si les gens allaient penser que mon film était un truc de suprématiste blanc qui se termine sur un phantasme d’homme blanc et de femme blanche dans un champ. J’ai quand même eu peur !

MLG : En plus, il s’appelle Adam.

AE : Oui ! Enfin, ça semble être compris, finalement. Je n’ai pas l’impression que les gens le prennent de travers.

MLG : Dans ton film, il y a pas mal de personnages qui sont en détresse et pas seulement les principaux. Ce sont surtout des hommes qui ont de la difficulté à se parler, à s’entraider, et on le voit à travers des amitiés masculines que tu filmes avec beaucoup d’acuité. Il y a des moments dans ton film où on traîne avec de vrais bros, comme le personnage d’Éric K. Boulianne. À quel point cette incommunicabilité masculine était-elle délibérée par rapport à ton sujet ? Comment s’est-elle imposée ?

AE : D’une part, le personnage d’Adam me ressemble énormément. J’ai décidé d’en faire un homme pour plein de raisons — pour prendre mes distances, pour me permettre d’inventer plus facilement. D’autre part, Adam est un hypersensible d’un type assez rare chez les hommes. Il ne veut pas faire de mal à une mouche, il est extrêmement gentil, il n’a pas besoin de prouver sa testostérone à qui que ce soit. Dans la scène de sexualité avec Tina [Piper Perabo], par exemple, c’est lui qui décide de s’arrêter… Et, soyons clairs, ce n’est vraiment pas souvent comme ça que les hommes se comportent dans la vraie vie ! Je ne sais pas si ce personnage existe réellement, mais, depuis 100 ans, les hommes cinéastes ont quand même souvent inventé des personnages féminins extrêmement beaux — et parfois, certainement gênants et ridicules —, mais je me disais que je pouvais me permettre d’inventer un personnage masculin et d’y mettre tout ce que je voulais de beau. Je le voulais sensible, drôle, gentil… même si ce n’est pas toujours comme ça qu’ils sont dans la vraie vie, les gars.

Mais justement, c’est une roue qui tourne un peu, le cinéma, un miroir de la société et la société finit par s’en faire le miroir. Les films que j’ai vus quand j’étais adolescente, des comédies comme American Pie [Paul Weitz, 1999], m’ont tellement influencée en grandissant, en me fournissant des modèles, en me disant comment parler ou ne pas parler… J’avais donc envie d’inventer un gars et de l’entourer d’autres personnages masculins qui sont inspirés par des gens autour de moi et pas nécessairement par des hommes — par exemple, le personnage de Gilles Renaud est inspiré de ma mère ! Cela dit — et ce n’est pas scientifique, ce que je vais dire… —, c’est que j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’hommes de cette génération, dans la quarantaine, qui ont flippé dans les quatre ou cinq dernières années, parce qu’ils sont fautifs de choses graves, ou encore parce qu’ils se sentent grugés de l’intérieur sans non plus savoir ni où ni comment aller chercher de l’aide ; aussi, parce que l’aide psychologique est si difficile à trouver ; ça va te prendre six mois d’attente et il te faudra quand même 120 piastres la séance. C’est une sorte de réalisation qu’il n’y a pas de filet social pour cette détresse, qu’il y a une forme de crise de la masculinité qui est complexe, avec plein de nuances.
 


:: Tina (Piper Perabo) et Adam (Patrick Hivon) [immina films]


:: Frank (Éric K. Boulianne) et Eugène (Gilles Renaud) [immina films]

La certitude, c’est qu’on vit dans un monde qui nous rend fous et folles. S’il y a autant de maladies mentales, autant de détresse, c’est sûr, sûr, sûr que c’est à cause de nos sociétés. C’est sociétal, c’est systémique, et, en même temps, on exige de nous que nous guérissions par nous-mêmes. Rends-toi fou à performer au maximum et va jusqu’à performer fort dans ton autoguérison en allant chercher ta propre lampe et ta propre appli de méditation. J’essaie d’en rire, je suis une pessimiste joyeuse.

MLG : Est-ce que c’est sans issue ?

AE : J’ai l’impression que ça va changer, qu’on est en train de toucher le fond. Le fond d’une époque, d’une manière de vivre. J’en sais rien, en fait, mais j’ai quand même l’impression que toutes ces questions vont énormément évoluer dans les 20 à 30 prochaines années.

MLG : J’espère.

AE : J’essaie de me dire que ça va peut-être être le fun. C’est pour ça que, dans mon film, j’essaie de montrer un gars gentil parce que je pense que c’est vraiment la qualité du futur, même si ce n’est pas à la mode d’être gentil. [Rires] Mais je pense que, bientôt, on n’aura plus le choix ! Il va falloir qu’on se fasse un jardin sinon on va mourir de faim et, parfois, une partie de moi est inspirée par ça, en me disant qu’on est allé·e·s au bout du système, que certain·e·s vont s’en sortir et d’autres, non.

MLG : C’est sûr qu’on s’en approche.

AE : L’autre jour, j’étais dans un chalet chez des ami·e·s et il y avait une grosse tempête. J’étais à côté de la fenêtre et je voyais un gros arbre ben proche, et je me suis dit que je pourrais mourir là, que je serais une morte climatique !

MLG : C’est l’hypersensibilité encore.

AE : Ça m’a un peu fait céder à la panique ! [Rires] Ce qui est sûr, c’est qu’il faut commencer à retisser des liens sociaux et, pour ça, il faut être gentil·le. C’est pour ça aussi que je vais me redéconnecter d’Instagram une fois que Cannes sera terminé.



:: Anne Émond et Piper Perabo, sur le tournage d'Amour Apocalypse [Maryse Boyce/immina films]

MLG : Nuit # 1 [2011], Les êtres chers, Nelly [2016], Jeune Juliette [2019]… J’ai l’impression que tous tes protagonistes réfléchissent un peu trop pour leur propre bien. Puis, réfléchir, au cinéma, ce n’est pas nécessairement synonyme de poser des gestes, faire des actions, avoir une trame narrative claire. Or, on sait comment les films sont financés au Québec, avec quels genres de critères plutôt classiques en matière de développement de personnages et de clarté psychologique. À quel point crains-tu parfois de trop écrire dans la tête de tes personnages ?

AE : Scénaristiquement autant que cinématographiquement, je suis parfois ma propre pire ennemie. Je me mets presque des bâtons dans les roues. Pourquoi je fais toujours des films où l’« ennemi principal », c’est mon propre protagoniste ? C’est complètement « anti-conflit » — en tout cas à l’écran — et probablement que ça explique pourquoi ça m’a pris fucking six films pour me rendre à Cannes. J’ai 43 ans, je suis un débris. [Rires]

En même temps, je ne suis pas capable de faire autrement parce que c’est toujours ça qui m’intéresse. C’est probablement lié à mon histoire personnelle, au trauma du suicide de mon père que j’ai vécu à 18 ans. Je suis capable d’en parler maintenant sans être trop émotive, puis de pointer les répercussions que ça a eues sur moi à travers les années, comment ça m’a amenée à me poser des questions, comment ça a nourri mes protagonistes. C’est certain que c’est ça qui m’intéresse au cinéma : des personnages qui essaient de trouver la meilleure façon de vivre. C’est aussi complètement anti-cinématographique. Des fois, ça fait des bons films ; d’autres, des mauvais. J’en ai raté, des films, ou en tout cas il y en a que j’aime moins.

MLG : Mais des fois, ça fonctionne.

AE : Et d’autres fois, ça fonctionne, même si je suis encore à travailler à faire un super bon film parfait. Parfois, je me dis que j’aimerais écrire des romans. Je lis plus de romans que je vois de films. Je suis toujours en train de lire un livre. Peut-être que c’est ça qui m’attend, d’autant que c’est plus sobre, en termes de ressources. Tu déranges moins… J’ai de vraies réflexions par rapport à ça, même si j’ai cette chance d’avoir mes films financés.

MLG : Alors ça va.

AE : Oui, ça va.

 

 

*

 

 

La page Instagram d’Anne Émond n’est pas encore désactivée. Vous pouvez la suivre ici.


 

Photo d'en-tête :  © Tous droits réservés.

 

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 12 août 2025.
 

Entrevues


>> retour à l'index